Après le dernier congrès de la LCR

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Mars 1998

Le dernier congrès de la LCR, qui s'est tenu du 29 janvier au 1er février derniers, avait pour objectif essentiel de décider du changement de sigle de l'organisation. Sa direction affirmait avec insistance la nécessité et l'urgence d'un tel changement, donnant à cette démarche le maximum de publicité. C'est que, expliquait-elle, le nom et l'étiquette de l'organisation constituent un obstacle à son développement et aboutissent, selon elle, à cette situation paradoxale qu'il y a, pour reprendre les termes qui sont revenus constamment à la tribune du congrès, "un décalage croissant entre la présence des militants de la LCR dans les mouvements de masse (AC !, Ras le Front, CADAC) contrastant avec la faiblesse de son apparition au plan politique". La cause de ce décalage, déclinée sur tous les modes par les partisans de son abandon, était donc cette étiquette qui, à les entendre, donne une image dépassée, négative, et même répulsive de la Ligue Communiste Révolutionnaire, tout particulièrement handicapée par sa référence communiste.

Finalement, le "rebaptême" n'a pas eu lieu. La proposition n'a pas été adoptée, faute d'avoir recueilli les deux tiers des mandats statutairement nécessaires. Mais il s'en est fallu de peu puisque il y a eu 64,8 % des mandats en faveur du changement, alors qu'il en aurait fallu 66 %. Sans tarder, la direction de la LCR a déclaré que ce n'était que partie remise, indiquant qu'un congrès exceptionnel serait convoqué dans les mois qui viennent pour revenir sur cette question.

Mais, en l'occurrence, l'important n'est pas que, durant quelques mois encore, la LCR restera la Ligue Communiste Révolutionnaire. L'important, ce sont les intentions claironnées par la majorité de ses dirigeants et approuvées par près des deux tiers des délégués au congrès. Pour ceux-là, l'étiquette n'est qu'un vestige provisoire qui leur est imposé par une minorité de blocage. Moralement et politiquement, ils ne sont plus dans une organisation qui se revendique du communisme, mais de la "Gauche révolutionnaire", ou "Gauche démocratique révolutionnaire" noms proposés par les partisans du changement.

A vrai dire, cela fait des années que la direction de la LCR clame haut et fort que cette référence communiste est inadéquate, contre-productive, et propose donc de s'en débarrasser. Car elle contribue, explique-t-elle, à l'isoler en écartant d'elle les "acteurs des mouvements sociaux", les jeunes, qui ne manqueraient pas d'intégrer l'organisation s'il n'y avait pas cette maudite étiquette faisant barrage et s'il n'y avait pas en même temps les structures organisationnelles héritées elles aussi d'un passé révolu.

Déjà, dans les textes préparatoires à son congrès de 1992, la majorité LCR d'alors qui regroupait sensiblement les mêmes dirigeants qu'aujourd'hui expliquait : "le terme de "communiste" a été détourné et dénaturé aux yeux de millions d'hommes et de femmes", et nécessite donc qu'on l'abandonne, ajoutant qu'une telle décision s'inscrivait dans la volonté de construire une organisation plus large, plus ouverte, ne supposant pas, pour ses membres, "un accord complet ni sur l'interprétation du passé, ni sur la vision du monde". La viabilité d'une telle organisation devait forcément reposer, expliquaient déjà ces dirigeants, "sur une compréhension commune des grands événements en cours et des tâches qui en découlent". Une telle organisation devait s'enrichir "des définitions nouvelles sur la base d'expériences communes dans l'action entreprise". Ce que résumait la formule : "construire un parti non délimité programmatiquement".

Ce congrès n'eut pas à décider du changement de nom de l'organisation (la majorité ayant retiré cette proposition au dernier moment), pas plus que le congrès suivant qui se tint en 1996. Mais l'idée du changement de nom et, derrière cette idée, le projet d'une rupture formelle avec le passé communiste, restaient dans l'air. Les dirigeants de la LCR continuaient de se plaindre à haute voix du fait que le sigle communiste et révolutionnaire constituait un fardeau "lourd à porter".

S'il y a un reproche que l'on ne peut pas faire aux dirigeants de la LCR, c'est de ne pas avoir prévenu. Le virage sémantique a été au contraire longuement négocié depuis le début des années 1990, après la chute du mur de Berlin et l'effondrement de l'URSS.

Mais, en fait, si la question du rejet de l'étiquette n'a été posée qu'il y a quelques années, le processus qui a conduit à cette rupture avec le communisme et pas simplement avec une étiquette remonte, à notre avis, à bien plus loin. Il n'est pas dans notre intention, dans le cadre de cet article, de revenir en détail sur des analyses et des choix passés qui virent la LCR, qui ne s'appelait pas encore ainsi, baptiser "communiste", ou en voie de le devenir, des mouvements et des régimes qui ne l'étaient nullement, et qui d'ailleurs se défendaient de l'être. Citons le FLN algérien ou encore, plus proche dans le temps, le mouvement sandiniste au Nicaragua. Sans parler de régimes qui, eux, se sont réclamés du communisme, comme le régime castriste, mais dont les pratiques s'apparentaient, par certains de leurs côtés, aux pratiques staliniennes et qui n'avaient absolument rien à voir avec le communisme. De telles dérives qui, à la différence de celle d'aujourd'hui, se traduisaient par une tendance systématique à procéder à des baptêmes abusifs et sommaires alors qu'aujourd'hui on débaptise, relèvent d'une même attitude : celle qui consiste à définir le communisme à partir d'appréciations impressionnistes et circonstancielles, qui n'ont rien à voir avec les critères qui étaient ceux des dirigeants de la Révolution russe et que l'expérience de cette révolution elle-même a validés.

A un autre niveau, plus terre-à-terre il est vrai, celui de l'intervention politique en France, les exigences de la LCR ne se sont pas caractérisées par plus de rigueur. Si on fait exception de l'élection présidentielle de 1969, où la LCR présenta la candidature d'Alain Krivine, elle a multiplié ensuite les efforts pour ne pas apparaître sous son propre drapeau. Ce fut tout d'abord, à l'occasion de l'élection présidentielle de 1974, la tentative pour faire de Piaget, leader de la grève "exemplaire" de Lip, militant qui n'était ni communiste ni même révolutionnaire et se défendait de l'être, le candidat unique de l'extrême gauche. En 1981, la LCR ne se présenta pas, faute, a-t-elle dit à l'époque, d'avoir obtenu les 500 parrainages nécessaires. De toute façon, sans regret, car cela lui évita d'avoir à se définir publiquement et politiquement vis-à-vis de Mitterrand. Puis elle se fit le champion enthousiaste et zélé de la candidature de Juquin, lors de l'élection présidentielle de 1988. Et, dernier épisode en date dans la série, ce fut l'offre de service à Dominique Voynet en 1995, que cette dernière repoussa avec dédain. A chacune de ces occasions, il s'agissait de gagner les bonnes grâces de personnalités supposées incarner un rassemblement plus large, du fait qu'il était le plus flou possible politiquement, le moins "délimité programmatiquement". Durant toute cette période, la Ligue a gardé son étiquette "communiste révolutionnaire", mais pour tenter de l'évacuer à chaque fois qu'il y a eu une occasion d'apparaître politiquement et organisationnellement, à l'échelle nationale, face à l'opinion large. Elle a alors systématiquement choisi de se dérober.

Tout cela nous fait dire que le fond de la démarche a des racines anciennes, racines anciennes qui s'inscrivent, à notre sens, dans des rapports avec le communisme qui ne sont pas les nôtres et qui favorisent toutes les dérives, pour aboutir, dans quelques mois sans doute, à une rupture formalisée.

C'est donc à partir du début des années 1990 que la direction de la LCR a engagé la campagne qui va aboutir bientôt à franchir le pas. Mais ce dernier pas, s'il est l'aboutissement d'un long cheminement dont l'issue était prévisible, n'en est pas moins un pas décisif, lourd de signification et de conséquences.

S'il ne s'agissait que d'une question d'étiquette, que d'un choix inspiré par l'opportunité du moment, cela ne vaudrait guère qu'on en discute. Mais il ne s'agit pas de cela.

Les arguments avancés dans la discussion pour justifier cette mue de la LCR disons, pour être plus précis, cette mutation, pour reprendre un vocable que les dirigeants du PCF ont mis à la mode ces temps derniers se situent à plusieurs niveaux. Certains relèvent de considérations tacticiennes qui n'ont d'autre but que de donner le change sur les raisons profondes qui motivent les dirigeants de la LCR. Ainsi, parmi les tenants du changement, on a pu entendre des intervenants affirmer que si la LCR n'arrivait pas à percer électoralement, c'était à cause du mot communiste qui effrayerait les électeurs. Mais il faudrait alors expliquer pourquoi le Parti Communiste Français recueille encore, bon an mal an, autour de 10 % des suffrages, plus de deux millions de voix. Les dirigeants de la LCR seraient mieux inspirés en s'interrogeant, à ce propos, sur les dérobades successives de leur organisation dans les consultations nationales, défections qui ne résultent ni du manque de moyens militants ni du manque de moyens financiers, mais de choix politiques.

Les camarades de la LCR expliquent encore qu'à cause de la connotation négative qu'aurait prise le mot communisme avec la révélation des crimes staliniens, il devient difficile, voire quasi impossible, de se faire entendre et comprendre des gens. Mais n'était-il pas bien plus difficile, et dans certaines périodes dangereux, de se réclamer du communisme révolutionnaire, c'est-à-dire du trotskisme, lorsque le stalinisme régnait en maître absolu en URSS et dans les pays de l'Est et lorsqu'il imposait son influence sur la majeure partie du mouvement ouvrier en France ? Affirmer que se réclamer du communisme provoquerait un barrage tel que les militants ne pourraient plus communiquer avec leur entourage ne nous paraît guère convaincant. Il est sans doute vrai qu'au sein de l'intelligentsia, sensible aux vents dominants dont elle est souvent à l'origine, le mot et les idées communistes provoquent aujourd'hui des haut-le-coeur à la mesure des enthousiasmes qui s'y manifestaient lorsque l'adulation servile de l'URSS était de mode. Mais il n'en est généralement pas de même dans les quartiers populaires et dans les entreprises. Dans ces milieux, un militant qui se revendique du communisme apparaît plutôt comme quelqu'un qui se trouve du côté des travailleurs, contre les patrons et les riches. Il apparaît comme un militant avec lequel on n'est pas toujours d'accord, mais qui ne fait pas le vide autour de lui. On pourrait ajouter que si le terme communiste a été galvaudé par le stalinisme et serait trop lourd à porter, celui de "gauche" dont la LCR souhaiterait se parer dorénavant a, quant à lui, un casier judiciaire bien lourd de trahisons et de crimes à l'égard de la classe ouvrière et des peuples coloniaux.

En fait, cet échantillonnage de raisons mises en avant, et qui résume les débats du récent congrès de la LCR, permet de faire écran aux raisons véritables de la direction de la LCR. A la question : "quelle organisation construire et pour quoi faire ?", la réponse des camarades de la LCR consiste à dire qu'il faut une organisation ouverte, accueillante, ce qui ne signifie pas simplement que les hommes et les femmes doivent s'y trouver à l'aise, mais que politiquement elle doit s'ouvrir à tous ceux qui le souhaitent, du moment qu'ils participent, condition suffisante, à des combats contre l'injustice sociale, tels que les mènent les mouvements dits associatifs. La LCR ne demandera plus, pour adhérer à l'organisation, que l'on soit communiste, ou même que l'on souhaite le devenir, ni marxiste. On demandera simplement de se dire révolutionnaire, sans que soit même précisé ce que recouvre ce terme. Et ce n'est pas l'histoire de la LCR et de ses organisations soeurs au sein du Secrétariat unifié de la IVe Internationale qui nous renseigne sur ce que recouvre précisément le terme révolutionnaire, et encore moins nous précise de quel terrain de classe il s'agit.

Les "acteurs du mouvement de masse" que les dirigeants de la LCR veulent désormais attirer dans l'organisation nouvelle ne rejettent pas le communisme à cause de l'image qu'en a donnée le stalinisme. Pour la plupart, ces militants associatifs que la LCR veut attirer et qui sont pour une bonne part d'anciens militants d'extrême gauche, y compris des ex de la LCR ne se revendiquent tout simplement pas du communisme et n'ont pas envie de s'en revendiquer. Nombre d'entre eux ont choisi en pleine conscience d'être des réformistes, des syndicalistes, des anarchistes pour ce qui concerne les militants du rang, et dans bien des cas des politiciens arrivistes pour ce qui concerne certains des dirigeants. Ces gens-là, de bonne ou de mauvaise foi, ne sont pour une bonne part non seulement pas des communistes, mais sont des adversaires du communisme. Les choix récents des Verts, que la direction de la LCR considérait et considère encore comme une des composantes souhaitées de ce futur parti, ou les choix des dirigeants du MDC ne laissent, à cet égard, pas la moindre équivoque. Ce qui n'empêche pas la direction de la LCR de mettre ses espoirs dans le ralliement de ces gens. Espoirs d'autant plus vains que nombre de ces militants associatifs refusent d'entrer dans une organisation politique, par refus de l'action politique dans un cadre organisationnel qu'ils considèrent comme un carcan.

La Ligue explique que son projet consiste à miser sur les contradictions qui se font jour au sein des composantes de la gauche plurielle, contradictions qui ne manqueront pas d'éclater, étant donné l'évolution prévisible de la situation économique et sociale. Et pour cela, il serait nécessaire de se situer au coeur du débat qui fracture cette gauche plurielle, qu'il s'agisse des Verts, du PCF, du PS. Ce pronostic se réalisera ou pas. Nous verrons. Ce n'est pas le seul scénario possible. Et ce n'est pas le coeur du problème. Car, à supposer qu'une crise politique fasse éclater ces contradictions en des courants cherchant, à gauche, une issue politique, c'est alors qu'il faudra qu'existe un pôle, crédible à la fois politiquement et organisationnellement, pour peser dans un sens radical, révolutionnaire, qui se situe sans ambiguïté sur un terrain anti-capitaliste. Sinon, une telle crise s'enliserait une fois encore dans le marais réformiste, à la remorque de politiciens en mal de carrière.

Certes, le souci de rallier des militants qui ne sont pas révolutionnaires au combat des révolutionnaires et, à travers cela, aux idées et à l'organisation révolutionnaires, est tout à fait légitime. Mais on ne peut le faire en endossant la défroque réformiste. Cette prétendue tactique, outre qu'elle s'est révélée à chaque fois inopérante en ce qui concerne sa capacité à rassembler, ne disons même pas autour de la LCR, mais dans un regroupement qui inclurait la LCR, est une impasse politique. Du moins pour ceux qui veulent sincèrement offrir une issue à la future radicalisation prolétarienne, sur un terrain de classe.

Le problème n'est pas d'être plus nombreux dans les "mouvements sociaux", dans les luttes de la classe ouvrière même si être le plus nombreux possible est nécessaire mais d'offrir une perspective qui se situe hors des chausse-trapes réformistes.

La LCR s'engage ouvertement dans la voie diamétralement opposée, lorsqu'elle prétend s'ouvrir. Il est douteux qu'une telle ouverture sémantique et organisationnelle se traduise par un afflux de militants, dans la période actuelle. Mais même si la nouvelle enseigne "Gauche révolutionnaire" attirait plus de militants, en quoi cela réglerait-il la question que posent ses dirigeants : à savoir, en substance, "l'articulation entre la présence des militants de la LCR dans les mouvements de masse et son apparition au plan politique" ?

Une organisation large dans ses conceptions politiques, non définie programmatiquement, sans la moindre exigence en ce qui concerne son recrutement, n'aurait aucun moyen réel ni de peser sur l'orientation des futurs combats sociaux, s'ils prennent de l'envergure, ni de peser sur la fraction de l'opinion, et en particulier de l'opinion ouvrière qui, peu ou prou, garde encore confiance dans les organisations réformistes, que ce soit dans les élections ou dans les luttes.

Pour cela, il faut qu'existe un pôle délimité programmatiquement et défini politiquement qui construise un rapport de forces qui puisse être reconnu lorsque les travailleurs et les militants des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier chercheront la réponse à leurs aspirations et la défense de leurs intérêts qu'ils ne trouvent pas dans les organisations traditionnelles. C'est cette perspective qui rend nécessaire la construction d'un parti communiste digne de ce nom. C'est cette voie qu'est en train d'abandonner, y compris dans la forme, la LCR, non pas, pensons-nous, pour mieux répondre aux nécessités de l'heure, mais pour essayer de s'insérer dans cette gauche dite plurielle, essayer d'en être reconnue comme une des composantes. Ceux qui aspirent sincèrement à défendre les intérêts de la classe ouvrière, ses intérêts immédiats comme ses intérêt historiques, n'ont rien à attendre d'une telle dérive. Sinon, une organisation de gauche de plus, alors qu'il n'en manque pas, et, malheureusement, des militants qui tournent ouvertement le dos à la nécessaire construction d'une organisation communiste révolutionnaire ce qui est un manque que, pour notre part, nous regrettons sincèrement.