Textes de la Conférence nationale de Lutte ouvrière - La situation de la classe ouvrière

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Décembre 1993

Sur le plan économique et social, la situation de la classe ouvrière s'est encore dégradée. Non seulement à cause des mesures portant sur l'augmentation de la CSG, des taxes diverses, la diminution des remboursements médicaux, les attaques contre les retraites, etc., mais aussi parce que la récession économique a encore aggravé la situation de l'emploi et des conditions de rémunération. Pour maintenir ses profits, le patronat s'est employé à diminuer les coûts salariaux en multipliant les licenciements, les mesures de chômage partiel, le recours de plus en plus exclusif aux emplois précaires ou à temps partiel.

Le nombre officiel de demandeurs d'emploi a passé la barre des 3 000 000. Mais en tenant compte de tous ceux que les différentes manœuvres administratives effacent des statistiques, Giscard d'Estaing lui-même, à la télévision, a estimé le nombre de personnes en situation précaire à près de cinq millions.

Cette pression économique, relayée par les médias et les hommes politiques qui expliquent que le chômage fait désormais partie intégrante et permanente des perspectives économiques et que le plein emploi appartient définitivement au passé, pèse lourdement sur le moral et la combativité des travailleurs.

Mais sur le plan politique, une hypothèque a été levée : ce ne sont plus les socialistes qui sont au gouvernement, mais la droite. Même si Balladur continue dans le droit fil de ses prédécesseurs, même si toutes les mesures anti-ouvrières et pro-patronales qu'il a prises depuis sa venue au pouvoir avaient été initiées par le PS, pour les travailleurs la situation semble désormais plus nette ; les coups qui leur sont portés viennent d'un même camp : celui du patronat et du gouvernement, c'est-à-dire de leurs adversaires traditionnels.

D'autant que la publication des bilans financiers des entreprises atteste bien souvent de la bonne santé financière du patronat. Mises à part quelques grosses entreprises comme Michelin, l'aéronautique, Air France ou encore Peugeot, qui sont momentanément en déficit, la plupart des entreprises non seulement ne perdent pas d'argent, mais en gagnent. Or, même les entreprises dites saines du point de vue capitaliste annoncent et multiplient les licenciements.

Le patronat, en prévision de l'aggravation de la récession, précipite le mouvement et anticipe les licenciements à venir. Sur le plan politique, les hommes du gouvernement de droite, après ceux de gauche, démantèlent la législation sur la protection de l'emploi, la durée du travail, les rémunérations. Le projet de loi quinquennale du gouvernement Balladur vise à faire rentrer dans la législation des mesures dont la plupart étaient déjà pratiquées, mais que limitaient jusqu'ici un certain nombre d'obstacles juridiques.

Ainsi sur le plan politique comme sur le plan économique, le rapport de force entre la classe ouvrière et la bourgeoisie apparaît clairement en faveur de la bourgeoisie.

La seule chose qui peut faire bouger la situation, ce sont les réactions de la classe ouvrière. Certes, durant l'année, la classe ouvrière n'est pas restée passive (grève des dockers sur le statut, grève des ouvriers CGT du Livre, grève contre telle ou telle délocalisation, etc.), mais ces réactions ont jusqu'ici été émiettées, le plus souvent défensives et toujours encadrées par les syndicats.

Sur ce plan, la lutte des travailleurs d'Air France, en sortant des sentiers battus, a débordé dans la forme comme dans le fond les prudentes mobilisations syndicales, a réussi à faire reculer le gouvernement. Ce qui ne s'était pas vu depuis bien longtemps, même si ce n'est que provisoirement.

Les centrales syndicales qui, en cette "rentrée" 93, avaient petitement mobilisé, en maintenant même à la manifestation unitaire du 12 octobre (CGT et FO) un caractère volontairement éparpillé dans le temps, ont été bousculées par les travailleurs du Fret de Roissy et d'Orly.

Localement et même nationalement, les syndicats ont suivi plus que précédé, choisissant de ne pas s'opposer à un mouvement déterminé et très populaire.

Les différences d'attitudes survenues en fin de grève montrent quand même que si la CGT, qui fait de la volonté de la base son point de référence prioritaire, tient à donner d'elle-même une image combative et démocratique, FO, un temps portée par l'actualité, tient, elle à se montrer "responsable" vis-à-vis du gouvernement et a appelé la première à la reprise. Même duplicité chez la CFDT, dont la porte-parole nationale formulait des réserves alors que les sections locales se sont prononcées pour la continuation.

La lutte des travailleurs d'Air France en tout cas a été suivie attentivement et bien vue par la classe ouvrière et ses militants. Combien faudra-t-il de combats de ce genre pour donner confiance aux travailleurs dans la lutte et dans eux-mêmes, pour les entraîner, avec ou en dépit des centrales syndicales, dans un mouvement capable de stopper l'offensive patronale, il est évidemment impossible de le dire.

Les centrales syndicales et en particulier la CGT, ont une large marge de manœuvre. La CGT peut aller loin sans risquer d'être dépassée, surtout si les autres centrales se montrent de moins en moins unitaires et, comme on peut s'y attendre, se gardent bien de jouer la surenchère. Évidemment, entre le jeu des centrales qui disposent d'un large éventail d'attitudes réformistes pour mieux tenir et encadrer la classe ouvrière, et la nécessité d'une riposte, déterminée, puissante, unificatrice de la classe ouvrière pour modifier radicalement le rapport de forces, il y a un énorme fossé.

La seule chose que l'on peut certifier, c'est que la résignation et la démobilisation qui ont marqué ces dernières années, viennent d'être quelque peu bousculées par la lutte victorieuse des travailleurs d'Air France et cela avec la sympathie de la majeure partie de la classe ouvrière.

28 octobre 1993