Les débuts de la construction européenne

Yazdır
24 avril 1998

L'idée d'une unité européenne ne put reprendre un peu corps que dans les circonstances historiques particulières qui suivirent la seconde guerre mondiale. L'union européenne était au lendemain de cette guerre, tout comme de la précédente, une nécessité vitale. Il fallait reconstruire les ponts, les routes, les voies ferrées, les usines dans une Europe dévastée et à l'économie en lambeaux. Il était impossible de le faire sans mettre en commun les moyens encore utilisables, mais dispersés entre les différents pays. La remise sur pied de secteurs économiques fondamentaux comme ceux du charbon et de l'acier nécessitait une intervention conjointe des gouvernements européens. De plus la tutelle américaine sous laquelle ils se trouvaient tous les contraignait, de bonne ou mauvaise grâce, à coopérer.

De cette situation naquit en 1951 la première communauté économique européenne. Ce fut la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier, la CECA, placée sous la direction d'une Haute Autorité qui était ainsi une première forme d'Autorité supranationale.

Dans la mise en place des premières institutions européennes, les raisons politiques et les raisons économiques étaient étroitement entremêlées.

Les Etats-Unis souhaitaient, face à la puissance de l'Union soviétique, accélérer la remise sur pied de l'Allemagne de l'Ouest. Ils se heurtaient à l'opposition des autres dirigeants européens, notamment français. Hostiles à tout ce qui paraissait renforcer la puissance de l'Allemagne, vaincue à peine quelques années auparavant, ils firent même capoter l'idée d'une "communauté européenne de défense" capable en Europe de jouer les supplétifs de l'armée américaine pour contenir l'URSS. Mais sur le plan économique l'unité s'imposait plus facilement. Les hasards de l'histoire ont fait que la frontière entre l'Allemagne et la France sépare les gisements de charbon de la Ruhr des mines de fer de Lorraine, et les deux impérialismes rivaux n'avaient pas d'autre choix que de s'entendre.

La mise sur pied de la communauté économique du charbon et de l'acier fut aussi le moyen d'avoir la caution des autres puissances européennes. La France, l'Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg, furent donc conviées à participer à la CECA aux cotés de l'Allemagne. C'était un moyen de donner à ces puissances un certain droit de regard sur le redressement de l'économie allemande, mais cela répondait aussi à un besoin plus profond. Les trusts européens, ou les trusts américains opérant en Europe, avaient besoin de telles autorités supranationales pour vaincre les multiples obstacles s'opposant à la circulation de leurs marchandises à l'échelle du continent. La CECA, et aussi un certain nombre d'autres institutions européennes créées dans cette période, comme le Conseil de l'Europe, l'OECE devenue ensuite l'OCDE, ou dans le domaine militaire l'UEO l'Union de l'Europe Occidentale , furent un banc d'essai pour une collaboration des gouvernements européens. Celle-ci conduisit ensuite les six pays membres de la CECA à signer les traités de Rome de 1957 instituant la Communauté Economique Européenne, la CEE.

On célèbre aujourd'hui des hommes comme Jean Monnet, Robert Schuman et autres, présentés comme les pères et les idéologues de la construction européenne. Il s'agit d'hommes politiques bourgeois, qui ont créé par exemple en 1954 un comité d'action pour les Etats-Unis d'Europe et se sont montrés des partisans résolus de la construction européenne. Mais les discours de ces gens-là n'étaient pas l'essentiel. L'élément le plus puissant dans la construction européenne était la pression d'un certain nombre de grands trusts, et surtout celle des Etats-Unis. Ceux-ci, en tant que principal vainqueur de la guerre, faisaient pression pour une libéralisation généralisée des échanges. C'était l'intérêt de leur industrie et de leurs capitaux, qui étaient alors les seuls suffisamment puissants pour y avoir vraiment intérêt. En particulier les Etats-Unis voyaient dans la disparition des barrières douanières à l'intérieur de l'Europe le moyen d'assurer un débouché commode à leurs exportations, et un terrain d'investissement de choix pour leurs capitaux face à des capitaux européens qui n'avaient pas le poids nécessaire et avaient grand besoin du soutien de leurs Etats.

Au même moment d'ailleurs, l'Angleterre qui ne participait pas à la CECA créait sa propre zone de libre échange. Ce fut l'association européenne de libre échange, l'AELE, regroupant autour d'elle des Etats plutôt liés à l'économie britannique comme le Danemark, la Norvège, la Suède, le Portugal ainsi que l'Autriche et la Suisse. L'Angleterre ne demanda son adhésion à la CEE, en 1961, que sous la pression des Etats-Unis, qui y voyaient le moyen de faciliter l'entrée sur le marché européen d'un certain nombre de trusts américains déjà implantés en Grande-Bretagne. Cette demande rencontra d'ailleurs le veto du gouvernement français, de de Gaulle en l'occurrence, et il fallut attendre 1972 pour voir l'Angleterre, accompagnée du Danemark et de l'Irlande, adhérer à la CEE.