En conclusion du congrès de 2014

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janvier-février 2015

Tout laisse prévoir que la crise de l'économie capitaliste se poursuivra. Et rien que de ce fait, elle s'aggravera.

Cela signifie que la situation peut empirer. Car, si aujourd'hui la production industrielle stagne ou recule de 2 % ou 3 % par an, rappelons que, pendant la première période de la Grande Dépression, c'est-à-dire entre 1929 et 1932, elle a reculé tous les ans de plus de 15 % en Allemagne et de près de 20 % aux États-Unis. Même en France, qui a été atteinte un peu plus tard par la crise et un peu moins frappée, le recul a été de près de 10 % par an pendant trois ans. Puis l'économie reprit péniblement entre 1932 et 1937 avant de chuter de nouveau de 22 % entre 1937 et 1938 aux États-Unis. La production manufacturière n'a été de nouveau en croissance à ce moment-là que dans la seule Allemagne, pour ce qui est des pays capitalistes. Mais déjà grâce principalement à l'industrie de guerre.

La part des investissements dans le produit national s'était effondrée de 50 % entre 1929 et 1933, aux États-Unis comme en Allemagne. En France, jusqu'à la guerre, elle n'était pas revenue au niveau de la fin des années 1920.

Alors, aujourd'hui ?

La prolongation de la « Longue Dépression » de notre époque est une certitude. Et à cette certitude s'ajoute la menace de l'effondrement financier brutal. Nous ne pouvons pas plus en prédire le moment que quiconque.

À considérer les plus de quarante ans qui se sont écoulés depuis les premiers graves soubresauts de l'économie capitaliste au début des années 1970 - crise du système monétaire international, crise du pétrole, premier recul de la production à l'échelle mondiale - le mot « crise » devient impropre par rapport à l'ensemble de la période. Il s'agit du mode de fonctionnement du capitalisme de notre époque, un fonctionnement fait d'une succession de périodes de stagnation et de reculs de la production, marquée par le développement cancéreux de la finance.

Ce sont les soubresauts de la crise elle-même qui seront décisifs pour l'évolution de la situation sociale et politique. C'est une aggravation, et à plus forte raison une aggravation brutale de la crise, qui peut pousser les classes sociales à se mettre à agir et à donner à la lutte de classe un caractère bien plus aigu, bien plus âpre.

L'évolution prévisible de la situation sociale et politique

On a exprimé tout au long de l'année, dans notre presse ou dans nos meetings, que la politique de Hollande n'est pas due à sa seule inclination pour une politique que les « frondeurs » du PS ou le PC appellent « sociale libérale », mais au fait qu'elle correspond aux exigences de la bourgeoisie.

Hollande a pu récemment jurer ses grands dieux qu'il n'y aurait pas plus d'impôts l'année prochaine. Il y en aura, bien sûr, et sous des formes multiples, frappant essentiellement les classes populaires : il faut bien boucler le budget, tout en payant les intérêts au système financier, et plus encore si on y ajoute une politique de grands travaux, d'investissements directs par l'État !

Ces mesures frapperont tout un tas de catégories qu'on voit déjà réagir : notaires, pharmaciens, huissiers, propriétaires de cliniques privées et plus encore paysans, routiers, et tout récemment des petits patrons en tout genre, etc. Des agitations sociales se multiplieront en se diversifiant.

Les réactions de telle ou telle catégorie de la petite bourgeoisie sont le plus souvent des réponses à des mesures prises par le gouvernement à leur encontre. Ces mesures continueront.

Mais il n'y a pas que les mesures gouvernementales. Les mécanismes de l'économie capitaliste en période de crise, c'est-à-dire lorsque les marchés se restreignent, rendent plus âpre la concurrence entre les grandes sociétés capitalistes et les petites entreprises, c'est-à-dire entre la grande et la petite bourgeoisie.

On parle beaucoup ces temps-ci de la guerre des prix entre les grandes chaînes commerciales. Plus le pouvoir d'achat des classes populaires baisse, plus les grandes chaînes commerciales qui s'adressent à ces couches populaires s'efforceront de conquérir de nouveaux clients, les unes au détriment des autres.

Cette guerre des prix entre chaînes de distribution les amène à tenter de réduire les marges de leurs fournisseurs. Parmi ceux-ci, les uns, grandes entreprises industrielles, ont les moyens de se défendre ; d'autres, petits industriels, artisans et surtout paysans ou transporteurs, subissent une pression croissante de la grande distribution capitaliste.

Et puis, dans les périodes fastes de l'économie, les grandes chaînes commerciales voyaient surtout des avantages à s'entourer de boutiques qui les aidaient à attirer les clients. Le principe des centres commerciaux est basé sur une certaine complémentarité qui est de plus en plus malmenée par la guerre des prix. Se multiplient à la télévision les reportages sur les boutiques d'habillement, notamment, obligées de fermer leurs portes car leurs prix sont plus élevés que ceux des grandes chaînes. À plus forte raison, les boutiques du centre des petites villes ont de plus en plus de mal à survivre.

Même si le gouvernement n'y est pour rien, le mécontentement de ces catégories sera d'autant plus orienté contre lui qu'il se prétend socialiste ou de gauche. Et, pire encore, comme la gauche est présumée être plus favorable aux salariés, l'hostilité de ces catégories contre le gouvernement se transformera facilement en hostilité envers les salariés (du style : ceux-là, ils ont leur salaire, alors que j'ai le fisc, les tracasseries administratives, sans parler des fonctionnaires fainéants, etc.).

La progression du Front national

C'est là que je voudrais faire un aparté concernant la montée du FN et de son influence dans le monde du travail, et en particulier parmi ceux qui, dans le passé, votaient pour le PS ou le PC.

Pour le moment, comme il a été dit, la montée du FN est surtout électorale. Pour le moment. Mais comment pourraient évoluer les choses dans l'avenir en fonction de la gravité de la crise ?

Ceux qui votent pour le Front national ne font, pour le moment, que voter. On peut discuter 106 ans pour savoir jusqu'à quel point le vote de protestation s'est transformé en vote de conviction. De conviction par rapport à quoi ? À la démagogie du FN contre les immigrés ? Ou vis-à-vis de l'Europe ? Oui, bien sûr, le FN s'appuie sur des préjugés, les uns stupides comme ceux qui accusent l'Europe ou l'euro d'être responsables de la crise, les autres franchement nuisibles tels que ceux envers les travailleurs étrangers.

Mais, finalement, ce qui est le plus efficace sur le plan démagogique pour le FN, c'est de laisser parler les autres. Plus le PS au pouvoir agit, plus la droite parlementaire s'agite, moins Marine Le Pen a besoin de parler. Ce sont les grands partis qui alimentent le fonds de commerce du FN, dont le meilleur argument est qu'il n'a rien à voir avec les autres et qu'eux et lui n'ont jamais gouverné ensemble.

La nouveauté de la période, c'est que l'influence électorale de l'extrême droite s'accroît dans le monde ouvrier.

Pour le moment, nous sommes surtout confrontés à cet aspect des choses dans les entreprises ou dans les caravanes : d'anciens électeurs du PS ou du PC envisagent de donner leur voix au FN.

« L'écho électoral que trouve Marine Le Pen est en quelque sorte le dernier avatar des illusions électoralistes dans la classe ouvrière » ; Marine Le Pen, « celle qu'on n'a jamais essayée », avons-nous écrit dans le texte de congrès.

Là encore, les causes de cette évolution sont parfaitement connues. Et le fait que nombre d'ouvriers ne soient plus choqués par la démagogie de Le Pen, voire reprennent ses arguments racistes, xénophobes, témoigne, comme on le dit dans le texte, « tout à la fois d'un rejet violent du PS au pouvoir et d'une dépolitisation profonde ».

Grande a été la responsabilité de la gauche au pouvoir dans le passé, et elle l'est encore dans le présent. Même lorsque la gauche réformiste au pouvoir prétend combattre le Front national, elle le renforce. Au-delà de sa politique antiouvrière, elle le renforce par l'arrogance sociale de ces messieurs-dames les ministres socialistes, les députés ou maires de grandes villes et autre notables.

Cette arrogance sociale est liée au fait que les dirigeants des grands partis réformistes, c'est-à-dire ceux du PS ou des Verts, mais même ceux du PC quoique de façon plus indirecte, sont, par leur intégration dans les institutions de la bourgeoisie, formatés, dressés contre les exploités, les chômeurs, les pauvres, et plus généralement contre les petites gens. Leur arrogance reflète en dernier ressort l'arrogance sociale de la petite bourgeoisie qui se considère de gauche - la base sociale du PS - vis-à-vis de la classe ouvrière.

Petite parenthèse à propos de cette arrogance : on peut constater, avec les affaires de Lepaon, comment elle déteint aussi sur les sommets de la bureaucratie syndicale.

Et l'arrogance sociale des dirigeants de la gauche se prolonge d'autant plus facilement sur le terrain politique qu'ils sont bien obligés de présenter leur politique antiouvrière comme la seule possible et de prétendre que ceux qui ne comprennent pas cela sont forcément des sots. À plus forte raison, ceux des travailleurs ou des pauvres qui regardent vers le FN !

Quand on y pense, même les qualificatifs « populisme, populiste » employés à l'égard du FN sont l'expression d'un mépris social.

Le comble, c'est que cette extrême droite, qui est, par nature, par ses objectifs politiques, violemment anticommuniste, violemment antiouvrière, puisse passer aujourd'hui aux yeux d'un certain nombre d'exploités ou de chômeurs eux-mêmes pour être plus proche du petit peuple que le PS, et même que le PC (ne serait-ce que parce qu'il fait partie de la « gauche »).

Par rapport à nos tâches d'aujourd'hui, nous avons insisté sur le fait que notre expérience militante, pour limitée qu'elle soit étant donné nos forces, montre cependant que les travailleurs influencés par le FN le sont pour l'essentiel par désorientation, perte de repères, ce dont sont responsables les partis dans lesquels ils se reconnaissaient avant. Il est encore possible, s'agissant d'individus, de contrecarrer cette évolution en militant pour une perspective radicalement opposée à celle du FN et des autres partis, qui défendent le maintien de l'ordre capitaliste. S'opposer cependant à la « résistible ascension » même simplement électorale du FN et, à plus forte raison, empêcher que son influence sorte du terrain électoral, dépend de l'évolution ultérieure de la lutte de classe, et de la rapidité avec laquelle la classe ouvrière retrouvera confiance en sa force et conscience de ses tâches politiques.

Qu'est-ce que nous voulons dire par là ?

Nous sommes dans une situation qui paraît paradoxale. D'un côté, l'extrême droite réalise des scores électoraux comme on n'en a pratiquement jamais connu depuis la guerre.

D'un autre côté, on ne constate cependant pas d'agressions physiques contre le mouvement ouvrier, ou très peu. Et, pour ce qui concerne notre activité à sa petite échelle, nos militants, quand ils vendent notre journal, subissent bien moins souvent des agressions venant de l'extrême droite que n'en subissaient les vendeurs de L'Humanité au début des années 1950 au temps du RPF. Et plus généralement, pour le moment, nos caravanes se déroulent sans autres agressions que verbales, et de temps en temps des tracts froissés.

Cette situation n'est paradoxale qu'en apparence. Sa raison profonde dépasse le petit jeu actuel du FN, et elle peut changer rapidement. Car le fond du problème est qu'à l'étape actuelle de la crise, aucune classe, aucune catégorie sociale ne cherche encore une solution radicale. Je n'insiste pas sur notre classe, la classe ouvrière. Même lorsqu'elle réagit face à une fermeture d'usine par exemple, elle peut être amenée à le faire par des méthodes violentes, mais elle ne cherche pas de solution radicale pour la société. Et c'est à comparer avec les réactions radicales de la classe ouvrière dans les années 1935-1936, des États-Unis à juin 1936 en France, sans même parler de la situation révolutionnaire en Espagne.

Mais les catégories petites-bourgeoises, elles non plus, ne cherchent pas de solution radicale, même lorsqu'elles se retrouvent dans les idées réactionnaires du FN. Leur mécontentement, leurs frustrations s'expriment par le vote FN ou par des manifestations du style de celles contre le mariage pour tous. Défiler en famille, avec des enfants portant des pancartes « On veut un papa et une maman », est une chose. Mais la nature de ces manifestants n'a encore rien à voir avec les meutes d'extrême droite partant à l'assaut de l'Assemblée nationale en février 1934 et encore moins avec les défilés de dizaines de milliers de SA en uniforme dans les rues de Berlin, bien avant l'arrivée d'Hitler au pouvoir.

Mais ce qu'une aggravation de la crise peut provoquer, c'est précisément une exaspération qui pousse à la recherche de solutions radicales.

Ne discutons pas du jeu politique de Marine Le Pen qui, pour le moment, désire surtout canaliser son influence électorale pour s'intégrer dans le jeu politique institutionnel. Bien sûr, elle-même peut changer de jeu et effacer son côté BCBG pour tenter d'attirer cette fraction de la petite bourgeoisie qui, au fil du temps, sera de plus en plus atteinte par les conséquences de la crise.

Mais, indépendamment du choix que fera ou pas Marine Le Pen, il y a dans la mouvance du FN des groupes ou des sous-groupes franchement fascisants, des groupes qui s'abritent dans et autour du FN qui leur offre un terrain plein d'empathie sur le plan des idées réactionnaires et éventuellement un milieu de recrutement. Pour passer à l'action, ces groupes ont besoin de forces qui, ne se contentant pas de voter, ont l'envie et la volonté d'agir, et c'est cela qui leur manque pour le moment.

Des dizaines de milliers de réactionnaires, de calotins, qui ont rempli les manifestations contre le mariage pour tous, votent à droite ou à l'extrême droite. S'ils sont prêts à voter ou à manifester, ils ne le sont pas à agir, ou, en tout cas, ils n'y sont pas encore acculés.

Le FN attire pour le moment des politiciens de droite qui ne veulent pas louper le bon train pour se faire élire ou des petits arrivistes minables du genre de celui qui est devenu maire de Hayange, mais pas ou pas encore de gens qui sont prêts à la violence contre le mouvement ouvrier (d'autant moins que celui-ci ne se manifeste pratiquement pas). Ni même prêts à user de violence contre des boucs émissaires inventés pour les besoins de la cause, comme les Roms par exemple.

C'est là où l'aggravation de la crise peut fournir un milieu de recrutement pour un certain type de militants, comme on le voit en Grèce ou en Hongrie. Mais, même là-bas, à une petite échelle encore.

Lors de la montée en puissance de nazis en Allemagne, ils avaient en face d'eux un PC et même un PS puissants dans les entreprises comme dans la rue. En Italie, les groupes fascistes avaient émergé face à un mouvement gréviste explosif de la classe ouvrière. Encore une fois, on n'est pas, ou pas encore, dans cette situation, mais elle peut se créer très brutalement.

Dans un autre ordre d'idées, parlons aussi du communautarisme. La montée du FN favorise de façon symétrique la montée du repliement communautaire. Mais, en plus, disons bien qu'il ne s'agit pas seulement de phénomènes symétriques dans le sens qu'ils s'excluent l'un l'autre.

Le communautarisme peut se mélanger à la voyoucratie et se mettre au service de la droite et même de l'extrême droite. Rappelons que cela fait belle lurette que Dassault et ses sous-fifres tiennent la ville de Corbeil-Essonnes en s'appuyant sur ces voyous de communautés diverses.

La montée du FN aussi bien que celle de l'influence communautariste représentent une menace pour le mouvement ouvrier.

Au stade actuel, s'opposer à l'une comme à l'autre ce n'est pas afficher de façon démonstrative notre hostilité à leur égard et, par là même, apporter notre petite contribution à leur crédibilisation. Il faut s'adresser aux nôtres, aux exploités, même à ceux qui sont désorientés au point de loucher vers les forces réactionnaires, au nom des idées de la lutte de classe, au nom d'une politique pour la classe ouvrière, pour le camp des travailleurs. Pour illustrer ce que je viens de dire, l'appel du NPA à manifester contre la tenue du congrès du FN le week-end dernier à Lyon, au mieux est un non-événement, au pire apporte du crédit au FN. Jouer les victimes, passer pour un parti attaqué par tout le monde, a toujours réussi au Front national.

À propos du PCF

Quelques mots sur le PC. Nous avons eu l'occasion de nous expliquer à bien des reprises dans notre journal et dans des textes de congrès sur l'absence de perspective de ses dirigeants politiques. Pour paraphraser Marx, ils recommencent sous forme de farce leur politique antérieure aux conséquences tragiques pour le monde du travail.

La direction du PC a démoli son parti, en pleine connaissance de cause, en se faisant le rabatteur pour le compte de Mitterrand. Et maintenant elle se prépare à faire de ses militants des rabatteurs pour on ne sait qui. L'étoile de Mélenchon étant pâlie, le moins qu'on puisse dire c'est que, parmi les frondeurs du PS, il n'y aucun astre qui a l'air de surgir.

Pour autant qu'on puisse le savoir, la perspective offerte par la direction du PC ne provoque pas un enthousiasme débordant du côté des militants. La très grande majorité d'entre eux votent depuis des années avec leurs pieds contre la politique de leur parti. Parmi ceux qui restent et que nous continuons à côtoyer dans les entreprises, dans les syndicats, même ceux qui critiquent la politique passée le font sous l'angle du suivisme à l'égard du PS. Ils ont raison, mais ce n'est qu'une partie de la réalité.

Le fond du problème n'est pas que le PC soit suiviste par rapport au PS, c'est qu'il est lui-même devenu aussi profondément, aussi irrémédiablement réformiste que le PS. C'est un fait pour ce qui est de la direction et de l'appareil. Mais c'est vrai aussi, dans une large mesure, pour les militants qui sont eux-mêmes réformistes, électoralistes et qui ne voient un changement dans la situation de la classe ouvrière que par les élections. (...)

Le PC n'est plus stalinien au sens que ce terme avait il y a quelques décennies. Il a cependant hérité du stalinisme tout un tas de pratiques, de comportements et d'idées, et avant tout une profonde méfiance envers la classe ouvrière elle-même.

Une des caractéristiques de la bureaucratie, aussi bien syndicale que celle, à une toute autre échelle, de l'Union soviétique, c'est la vision élitiste d'elle-même, c'est la conviction que eux ne sont pas seulement des représentants de la classe ouvrière mais qu'ils sont la classe ouvrière ; c'est aussi l'hostilité de la bureaucratie aux travailleurs non organisés.

Une des expressions de cette méfiance, de cette hostilité, est le comportement des bureaucrates syndicaux à l'égard des comités de grève et des assemblées générales représentatives des travailleurs. Encore une fois, pour les bureaucrates, la classe ouvrière, c'est eux-mêmes.

Les militants du PC partagent largement cette méfiance avec leur direction, et celle-ci la cultive et s'appuie dessus. Mais, à la différence des dirigeants du PC, nombre de ces militants vivent dans la classe ouvrière et la réalité sociale se rappelle à leur bon souvenir.

Voilà pourquoi nous devons avoir une politique vis-à-vis du PC, c'est-à-dire de ses militants. Parler de lutte de classe, parler des valeurs du mouvement ouvrier, suscite encore une certaine résonance chez beaucoup d'entre eux.

Comprenez bien à quel point cette absence du PC dans les quartiers, quelle qu'ait pu être sa politique dans le passé, favorise l'influence du FN. La nature a horreur du vide et, dans le contexte réactionnaire d'aujourd'hui, pour peu qu'il soit militant - ce qui n'est pas encore vraiment démontré -, le FN peut prendre la place qu'occupaient naguère les staliniens. Il ne faut pas oublier, sans assimiler le FN aux intégristes dans les pays musulmans, que ceux-ci se sont développés non seulement grâce aux imams et aux mosquées, mais plus encore grâce à la présence de militants intégristes dans les quartiers populaires et à l'encadrement qu'ils ont su y créer.

En conclusion

Nous n'avons pas de quoi être particulièrement optimistes sur la situation générale de l'année qui vient. Rien, dans la situation d'aujourd'hui, n'indique que se profile une remontée ouvrière ou une explosion sociale. Mais nous savons tous que le propre de telles explosions est qu'elles peuvent se produire sans s'annoncer par avance, surprenant tout le monde, y compris les révolutionnaires.

C'est pour ce genre de situation pourtant que nous préparons notre organisation. Cela ne signifie pas encore que nous serons capables d'y faire face. C'est une question de compétence individuelle et collective. Mais c'est aussi une question de présence, et nous sommes toujours une petite organisation totalement absente d'un grand nombre d'entreprises importantes et de beaucoup de villes. Les deux - la taille de l'organisation, son implantation et le caractère de la période - sont étroitement liés.

Toute petite que soit notre organisation, elle a cependant résisté au recul général qui a frappé toutes les organisations liées au monde ouvrier, les partis autant que les organisations syndicales. Résister dans ces conditions de recul en gardant notre identité politique et nos capacités militantes est quelque chose d'essentiel. (...)

Nos camarades les plus anciens, ceux qui militaient déjà à l'époque de mai 1968 et ensuite, se souviennent comment à certaines périodes « les militants poussaient sur les arbres » et que, devant les grandes usines, il fallait faire la queue pour pouvoir diffuser nos tracts au milieu d'une multitude de tendances, trotskystes, maoïstes, anarchistes et autres...

Eh bien, si un parti révolutionnaire se développe à l'occasion de luttes sociales et en y jouant un rôle, son ossature se construit aussi et peut-être autant dans des périodes de reflux. (...)

Nous répétons depuis plusieurs années à quel point ce caractère militant est en lui-même un attribut politique. Nous constatons, aussi bien dans nos activités dans les entreprises que lors de nos apparitions publiques dans les quartiers populaires, à quel point les anciens militants démoralisés des organisations du mouvement ouvrier ou ceux qui restent encore « vivants » remarquent et apprécient que nous soyons là. C'est dans les périodes de basses eaux qu'on remarque les rochers qui affleurent...

Les reflux font partie de l'histoire du mouvement ouvrier, et même ils en constituent la majeure partie. (...)

Une organisation communiste révolutionnaire, ou même l'embryon d'organisation révolutionnaire que nous sommes, est liée à la classe ouvrière pour le meilleur et pour le pire, dans les périodes de montée comme dans les périodes de recul. Les périodes de recul se reflètent de bien des façons, même dans une organisation révolutionnaire : par le découragement, voire par l'abandon de certains, dans les errements politiques, mais aussi dans le fait que les conflits de personnes et de caractères prennent une importance excessive et surtout stérile au fond. Tous ceux qui ont vécu des luttes importantes savent que les désaccords et les conflits ne disparaissent pas, mais les aspects personnels de ces désaccords sont ramenés à leur juste et petite proportion. Ce qui prend alors le dessus, ce sont les nécessités de la lutte et la justesse ou non de la politique menée.

Alors, si la période de recul se poursuit et s'aggrave, nous en subirons inévitablement le contrecoup. Mais, encore une fois, c'est aussi dans des périodes comme celle-là que se forgent le parti et ses cadres. Pour reprendre l'expression de Lénine dans La maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), lorsqu'il résume la période de recul profond des idées et des partis révolutionnaires entre 1907 et 1910 : « On connaît le véritable ami dans le besoin. Les armées défaites sont à bonne école. »

Sur un plan bien plus général, l'écart apparaît aujourd'hui gigantesque entre l'ampleur de la faillite du capitalisme, avec la nécessité qu'une nouvelle classe prenne la relève, et l'état d'esprit de la classe ouvrière. Par bien des côtés, l'écart est plus grand même qu'au temps de Trotsky où les directions socialistes et staliniennes de la classe ouvrière étaient déjà irrémédiablement perdues pour la révolution sociale, mais où existait encore un mouvement ouvrier solide, c'est-à-dire des milliers, des dizaines de milliers de militants ouvriers. Trotsky pouvait alors dire : « La crise historique de l'humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire ».
Nous faisons pourtant confiance au prolétariat quant à son rôle historique fondamental et, par là même, à sa capacité de se relever. Cette confiance, qui, on l'a dit tout à l'heure, nous sépare fondamentalement des staliniens, ne repose pas sur la foi du charbonnier, c'est-à-dire sur une croyance aveugle et irraisonnée. Au contraire, elle repose sur la compréhension scientifique de la société, de sa dynamique, des forces internes qui la travaillent, même lorsqu'elles n'apparaissent pas en surface. La terre est travaillée par de puissantes forces telluriques même lorsque n'explose pas encore la puissance destructrice d'un tremblement de terre.

Cette compréhension scientifique de la marche de la société, c'est le marxisme.

Il n'y a même pas besoin de se référer au marxisme pour constater que le capitalisme et son ordre mondial provoquent en permanence des réactions, qu'ils suscitent des forces qui taraudent l'ordre établi avec plus ou moins de violence. Il n'y a pas moins d'explosions sociales, de luttes embrasant de larges masses, depuis la Deuxième Guerre mondiale, qu'entre les deux guerres. Et ces luttes trouvent toujours une direction ou des forces politiques pour les incarner, jusques et y compris les directions les plus néfastes et les plus réactionnaires.

C'est dans ce sens que reste profondément pertinente la phrase du Programme de transition réduisant la crise historique de l'humanité à celle de la direction révolutionnaire.

Et c'est là où le rôle d'un parti communiste révolutionnaire est irremplaçable. Il serait oiseux de discuter quelles sont ses chances par rapport aux forces réformistes, voire franchement réactionnaires, nationalistes, ethnistes ou intégristes. Les rapports de forces se décident dans les luttes elles-mêmes et notamment dans celles pour la direction des mouvements suscités par le capitalisme impérialiste. Encore faut-il qu'existe la force politique capable d'engager la lutte au nom des perspectives communistes. Ce qui est certain et qui n'a pas changé non seulement depuis Trotsky mais également depuis Marx, c'est que les idées et la perspective politique incarnées par les communistes révolutionnaires ne peuvent être reprises et réalisées que par le prolétariat.

Le capitalisme fait sans cesse des dégâts dans la société, dans une multitude de catégories sociales. Toutes ces catégories peuvent être poussées à se défendre, voire à passer à l'offensive, donnant à l'ordre impérialiste mondial cette instabilité permanente qui est la sienne. Mais seul le prolétariat peut détruire le capitalisme et créer une organisation économique et sociale sur une base collectiviste, parce qu'il est le seul qu'aucun intérêt objectif ne lie à la propriété privée des moyens de production, fondement du capitalisme.

En tant qu'organisation communiste révolutionnaire, nous n'avons pas fait nos preuves, car seul le fait de nous montrer à la hauteur dans une période de montée ouvrière pourra être probant. Mais je voudrais redire que nous avons, avec notre organisation, quelque chose de précieux. Nous sommes les seuls à vouloir et, j'espère, à pouvoir transmettre l'héritage communiste révolutionnaire que toutes les autres organisations ont abandonné. (...)

Nous sommes confrontés à la nécessité de former des militants communistes révolutionnaires, des cadres pour la révolution sociale à venir, dans une situation non révolutionnaire. Il faut qu'ils soient capables de défendre au mieux les intérêts de la classe ouvrière dans le cadre de la société telle qu'elle est - capitaliste, avec ses institutions, son conformisme social, son conservatisme - en ne s'assimilant cependant jamais, en n'oubliant jamais que leur vocation, leur raison d'être est d'organiser demain la classe ouvrière dans sa lutte pour la transformation révolutionnaire de la société.

Les échéances historiques sont finalement plus longues que ce que des générations de révolutionnaires avaient espéré. Ce n'est pas vraiment nouveau. L'histoire n'obéit pas aux aspirations et aux impatiences des révolutionnaires.

Rappelons que Marx et Engels ont connu une vague révolutionnaire, celle de 1848, en tant que jeunes hommes. Mais, une fois que cette vague a reflué, ils ont milité pendant des décennies - pour ce qui est d'Engels pendant presque un demi-siècle - sans connaître une nouvelle vague révolutionnaire comparable à 1848, bien qu'ils aient eu la chance de connaître la Commune de Paris. Mais ils ont vécu ces longues décennies en révolutionnaires et prêts à faire face aux événements révolutionnaires s'ils devaient se produire.

Pour les bolcheviks, les choses sont allées bien plus vite. Entre 1903, quand la fraction bolchevique s'est constituée à l'intérieur de la social-démocratie russe, et 1917, la prise du pouvoir par la classe ouvrière russe, il ne s'est passé que 14 ans. Et même entre la naissance de la fraction bolchevique et sa disparition définitive sous les coups de la bureaucratie dirigée par Staline, il ne s'est écoulé qu'une trentaine d'années, c'est-à-dire une génération.

Comparé à ces périodes, le temps s'est encore allongé. Pour ce qui concerne notre courant, trois générations se sont succédé sans avoir vécu de révolutions. Pourquoi ? Entre-temps, il y a eu le stalinisme et tout ce qu'il a entraîné dans le mouvement ouvrier sur le plan des idées comme sur le plan de leur transmission.

Nous ne savons évidemment pas quelles échéances nous réserve l'avenir. Ce que nous savons, c'est que quel que soit le moment où la montée révolutionnaire arrivera, il faut que nos camarades soient prêts, politiquement et humainement, à y faire face.

Dino Buzzati, dans son roman Le Désert des Tartares, relate l'histoire d'un officier qui attend l'attaque de l'ennemi qui ne vient jamais... jusqu'au jour où elle finit par se produire, mais l'officier est devenu un vieillard et ne peut plus y faire face. Jacques Brel en a fait une chanson, Zangra.

Pour nous, contrairement au roman et à la chanson, il faut qu'au moment où cela arrivera, la génération qui sera là ne soit pas marquée par l'attente ni amortie par une longue période d'absence de luttes sociales importantes. Qu'elle soit là et préparée à mener le combat. (...)

Alors, quelle que soit l'évolution économique et politique de l'année qui vient, nous aurons du travail. Sachons déceler toutes les opportunités que la situation présentera, et sachons les saisir pour nous renforcer en nombre mais aussi en compétence, et pour renforcer nos liens avec notre classe, celle qui fera la révolution, le prolétariat !