La Grande-Bretagne et l'euro

Yazdır
24 avril 1998

Un cas à évoquer est celui de la Grande-Bretagne. Comme il a été dit plus haut, celle-ci, une des trois principales puissances impérialistes d'Europe, ne participera pas à la mise en place de l'euro. Mais cela ne doit rien à l'insularité, au particularisme et au nationalisme britanniques, et autres explications qu'on nous donne souvent. Et pourquoi pas le chapeau melon ou l'amour du thé !

En fait l'économie britannique est relativement bien plus liée au marché mondial extra-européen que les autres économies européennes. Les sociétés britanniques ont bien plus de capitaux à l'extérieur que leurs consoeurs du continent, et en général ces capitaux se trouvent moins en Europe qu'aux Etats-Unis ou dans les pays de l'ancien empire colonial britannique.

Il faut signaler aussi les groupes de pression que constituent les actuels "paradis fiscaux" britanniques, qui craignent de perdre un statut profitable. A Jersey, à Guernesey, à l'île de Sark ou à l'île de Man, on ne paye d'impôt ni sur les plus-values boursières ni sur l'héritage, et la profession la plus répandue est celle de prête-nom. Un certain citoyen de l'île de Man est ainsi directeur de 2400 entreprises à la fois, c'est le record. Qu'on se rassure, ce n'est que sur le papier et cela ne lui demande pas trop d'activité, à part celle consistant à tenir à jour la liste des entreprises à qui il prête ainsi son nom, et aussi à pointer sur son compte en banque les royalties qu'elles lui versent pour cela. Mais peut-être qu'il va jusqu'à embaucher une secrétaire pour faire ce travail à sa place.

Enfin et peut-être surtout, une des activités qui comptent le plus sur le plan financier est l'activité boursière. La City de Londres est aujourd'hui la deuxième place financière mondiale après New-York. Tout ce secteur financier, très lié à l'extérieur, redoute de perdre sa liberté d'action, que ce soit en matière de taux d'intérêts ou en matière de taux de change de la livre vis-à-vis du dollar et du yen, alors que le poids des intérêts du secteur industriel intéressé par la suppression de toute entrave sur le marché européen est plus faible qu'ailleurs en Europe.

Bien sûr, si les financiers de la City étaient assurés d'avoir un poids déterminant dans les décisions que prendront les autorités monétaires européennes, ils signeraient des deux mains l'entrée dans la monnaie unique. Mais ce n'est pas gagné pour eux. Alors, pour le moment ils préfèrent attendre que la monnaie unique se mette en place pour voir comment tirer leur épingle du jeu. Certains proposent même que la Grande-Bretagne se contente d'être une sorte de grand paradis fiscal de l'Europe, d'intermédiaire financier privilégié entre celle-ci et l'économie du reste du monde.

Onze pays au départ

La Grande-Bretagne ne fera donc pas partie des pays participant dès le début à la monnaie unique. Le choix annoncé le 2 mai, lors du sommet européen, comporte onze pays : l'Allemagne et la France, l'Espagne, le Portugal et l'Italie, les trois pays du Benelux, plus la Finlande, l'Irlande et l'Autriche. Des quinze pays de l'Union européenne, restent en dehors outre la Grande-Bretagne, la Suède, le Danemark et la Grèce. Pour différentes raisons, ces trois derniers pays, soit ne satisfont pas aux fameux "critères de Maastricht", soit ne désirent pas pour l'instant passer à la monnaie unique.

En tout cas, ce choix fait, une banque centrale européenne doit être créée, qui coiffera le système européen des banques centrales. Elle sera contrôlée par un directoire de six membres, nommés pour huit ans par le Conseil des ministres des pays membres, et par un Conseil qui adjoindra aux membres du directoire les gouverneurs des banques centrales des pays membres. Mais la bataille pour la présidence de cette banque centrale, entre le candidat hollandais soutenu par l'Allemagne et le candidat du gouvernement français, Jean-Claude Trichet, actuel président de la banque de France, montre que toutes les positions de décision sont âprement disputées par les puissances impérialistes.

Le taux de conversion en euro des différentes monnaies des pays membres une fois fixé, l'euro entrera en fonctions à partir du 1er janvier 1999. Il ne servira d'abord qu'aux transactions entre les banques centrales, au marché interbancaire, au marché des capitaux ou à l'émission des emprunts d'Etat, dont les obligations seront libellées en euros. Ce n'est qu'à partir du 1er janvier 2002 que les billets et pièces en euros commenceront à circuler et que les monnaies nationales actuelles seront retirées de la circulation.

Avant d'avoir à nous habituer à calculer le prix de la baguette de pain en euros, nous avons donc encore le temps. Mais en fait l'euro sera déjà une réalité du point de vue des capitaux internationaux et des marchés des changes, et c'est ce qui compte pour les classes possédantes. C'est même déjà une réalité aujourd'hui, avant même le 1er janvier 1999 car les Bourses, les banques, anticipent déjà dans leurs calculs cette entrée en vigueur de l'euro. C'est même une anticipation optimiste, si l'on en juge par l'envol des cours des actions dans la plupart des Bourses européennes. Mais on sait que les envols de la Bourse peuvent être l'annonce, plutôt que de lendemains qui chantent, de belles catastrophes.