Elections européennes – Correspondance entre Lutte ouvrière et le NPA

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décembre 2018 - janvier 2019

Lettre du NPA envoyée à Lutte ouvrière le 2  novembre 2018

Cher·e·s camarades,

Nous avons décidé lors de notre CPN de juin dernier de vous proposer d’ouvrir des discussions en vue d’une liste communes de nos deux organisations pour les élections européennes de mai prochain (comme cela s’est déjà fait entre LO et la LCR à plusieurs reprises). Si l'on compte notre débat commun à l'université d'été du NPA, nous en sommes à quatre rencontres, et une prochaine est prévue le jeudi 8 novembre.

Ce choix, de notre part, repose sur une analyse des rapports de forces politiques actuels. La poussée réactionnaire donne à nos deux organisations des responsabilités pour oeuvrer de concert à contrer les idées xénophobes et racistes qu’elle véhicule. D’autre part ces élections seront le premier test politique après deux ans de pouvoir de Macron, deux années d’offensive généralisée contre les droits du monde du travail et de la jeunesse auxquelles nos organisations ont chacune de leur côté essayé de contribuer à faire face.

Dans ce contexte une liste commune pour faire entendre une voix anticapitaliste et internationaliste des révolutionnaires nous paraît un signal important d’une volonté d’unir les forces plutôt que de les éparpiller. Nous sommes convaincus qu’une telle liste pourrait constituer un point d’appui pour les équipes militantes avec lesquelles nous nous retrouvons dans la rue pour résister aux attaques de ce gouvernement.

Nous nous réjouissons de la réponse positive que vous avez donnée à notre proposition d’ouvrir des discussions. Nous avons fait, au cours des rencontres précédentes, le tour de la plupart des questions qui se posent à nous, points d’accords, points de divergences, de fond ou de formulation. Il est temps d’en faire le bilan et d’aller plus avant dans la discussion de ce que nous pourrions défendre ensemble dans ces élections européennes. Et comment.

Car si des désaccords subsistent, nous considérons que, dans le cadre d’une campagne électorale, il est possible de les dépasser.

 

Bilan de nos désaccords et débats

Le premier désaccord concerne le positionnement par rapport aux institutions européennes. En particulier dans le cadre d’élections européennes, nous insistons sur les éléments de rupture avec celles-ci. Cela parce que dans le cadre de la crise, les revendications sociales se confrontent au cadre d’exploitation capitaliste dont les traités et les institutions européennes sont garants, et qu’aucune politique émancipatrice ne pourrait être menée dans un tel carcan. Sans être d’accord avec ce point de vue, vous avez exprimé un accord sur le fait de dénoncer l’Union européenne comme un outil pour les bourgeoisies et les puissances impérialistes.

Le second désaccord concerne l’expression de notre solidarité par rapport aux migrantEs. C’est à notre avis une question aujourd’hui centrale dans le débat européen. Il s’agit là, nous semble-t-il, surtout d’un désaccord sur l’importance à donner à cette question dans notre campagne électorale. Au nom des intérêts politiques de notre classe, il nous semble important de mettre en bonne place l’ouverture des frontières, contre tous les protectionnismes et chauvinismes de tous bords. Au-delà, nous pensons que la question de l’Europe forteresse, de la politique des classes dirigeantes de l’Union européenne, cristallise dans la période la critique radicale que nous devons porter de la construction capitaliste de l’Europe.

Nous avons également une discussion concernant les revendications démocratiques contre tous les rapports d’oppression (droits des femmes, défense de la liberté d’orientation sexuelle, antiracisme, antifascisme, oppressions nationales…), ainsi que celles répondant à la crise écologique.

Le dernier désaccord concerne l’opposition que vous faites entre la nécessité de construire et d’appuyer les mobilisations contre le gouvernement et celle de mener une campagne « pour le communisme ». De notre côté, nous pensons qu’une campagne électorale peut et doit surtout, face aux problèmes du moment, se faire le porte-voix des luttes et contribuer à les renforcer.

Ces points sont évidemment importants, mais il nous semble qu’ils n’empêchent pas une campagne politique de nos deux organisations sur des points essentiels, et qui nous sont d’ailleurs communs, pour la défense des intérêts du monde du travail. Points sur lesquels nous pourrions trouver des formules communes. Chacune de nos deux organisations gardant néanmoins la liberté de développer ses arguments à sa manière, sans toutefois donner l’impression que nous défendrions des éléments contradictoires.

Nous résumons ci-dessous les principaux points que nous pourrions défendre ensemble, qui ne sont donc pas nos positions strictes, mais qui pourraient permettre de dépasser nos désaccords.

 

Quelle campagne européenne anticapitaliste et révolutionnaire ?

Puisqu’il s’agit d’une élection européenne, le thème général est notre opposition à cette Europe du capital qu’est l’Union européenne : une alliance des bourgeoisies et du grand patronat européens pour faire fructifier leurs affaires et coordonner leurs politiques anti-sociales. Nous lui opposerons la perspective d’une Europe des travailleurs et des peuples.

L’Union européenne et ses institutions (constituées sous la houlette des gouvernements nationaux et dominées par ceux des plus grandes puissances européennes, à commencer par ceux de la France et de l'Allemagne), sert de machine de guerre des classes dominantes des différents pays contre les classes populaires, pour mettre en concurrence les travailleurEs et tirer les droits vers le bas, pour imposer l’austérité en particulier par les politiques financières comme elles l’ont fait en Grèce par exemple. L’exemple grec le montre : pour défendre les intérêts du monde du travail, des classes populaires, une confrontation est nécessaire avec les capitalistes nationaux ainsi qu’avec l’UE, ses institutions représentant les intérêts des banquiers et grandes firmes européennes..

Nous nous opposons aussi au faux choix entre Europe libérale et repli national. Celui-ci, prôné par l’extrême droite et par tous les nationalistes, y compris ceux qui se réclament de la gauche, n’est en rien une solution, car les classes populaires ont davantage d’intérêts communs entre elles, par-delà les frontières, qu’avec les bourgeoisies de leur propre pays qui les exploitent.

Mais ces élections seront l’occasion pour les travailleurs, les jeunes, les retraités, d’exprimer, ne serait-ce que par un bulletin de vote, leur colère contre la politique menée par le gouvernement Macron. Il faut qu’ils puissent le faire sur leur propre terrain , celui de la défense des intérêts du monde du travail. Il faut dans cette campagne une opposition sur un terrain de classe.

Nous combattons Macron et son gouvernement, mandataires du patronat français qui nous exploite au quotidien. Nous mettrons en avant un programme de défense des intérêts des salariéEs, un programme pour ses luttes, en cours et à venir.

Notre campagne défendra également l’urgence d’en finir avec un système en crise profonde, sur le plan social, écologique, économique et politique. À l’offensive contre l’ensemble des acquis du monde du travail, leur nivellement par le bas ou leur liquidation, s’ajoutent le dérèglement climatique, l’assassinat des migrantEs, la montée de l’extrême droite qui devient véritablement inquiétante - l’accession au pouvoir de Jair Bolsonaro au Brésil en est le dernier avatar.

Il est urgent que le monde du travail, par ses mobilisations, ôte le pouvoir aux capitalistes pour renverser le système et construire une société solidaire, autogérée, égalitaire avec une planification écologique fondée sur les besoins sociaux, et pas sur les profits. Pour une Europe socialiste.

 

Des mesures d’urgence pour combattre la régression sociale et le système capitaliste

Dans cette campagne, nous mettons en avant un plan d’urgence pour le monde du travail, qui articule des revendications immédiates et des revendications transitoires, qui pose le problème de la propriété privée et de l’État, en un mot qui remette en cause le pouvoir des capitalistes et défende la perspective d’une Europe des travailleurEs et des peuples :

- Des mesures d’urgence sociale pour résister à la mise en concurrence des salariéEs d’un pays à l’autre : salaires (SMIC européen à 1700 euros net), temps de travail (32 heures sans perte de salaire), retraites à taux plein à 60 ans (55 pour les métiers pénibles), développement des services publics, interdiction des licenciements, annulation des dettes des États aux banques, réquisition des banques pour un monopole public bancaire, etc.

- Des mesures d’urgence antiraciste contre l’Europe forteresse, pour une solidarité internationaliste : la fin de Frontex et l’ouverture des frontières, pour la liberté de circulation et d’installation sans limite ni quota et une citoyenneté de résidence pleinement égalitaire ; contre les interventions militaires françaises, notamment en Afrique, contre les visées impérialistes de l’UE et les aventures guerrières ; pour l’unité de ceux d’en bas, du monde du travail et des peuples par-delà les frontières, seule garantie contre la division, la mise en concurrence, l’accroissement de l’exploitation...

- Des mesures d’urgence démocratiques et pour l’égalité des droits : contre les lois liberticides et répressives ; droit de vote et d’éligibilité pour touTEs ; égalité femmes-hommes ; défense du droit des femmes à disposer de leur corps (avortement et contraception) ; développement des services publics du logement, de l’éducation et de la santé…

- Des mesures d’urgence écologique pour lutter contre le réchauffement climatique et préserver les ressources : en finir avec une agriculture productiviste dans laquelle les grands trusts font la loi, imposant pour leurs profits les engrais, insecticides, ou semences les plus destructeurs (glyphosate ou autres), sortir au plus vite du nucléaire dont les dangers sont d’autant plus accrus par la course aux profits, exproprier les groupes industriels de l’énergie et des pollueurs, et mettre sous contrôle des salariéEs et des usagerEs, organisation de la population pour une planification des ressources énergétiques à l’échelle européenne.

- Enfin, dans l’Europe que nous voulons, chaque peuple doit être libre de ses choix démocratiques.

Ce programme n’est pas essentiellement électoral, c’est un programme anticapitaliste de défense des intérêts des classes populaires, et un programme pour les luttes, car seule la construction de l’unité du monde du travail et d’un rapport de forces pourra imposer ces mesures à la bourgeoisie. Nous voulons contribuer à la construction des mobilisations, les encourager les unifier sur des objectifs communs à touTEs, mettre en avant l’idée d’ une riposte d’ensemble du monde du travail, d’une grève générale pour mettre un coup d’arrêt aux attaques du gouvernement de Macron et du patronat.

Les mesures d’urgence que nous voulons porter dans cette élection sont en contradiction immédiate avec l’Europe des capitalistes, avec les politiques des États nationaux et du grand patronat. L’issue à la crise ne viendra pas des solutions institutionnelles, que ce soit au niveau national ou européen. Il faut donc poser la question de qui dirige la société, d’un pouvoir des travailleurEs et des peuples pour imposer ces mesures aux capitalistes en France, et proposer la convergence avec les autres peuples, pour renverser le système et construire une société socialiste.

L’importance d’une campagne commune des anticapitalistes et révolutionnaires

Revenons enfin sur les enjeux qui motivent à notre avis la nécessité d’une campagne commune dans le contexte d’aujourd’hui : une situation toujours plus dure pour les classes populaires ; une extrême droite faiseuse d’illusions mais de plus en plus sûre d’elle-même, et encouragée par ses succès dans divers pays ; une gauche, dont même la fraction qui se prétend la plus radicale cède à la démagogie nationaliste et anti-migrantEs.

Nous sommes de petits groupes, notre rayonnement et notre crédit ont leurs limites, ils s’exercent dans des sphères qui ne se recoupent pas entièrement (ce qui est, somme toute, un atout supplémentaire) et nous ne prétendons pas avoir aujourd'hui les moyens de changer dans l’immédiat la face du monde. Mais nous pouvons en revanche tenter de faire bouger des lignes à notre échelle.

Comment utiliser au mieux nos faibles forces ? En nous présentant chacun de notre côté à ces élections dans un contexte où il s’impose de resserrer les rangs ? Ou en concentrant nos énergies pour offrir aux travailleurEs de ce pays, à la jeunesse et plus généralement à toutes celles et ceux que les dégâts économiques, sociaux indignent, un pôle révolutionnaire, anticapitaliste, internationaliste, proposant de tout autres perspectives à notre classe, dont des perspectives de lutte ?

Nous ne sommes pas sans atouts. Nous avons des porte-paroles nationaux connus et appréciés, bien d’autres camarades, qui se sont fait connaître au fil des ans, en tant que militantEs et salariéEs combatifs et porteurs d’un idéal d’émancipation, qui ont participé à des luttes, et pour certainEs les ont dirigées.

Une campagne commune serait l'occasion de faire entendre notre voix plus fortement, en avançant une demi-douzaine d’axes généraux qui nous sont communs. Et l’argument parfois avancé, selon lequel les candidatures séparées permettraient de totaliser des minutes d’antenne, semble peu de circonstance.

Il va y avoir aussi des problèmes matériels à débattre entre nous : problèmes de financement, de choix de candidates et candidats, d’organisation de futurs meetings, de réflexion sur une profession de foi…

Mais c’est d’abord un choix politique qu’il s'agit d'effectuer. Et à nos yeux il s’impose, si nous voulons donner confiance à toutes celles et tous ceux qui, quand bien même ils auraient cédé à la tentation du « vote utile » pour Mélenchon, ont écouté ces dernières années nos idées avec sympathie, notamment lors de la dernière présidentielle.

Le Comité exécutif du NPA

 

Réponse de Lutte ouvrière au NPA

Pantin, le 13 novembre 2018,

Chers camarades,

Nous avons bien reçu votre courrier du 2 novembre mettant par écrit le bilan que vous faites de nos désaccords ainsi que les axes politiques qui pourraient être ceux d’une campagne commune selon vous.

En juin dernier, nous avons accepté votre proposition d’ouvrir des discussions autour des objectifs que nos organisations respectives se fixaient pour les prochaines élections européennes de mai 2018. Nous vous avons dit dès le début de nos rencontres que nous voulions mener, non pas une campagne « pour le communisme » comme vous l’écrivez dans votre dernier courrier, mais une campagne communiste. C’est en communistes, en trotskystes, que nous voulons nous adresser aux travailleurs.

Le contexte de crise profonde du système capitaliste met de fait les travailleurs devant des responsabilités politiques majeures. Et la préoccupation des communistes révolutionnaires doit être de contribuer à les y préparer. En même temps que les travailleurs doivent se battre pour leurs besoins immédiats, pour ne pas se laisser broyer par les attaques de la classe capitaliste et de son État, en même temps qu’ils doivent retrouver le chemin des luttes collectives pour défendre leurs conditions d’existence, ils doivent se préparer à combattre les forces d’extrême droite qui se sont développées, sont arrivées au pouvoir dans plusieurs pays et pourraient engendrer des mouvements véritablement fascistes. Or, la conscience de classe du prolétariat est terriblement en retard sur les nécessités de la période actuelle.

Le fait que les idées d’extrême droite aient réussi à contaminer une partie de la classe ouvrière est une des expressions les plus dangereuses de ce retard. En France, le parti socialiste et le parti communiste portent une responsabilité écrasante dans cette situation. Pendant des dizaines d’années, ils ont défendu l’idée que la seule perspective pour les travailleurs était que la gauche arrive au pouvoir. Les désillusions engendrées par les multiples trahisons de celle-ci ont ouvert un boulevard à l’extrême droite. Et sa diabolisation, que les politiciens de gauche ont utilisée comme moyen de chantage envers leurs électeurs écœurés pour les forcer à continuer à voter pour eux, a renforcé l’audience de l’extrême droite auprès de certains travailleurs. Cette diabolisation a permis au Front national d’apparaître comme « antisystème ». La politique du Parti communiste a aussi préparé le terrain aux idées d’extrême droite dans la classe ouvrière en abandonnant les idées internationalistes et en véhiculant depuis très longtemps les préjugés nationalistes. Au point que les discours chauvins du Front national n’apparaissent pas si différents à certains ouvriers que ce qu’ils pouvaient parfois entendre de la part du PC.

Et pour prendre un exemple d’actualité, l’agitation autour des hausses des prix des carburants et la journée de blocage prévue le 17 novembre sont aussi révélatrices de la perte de repères de classe. L’émotion autour de ces hausses agit comme un révélateur d’un mécontentement général sur les salaires, les retraites, les conditions de travail, les menaces de licenciements et bien d’autres choses. Les travailleurs ont toutes les raisons d’en profiter pour se mobiliser en mettant en avant leurs revendications, à commencer par des augmentations de salaires et l’échelle mobile des salaires. Mais les petits patrons, ceux du BTP et ceux du transport, donnent aussi de la voix. Et bien des exploités ne sont pas conscients des différences d’intérêts entre eux et ce petit patronat, et de la nécessité de faire entendre leurs propres revendications en tant que travailleurs. Les confédérations syndicales de salariés ne cherchent pas du tout à organiser cette lutte. Elles se défaussent. Mais le fait que les travailleurs ne puissent compter sur aucune des directions de ces confédérations pour représenter leurs intérêts de classe constitue précisément un des obstacles qu’ils doivent surmonter.

La classe ouvrière a un besoin vital de construire un parti regroupant des dizaines de milliers de travailleurs derrière son programme révolutionnaire, et capable de représenter ses intérêts politiques propres face à toutes les politiques bourgeoises de cette époque du capitalisme pourrissant. Même si la conscience de classe des travailleurs est très loin d’être au niveau de ce qu’il faudrait, nous devons leur dire la vérité sur les dangers de la situation actuelle. Il faut trouver les moyens de lier l’état d’esprit actuel des larges masses ouvrières et populaires aux nécessités objectives de l’heure, comme Trotsky le présentait en 1938 dans le Programme de transition, dans une situation ayant bien des similitudes avec celle que nous vivons aujourd’hui. C’est la seule façon de préparer politiquement les travailleurs les plus conscients au rôle qu’ils auront à jouer dans les combats à venir. C’est cette politique-là que nous voulons mener, notamment dans ces élections européennes.

De votre côté, vous nous avez exposé les axes politiques qui vous semblaient essentiels. Pour résumer très brièvement votre point de vue, nous pouvons citer un extrait d’un de vos articles, publié dans l’édition du 6 septembre 2018 de votre hebdomadaire L’Anticapitaliste : « Nous sommes favorables à des listes communes de nos organisations, mais à condition que le contenu défendu par ces listes réponde aux enjeux de la période, contre Macron, l’UE et pour les migrantEs. »

Dès le départ, la différence de nature même entre nos deux perspectives était manifeste. Cela ne nous a pas empêchés de discuter, y compris devant votre public lors de votre université d’été. Nous tenons aussi à répondre à certains arguments de votre dernier courrier qui, même s’il est formulé de façon à amoindrir les désaccords, montre que vous et nous ne voulons vraiment pas faire la même campagne.

Dans votre texte, vous commencez l’exposé de ce qui pourrait être une campagne commune par une dénonciation de l’Union européenne et de ses institutions. Vous écrivez :

                « Puisqu’il s’agit d’une élection européenne, le thème général est notre opposition à cette Europe du capital qu’est l’Union européenne : une alliance des bourgeoisies et du grand patronat européens pour faire fructifier leurs affaires et coordonner leurs politiques anti-sociales. Nous lui opposerons la perspective d’une Europe des travailleurEs et des peuples.

                L’Union européenne et ses institutions (constituées sous la houlette des gouvernements nationaux et dominées par ceux des plus grandes puissances européennes, à commencer par ceux de la France et de l’Allemagne), sert de machine de guerre des classes dominantes des différents pays contre les classes populaires, pour mettre en concurrence les travailleurEs et tirer les droits vers le bas, pour imposer l’austérité par les politiques financières comme elles l’ont fait en Grèce par exemple. L’exemple grec le montre : pour défendre les intérêts du monde du travail, des classes populaires, une confrontation est nécessaire avec les capitalistes nationaux ainsi qu’avec l’UE, ses institutions représentant les intérêts des banquiers et des grandes firmes. »

Même si nous partageons toute une partie de ce qui est écrit-là, il y a des points fondamentaux sur lesquels nous sommes profondément en désaccord. Ainsi, donner aux institutions européennes une responsabilité prépondérante dans les attaques menées contre les travailleurs et les couches populaires en Europe est une tromperie. C’est d’abord le grand patronat, au sein duquel la crise économique a exacerbé les rivalités, qui mène une guerre féroce contre les exploités. Ce sont d’abord les États nationaux qui, tout en encadrant cette guerre sociale, la mènent pour le compte de la bourgeoisie. Ce sont d’abord les policiers et les gendarmes de leur propre État auxquels les travailleurs ont à faire face.

L’Union européenne est une association partielle et conflictuelle d’États impérialistes. Elle a servi de cadre à leurs rivalités et à leur domination sur les autres pays européens. Elle a aussi relayé leurs offensives contre les travailleurs. Mais aucune bourgeoisie n’a attendu après les institutions de l’Union européenne pour mener ses attaques contre la classe ouvrière. Si les institutions européennes ont mis à genoux la Grèce, c’est en tant que huissier agissant pour le compte des banques allemandes, françaises et britanniques. Et montrer du doigt l’huissier plutôt que ceux pour lesquels il accomplit sa sale besogne, c’est une diversion. C’est même une diversion dans un sens réactionnaire, celui du nationalisme véhiculé de longue date par Mélenchon et d’encore plus longue date par le PCF.

Le fait que vous ajoutiez qu’il faut aussi combattre le « faux choix entre Europe libérale et repli national » n’y change rien. La campagne électorale, qui a pratiquement déjà commencé, montre que celle-ci sera dominée par l’affrontement entre les pro et les anti Union européenne. Dans ce concert général de mensonges des partis bourgeois, s’exprimer comme vous le suggérez ne sera entendu que comme une participation « d’extrême gauche » au camp anti Europe. Vous écrivez vous-mêmes qu’ « il faut dans cette campagne une opposition sur un terrain de classe », mais vous commencez par fouler au pied toute expression de classe indépendante en vous ralliant dans les faits, consciemment ou pas, à un des camps de cette opposition entre partis bourgeois.

Oui, il faut « une opposition sur un terrain de classe ». Encore faut-il qu’elle soit explicitement exprimée. Or, vous proposez « une campagne commune [qui] serait l’occasion de faire entendre notre voix en avançant une demi-douzaine d’axes généraux qui nous sont communs ». Et vous faites une liste de revendications où vous mettez sur le même plan l’interdiction des licenciements et la réquisition des banques, avec toute une série de revendications comme la fin de l’agriculture productive, la fin du nucléaire, le droit à l’avortement et à la contraception…

En noyant au milieu de revendications sociétales des revendications fondamentales pour la classe ouvrière, vous rendez complètement inaudible leur perspective révolutionnaire. Les revendications transitoires, tirées du Programme de transition de Trotsky, doivent être un pont entre les problèmes actuels concrets des exploités et la nécessité du renversement de la bourgeoisie. Elles doivent mener « invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat. » comme l’écrivait Trotsky. Dans votre longue énumération fourre-tout, elles sont dénaturées, transformées en revendications réformistes. Comme si elles pouvaient être réalisables dans le cadre du capitalisme, alors qu’elles doivent au contraire permettre aux travailleurs de prendre conscience de la nécessité de son renversement.

Vous écrivez aussi que, « au nom des intérêts politiques de notre classe, il nous semble important de mettre en bonne place l’ouverture des frontières, contre tous les protectionnismes et chauvinismes de tous bords ». Mais concrètement, ce que vous proposez c’est de revendiquer  « la fin de Frontex et l’ouverture des frontières », « la liberté de circulation et d’installation sans limite ni quota et une citoyenneté de résidence pleinement égalitaire ». Nous partageons ces revendications. Nous l’avons exprimé en prenant position à de nombreuses reprises, et d’abord dans nos bulletins d’entreprise. Nous avons aussi manifesté pour les faire entendre. Mais nous n’avons jamais pour autant présenté ces revendications comme des revendications de classe. Il s’agit de revendications démocratiques qui tiennent de l’humanisme de base.

Si la société bourgeoise actuelle emprisonne les migrants et dresse des barbelés partout en Europe pour les empêcher de circuler, alors qu’au début du XXe siècle les travailleurs pouvaient se déplacer d’un pays à l’autre sans papiers, c’est parce que cette société est en pleine putréfaction et qu’elle ne peut se maintenir qu’en renforçant les forces les plus rétrogrades. Pour notre part, nous ne nous limitons pas à la dénonciation de la politique anti-migrants du gouvernement français et des États européens. Nous voulons dénoncer l’évolution réactionnaire générale dont le sort des migrants est un aspect. Et nous tenons aussi à dire que la classe ouvrière est la seule force sociale capable d’opposer à cette régression une tout autre perspective : le renversement révolutionnaire de la bourgeoisie. Nous n’avons pas la naïveté de croire qu’affirmer cela améliorera le sort des migrants. Mais se cantonner à une propagande humaniste ne le fera pas plus.

Vous concluez votre texte en écrivant que la nécessité d’une liste commune s’impose pour « donner confiance à toutes celles et tous ceux qui, quand bien même ils auraient cédé à la tentation du « vote utile » pour Mélenchon, ont écouté ces dernières années nos idées avec sympathie, notamment lors de la dernière présidentielle ».

Il est certain qu’un grand nombre de travailleurs ont voté pour Mélenchon, et qu’une partie d’entre eux a été touchée par la campagne de Nathalie Arthaud et par celle de Philippe Poutou à l’élection présidentielle de 2017, même si nos deux campagnes ont été aussi différentes que le seraient celles que nous mènerions chacun de notre côté aux prochaines élections européennes. Mais le seul moyen de tenter de gagner ces travailleurs est justement de leur parler un langage lutte de classe, en montrant qu’il existe un courant portant ces idées-là, même s’il est faible. Reprendre par opportunisme une partie des idées anti-Union européenne ne peut qu’aider un démagogue comme Mélenchon à garder son influence sur ces travailleurs. C’est pourtant bien ce que vous vous préparez à faire, si l’on en croît ce que vous écrivez dans L’Anticapitaliste du 8 novembre, dans l’article annonçant la souscription pour votre prochaine campagne : « Si l’on veut un tant soit peu défendre une politique rompant avec l’austérité, il faut être prêt à aller jusqu’au bout, c’est-à-dire la rupture avec l’Europe capitaliste, ses traités et ses institutions ».

Nos désaccords ne datent pas d’aujourd’hui. Nous vivons une existence organisationnelle séparée depuis très longtemps parce que nous n’avons pas la même conception de comment construire le parti révolutionnaire nécessaire aux exploités. Ces divergences ne nous ont pas empêchés de faire des listes communes dans le passé, comme aux élections européennes de 1979, 1999 et 2004 ainsi qu’aux régionales de 2004. C’était avec la LCR, et il s’agissait donc, comme nous le relevions à l’époque, de campagnes communes de deux organisations se réclamant du trotskysme. Ce n’est pas négligeable car le trotskysme est pour nous le seul programme révolutionnaire prolétarien possible. Le passage de la LCR au NPA a signifié l’abandon de cette référence.

Mais même quand votre organisation se revendiquait trotskyste, nous l’avons bien souvent critiquée sur le fait que sa politique ne l’était pas. Nous ne prendrons qu’un exemple lié à l’actualité, celui du Brésil où l’extrême droite vient d’accéder à la présidence du pays en profitant de la démoralisation des couches populaires après les multiples trahisons du Parti des travailleurs de Lula. A l’époque où les militants brésiliens, du courant international auquel se rattachait la LCR, étaient une composante du Parti des travailleurs  et où l’un d’eux a même été ministre de Lula- et où, au lieu d’armer les travailleurs contre les illusions que Lula suscitait, votre courant contribuait à son échelle à les répandre,  vous vous réclamiez encore du trotskysme. Aujourd’hui, des années après, ceux d’entre vous qui au NPA se réclament encore de ce courant international constatent que « l’évolution du PT brésilien n’a finalement mené nulle part » comme on peut le lire dans un texte du dernier congrès de votre regroupement international. Toute cette politique est passée au compte des pertes et  profits, sans que la moindre leçon en soit tirée.

Si nous ne voyons pas comment concevoir une campagne commune, c’est surtout parce que la situation a fondamentalement changé. L’aggravation de la crise, toutes ses conséquences politiques et le manque de repères de classe des travailleurs nous imposent de lever notre drapeau communiste révolutionnaire, d’affirmer la fidélité à nos idées et l’entièreté de notre programme, sans en brouiller le contenu. Cette tâche fait partie de notre combat pour la construction d’un parti communiste révolutionnaire. Et si la situation est lourde de menaces, elle ouvre aussi des possibilités. La classe ouvrière prend de plus en plus conscience de la gravité de la crise, et il est d’autant plus nécessaire qu’elle puisse trouver le chemin vers les idées révolutionnaires.

Notre tâche est de parler le langage de classe le plus clair possible et de populariser autant que nous le pouvons le programme révolutionnaire du prolétariat, qui relie les besoins immédiats des exploités à la nécessité du renversement du pouvoir politique de la bourgeoisie et de son expropriation. Si les travailleurs ne veulent pas être écrasés, ils devront se battre pour leurs intérêts de classe, et cela implique de remettre en cause la domination du grand capital. Voilà ce que nous tenons absolument à exprimer dans ces élections.

Si Lutte ouvrière et le NPA en viennent à présenter chacun une liste aux prochaines élections européennes, cela permettra une expression libre et complète de chacune de nos organisations. Comme à chaque fois que nous participons séparément à des élections, cela permettra aussi aux travailleurs les plus conscients de connaître les divergences qui existent entre nous et de choisir en connaissance de cause. Evidemment, nous ne ferons pas campagne contre le NPA, ni ne chercherons à polémiquer avec vos axes de campagne.

Et dans cette période de reculs réactionnaires, cela ne nous empêchera pas d’agir en commun avec vous et aussi avec d’autres pour affirmer notre opposition aux attaques contre la classe ouvrière, à celles contre les migrants ou encore sur d’autres terrains.

Pour le CE de Lutte ouvrière,

Pierre Royan