Monnaies : du dollar tout-puissant au flottement généralisé

Yazdır
24 avril 1998

Aux débuts de l'union européenne, pratiquement jusqu'au début des années soixante-dix, la question ne se posait pas vraiment. La seule véritable monnaie internationale était le dollar et c'était pratiquement lui, c'est-à-dire en fait le gouvernement des Etats-Unis, qui dans toute la planète, à l'exception de l'Union soviétique et de sa zone d'influence, dictait sa politique monétaire.

Cela nécessite de revenir un peu en arrière, à la situation au lendemain de la seconde guerre mondiale. A ce moment-là en effet, les Etats-Unis qui en étaient les vainqueurs s'étaient préoccupés de créer une organisation monétaire mondiale qui facilite la reprise des échanges, une reprise dont ils ne pouvaient être que les principaux bénéficiaires face au Japon et aux pays européens dévastés par la guerre et à l'économie détruite. Avant même d'avoir vaincu militairement l'Allemagne nazie, ils réunirent une conférence monétaire pour cela, dans une petite ville de la côte Est des Etats-Unis qui doit à cette conférence sa célébrité : Bretton-Woods.

C'est là que fut fondé sous leur égide le Fonds monétaire international, le FMI. Ce fonds, alimenté par les pays adhérents et d'abord par les Etats-Unis, était là pour surveiller et garantir la stabilité des diverses monnaies. Les différents Etats s'engageaient à maintenir la stabilité des taux de change entre leurs monnaies, avec une marge maximum de 1 % autour de leur cours central. L'ensemble était garanti par la stabilité du dollar, seule monnaie proclamée convertible en or, au taux de 35 dollars pour une once, et gagée sur le stock de ce métal détenu par la banque des Etats-Unis.

De fait, le dollar était devenu la seule monnaie universellement acceptée, parce que basée sur une puissance industrielle qui n'avait pas été détruite, qui était désormais la seule à dominer vraiment le monde capitaliste et qui disposait de réelles réserves financières. Les autres Etats, et en particulier les Etats européens, étaient bien obligés d'accepter cette situation. Bien sûr, ils pouvaient imposer leur monnaie sur le marché intérieur à leurs citoyens. Mais sur les marchés extérieurs ils ne pouvaient l'imposer à leurs partenaires commerciaux. Et pour sortir du système de troc ou d'accords bilatéraux, qui étaient la première forme de reprise des échanges entre Etats au lendemain de la guerre, les Etats européens comme les autres étaient obligés de se procurer des dollars pour effectuer les règlements internationaux.

Ils étaient contraints par là même de se soumettre à la loi du dollar, mais aussi à une certaine discipline monétaire imposée par les Etats-Unis, avec pour conséquence une certaine stabilité monétaire à l'intérieur de l'Europe.

Cette discipline pesait sur tous les Etats, à l'exception des Etats-Unis, le seul dont la monnaie était universellement admise comme monnaie de règlement et comme réserve. Les Etats-Unis ne se privèrent donc pas de fabriquer des dollars, notamment dans les années soixante pour payer les dépenses de la guerre du Vietnam.

Mais cela ne pouvait pas durer toujours, et les Etats-Unis ont été finalement contraints de supprimer la convertibilité du dollar en or.

Cela se fit en plusieurs étapes. Pendant plusieurs années, face à des marchés financiers internationaux de plus en plus méfiants à l'égard du dollar, les Etats-Unis mirent leurs partenaires à contribution. Par le biais d'un "pool de l'or", il s'agissait de défendre la fameuse parité de 35 dollars pour une once d'or... jusqu'au jour où, le 15 août 1971, le président Nixon annonça que le dollar ne serait plus convertible. Puis pendant deux ans encore, jusqu'en 1973, les Etats-Unis tentèrent de défendre une parité théorique du dollar, qui fut successivement de 38 dollars, puis de 42 dollars l'once. Mais la crise monétaire entraînée par la spéculation internationale ne fit que se déchaîner de plus belle. Et finalement, en mars 1973, après quinze jours de fermeture des marchés des changes, ils décidèrent d'abandonner cette parité théorique pour faire "flotter" leur monnaie.

Le "flottement" du dollar, cela signifiait surtout... que le système monétaire coulait ! Désormais le dollar n'allait plus avoir de valeur fixe relativement aux autres monnaies : cette valeur ne serait plus déterminée que par le marché, autrement dit par la loi de l'offre et de la demande. Elle "flotterait", le mot en somme est bien choisi, au gré des vagues de la spéculation, de la demande ou de l'offre plus ou moins grande de dollars sur les marchés financiers. Et si le dollar était ainsi contraint de "flotter" au gré des marchés, cela était vrai à plus forte raison des autres monnaies, qui avaient du coup perdu tout point de repère.