Ce qui marquait le XIXe siècle, ce n'était pas le triomphe de l'"industrie" comme telle, mais celui de l'industrie capitaliste. Marx comme Engels dénonçaient globalement la contradiction fondamentale entre les intérêts du système capitaliste et les intérêts de l'humanité, intérêts généraux qui incluaient expressément pour eux le bon état de son environnement sur la Terre. En mettant particulièrement l'accent sur les conséquences du fait que le capitalisme fonctionne uniquement dans le court terme et en vue du profit, ils avaient aussi en vue les dégâts que cela causait immanquablement à la nature.
Ainsi, Marx, qui était vivement intéressé par les développements en cours dans l'agriculture, c'est-à-dire les débuts des applications de la chimie, souligna que "Tout l'esprit de la production capitaliste, axée sur le gain en argent immédiat, est en contradiction avec l'agriculture, qui doit desservir l'ensemble des besoins permanents des générations humaines qui se chevauchent". Il précisait : "chaque progrès de l'agriculture capitaliste représente un progrès non seulement dans l'art de dépouiller le travailleur, mais dans celui d'appauvrir la terre ; toute amélioration temporaire de la fertilité des sols rapproche des conditions d'une ruine des sources durables de cette fertilité".
Plus globalement, Engels, dans son ouvrage "Dialectique de la nature", écrit entre 1875 et 1885, décrivit la nature comme un ensemble de processus en interactions continuelles, se développant dans des conditions en perpétuelle évolution. "Gardons-nous", écrivait-il, "de trop nous féliciter des victoires remportées sur la nature (...) En défrichant les forêts pour obtenir des terres cultivables, les habitants de la Mésopotamie, de la Grèce, de l'Asie mineure et d'ailleurs étaient loin d'imaginer qu'ils jetaient les bases de la dévastation actuelle de ces pays". Il donnait d'autres exemples du même genre, pour ajouter "nous ne dominons nullement la nature à l'instar du conquérant d'un peuple étranger, comme si nous étions placés en-dehors de la nature (...) toute la souveraineté que nous exerçons sur elle se résume à la connaissance de ses lois et à leur juste application, qui sont notre seule supériorité sur toutes les autres créatures.
En effet, chaque jour, nous apprenons à mieux pénétrer ses lois et à reconnaître les effets plus ou moins lointains de nos interventions(...)".
Et encore la connaissance ne suffit-elle pas, ainsi qu'Engels le précisait lui-même un peu plus loin. Parvenir à dominer et régler les conséquences lointaines de nos activités productrices, disait-il, "exige de nous autre chose qu'une simple connaissance", et "nécessite le bouleversement total de notre production, y compris l'ordre social actuel dans son ensemble".
Car, "jusqu'ici, les modes de production n'ont jamais visé qu'au rendement purement utilitaire, direct et immédiat du travail. Leurs conséquences multiples, qui n'apparaissent qu'à la longue (...) furent totalement négligées".
"Le profit obtenu par la vente est le seul et unique mobile" du capitaliste, "(...) ce qui advient ultérieurement de la marchandise et de son acquéreur est le dernier de ses soucis. Il en va de même quand il s'agit des effets naturels de ces agissements".
Comme on le sait, les appréciations de Marx et d'Engels sur le maintien des "sources durables de la fertilité des sols" notion qui apparaît moderne à bien des écologistes d'aujourd'hui n'en ont pas fait des militants écolos, hostiles à la société industrielle en soi... Au contraire, ils démontrèrent que société industrielle et nature ne sont nullement incompatibles, mais, en même temps, qu'une organisation consciente de la production exige le bouleversement de "l'ordre social actuel dans son ensemble".
C'étaient des révolutionnaires communistes, et leur démarche demeure la seule véritablement féconde pour l'avenir, contrairement à celle des militants qui restent sur l'étroit terrain de l'écologie.