...à la montée de la classe des bourgeois

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10 novembre 1995

De la chute de l'empire romain jusqu'à la période qu'on a appelée celle de la Renaissance en Europe, il s'est écoulé quelque dix siècles, un millénaire au cours duquel bien des changements se sont produits. L'oppression des femmes n'a pas été tout le temps absolue et sans faille, loin de là. Mais, à la classe des bourgeois qui prenait son essor, la conception du mariage chrétien pour les femmes, un seul époux, et à vie convenait très bien.

Les historiens des relations entre hommes et femmes (qui sont surtout des historiennes, faut-il le préciser) soulignent ce fait que le bouleversement de l'époque de la Renaissance, c'est-à-dire l'époque du grand boom historique de la bourgeoisie émergeant de la société féodale, n'a pas eu que des aspects libérateurs, si on le voit du point de vue des femmes.

Cette époque, celle des grandes découvertes, des grands voyages, a certes représenté un énorme progrès global à l'échelle de l'histoire des sociétés, et donc de ce point de vue pour les femmes aussi. Du moins, pour celles-ci, elle en a ouvert la possibilité... Car, dans l'immédiat et pour longtemps, les filles ne se trouvèrent pas en position d'en profiter comme les garçons. Les changements dans tous les domaines invitaient ceux-ci, dans des couches élargies de la population, à bouger, à courir l'aventure, à découvrir, accumuler de l'expérience, tenter leur chance. Dans le domaine intellectuel aussi : les écoles, puis les universités qui s'étaient fondées dans les villes, interdites aux femmes, ouvraient de nouveaux espoirs de promotion sociale grâce au savoir.

Etant donné l'importance capitale que les intellectuels humanistes accordèrent aux progrès de l'instruction, on aurait pu s'attendre à ce qu'ils pensent aussi aux filles. Mais, chez Erasme, Rabelais ou Montaigne, c'est d'éducation masculine qu'il s'agit. Leur propos était de former les cadres modernes des Etats et des Eglises.

L'idéologie des humanistes était élitiste et masculine. Ces hommes, qui prétendaient affranchir les esprits de l'ignorance du passé, étaient en contradiction avec eux-mêmes.

Par ailleurs, dans les couches populaires, dès la fin du Moyen Age, une hostilité croissante se manifesta contre le travail féminin, en particulier dans les règlements des corporations. La transformation de l'économie eut pour conséquence l'extension de la sous-traitance à domicile : les tisserandes professionnelles des villes reculèrent au profit des fileuses à domicile dans les campagnes. Petit à petit, les femmes furent exclues d'une série de métiers qui leur étaient traditionnels, comme ceux de chirurgiens ou de barbiers...

Et, d'autre part, les nouvelles professions qui apparaissaient dans les administrations naissantes des grands Etats en voie de constitution exigeaient un minimum d'instruction et de formation : les femmes partaient perdantes.

Ainsi, des barrières économiques, politiques et de mentalités se dressèrent devant les femmes dans une société en pleine transformation. Par exemple, les veuves, qui avaient un statut d'indépendance assez remarquable pour la gestion de leurs biens et qui parfois s'étaient sérieusement enrichies, comme dans les grosses villes marchandes d'Italie, furent visées par une législation qui rétablit sur elles la tutelle des hommes : c'était significatif, il s'agissait de contrôler le capital.

Un autre aspect frappant du XVIe siècle, c'est le caractère répressif accru de l'Eglise.

Des inquisiteurs établirent un lien direct entre l'hérésie dite de "sorcellerie", inspirée disaient-ils par Satan, et la femme plus spécialement les vieilles femmes pauvres des campagnes. Ainsi, dans ce contexte de crise de la chrétienté, il y eut une montée de la violence anti-féminine. Le nombre des procès en sorcellerie connut son apogée aux XVIe et XVIIe siècles : neuf sorciers sur dix étaient des sorcières... tandis que le nombre des femmes vénérées comme saintes chuta nettement.

Cela dit, cet aspect des choses n'a pas été une spécialité catholique, une survivance du Moyen Age. La Réforme protestante, scission mieux adaptée aux temps nouveaux et aux aspirations de la classe bourgeoise en plein essor, inspira elle aussi ses chasses aux sorcières. Les Puritains anglais et leur excroissance dans les colonies fondées en Amérique du Nord ont eu leurs fameuses sorcières de Salem, en 1692-1693.

La condition des femmes connut une longue époque noire, en particulier pour la France sous le règne de Louis XIV, monarque "de droit divin". Ce fut une époque d'une éclatante misogynie.

L'Eglise associée au pouvoir mena sa police des moeurs. Elle se heurta parfois à de dures contradictions : les femmes mouraient jeunes alors, et il y avait bon nombre de veufs, qui se remariaient. Ces remariages n'auraient-ils pas des conséquences à l'heure de... la résurrection ? L'homme marié plusieurs fois allait-il ressusciter polygame ? Voilà pourquoi les curés du midi de la France refusèrent pendant longtemps de donner leur bénédiction aux remariages des veufs.

En tout cas, dans ce contexte, François Poullain de la Barre fit preuve d'un peu ordinaire courage intellectuel. Cet homme, inspiré par la pensée de Descartes, publia en 1673, un traité De l'égalité des sexes. Partant de l'idée de l'unité de l'esprit humain, il raisonna que l'esprit n'a donc pas de sexe ; si les hommes prétendent que les femmes sont inférieures, dit-il, c'est par pur préjugé. C'était très en avance sur l'époque, et le nom de Poullain de la Barre, connu en son temps, n'est que fort discrètement passé à la postérité.