Haïti : protestations populaires et gangs armés

إطبع
novembre 2022

Nous avons rendu compte, dans l’hebdomadaire Lutte ouvrière (n° 2825, 22 septembre), de la montée de protestations contre la dégradation des conditions d’existence de l’écrasante majorité des masses populaires à Haïti, l’un des pays les plus pauvres de la planète et le plus pauvre des Amériques. Ce sursaut populaire survient alors que les masses subissent non seulement l’oppression conjuguée de l’impérialisme et de sa couche dirigeante, mais aussi et de plus en plus la loi des gangs armés. Pour expliquer cette situation telle que la vivent nos camarades de l’Organisation des travailleurs révolutionnaires (OTR), nous publions ici l’intégralité du numéro 296 de leur mensuel, La Voix des travailleurs, illustré (sur la version pdf) par un fac-­similé de la première page. Ce numéro, paru le 2 septembre, au plus haut de la mobilisation, est complété par deux articles tirés du numéro suivant, paru le 2 octobre et se rapportant à des faits postérieurs.

ÉDITORIAL

Exproprions les classes riches !

Insécurité, chômage, misère : depuis l’indépendance, les masses exploitées n’ont jamais connu mieux sous la direction des classes dominantes. Pire encore, 218 ans après, la cupidité, l’irresponsabilité de la bourgeoisie et de ses laquais propulsent tout le pays dans l’horreur des gangs armés comme forme de domination et d’exploitation des masses populaires. Depuis belle lurette, ceux qui dominent la société ont mille fois démontré qu’ils n’ont plus la légitimité d’être au contrôle de l’économie. À la classe ouvrière et aux masses populaires de s’organiser pour leur botter le cul.

Avec comme toile de fond une insécurité aux multiples facettes, alimentée par les gangs armés, la classe ouvrière et les masses populaires subissent de plein fouet les affres des classes dominantes depuis de nombreux mois. Ayant acquis par la violence et par la ruse les moyens de production du pays, les classes riches se sont hissées en haut de la société et la font fonctionner à leur seul profit.

Aux problèmes de chômage croissant qui menacent l’existence de la majorité de la population, les patrons répondent en licenciant encore plus. Le secteur de la sous-traitance qui comptait environ 60 000 emplois dans les années 1990 est au bord de la faillite. Les patrons exportent leurs capitaux vers d’autres cieux jugés plus sûrs, vers d’autres activités jugées plus rentables. Sans aucune indemnité de licenciement, les ouvriers sont jetés sur le pavé. Privés de la vente de leur force de travail pour vivre, ils sont condamnés à la déchéance.

Face aux problèmes de la cherté de la vie, les grands commerçants organisent le marché noir. Les prix des produits de grande consommation flambent sans cesse. Manger à sa faim devient la chose la plus difficile pour une famille de classe pauvre voire de classe moyenne. « Qu’ils crèvent, il suffit que nos comptes en banque soient bien alimentés », se disent les importateurs et autres trafiquants !

Le prix du dollar s’envole. Le secteur bancaire s’approprie le peu qui existe pour le revendre en catimini dans l’informel.

Les prix des produits pétroliers grimpent sur le marché international. Leurs importateurs et distributeurs s’activent. Dans un tohu-bohu indescriptible, ils vendent au marché noir 3 fois plus cher le peu qu’ils arrivent à faire rentrer. Peu leur importe que cette pratique mette en péril la vie de milliers de gens des classes populaires qui stockent ces produits dans leur environnement, ou que les prix des transports grimpent et deviennent hors de portée de la population.

Les kidnappings se multiplient, les meurtres et les massacres sont monnaie courante dans les quartiers populaires. Les riches se déplacent en voitures blindées et s’entourent de hordes d’agents de sécurité, tout en continuant de financer, d’armer les gangs criminels contre la population.

La main basse de ces parasites sur la production, sur les richesses produites par les travailleurs, conduit à la barbarie, la déchéance de notre classe ouvrière. Chasser ces parasites est une urgence.

Seule la révolution menée par les travailleurs aux côtés des paysans pauvres et des autres couches des masses exploitées mettra fin au règne des capitalistes et des grandons1. La socialisation des moyens de production en est la condition indispensable. Il en va de la survie de la grande majorité de la population. Jeunes travailleurs, jeunes intellectuels, militants qui se reconnaissent dans ce combat, attelons-nous à mettre sur pied ce parti des travailleurs révolutionnaires qui organisera, guidera les masses exploitées vers la victoire.

« Nous n’en pouvons plus ! » : manifestations de colère à travers le pays.

Du lundi 22 au mercredi 24 août 2022, des milliers de personnes des classes populaires ont manifesté dans plusieurs grandes villes du pays pour dénoncer la détérioration de leurs conditions de vie et exiger que des mesures soient prises en urgence pour remédier à leur situation. Au nombre de leurs revendications, la cherté de la vie, la rareté des produits pétroliers, l’insécurité et la démission d’Ariel Henry de son poste de Premier ministre.

« Nous n’en pouvons plus ». La classe ouvrière et les masses exploitées sont prises à la gorge par la terreur des gangs armés qui transforme leur quotidien en un calvaire. Surfant sur la barbarie de ces groupes criminels, les grands commerçants, les banquiers, les patrons accentuent leur pression sur la population par la cherté de la vie, les bas salaires. Pour contrer cette offensive criminelle des classes riches, la population est descendue dans les rues manifester sa colère.

Au Cap-Haïtien, dans la deuxiè­me ville du pays, c’est à l’appel du leader de « Pitit Dessalines » que plusieurs milliers de personnes ont arpenté les rues du centre-ville. Munis de pancartes, de branches d’arbres, les manifestants ont dénoncé l’insécurité, la vie chère, la rareté du carburant, tout en demandant la démission d’Ariel Henry. Haranguant la foule, Moïse Jean-Charles a appelé à fermer les banques si le dollar ne descendait pas en dessous de 100 gourdes dans les 72 heures.

Très affectée par les activités des gangs armés au niveau de Martissant qui les isolent du reste pays, la population de plusieurs régions du sud s’était mobilisée.

La ville des Cayes était bloquée depuis le dimanche soir. Les barrages dressés sur les routes ont entravé toute circulation automobile. Malgré la répression, au moins 3 morts et plusieurs blessés, les manifestants ont tenu pendant 3 jours.

Dans la ville de Miragoâne, de Petit-Goâve, de Jacmel, beaucoup se sont fortement mobilisés en gagnant les rues. Partout, c’est le même refrain : « Nous n’en pouvons plus ». À Petit-Goâve, jusque dans la journée du samedi, la foule des manifestants, constituée en majorité de mères de famille, dénonçait la cherté de la vie et l’insécurité. « Les riches veulent nous exterminer », lançait une manifestante.

À part un fléchissement du coût du dollar qui est passé de 160 à 110 gourdes sur le marché informel, le gouvernement n’a pipé mot, preuve que l’intensité et l’ampleur de cette mobilisation doivent augmenter pour faire reculer cette bande de vautours qui prennent la population comme appât.

La police nationale d’Haïti : le gang armé officiel des classes riches

Exténuée par les exactions des bandes armées, à bout de souffle à cause de la cherté de la vie, ignorée et méprisée par un gouvernement de scélérats, la population est sortie manifester sa frustration et sa colère à Port-au-Prince et dans plusieurs chefs-lieux de départements dans le pays. Mais fidèle à sa réputation de bourreau des classes populaires, la police est intervenue dans ces manifestations et a occasionné des morts, des blessés, des arrestations.

À Port-au-Prince comme dans les villes de province, les policiers étaient présents et narguaient les manifestants pendant toute la mobilisation, qui a duré plus d’une journée dans certains endroits comme aux Cayes ou à Miragoâne. Le samedi 27 août, des milliers de personnes manifestaient encore dans la ville de Petit-Goâve contre l’insécurité, la cherté de la vie et contre le gouvernement.

Tirs de sommation, balles à hauteur d’homme et gaz lacrymogènes, la police avait bien reçu l’ordre de s’en prendre violemment aux manifestants. Un bilan partiel dès le deuxième jour de la mobilisation faisait état de trois morts, d’une dizaine de blessés par balles et d’arrestations.

La police prête toujours ses services aux riches, aux politiciens. Une bonne partie de ses unités est utilisée pour la protection personnelle des VIP, des parlementaires, des bourgeois et des politiques. Elle est toujours aux côtés de tous ces gens qui affament la population et la tiennent dans l’horreur de la misère extrême.

Absente dans les quartiers populaires pour soutenir les travailleurs contre les bandits, contre les malfrats qui les prennent à la gorge, la police répond toujours présent, dès la suspicion d’un mouvement de colère des travailleurs et des masses exploitées contre les exactions des classes dominantes.

Dans leurs luttes pour revendiquer de meilleures conditions de vie, les masses populaires se retrouveront toujours face aux bras armés des classes dominantes, qu’ils soient légaux comme la police, l’armée ou illégaux comme les gangs criminels qui sévissent actuellement dans les quartiers populaires. C’est une bande d’assassins, en uniforme ou pas, qui sont tous dressés pour broyer les os des masses populaires en vue de maintenir la domination de la bourgeoisie sur toute la société.

Des conflits meurtriers sporadiques peuvent éclater entre eux. La population n’a pas à y prendre parti. L’élimination d’un chef de gang par la police, par exemple, ne fait pas de cette dernière une alliée des classes populaires pour autant. Les travailleurs et les masses exploitées doivent toujours s’organiser pour se protéger. Elles doivent mentalement et physiquement être prêtes pour sortir victorieuses des conflits qui les opposeront à ces gangs armés, car de ces victoires dépendra l’amélioration de leurs conditions de vie.

Laboule 12 : conflit pour titre de propriété entre deux gangs

Quand ce n’est pas le kidnapping et les autres actes de bandits armés, c’est le prétexte de conflit terrien que les gangsters utilisent pour terroriser la population des quartiers de Piron, de Fessard, de Boutilliers, de Tara’s et des quartiers avoisinants.

Depuis le début du mois d’août, les habitants de Laboule 12 vivent dans l’angoisse. Aucun jour ne passe sans que les riverains ne subissent les effets des échanges de tirs nourris dans l’affrontement entre les gangs de Ti makak et ceux de Toto. L’ancien tenancier de bordel est devenu voleur de terres. Dans ce conflit, ce sont les habitants des quartiers de proximité qui sont les victimes.

Dans les quartiers de Laboule 12, avec cette guerre entre les gangs, le kidnapping et les actes criminels des bandits, tous ceux et celles qui vivent de la débrouillardise et particulièrement les petites marchandes et les travailleurs prennent la rue au péril de leur vie pour vaquer à leurs occupations. Le samedi 6 août 2022, Yvon Buissereth, directeur général de l’Entreprise publique de promotion des logements sociaux (EPPLS) et ancien sénateur, ainsi que son chauffeur, ont été attaqués et brûlés vifs à Laboule 12.

Pour éviter Martissant, tous ceux qui veulent atteindre le grand sud sont obligés d’emprunter la route de Laboule depuis une année maintenant. Ces groupes de gangsters sont nuisibles car ils ont déjà perpétré beaucoup de crimes au sein de la population dont le quotidien est constamment perturbé. Comme les exploiteurs, ils sont les ennemis des classes pauvres et les produits de la société de classe que les travailleurs organisés doivent combattre jusqu’à sa disparition.

Le déchouquage des bandes armées sera l’œuvre des classes populaires

Ce samedi 20 août, dans la commune de Croix-des-Bouquets, des bandits, qui seraient des alliés du gang 400 Mawozo, ont tué au moins huit personnes, dont trois membres d’une même famille calcinés avec leur véhicule après la fusillade. Ce carnage s’est produit alors que la presse et une partie de la population chantaient les louanges de la police qui venait soi-disant de démanteler ce puissant gang 400 Mawozo, dont le chef et certains membres sont en cavale depuis quelques jours. Le message sonne fort : les classes populaires ne peuvent compter que sur elles-mêmes pour mettre hors d’état de nuire les gangs qui infestent le pays et sèment le deuil au sein de la population.

En l’espace d’un cillement, les images ont parcouru les réseaux sociaux. Une mère et ses deux filles exécutées et brûlées à bord de leur voiture, deux motards et un passant parmi les huit victimes. Des bandits ont ouvert le feu à bout portant sur le véhicule et les passants. C’est un acte crapuleux qui a soulevé la consternation et l’indignation de la population ! Le drame a eu lieu dans une localité dénommée « Cité Doudoune », située dans la commune de la Croix-des-Bouquets où sévit le gang des 400 Mawozo, semant la terreur jour et nuit dans la zone.

Cette barbarie à la Cité Doudoune, bastion des criminels de 400 Mawozo, vient faire tomber les illusions entretenues par la presse et les politiciens sur les opérations policières et le vrai rôle de la police nationale d’Haïti (PNH). C’est un démenti aux informations laissant croire que le gang est démantelé, les activités ont repris, la zone est presque libérée, etc.

Cela fait, en effet, quelques semaines que des forces spécialisées de la police ont concentré leurs actions et leurs efforts en vue du démantèlement de ce gang qui a déjà assassiné plusieurs policiers et kidnappé des citoyens américains.

Les nombreuses victimes enregistrées dans le camp de l’institution policière galvanisent la détermination des policiers qui s’adonnent à des opérations visant à venger la perte de leurs frères d’armes. La police nationale d’Haïti ne cache pas sa satisfaction face au succès enregistré par ses unités spécialisées engagées par la force des choses dans la lutte contre le gang 400 Mawozo notamment.

Les résultats obtenus sont attribués, par plus d’un, à l’appui d’un char blindé appelé « Ti Magali » dont on vante les mérites. La population offre ainsi un accueil favorable à l’annonce de l’arrivée prochaine d’autres unités blindées au service de la police.

Mais le renforcement de la police en armes et véhicules blindés pour faire face au banditisme a pour corollaire le dé­cuple­ment de la force répressive qui sera utilisée lors des prochains mouvements de protestation des masses populaires. La police sera mieux armée pour protéger et servir les intérêts de la classe dominante au détriment de la population.

Par ailleurs, au fur et à mesure que des têtes de bandits tombent, d’autres repoussent comme celles d’une hydre. Car la misère, le chômage demeurent les facteurs favorables à l’émergence et à l’entretien des gangs.

Les « 400 Mawozo » semblent éparpillés, mais cohabitent avec les populations tenues en otage. Ils conservent leur capacité de nuisance tant que le peuple souverain ne se décidera pas à passer à l’action pour se défaire de la tyrannie de ces bandits. Aucune institution, aucun groupe armé ne saurait remplacer les masses dans le déchouquage des bandes armées. Notre histoire, en passant par les tontons macoutes, les verts olive, les brassards rouges, les chimères, peut en témoigner.

Vie chère : quand la faim hante les foyers

Depuis plusieurs semaines, les prix en général et ceux des produits de consommation courante en particulier ne cessent de grimper sur le marché, diminuant de façon drastique le pouvoir d’achat des classes pauvres livrées à elles-mêmes. Sur fond d’insécurité généralisée, les émeutes de la faim sont à l’ordre du jour dans les discussions entre riverains des quartiers pauvres et sur les réseaux sociaux.

Les cris fusent de partout pour protester contre la vie chère. En effet, les prix du riz, du maïs, de l’huile, du hareng, des spaghettis, du lait, etc. s’envolent de façon exponentielle. Une travailleuse de la zone industrielle s’exclame : « avec 1 000 gourdes en main, je n’arrive pas à acheter pour un seul repas à donner à mes 3 enfants, alors que le salaire minimum en vigueur est de 685 gourdes. » Une autre ouvrière du Parc Sonapi constate qu’avec le même montant, elle achète deux fois moins de produits alimentaires dans la boutique du quartier. Pendant la pause repas de la mi-journée, ce sont tous les travailleurs qui expriment leur choc de constater, malgré la hausse des prix des plats, la diminution drastique de la quantité de nourriture servie. Le sachet d’eau potable, essentiel pour ceux qui passent leurs journées sous le soleil dans l’espoir de gagner leur vie, passe de 5 à 10 gourdes.

La gourde chute à une vitesse vertigineuse et entraîne dans sa course une inflation galopante et le renchérissement incessant du coût de la vie. Les prix des transports, des loyers, des médicaments, de la scolarité, des fournitures scolaires, etc. tout flambe et ce, de semaine en semaine. La moitié du salaire de la journée passe dans les frais de transports pour ceux qui n’habitent pas près de leur lieu de travail. La plupart des travailleurs, bien qu’épuisés après une longue journée, effectuent de longs trajets à pied. Les prix du transport ont presque doublé avec la crise du carburant.

De sombres prédictions pointent à l’horizon, comme celles des économistes au service des classes possédantes. Kesner Pharel prévoit que l’extrême pauvreté et la misère s’abattront sur le pays dans les jours à venir. Un chauffeur de taxi, au micro d’un journaliste, voit plus loin et plus clair que ce laquais des riches, disant : « Je sens que l’heure du soulèvement n’est pas loin ; le peuple, opprimé depuis trop longtemps, en a assez et se révoltera tôt ou tard. »

Cap-Haïtien : leurs réalités et les nôtres !

Étonnement ! Tout le monde se demande si ce qu’il a vu sur les réseaux sociaux est vraiment le Cap-Haïtien. Oui, c’est bien le Cap. Dîner en blanc, spectacles de rue, nettoyages, fresques, présentation de zones touristiques, pour ne citer que ces événements divulgués sur Internet.

Toutes les images, vidéos et les manifestations diffusées, montrant de jolies images de la ville du Cap-Haïtien, sont prises dans des endroits bien précis. Le bord de mer, à partir de la rue 24 Boulevard, allant vers Carénage où se regroupent un ensemble d’hôtels, de restaurants avec vue sur la mer et le dîner en blanc, sont des images prises à Cormier, situé au nord de la ville, dans les hauteurs sur la route partant de la rue 90 Carénage jusqu’à Labadie.

Le danger plane sur la ville, la catastrophe est imminente. Ce qui est annoncé en cas de catastrophe naturelle est à craindre. Une ville étranglée, délabrée, sale. La ville, considérée dans le temps comme un joyau historique, devient de plus en plus inhospitalière. À chaque coin de rue, sont déversés des tas d’immondices. Les habitants vivent dans l’angoisse. Il suffit d’une petite goutte de pluie pour que toute la ville soit inondée. Des zones comme Carénage, la rue 5 Boulevard, rue A. la Fossette, et beaucoup d’autres zones en dehors de la ville comme, par exemple, Blue-Hills, Petite-Anse, Shadda, Cité du peuple, Cité Chauvel, Vertières… sont toujours en alerte d’inondation.

Au centre-ville, la circulation est presque impossible, les trottoirs sont bondés de petites marchandes. Le marché de rue 9 rencontre celui de rue 3 et arrive pour l’instant jusqu’à Cité Lescot et ça continue… Pas d’eau dans les robinets, pas d’électricité ; depuis la période carnavalesque, le centre-ville est dans le noir total. Pour la nuit du 14 au 15 août, fête de la ville, les responsables ont fait une manœuvre pour éclairer la zone où il y a eu quelques activités et après, plus rien.

Dans cette ville à l’agonie et en danger, il existe donc des nantis qui, pour se faire encore plus d’argent, présentent une ville belle et accueillante à de futurs clients. Tout cela dans un contexte de misère généralisée. C’est scandaleux, mais les profiteurs ne seront pas toujours les gagnants.

DANS LES ENTREPRISES

La sous-traitance : un secteur en voie de disparition ?

Les uns après les autres, les patrons de la sous-traitance fuient leurs usines, abandonnant les travailleurs à leur sort. De 60 000 emplois directs environ générés par ce secteur d’activité dans le pays dans les années 1990, ce nombre est réduit comme peau de chagrin, passant aujourd’hui à moins de 30 000. Avec l’accélération des fermetures d’usines, c’est toute cette branche d’activité qui risque de disparaître à court terme à l’image de Michico à Cité-Soleil qui regroupait 8 usines et Parc Mews où pas moins de 12 usines fonctionnaient avant le coup d’État militaire.

Au parc Sonapi, qui regroupait à lui seul entre 12 000 et 14 000 ouvriers dans près de 60 bâtiments, il y avait en tout et pour tout seulement deux usines qui fonctionnaient le samedi 20 août dernier, jour de paye où affluent généralement une foultitude de personnes, des petits marchands, des marchands de nourriture cuite, des usuriers, des parents, des camions de transport en commun, venus grappiller quelque chose du maigre salaire des ouvriers, il n’y avait presque pas d’activités. Les larges rues du parc Sonapi, où jadis se bousculaient des centaines d’ouvriers pour se frayer un passage, étaient clairsemées.

Sur le visage des travailleurs qui sortaient, il n’y avait pas seulement l’expression de la fatigue de la journée de travail mais aussi l’angoisse, la peur de basculer dans l’horreur du chômage avec ses conséquences.

Pour l’instant, les travailleurs ne savent pas jusqu’où iront les patrons dans le démantèlement de l’ensemble des usines. Maîtres des horloges, ce sont eux qui décident. Mais les jours qui arrivent ne s’annoncent pas sous de meilleurs auspices.

Au mois de novembre de l’année dernière, les patrons de l’usine Valdor à Tabarre ont pris la poudre d’escampette, laissant sur le carreau 1 500 à 2 000 ouvriers sans un sou. Les démarches des travailleurs auprès de l’État pour se faire dédommager sont restées vaines.

Le même scénario s’est produit dans plusieurs usines au parc Sonapi. Les patrons des usines Horizon et numéro 40 chez Richard ont fui. Les groupes Wilbes, Hansaee, Lorsa MGA et MBI ont renvoyé près de 75 % de leur effectif. Ceux qui restent travaillent seulement 4 jours, voire 3, sur les 6 jours que compte la semaine. L’usine 29/30 avait déjà fermé ses portes.

Sur la zone franche dans le nord-est, officiellement, les patrons avaient annoncé le renvoi de 4 000 ouvriers mais ce nombre peut être en dessous de la réalité.

Fleuron des luttes de la classe ouvrière depuis une trentaine d’années, la disparition du secteur de la sous-traitance portera un coup fatal au moral des travailleurs, sauf si leur organisation en tant que classe et leur solidarité forment une force pour affronter l’horreur qui s’annonce.

DANS L’INTERNATIONAL

République dominicaine : l’extrême droite, vent debout contre les travailleurs haïtiens

À l’appel du maire de la ville de Santiago, Abel Martinez, et de l’institut Duarte, quelques milliers d’ultranationalistes dominicains ont gagné les rues le samedi 6 août dernier pour faire « pression sur la communauté internationale concernant le rôle qu’elle doit jouer dans la résolution de la crise », disent-ils. Mais cette marche est plutôt un cri de ralliement des extrémistes de droite dominicaine contre la classe ouvrière et les masses exploitées haïtiennes en situation difficile.

Pancartes en main, ces manifestants dénonçaient la présence d’un trop grand nombre d’Haïtiens sur leur territoire. Ils appellent leur gouvernement à intensifier la construction du barrage électrique qui a déjà démarré à la frontière haïtiano-dominicaine, afin d’empêcher l’exode massif de travailleurs haïtiens vers leur pays.

L’immigration des travailleurs haïtiens en République dominicaine s’est accentuée depuis le déferlement de la terreur des gangs armés dans le pays. Mais contrairement aux bourgeois haïtiens et à leurs valets politiciens pour qui le tapis rouge est déroulé, les autorités et l’extrême droite dominicaine présentent ces ouvriers en quête de survie comme des parias, des criminels notoires qui mettent en péril la souveraineté de leur nation.

Certes, les classes riches et le gouvernement dominicains font comme leurs semblables aux États-Unis, dans les Caraïbes et dans beaucoup de pays d’Amérique latine. Car si les discours officiels des chancelleries font mention d’une certaine empathie des autorités de ces pays, dits amis, à l’égard d’Haïti qui traverse une situation difficile de son histoire, ces dernières ne mettent pas de gants pour traquer les migrants haïtiens qui arrivent dans des conditions épouvantables et périlleuses.

En République dominicaine, tout est fait pour les pointer du doigt, pour les désigner comme les boucs émissaires à abattre. Ils sont sales, laids. Portant des haillons, ils occupent les trottoirs, ils mendient. Ils sont les premiers suspects en cas de vols, de viols et de meurtres. Arrachés dans les rues et entassés dans des camions comme des bêtes sauvages, plusieurs milliers de ces travailleurs sont expulsés chaque semaine par les autorités. Le peu qu’ils avaient est ensuite pillé.

C’est le cas aussi pour des milliers d’autres Haïtiens de condition modeste qui vivent dans le pays depuis de nombreuses décennies. Les autorités dominicaines n’ont jamais régularisé leur statut. Ainsi précarisés, ils vivent en permanence avec la peur de se voir prendre et se faire expulser sans sommation aucune.

Pourtant, les travailleurs haïtiens participent à la création de la richesse en République dominicaine. Pas seulement aujourd’hui. Depuis des dizaines d’années ils sont partout dans la production, dans les plantations de canne à sucre, dans le bâtiment, dans les supermarchés, etc. Mais comme leurs camarades ouvriers dominicains, ils ne reçoivent qu’une pitance comme salaire. L’essentiel de ces richesses grossit les profits des capitalistes dominicains et haïtiens réunis.

Ces partis, en s’en prenant aux Haïtiens, préparent aussi les attaques contre les travailleurs de Saint-Domingue. S’attaquer aux travailleurs étrangers, c’est s’attaquer à une partie de la classe ouvrière. Et les travailleurs de Saint-Domingue qui les soutiendraient préparent eux-mêmes les armes qui se retourneront contre eux demain.

Si des centaines de milliers de travailleurs haïtiens continuent de vivre en République dominicaine, c’est sans doute avec le soutien et la solidarité de la majorité des travailleurs dominicains. La bourgeoisie tente à chaque fois de les diviser pour mieux les exploiter. Espérons que cette solidarité entre frères de classe continuera car c’est unis qu’ils combattront et vaincront leurs exploiteurs.

LA VOIX DES TRAVAILLEURS – 2 OCTOBRE 2022 (extraits)

Les raisons du ras-le-bol populaire

L’explosion de colère de la population contre la vie chère, l’insécurité, la misère continue de faire des vagues dans tout le pays. La nouvelle hausse du prix des produits pétroliers par Ariel Henry, aggravant la situation des classes pauvres, a immédiatement enflammé leur colère. Mais face au cynisme de la classe dominante, la seule expression de colère ne suffit pas pour bloquer cette dernière dans son projet criminel. Les masses pauvres révoltées ont l’urgente nécessité d’organiser leurs luttes.

Avec un taux de chômage qui bat des records, la population pauvre n’a presque pas de revenus, alors qu’elle doit faire face à une inflation, officiellement de 31 %, qui rend le coût de la vie extrêmement haut. D’après l’ONU près de 6 millions de personnes sont touchées par l’insécurité alimentaire. Dans les quartiers pauvres, les services de base sont inexistants, pas de soins de santé, pas d’eau potable ; il n’y a aucun loisir.

Avant la décision du gouvernement d’augmenter de plus de 100 % les prix de tous les produits pétroliers, les classes pauvres étaient déjà aux abois. Leur situation était déjà intenable et révoltante. Et face à la terrible dégradation de leurs conditions d’existence, des manifestations avaient déjà eu lieu dans tous les départements du pays.

La misère, la vie chère, le chômage, l’insécurité avaient poussé les classes pauvres, à bout de souffle, dans la rue, pour cracher à la face de leurs exploiteurs : « Nou pa kapab ankò ». En effet, depuis 218 années, les masses n’en peuvent plus de cette misère permanente, du désespoir créé par la cupidité sans borne des classes dominantes qui pillent le pays.

Elles sont indignées du chômage, de la condition de toute une population maintenue dans l’oisiveté, la précarité et le dénuement scandaleux. Pour survivre, les masses populaires doivent surmonter chaque jour des difficultés plus graves. En s’adonnant à la débrouillardise, elles font face à des situations de pire en pire pour s’assurer une existence au jour le jour. Certaines fois c’est toute leur dignité en tant que personnes qui est menacée. De surcroît avec la barbarie des gangs, la terreur permanente qu’ils diffusent, cette existence au jour le jour se transforme en enfer.

Dans une telle situation, pour la population pauvre, la hausse des prix du carburant est un ultime coup qui menace l’existence même. D’autant que, depuis un an, les masses pauvres sont témoins du chaos que la rareté et le marché noir des produits pétroliers ont engendré et continuent d’engendrer.

Tant que l’économie est dans les mains de cette bourgeoisie décadente, les classes pauvres ne connaîtront que misère et la société que chaos et barbarie.

Bras de fer entre le gang G9 et le premier ministre sur fond de manifestations populaires

Depuis le courant du mois d’août, des manifestations populaires quasi quotidiennes contre la cherté de la vie, contre l’insécurité se tiennent dans de nombreuses villes de province. À Port-au-Prince, une manifestation a réuni plusieurs milliers de personnes le mercredi 7 septembre. Muré dans son silence depuis le début, le Premier ministre a choisi de s’adresser aux manifestants très tard dans la nuit du dimanche 11 septembre. Mais en guise d’annonces de mesures pour satisfaire les revendications exprimées, Ariel Henry a choisi de jeter de l’huile sur le feu en décidant d’augmenter de plus de 100 % les prix des produits pétroliers.

Lundi 12 septembre vers 2 PM, se rappelant ce qui s’était passé les 6 et 7 juillet 2018 contre le gouvernement de Jovenel Moïse quand il avait voulu augmenter les prix des produits pétroliers, les habitants de la capitale ont spontanément décidé de bloquer toutes les activités en érigeant des barrages sur toute la chaussée. La situation est restée ainsi pendant toute la semaine.

Mercredi 14 septembre, le chef de la fédération des gangs armés du G9, Jimmy Chérisier, dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, affirmait soutenir les revendications de la population et allait participer à sa manière à la mobilisation.

Quelques jours plus tard, l’administration de Joe Biden et le secrétaire général de l’ONU dénonçaient les manifestations comme l’émanation de la volonté des gangs armés financés par les politiciens et des oligarques du pays. Ce discours est devenu par la suite la position officielle du Premier ministre, Ariel Henry. Depuis lors, le gouvernement considère tous les manifestants comme appartenant à un gang ou comme payés par les gangs et charge la police de les réprimer.

Jeudi 15 septembre, Jimmy Cherisier revendiquait les barrages posés à l’entrée du Terminal de Vareux où sont stockés environ 95 % des réserves pétrolières du pays. Vendredi 23 septembre, apportant son soutien à un mot d’ordre de grève de 3 jours, prévue les 26, 27 et 28 septembre, un membre du groupe G9 promettait de fusiller tous ceux qui oseraient sortir pendant ces trois jours. Des passants ont été molestés, d’autres tués, sous prétexte que leur présence dans les rues nuisait à la mobilisation pour faire partir Ariel Henry.

Les masses populaires sont prises dans l’étau de deux camps qui leur sont hostiles et qui foulent aux pieds leurs droits les plus élémentaires. Mais elles doivent être aussi méfiantes à l’endroit de ces politiciens qui tentent de parvenir au pouvoir en profitant de leurs luttes.

Le chemin menant les masses exploitées vers l’amélioration de leurs conditions de vie est parsemé d’embûches. Elles peuvent se faciliter la tâche en s’organisant, en créant leur propre parti, une arme efficace pour avancer : le parti des travailleurs révolutionnaires !

1Grands propriétaires fonciers.