Le mouvement écologiste des années 1970

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13 décembre 1996

Le XXe siècle n'a pas connu pendant des décennies de grands mouvements de protestation contre la destruction de l'environnement, et il a fallu attendre les années 1970 pour qu'apparaisse ce que l'on a appelé le mouvement écologiste, à l'échelle de l'ensemble des pays industrialisés.

Et pourtant, la première moitié du siècle, marquée en particulier par deux guerres mondiales, n'est pas allée sans dégâts non plus du point de vue "écologique". Ces guerres ont été destructrices aussi de bien des "équilibres naturels" ; elles ont dévasté des territoires entiers.

Mais la société bourgeoise ne s'offre le luxe de se soucier de la nature qui nous entoure qu'en de rares périodes. Elle ne sécrète des préoccupations de cet ordre, parmi sa jeunesse en particulier, que dans les époques où elle semble assurer un certain confort à de larges couches de la petite et moyenne bourgeoisie. Ce n'est pas un hasard si ce phénomène est intervenu trente ans après la fin de la seconde guerre mondiale, à la fin de ces prétendues "glorieuses" dont sont si fiers les chantres de l'économie capitaliste.

Le premier parti écologiste au monde a été fondé en 1972 en Nouvelle-Zélande. 1971 avait été l'année du premier ministère de l'Environnement dans un gouvernement français.

Les multiples mobilisation de la période des manifestations pour la défense du plateau du Larzac contre les projets d'extension du camp militaire à la contestation anti-nucléaire se sont caractérisées par leur hétérogénéité.

Différents courants ont contribué au mouvement : des mouvements d'usagers, souvent très locaux, contre les nuisances apportées à leur cadre de vie par des projets d'extension d'autoroutes par exemple ; le courant ancien des associations de défense de la nature, qui connaissait un regain d'activité. La parution de plusieurs livres d'intellectuels portant sur l'avenir incertain de la planète, souvent porteurs de prédictions alarmantes, joua son rôle.

Bien des courants bourgeois "apolitiques" s'y retrouvaient. De son côté, la contestation étudiante de Mai 1968 apporta son lot de militants.

Le mouvement écologiste fut, sur le fond, un mouvement de protestation d'une partie de la petite bourgeoisie des villes contre les méfaits de la société industrielle. Et ce n'est pas un hasard s'il comporta un large aspect critique de la vie citadine.

En 1972, le journal La Gueule ouverte, créé par un journaliste de Charlie-Hebdo, lançait un appel à "changer sa vie". Le "retour à la terre" devint à la mode. Des petits-bourgeois citadins s'en allèrent faire l'expérience des valeurs prétendument "authentiques", liées selon eux aux genres de vie traditionnels, ceux des artisans et des bergers, de la vie rurale en général. Cuire soi-même son pain, porter des vêtements tissés à la main et surtout pas en textiles synthétiques, manger "bio", devint l'idéal de vie d'une fraction de la jeunesse. Cela avait un air de renouveau, mais c'était globalement un mouvement de retour en arrière complété de préjugés passéistes.

Car si le mouvement dit "écologiste" se pare du nom d'une science, il y a souvent une marge importante entre les scientifiques spécialistes de l'écologie et ce que préconisent les "écologistes" en général, qui refusent souvent la science, en l'accusant de tous les maux.

Dans le domaine de l'agriculture, cette attitude a consisté à refuser les applications de la chimie. Partant du fait bien réel des pollutions entraînées par l'utilisation abusive des pesticides et des herbicides, elle a consisté à préconiser l'agriculture dite "biologique" en l'opposant au terme "chimique" devenu synonyme de poison, opposition qui n'a aucun sens, car toute la nature est formée de composés "chimiques", et les dégâts causés par les lisiers (c'est-à-dire les déjections "naturelles") des élevages de porcs bretons sont là pour prouver que, "naturels" ou "chimiques", les nitrates présentent les mêmes qualités et les mêmes dangers, suivant leur concentration dans les sols.

L'application de la chimie à l'agriculture a été une source de progrès considérable et elle l'est toujours. Ce n'est pas elle qu'il faut mettre en cause, mais son utilisation irrationnelle dans le cadre du capitalisme, liée à la recherche du seul profit par les Sandoz, Ciba-Geigy et autres Rhône-Poulenc.

Dans le même ordre d'idées, un certain nombre de groupes écologistes refusaient aussi, au nom de la liberté individuelle, "le caractère obligatoire des vaccinations", en arguant des accidents qu'elles peuvent causer. Ceux-ci existent certes. Mais il est tout aussi évident que les vaccinations ont fait reculer bon nombre de maladies, et que globalement le bénéfice pour la société a été incontestable. L'idée de refuser qu'elles soient obligatoires, c'est-à-dire de les refuser pour soi, est parfaitement choquante, car on ne se fait pas vacciner uniquement pour protéger sa petite personne. En se faisant vacciner, on évite aussi de devenir un vecteur de la maladie pour d'autres, qui ne peuvent peut-être pas bénéficier eux-mêmes de la vaccination. Et ce refus est significatif de l'individualisme caractéristique de la petite bourgeoisie qui imprègne largement certaines des démarches du mouvement "écologiste".

Les solutions proposées par certains de ses militants peuvent peut-être convenir à des communautés marginales, mais ne sont en aucune manière des solutions pour la société dans son ensemble. Si le mouvement écologiste a parfois véhiculé des aspirations sympathiques à un changement social, il charriait aussi des conceptions quasi-mystiques dans le genre "fusion" avec la nature. Et, finalement, globalement, il était marqué par une idéologie hostile au progrès.