Côte d’Ivoire - Zone industrielle de Yopougon : un mouvement de grève inédit qui en appellera d’autres

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novembre 2022

Cet article est extrait du mensuel Le pouvoir aux travailleurs (n° 489, 23 octobre), publié en Côte d’Ivoire par les camarades de l’Union africaine des travailleurs communistes internationalistes (UCI). Yopougon est une des communes populaires du district d’Abidjan. La monnaie locale est le franc CFA, un euro valant environ 656 F CFA.

La zone industrielle de Yopougon, la plus grande du pays, a été bloquée par un mouvement de grève générale des travailleurs. C’est la première fois qu’un mouvement entraîne le blocage de l’ensemble de cette vaste zone.

Les travailleurs dans la tourmente de la flambée des prix

Depuis quelques années, les travailleurs subissent de plein fouet la hausse spectaculaire du coût de la vie. Les prix des produits de première nécessité ne cessent d’augmenter. Le Covid 19 et la guerre en Ukraine ont servi de prétexte pour enfoncer le clou. Ainsi, il y a à peine quelques mois, le prix de l’huile et des cubes d’assaisonnement a doublé du jour au lendemain. Le riz, la viande, le poisson, le sucre ont eux aussi connu des augmentations. Des produits comme la banane, l’igname et des légumes qui ne sont pourtant pas des produits d’importation ont aussi vu leur prix flamber.

La seule chose qui n’a pas augmenté entre-temps c’est le salaire des travailleurs. Résultat, la classe ouvrière s’enfonce de plus en plus dans la pauvreté et la misère. Cette situation était au menu de toutes les discussions jusqu’à ce que ce mouvement éclate.

L’élément déclencheur du mouvement

Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est l’annonce faite par le gouvernement, le jour de la fête de l’indépendance, le 7 août dernier, d’accorder quelques augmentations aux travailleurs du secteur public. Ce sont, entre autres, l’extension de l’indemnité de logement à l’ensemble des fonctionnaires ainsi que sa revalorisation de 20 000 francs par mois ; le passage de la prime mensuelle de transport de 7 000 à 20 000 francs ; la hausse de l’allocation familiale qui passe de 2 500 à 7 500 francs par mois et par enfant ; l’instauration d’une petite prime de fin d’année. Mais cela ne fait pas le compte pour faire face à la flambée des prix actuels.

Ceux du secteur privé n’ont même pas eu droit à ce minimum, sans compter qu’une grande majorité de ces travailleurs vit de travail précaire et de contrats journaliers.

Depuis lors, l’idée qu’il faut se battre pour que les salaires soient augmentés afin de faire face à la flambée des prix a fait son chemin dans la conscience d’un certain nombre de travailleurs.

L’initiative du mouvement

L’initiative de ce mouvement n’est pas venue des cinq grandes centrales syndicales qui ont pignon sur rue mais sont trop liées au patronat et au gouvernement. Le bruit courait depuis quelque temps que celles-ci, ayant eu vent de la grogne des travailleurs du secteur privé, étaient en négociation avec les autorités politiques et le patronat pour lâcher 10 000 F d’augmentation mensuelle. Autant dire une misère qui, pensaient-ils, allait dégonfler la colère qu’ils sentaient monter parmi les travailleurs.

L’initiative du mouvement est plutôt venue de petites centrales syndicales méprisées par les autorités et le patronat et aussi de quelques militants syndicaux ouvriers d’entreprise qui, tout délégués syndicaux qu’ils soient, sont aussi et avant tout des travailleurs du rang qui subissent eux aussi la cherté de la vie et le mépris patronal. Ils ont formé une « plateforme revendicative ».

Ces petites centrales syndicales, au nombre peut-être d’une dizaine, ne sont pas considérées par le gouvernement, qui ne reconnaît que les cinq principales centrales syndicales qui se partagent le pactole distribué annuellement par le gouvernement. Aussi, ces petites centrales non reconnues comptaient se servir de ce mouvement des travailleurs pour obtenir la reconnaissance de l’État et espérer bénéficier elles aussi de la manne financière de l’État.

Les débuts du mouvement

Dans un premier temps, c’était à la fin du mois d’août, cette plateforme a organisé une première réunion avec des travailleurs autour de revendications à mettre en avant. C’est ainsi qu’elle a proposé la fin de la journalisation du travail, la revalorisation du smig1 de 60 000 F à 200 000 F, la revalorisation de la prime de transport de 30 000 F à 60 000 F, l’instauration d’une prime de logement à hauteur de 70 000 F par mois et la déclaration à la Sécurité sociale. D’autres rencontres de ce genre ont eu lieu tout au long du mois de septembre, jusqu’au déclenchement du mouvement de grève.

Au début, les dirigeants de cette plateforme n’ont pas cherché à entraîner les travailleurs dans la grève. Leur objectif était de s’asseoir autour du tapis vert avec le syndicat patronal. Ainsi, le jour prévu pour les négociations, en bons patrons méprisants envers les représentants des travailleurs, les dirigeants du patronat n’ont même pas daigné s’y présenter. Ils ont carrément laissé poireauter les représentants syndicaux du matin jusqu’au soir.

Ces petits bureaucrates syndicaux, se rendant compte qu’ils avaient mis la charrue avant les bœufs pour se faire entendre du patronat, ont dû revoir leur plan. Des « groupes de sensibilisation » constitués de travailleurs volontaires ont été mis en place par ces syndicats pour sillonner la zone industrielle durant deux semaines afin de mobiliser les travailleurs. La mobilisation était palpable dans la zone industrielle. La colère aussi était là. C’est ainsi qu’une journée de grève a été fixée par la plateforme pour le 12 octobre. Des groupes d’intervention ont été constitués ; leur tâche était de bloquer la quinzaine d’entrées de la zone industrielle le jour de la grève.

La grève

Ainsi, le 12 octobre, les groupes d’intervention ont effectivement bloqué les voies d’accès à la zone industrielle. Ils sillonnaient aussi les rues pour demander aux travailleurs de rentrer chez eux. Les véhicules personnels tout comme les camions de livraison ne pouvaient plus y accéder.

Il a fallu une intervention musclée des forces de l’ordre pour arriver à bout des barricades. Il y a eu des échauffourées, des courses-poursuites, des jets de gaz lacrymogène. Une trentaine de travailleurs ont été arrêtés au cours d’interventions policières. Ce n’est que dans l’après-midi que certaines grandes entreprises telles que Nestlé, Sonaco, ou encore Cargill ont pu faire reprendre le travail au forceps. Des travailleurs ont été convoyés sous bonne escorte policière. Malgré la répression et autres menaces de la part du patronat, les travailleurs de certaines entreprises ont réussi à tenir trois jours durant.

Les négociations

Dans le courant de la journée, patronat et gouvernement ont appelé les représentants de la plateforme à des négociations. Ces derniers s’y sont rendus accompagnés de plusieurs dizaines de travailleurs.

Les pourparlers ont duré de 15 heures à 21 heures, mais la montagne a accouché d’une souris. Le patronat n’a cédé sur aucune revendication des travailleurs à part la reconnaissance de ces petites centrales syndicales.

Les travailleurs qui attendaient dehors ont eu vent que les bureaucrates syndicaux étaient en train de valider cet accord. Ils ont fait irruption dans la salle des négociations pour empêcher sa signature et demander le départ de leurs représentants.

Ce n’est qu’un début, le combat continue

Les travailleurs ont montré leur détermination dans la lutte et leur capacité de paralyser la plus grande zone industrielle du pays. Ce qui leur a manqué, c’est un contrôle démocratique de la grève par la base, c’est-à-dire par les travailleurs en lutte eux-mêmes. À aucun moment ils n’ont tenu une assemblée générale, ni voté leurs revendications, ni non plus élu leurs représentants pour diriger leur mouvement démocratiquement. Ils ont laissé toute l’initiative à la plateforme syndicale, dont les dirigeants avaient d’autres objectifs et d’autres intérêts que ceux des travailleurs en lutte.

Même si les travailleurs ont aujourd’hui repris le travail sans avoir eu gain de cause, ils ont fait la démonstration qu’ils étaient capables de s’organiser au-delà de leur entreprise et cette expérience leur servira à l’avenir.

 

1Salaire minimum interprofessionnel garanti, équivalent du smic français.