France- Les retraites : une attaque en règle annoncée contre la classe ouvrière

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Novembre 2002

Le problème du financement des retraites va donner lieu cette année à une nouvelle offensive du gouvernement et du patronat contre les salariés puisque c'est en juin prochain que le gouvernement Chirac-Raffarin veut présenter au parlement son projet de réforme des retraites en engageant sa responsabilité. En fait, l'offensive a été préparée de longue date par une véritable campagne de désinformation menée par les principaux responsables politiques, de droite comme de gauche, par les experts en tout genre et par les médias qui se sont empressés de relayer les mises en garde alarmistes sur l'avenir des retraites. Il s'agit bien d'un véritable matraquage visant à persuader les travailleurs d'accepter un maximum de sacrifices, permettant au patronat, au moment où un financement accru sera nécessaire, de ne pas accroître les cotisations dites patronales, qui ne sont en fait que du salaire différé, entrant d'ailleurs dans les coûts salariaux des entreprises. Mais ce sont justement ces coûts que le patronat n'a de cesse de réduire. Il voudrait à la fois réduire la part globale que reçoit la classe ouvrière sous forme de salaire direct ou indirect, comme les retraites, et obliger les actifs comme les retraités à se débrouiller entre ux pour se partager la portion congrue.

Une interprétation tendancieuse de l'évolution des effectifs de la population

La base prétendument scientifique de cette campagne, c'est l'évolution constatée de la population depuis quelques décennies et les projections de cette évolution dans le futur.

Le baby-boom des années d'après-guerre va se transformer en papy-boom lorsque ces générations vont prendre leur retraite à partir de 2005. Et ils vont vivre plus longtemps ! Alors qu'une personne née en 1910 pouvait espérer vivre encore dix ans après avoir pris sa retraite, une personne née en 1940 vivait en moyenne vingt ans après son départ en retraite. Et l'espérance de vie continue d'augmenter à raison d'un trimestre par an. En 2040, l'espérance de vie aura encore progressé pour atteindre 81 ans pour les hommes et 89 ans pour les femmes. Si bien que l'on prévoit presque un doublement du nombre de retraités d'ici 2040.

Or, le rythme des naissances s'est réduit, si bien que le rapport entre le nombre de retraités et le nombre de personnes en âge de travailler se dégrade. Les pensions des retraités étant payées par les cotisations des actifs dans le système de retraite par répartition existant aujourd'hui, on nous dit d'ores et déjà que ce système ne pourra plus fonctionner.

Remarquons que cette coupure entre les actifs et les autres n'a de sens que dans une société d'exploitation, où " l'actif " est celui qui produit du profit, qui se fait exploiter, pressurer pour produire le maximum, puis une fois rejeté de la production, n'est plus considéré comme " actif " mais devient " retraité " on n'ose pas dire " passif " somme toute considéré comme une bouche inutile à nourrir. Le problème des retraites est donc bien lié au problème plus général de l'organisation sociale du travail, qu'il faudrait en fait changer de fond en comble.

Car dans la société capitaliste, l'allongement de la durée de vie, le fait que les anciens vivent plus longtemps, ce qui constitue une richesse sociale fort importante, devient un facteur d'appauvrissement pour le plus grand nombre et se transforme en catastrophe. C'est dire à quel point cette société est pervertie, qui est capable de transformer l'abondance en misère, et avec quelle urgence il faudrait vraiment réorganiser la société humaine sur d'autres bases.

Car dans une société basée sur la satisfaction des besoins humains, dont le but serait le bien-être et l'épanouissement de tous, les capacités de production existantes, grâce au formidable développement technique, ne seraient plus gaspillées comme aujourd'hui, mais serviraient d'abord à satisfaire les besoins matériels de tous, à tous les âges de la vie. Les problèmes de la retraite ne se poseraient plus car la coupure entre la vie dite active et les autres périodes de l'existence n'existerait plus. Chacun participerait, selon ses possibilités, à l'ensemble des activités sociales, dont la production de biens matériels ne serait qu'un aspect. La notion de vie active se confondrait avec celle de vie tout court car, de la naissance à la mort, les êtres humains auraient le loisir de se livrer à d'innombrables activités sociales et ce que les personnes d'expérience pourraient apporter aux autres serait apprécié à sa juste valeur. Il n'y aurait donc nul besoin de caisses de retraite, ni par répartition, et encore moins par capitalisation, qui coûtent d'ailleurs fort cher à gérer, pour qu'une partie des richesses produites chaque année soit affectée aux besoins de la population, des plus jeunes comme des plus vieux.

Nous n'en sommes malheureusement pas là. Et dans la société capitaliste, régie par la recherche du profit maximum pour une minorité, il faut bien que la majorité, la population laborieuse, se défende pour ne pas se laisser dépouiller et réduire à la misère alors que c'est elle qui produit toutes les richesses.

Il est particulièrement choquant d'assister à une remise en question du droit à la retraite alors même que les vieux travailleurs sont loin d'avoir une retraite dorée et que, après avoir été exploités toute leur vie, on voudrait encore les réduire à la portion congrue. Et même pour leur permettre de toucher cette portion congrue, il faudrait que les actifs acceptent de réduire encore leur propre niveau de vie !

Dans le domaine des retraites, comme dans tous les autres domaines, la société capitaliste montre bien qu'elle a fait son temps et qu'elle n'est capable que de régresser et faire revenir les salariés des dizaines d'années en arrière.

Le financement des retraites torpillé par le patronat

Il est déjà pour le moins suspect qu'on nous expose les problèmes du financement des systèmes de retraites dans vingt et même quarante ans, alors que personne n'est capable de prévoir dans quel état sera l'économie l'année prochaine ! Non seulement les projections démographiques sont entachées d'incertitude mais bien d'autres facteurs entrent en ligne de compte.

Toujours est-il que ces projections démographiques, à condition de les présenter comme inquiétantes voire menaçantes, servent d'autant mieux les objectifs de la bourgeoisie qu'elles permettent d'occulter justement les autres facteurs, pourtant bien plus déterminants que le facteur démographique.

Le poids des retraites sur les actifs dépend d'abord de la situation des actifs. Ont-ils un travail sont-ils condamnés au chômage ? et surtout ont-ils un bon salaire qui leur permette de payer de bonnes retraites ? Voilà les questions essentielles.

L'augmentation du nombre de retraités par rapport aux actifs d'ici vingt ou quarante ans implique évidemment qu'une part plus grande des richesses produites leur soit consacrée. Il est question de quatre à six points de PIB supplémentaires. Il n'y a rien là de dramatique et il est tout naturel que, vivant plus longtemps, on dépense plus. Le patronat voudrait sans doute revenir à l'époque où de nombreux travailleurs, bien qu'ayant cotisé toute leur vie, mouraient trop jeunes pour profiter de leur retraite.

Ces dépenses supplémentaires n'impliqueraient même pas de sacrifices supplémentaires si on admet que la production continue à croître, la productivité à augmenter, ne serait-ce que de 2 % par an comme elle l'a fait au cours du siècle dernier en moyenne. En effet, si c'était le cas, la capacité productive des actifs serait telle que la charge des anciens serait plus légère qu'aujourd'hui et non pas plus lourde. En effet, un actif de 2040 produirait alors plus du double de ce que produit un actif d'aujourd'hui, alors que le nombre de retraités par actif n'aurait pas même doublé. On pourrait donc augmenter les salaires et les retraites et même diminuer le temps de travail, à condition évidemment que les salariés, qui produisent toutes les richesses, puissent bénéficier de l'augmentation de la productivité et que les richesses ainsi créées ne soient pas accaparées par le patronat ! C'est une question de rapport de force, pas un problème arithmétique !

Pour dénoncer la mauvaise foi des attaques contre le système par répartition, ATTAC prend l'exemple de la chute du nombre des agriculteurs alors que la population a fortement augmenté depuis la guerre. En effet, entre 1950 et 1999, le nombre d'agriculteurs est tombé de 3 millions à moins de 1 million alors que le nombre de bouches à nourrir passait de 40 à 60 millions, sans que la France connaisse la moindre crise alimentaire, bien au contraire, puisqu'elle exporte massivement.

Le prétendu problème des retraites est bien un problème de partage de la richesse nationale. L'équilibre harmonieux entre les prélèvements sur les salaires et le montant des retraites implique que le partage de la richesse nationale entre la bourgeoisie et la classe ouvrière permette à celle-ci de profiter aussi de l'augmentation de la productivité et du développement de la production qu'elle engendre. Or, tout le problème c'est justement que cette part s'est considérablement rétrécie depuis les débuts de la crise, le patronat maintenant ses profits en réduisant ses coûts salariaux (réductions d'effectifs, gel des salaires, exonérations de cotisations sociales,etc.).

Les statistiques officielles occultent la part de la classe ouvrière dans la richesse produite et celle qui est accaparée par la bourgeoisie. Alors, quand elles annoncent que la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises est tombée de près de 70 % au début des années soixante-dix à 60 % dans les années quatre-vingt-dix alors que la part des profits, elle, a grimpé de 30 à 40 %, on peut être sûr que la part de la classe ouvrière a considérablement diminué depuis les débuts de la crise.

Le financement des retraites n'est un problème que parce que le patronat veut encore accroître la part de la richesse nationale qu'il accapare aussi bien sur le dos des salariés que sur celui des retraités.

D'ailleurs, toutes les solutions mises en avant par le patronat et le gouvernement visent à faire payer les travailleurs et uniquement eux : allongement de la durée des cotisations, retour de l'âge de la retraite à 65 ans, puis à 70 ans en 2040 (on n'arrête pas le progrès...), diminution des pensions versées, attaque en règle contre les régimes de retraites des fonctionnaires sous prétexte d'égalité avec les salariés du privé, etc. Par contre, le patronat ne veut à aucun prix une augmentation des cotisations car il ne veut pas augmenter ses coûts salariaux, mais au contraire les réduire. Il veut continuer à bénéficier de toutes les exonérations auxquelles il a eu droit au cours du temps et ne payer un sou de plus ni en cotisations ni en salaires directs. Les travailleurs n'ont qu'à travailler plus longtemps pour se payer leur retraite. Voilà la philosophie dominante en matière de financement des retraites. Jouer la carte de la peur de l'avenir et de la division entre les actifs et les retraités, entre les diverses catégories professionnelles qui relèvent de systèmes de retraite différents, attaquer séparément pour mieux l'emporter : voilà les méthodes utilisées pour faire accepter l'inacceptable aux salariés.

Un quart de siècle d'attaques contre les retraites

A vrai dire, les attaques ne sont pas nouvelles. Gouvernement après gouvernement, voilà plus de vingt ans que les gouvernements reviennent à la charge les uns à la suite des autres, restreignant à chaque fois un peu plus les droits des salariés et des retraités pour donner davantage aux patrons.

Il a fallu bien longtemps dans ce pays pour que le sort des vieux travailleurs soit pris en compte. C'est après la Première Guerre mondiale que l'Etat a augmenté substantiellement les pensions de ses propres salariés et rendu automatique leur départ à la retraite et ce n'est que pendant la Deuxième Guerre mondiale, sous Pétain, que l'Allocation aux vieux travailleurs salariés (l'AVTS) a été créée, qui couvrait les salariés du privé et leurs ayant-droits. Après la guerre, l'AVTS fut conservée et intégrée dans le système de la Sécurité sociale que nous connaissons aujourd'hui. Compte tenu de l'inflation très forte, le principe de la répartition fut affirmé : les cotisations des actifs sont immédiatement utilisées pour verser les pensions aux retraités du moment, sans qu'il y ait pratiquement d'épargne à faire fructifier. Et les retraites des actifs d'aujourd'hui seront payées par les cotisations des actifs de demain.

Le départ à la retraite à taux plein fut fixé à 65 ans. Avec 120 trimestres de cotisations, on touchait 40 % de son salaire calculé sur les dix dernières années. On pouvait partir à 60 ans mais avec 20 % seulement du salaire. En fait, cette retraite de base était extrêmement faible, d'autant que les premières pensions complètes ne furent versées qu'à partir de 1960. En 1956, le Fonds national de solidarité fut créé pour assurer le minimum vieillesse à toute personne à partir de 65 ans.

Au début des années soixante-dix, la durée des cotisations passa à 150 trimestres (37,5 ans) et le calcul des pensions fut désormais basé sur les dix meilleures années. Les pensions atteignirent alors 50 % du salaire de référence. L'affiliation à des caisses de retraites complémentaires permettait seule à une minorité de salariés d'obtenir une retraite un peu plus décente. Faute de porter la retraite de base, versée par la Caisse nationale d'assurance vieillesse, la CNAV, à la hauteur nécessaire, le gouvernement a rendu obligatoire l'affiliation de tous les salariés à des caisses de retraites complémentaires à partir du 1er janvier 1973. Ces caisses, régies par des règles diverses, alimentées par des cotisations sur les salaires et fonctionnant elles aussi selon le principe de la répartition, furent finalement regroupées dans l'ARRCO. L'AGIRC regroupait déjà les caisses de cadres.

Le sort des vieux travailleurs a donc été une véritable honte jusqu'à une date récente tant les retraites étaient faibles : 30 % des retraités vivaient en dessous du seuil de pauvreté en 1970. Depuis, l'effet bénéfique de ces mesures s'est fait sentir, quoique inégalement puisque nombre de retraités vivent encore aujourd'hui avec des retraites insuffisantes, surtout parmi les femmes dont près de la moitié ne touche que le minimum vieillesse, soit 3 735 F par mois (569,35 i).

Mais c'est aussi au milieu des années soixante-dix que débutèrent la crise économique et le développement rapide du chômage qui pèse fortement sur le financement de la Sécurité sociale.

Dans un premier temps, pour diminuer le nombre des chômeurs, le gouvernement Mauroy décida l'abaissement de l'âge de la retraite à 60 ans, date à laquelle on peut désormais partir avec un taux plein. Mais très rapidement des rapports commencèrent à tirer la sonnette d'alarme sur le coût des retraites. Et dès les années quatre-vingt, les gouvernements commencèrent à changer les règles, à imposer des pensions plus faibles et des durées de cotisations plus longues, tout en continuant à augmenter le montant de celles-ci. Parallèlement, des dégrèvements de charges sociales furent accordés au patronat sous des prétextes multiples, dégrèvements qui ont constitué autant de manque à gagner pour les comptes sociaux.

A partir de 1987, on se mit à indexer les retraites sur les prix et non plus sur les salaires. C'est la première attaque sérieuse contre les retraites car l'écart a alors commencé à se creuser avec l'évolution des salaires.

Le gouvernement Rocard a préparé le terrain pour la deuxième grande attaque en publiant en 1991 un Livre blanc sur les retraites, qui préconisait l'allongement de la durée de cotisation pour toucher une pension à taux plein et un élargissement de la période de référence pour le calcul de celle-ci.

Il se déclara en faveur de la création de fonds de pension dans les entreprises. Evidemment les patrons y sont très favorables car, en lieu et place d'augmentations de salaires, ils peuvent faire mine de distribuer des sommes à leurs salariés, sommes dont les salariés ne verront pas la couleur avant leur retraite, et qui entre-temps serviront de fonds de roulement au patron ! En fait, c'est un système où ce sont les salariés qui prêtent au patron de l'argent à long terme, sans même être sûrs que le patron les remboursera un jour. Car les sommes en question, placées sur les marchés financiers, ou tout bonnement composées d'actions de l'entreprise elle-même, ne vaudront peut-être plus rien le jour où le salarié pourra en disposer ! En ce domaine, Rocard s'est contenté de déclarations prouvant au patronat que le gouvernement socialiste était ouvert à tous ses désirs, et depuis l'idée a fait son chemin.

C'est enfin le gouvernement Rocard qui instaura la CSG, un nouvel impôt censé compléter les cotisations sociales et destiné à se substituer de plus en plus à ces dernières, répondant ainsi aux voeux du patronat qui souhaite se dégager de l'obligation de verser du salaire différé sous forme de cotisations sociales. Cet impôt, non progressif, est perçu aussi sur les pensions des retraités.

C'est finalement le gouvernement Balladur qui mit en application les recommandations du Livre blanc de Rocard que les gouvernements socialistes n'avaient pas eu le temps de mettre en oeuvre. Ils avaient du moins préparé le terrain puisque Bérégovoy avait déjà largement entamé la consultation des partenaires sociaux sur ces projets.

La loi du 22 juillet 1993 fait progressivement passer le nombre de trimestres nécessaires à l'obtention d'une pension complète de 150 à 160 entre le 1er janvier 1994 et le 1er janvier 2003, à raison d'un trimestre supplémentaire par an. De même, la période de référence pour le calcul de la pension passe progressivement, jusqu'en janvier 2008, des dix meilleures années aux 25 meilleures années. Balladur a en outre inscrit dans la loi l'obligation d'indexer les pensions sur les prix, hors ceux du tabac.

Enfin, il a augmenté la CSG pour alimenter le Fonds de solidarité vieillesse (qui remplace le FNS), qui reçoit en outre une partie des impôts sur le patrimoine, les droits sur les alcools, afin d'assurer la validation, pour le calcul de la retraite, des périodes de chômage, de service national, et les revalorisations pour enfants à charge.

Cette loi Balladur a de graves conséquences sur le montant des pensions. En effet, non seulement elle consacre l'habitude prise depuis 1987 de revaloriser les pensions versées sur les prix en précisant " hors tabac ", mais elle recalcule les salaires des années de référence pour déterminer la valeur initiale de la pension également en fonction de la hausse des prix (hors tabac), et non pas en fonction de la hausse réelle des salaires. Cela amènerait, selon les calculs du Commissariat général au plan, la valeur des pensions à augmenter de 14,5 % d'ici 2015, au lieu de 51,2 % en l'absence de la loi Balladur. Le COR, le Conseil d'orientation des retraites, estime quant à lui que la loi Balladur permettra une économie de 200 milliards de francs à l'horizon 2010, dont près des deux tiers grâce à l'indexation des retraites sur les prix ! Et s'il existe un point d'écart chaque année entre l'augmentation des salaires et celle des prix, à terme les pensions calculées et versées jusqu'à leur décès aux retraités de ce régime seront diminuées de 50 % par rapport à ce qu'elles auraient été sans la loi Balladur.

La loi Balladur permet donc de verser des pensions dévalorisées tout en exigeant une durée de cotisations plus longue. Pour beaucoup, le choix est de travailler au-delà de 60 ans ou d'accepter une retraite amputée quand choix il y a, car les entreprises se débarrassent à tour de bras des salariés considérés comme vieux de plus en plus jeunes et passé 50 ans, voire même 45 ans, il est bien difficile de retrouver du travail après un licenciement.

En 1995, ce fut au tour du gouvernement Juppé de reprendre les attaques menées par Balladur contre les salariés du privé pour les diriger cette fois contre ceux du secteur public sous prétexte de justice sociale ! Les grèves de novembre-décembre 1995 entraînèrent l'abandon provisoire de ce projet. Mais depuis, le matraquage médiatique a continué de plus belle pour convaincre l'opinion publique de l'injustice qu'il y aurait à ne pas aligner par le bas évidemment les retraites du public sur celles du privé.

Le gouvernement Jospin, à qui la droite reproche aujourd'hui d'avoir repoussé à plus tard la " réforme " du système des retraites, a pourtant apporté sa pierre à l'édifice. Ne serait-ce qu'en poursuivant l'allégement des charges sociales au bénéfice du patronat et en augmentant la CSG de plus du double. A ce titre, les pensions des retraités sont amputées de 6,2 %.

Et puis Jospin a introduit une dose de capitalisation dans le système des retraites des salariés du privé. Le système par capitalisation consiste à épargner toute sa vie et à faire fructifier son épargne pour payer sa retraite à venir. Toutes sortes de systèmes peuvent être imaginés où chacun cotise pour sa propre retraite, soit individuellement, soit dans le cadre d'un plan propre à l'entreprise ou inter-entreprises, ou encore propre à des collectivités locales ou professionnelles.

Certes, Jospin a finalement abrogé la loi Thomas de 1997 instaurant des Plans d'épargne retraite, les PER, véritables fonds de pension à destination des salariés du privé. Mais il a en revanche mis en place un " Fonds de réserve pour les retraites " qui fonctionne lui aussi par capitalisation et qui est censé compléter les retraites que les cotisations des actifs ne pourraient plus assurer à l'avenir. Au départ, en 2000, ce fonds devait être alimenté à hauteur de 152 milliards d'euros en 2020 (1000 milliards de francs). Mais un an après sa création, le gouvernement revoyait sérieusement à la baisse son financement : il n'était plus question que de 99 milliards d'euros en 2020. Soumis en fait au bon vouloir du gouvernement sans aucun contrôle, il sert de " fonds de réserve " non pas pour les retraites, mais pour les dépenses de l'Etat, via le FSV, le Fonds de solidarité vieillesse. Car le plus choquant, c'est que le FSV, auquel la CNAV verse ses excédents, est régulièrement ponctionné par le gouvernement. D'ailleurs le gouvernement Jospin lui a donné la charge de gérer le Fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie, ainsi que de gérer le FOREC, le fonds chargé de financer les 35 heures. Depuis 2000, en trois ans, ce sont près de 100 milliards de francs dont l'Etat s'est ainsi déchargé sur le FVS, pour financer l'allocation personnalisée d'autonomie, pour payer ses dettes aux retraites complémentaires (AGIRC et ARRCO) et surtout (85 milliards) pour financer les 35 heures, c'est-à-dire pour dédommager les patrons d'une loi qui les sert !

Le " fonds de réserve pour les retraites " de Jospin permet de drainer quelques dizaines de milliards supplémentaires vers les places financières, mais ne permet aucunement d'assurer aux retraités un avenir sans angoisse, bien au contraire !

De nouvelles attaques en préparation

Que ce soient les partis de droite ou ceux de gauche, tous affirment qu'il est de plus en plus urgent de réformer le système des retraites, l'échéance de 2005 se rapprochant. Les " réformes " préconisées par les uns et les autres s'inscrivent dans la droite ligne de ce qui a été fait ou tenté jusqu'ici. Elles peuvent varier dans les détails techniques mais procèdent toutes de l'idée qu'il va falloir que les salariés et les retraités fassent de nouveaux sacrifices, à commencer par les salariés du public, dont les " privilèges " seraient exorbitants, alors que leur pension, qui est rappelons-le calculée sans tenir compte des primes qui constituent pourtant une partie importante de leur rémunération, ne se monte que de 55 à 72 % de leur dernier salaire, tout comme les salariés du privé dont la retraite est du même ordre (55 à 70 % du dernier salaire).

Le deuxième clou sur lequel le patronat tape sans relâche, c'est l'âge du départ en retraite. Il estime que les travailleurs n'ont qu'à cotiser plus longtemps pour combler le déficit. Le gouvernement évoque déjà la nécessité de cotiser 42 ans dans un premier temps, puis 45 ans et plus dans l'avenir, ce qui revient évidemment à reculer l'âge légal du départ à la retraite.

Enfin le patronat comme les dirigeants politiques de gauche et de droite s'accordent à prétendre que le système obligatoire actuel à deux étages retraite de base et retraites complémentaire basé sur la répartition n'est plus viable et qu'il faudra le compléter par " une dose " plus ou moins forte d'assurance par capitalisation.

L'argument est spécieux. Et s'il est répété avec tant d'insistance, c'est qu'il sert des intérêts qui n'ont rien à voir avec la protection des futurs retraités.

Affirmer que la capitalisation sera plus à même que la répartition de faire face à un financement plus important des retraites est un mensonge éhonté.

Tout simplement parce que d'ici 20 ou 40 ans, si la part de la richesse nationale qui est consacrée aux salaires et retraites a encore diminué, les salariés comme les retraités seront encore plus mal lotis qu'aujourd'hui, quelle que soit la technique utilisée pour verser cette partie des salaires que constituent les pensions.

Et puis on ne voit pas comment, si les cotisations des actifs ne suffisent pas à payer les pensions des retraités, ce serait en faisant intervenir les assureurs privés et autres gestionnaires de fonds de pension qui prélèveront au passage leur profit qu'on résoudra le problème !

Enfin et surtout la capitalisation, qui mise sur des rendements financiers importants, fait dépendre les retraites des marchés financiers qui, comme on le voit aujourd'hui, peuvent engloutir en un rien de temps les économies de toute une vie. L'exemple des salariés d'Enron aux USA est certes le plus connu mais il n'est malheureusement pas le seul.

Les sommes accumulées en vue d'une retraite par capitalisation seront jouées en Bourse par les financiers, serviront de caisses noires aux entreprises qui y puiseront de l'argent sans intérêt, qui s'en serviront pour acheter d'autres entreprises ou pour verser de plus beaux dividendes à leurs actionnaires ou pour truquer leur bilan, comme cela se pratique dans les pays où ces fonds de pension existent. Et ce sont les salariés qui supporteront tous les risques. Pire même, un rendement élevé des placements financiers provient d'une surexploitation des travailleurs, d'un abaissement des coûts salariaux de toutes les manières possibles : licenciements, accélération des cadences, dégrèvements de charges sociales, etc. Il faudrait donc que les travailleurs acceptent de se saigner aux quatre veines pour permettre aux entreprises de jouer avec leur épargne forcée, sans avoir aucune garantie qu'on leur rendra même un jour l'argent ainsi prêté ! C'est un vrai jeu de dupes qu'on veut nous faire accepter au nom de " la sûreté, la liberté et l'équité ", comme ose le prétendre Raffarin !

Pour l'instant ces fonds de pension n'ont pas droit de cité en France. Ou, plus exactement, le mot est évité mais la chose s'est déjà mise insidieusement en place sous des noms différents : on appelle cela " épargne salariale " ou " l'actionnariat salarié " dont l'ancêtre remonte à la création de " l'intéressement " en 1959 qui " intéressait " les salariés aux performances de l'entreprise. La " participation ", créée en 1967 et obligatoire pour les entreprises de plus de 100 salariés, bloquait pour trois ou cinq ans les sommes attribuées aux salariés, sommes qui pouvaient être investies en actions de l'entreprise. En 1980, la loi encouragea la distribution d'actions aux salariés et, depuis, les privatisations ont donné un coup d'accélérateur à cet actionnariat salarié. En 1986, les PEE, plans d'épargne entreprise, étaient créés. Depuis 1995, une série de contrats d'assurances retraites par capitalisation, facultatifs pour les entreprises mais parfois obligatoires pour leur personnel, a été mise en place dans les entreprises.

Dans tous les cas, en lieu et place d'augmentations de salaires, l'entreprise distribue des sommes qui échappent aux cotisations sociales et qui peuvent être aussi exonérées d'impôts.

Un rapport très officiel, le rapport Balligand Foucault, remis au gouvernement en 2000, estimait que un euro d'épargne salariale faisait perdre 0,45 euros à la protection sociale et 0,12 euros au fisc.

L'Observatoire des retraites estime que les primes des contrats d'assurances retraites proprement dits représentaient en 2000 36,8 milliards de francs, cinq fois plus qu'en 1996. L'ensemble des sommes accumulées par ces contrats depuis 1996 représente déjà 266,3 milliards de francs.

Depuis, cette épargne salariale n'a fait que se développer. Fabius a étendu en 2001 la possibilité d'ouvrir des plans d'épargne salariale aux petites entreprises et a créé le PEI, plan d'épargne inter-entreprises ainsi que le PPESV, le plan partenarial d'épargne salariale volontaire, bloqué pour dix ans au moins. Il est même question de mettre sur pied des plans épargne entreprise à long terme, les PEELT, dans lequel l'argent serait bloqué au moins quinze ans. Mais bien malin qui pourra dire ce que vaudra dans quinze ans l'argent qui aurait été ainsi placé. Avec une durée de blocage des sommes de plus en plus longue, ce sont des plans d'épargne en fait destinés à la retraite, des fonds de pension qui n'osent pas dire leur nom, qui sont mis en place. Il reste encore à les rendre obligatoires et à obliger les salariés à en disposer sous forme de rente à leur retraite, une rente dont le montant est totalement inconnu, bien entendu, puisqu'il n'est aucunement garanti !

Tous ces systèmes permettent au patronat de bénéficier d'exonérations de cotisations qui ne peuvent qu'aggraver le problème du financement des retraites. D'autant que ce que les patrons versent sur les comptes épargne des salariés, c'est autant de moins sous forme de salaires, et le quasi gel des salaires qui en résulte constitue un manque à gagner très important pour les caisses de retraites. Et plus il y a d'argent ainsi détourné des caisses de retraites, plus il est facile ensuite de prévoir leur faillite et d'exiger la mise en place à grande échelle de fonds de pension qui achèveront de mettre à genoux le système de retraites par répartition qui, du fait même de sa nature, échappe au capital financier, l'argent collecté étant immédiatement redistribué.

C'est d'ailleurs la raison fondamentale pour laquelle une telle pression existe de la part de la bourgeoisie pour que le maximum de ces 1 000 milliards de francs par an que représentent les retraites des salariés du secteur privé soient enfin mis à la disposition des marchés financiers.

Mais en ce qui concerne la préservation des intérêts des salariés et des retraités, la seule solution raisonnable c'est non seulement d'empêcher que cet argent soit à la merci des aléas des marchés financiers, mais c'est aussi de mettre un coup d'arrêt à l'offensive gouvernementale et patronale sur les retraites. C'est d'imposer le retour aux 37,5 années de cotisations dans le privé, l'indexation de toutes les retraites, de base ou complémentaires, sur l'évolution des salaires, et l'augmentation générale des salaires, ainsi que le plein emploi, pour que la part des salariés dans la richesse nationale se retrouve au moins à la hauteur à laquelle elle était il y a un quart de siècle !

Alors, face à la pression insistante du MEDEF, du gouvernement et même des partis de gauche, la classe ouvrière a tout intérêt à déployer sa force pour faire obstacle à ceux qui veulent la dépouiller encore plus en tentant de la diviser. C'est véritablement une question de survie.