A la veille des élections régionales

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Mars 1998

Parmi le grand public, les élections régionales qui se dérouleront le 15 mars prochain, et les élections cantonales qui se dérouleront le même jour et le dimanche suivant dans la moitié des cantons du pays, ne suscitent guère d'intérêt. Ce n'est guère étonnant, car en dépit de tous les discours destinés à présenter la décentralisation comme un renforcement de la "démocratie locale", les conseils régionaux et les conseils généraux ne constituent pas des pouvoirs "plus proches" de la population que le Parlement, des lieux de vie politique accessibles à tous les citoyens. Même les élus qui siègent dans ces assemblées sont, passée la première réunion, réduits pour l'essentiel à un rôle de figurants, car ils n'ont en fait qu'un seul pouvoir, celui d'élire leur président, qui une fois désigné n'a pratiquement plus de comptes à leur rendre. Les conseillers régionaux ont certes aussi à voter le budget régional. Mais sous prétexte qu'il n'existe dans certaines assemblées aucune majorité stable, il existe un projet de loi qui permettrait au président de se passer de leur approbation. Bref, pendant les six ans de leur mandat, les présidents des conseils régionaux, comme ceux des conseils généraux ou comme les maires des grandes villes, peuvent en fait régner en petits despotes locaux.

Il n'empêche que pour le monde des politiciens professionnels, ces élections revêtent une grande importance. La preuve en est que le dépôt des listes a été marqué, au sein du RPR et de l'UDF comme au sein du Parti Socialiste, par un grand nombre d'exclusions sanctionnant, dans chaque formation, la constitution de listes "dissidentes", concurrentes de celles ayant reçu l'investiture officielle de ces partis. Et l'on serait évidemment bien en peine de trouver des raisons idéologiques à ces rivalités.

C'est que ceux qui débutent dans la carrière voient dans un siège de conseiller régional, ou de conseiller général, un premier pas vers de plus hautes fonctions ; et que pour les autres il constitue un moyen de conserver et de développer leur "clientèle".

Pour les chefs d'entreprises en tout genre, ces élections présentent également un grand intérêt, car depuis la création de conseils régionaux élus et l'accroissement des pouvoirs des conseils généraux des départements, résultant des lois de décentralisation de 1982, c'est au travers des budgets des régions et des départements que transite une bonne partie des fonds publics qui vont arroser le secteur privé. Cela intéresse évidemment toutes les entreprises, petites et moyennes, qui peuvent espérer profiter de cette manne grâce aux relations qu'elles peuvent entretenir plus facilement au niveau local qu'au niveau national. Mais en fait, les principaux bénéficiaires de ces fonds sont les mêmes grands groupes qui accaparent aussi la plus grande partie des fonds distribués par l'Etat central, sous forme de commandes ou d'aides de toutes sortes, comme le prouve la fréquence avec laquelle les noms de la Générale des Eaux, de la Lyonnaise des Eaux, de Bouygues, reviennent à chaque fois que l'on parle d'un des innombrables scandales politico-financiers dans lesquels sont impliqués des présidents de conseils régionaux ou généraux, qui défraient périodiquement la chronique.

En dehors de la question de savoir qui tiendra les cordons des bourses régionales (la droite, depuis 1992, assure la présidence de 20 régions sur 22 en métropole, mais risque fort de ne pas retrouver cette fois-ci le même score), ces élections constitueront pour tous les partis bien plus un enjeu national qu'un enjeu local.

Pour la droite, après la défaite électorale qu'elle a essuyée suite à la dissolution de 1997, il s'agit d'essayer de démontrer qu'elle est en train de surmonter celle-ci. Et si elle ne peut guère, quels que soient les résultats, que perdre des présidences de région, rassembler sur ses listes un plus grand nombre de voix que la gauche constituerait pour elle un succès politique.

Pour le Parti Socialiste, s'il s'agit évidemment de conquérir le plus grand nombre possible de présidences de régions, il s'agit aussi d'essayer de faire cautionner par les électeurs la politique menée par le gouvernement depuis l'entrée de Jospin à Matignon. L'enjeu régional a servi de justification à la formation de listes communes de la "gauche plurielle" : éviter de disperser les voix de la gauche sur des listes concurrentes pourrait permettre, à l'heure des calculs concernant les restes, de grappiller le siège de plus qui ferait la différence. Mais, au-delà de ces justifications arithmétiques, l'existence de ces listes communes a pour le Parti Socialiste un intérêt politique : démontrer que la majorité gouvernementale est unie derrière Jospin.

En fait, en ce qui concerne les Verts, le Mouvement des Citoyens de Chevènement et les Radicaux de Gauche, il y aura pas mal d'exceptions à la règle. Mais le Parti Communiste Français ne fera cavalier seul que dans un tout petit nombre de cas. Dans la plupart des départements il sera présent sur les mêmes listes que les candidats du PS, y compris derrière des têtes de liste qui ont mauvaise presse auprès des militants du PCF, comme dans le cas de la Meurthe-et-Moselle où la liste d'union sera conduite par Jacques Chérèque, ex-dirigeant de la CFDT, devenu préfet chargé des suppressions d'emplois dans la sidérurgie lorraine.

Même dans les départements où le PCF a obtenu de conduire la liste d'union, il a accepté de faire la part belle au PS. C'est le cas par exemple de la Seine-Saint-Denis, département où le poids électoral du Parti Communiste Français est encore considérable. Dans le matériel de propagande, la tête de liste communiste, la ministre Marie-George Buffet, partage la vedette sur un pied d'égalité avec son second de liste, le socialiste Claude Bartolone.

Cette bonne volonté du PCF par rapport au PS ne résulte pas seulement de calculs électoraux sur la meilleure manière d'obtenir le plus de sièges possibles. C'est aussi un choix politique, qui lui évite d'avoir à se prononcer clairement sur le bilan du gouvernement. C'est d'ailleurs un choix qu'il avait inauguré cet automne, en renonçant à présenter un candidat au premier tour, et en appelant à voter pour le Parti Socialiste, dans une élection partielle, en Meurthe-et-Moselle.

Les deux grands partis de gauche vont donc faire campagne ensemble, en faisant du projet de loi sur la semaine de 35 heures l'axe de leur intervention, et en essayant de démontrer à l'électorat ouvrier qu'il s'agit là d'une conquête sociale et d'un moyen de lutter contre le chômage. Mais le succès n'est pas assuré, car les travailleurs sont nombreux à avoir vu se profiler, derrière une réduction du temps de travail qui sera peut-être purement formelle, la menace bien réelle de l'annualisation, de la flexibilité, de l'augmentation de l'intensité du travail, du blocage des salaires, voire d'une diminution à terme des salaires réels.

Quoi qu'il en soit, pour le Parti Socialiste, la bonne volonté dont fait montre le Parti Communiste Français en acceptant de disparaître en grande partie dans cette campagne électorale est le résultat le plus intéressant qu'il pouvait attendre en proposant des listes uniques aux différentes composantes de la majorité gouvernementale. Que les Verts, le MDC ou les Radicaux de Gauche essaient de démontrer qu'ils existent par eux-mêmes, cela ne le gêne pas trop. Non seulement parce qu'ils représentent moins dans le pays et à l'Assemblée que le PCF, mais surtout parce qu'ils ne s'adressent pas au même électorat. Mais après l'épisode du mouvement des chômeurs, que le PCF avait mis à profit pour faire entendre sa différence, il était important pour Jospin que son principal allié ne se pose pas en critique de gauche du gouvernement dans ces élections. C'est ce rôle de soutien même pas critique du gouvernement Jospin que le PCF a accepté, bien qu'il ulcère un certain nombre de ses militants, qui préféreraient que leur parti puisse faire entendre ses points de vue de façon autonome et compter ses propres voix.

Cette situation d'alignement total du PCF sur le PS constitue une raison de plus, pour les communistes révolutionnaires, de faire entendre leur voix à cette occasion.

Des listes Lutte Ouvrière seront en effet présentes dans 68 départements de la métropole. Dans les DOM-TOM, il y aura également une liste Lutte Ouvrière à la Réunion, et nos camarades de Combat Ouvrier présentent également une liste à la Martinique et une à la Guadeloupe.

Si nous nous présentons à ces élections, c'est d'abord tout simplement parce que cela fait partie de nos principes. Nous ne croyons évidemment pas que "bien voter" suffirait pour permettre à la classe ouvrière de changer son sort. Mais les élections constituent des périodes où l'ensemble de la population s'intéresse généralement un peu plus à la vie politique, et il serait stupide de ne pas profiter de cet intérêt, fût-il limité, relatif, pour ne pas défendre publiquement nos idées à ces occasions.

C'est la raison pour laquelle, en fonction évidemment de ce que nos forces nous permettent, nous nous présentons à tous les scrutins où il est possible de soumettre nos idées, notre programme, au verdict des électeurs qui appartiennent aux couches sociales auxquelles nous voulons nous adresser, même si leurs voix se trouvent mêlées, du fait des lois électorales, à celles des exploiteurs.

Face à une droite qui est ouvertement au service du grand patronat, et à une gauche qui prétend lutter contre le chômage tout en préservant les profits du grand capital, il est d'autre part important que le maximum de travailleurs aient la possibilité de s'exprimer en faveur de candidats qui disent clairement que face au drame social que constitue le chômage, il faut des mesures de salut public qui fassent passer l'intérêt général avant celui d'une petite minorité de privilégiés. Qu'il faut en finir avec la politique qui permet au patronat et à l'Etat de faire supporter tout le poids de la crise à la population laborieuse. Qu'il faut au contraire prendre sur les profits que la grande bourgeoisie a accumulés tout au long de la crise pour financer les mesures qui permettraient à tous de vivre décemment ; pour créer les innombrables emplois utiles à la collectivité qui font si cruellement défaut dans les transports publics, les hôpitaux, l'enseignement ; ou pour développer la construction de logements abordables, d'équipements publics, destinés à rendre les villes et leurs banlieues enfin vivables.

Nous ne savons évidemment pas à l'avance quel écho ce langage rencontrera parmi les travailleurs. C'est dans une certaine mesure pour le savoir que nous nous présentons. Mais c'est aussi pour préparer les luttes qui seules permettront demain de faire passer ce programme du domaine de la propagande dans celui des faits.