Haïti - Après l’élection présidentielle

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mai-juin 2011

La dernière élection présidentielle en Haïti a porté à la présidence Michel Martelly, un chanteur populaire sous le nom de Sweet Micky.

Les conditions dans lesquelles il a été élu dans ce pays pauvre portant en plus les stigmates du tremblement de terre de janvier 2010 et frappé par le choléra sont significatives de la dérisoire comédie que les grandes puissances tutélaires appellent « élection » et « démocratie ».

À l'issue du premier tour de l'élection qui a opposé plusieurs candidats, le CEP (Conseil électoral provisoire) avait prétendu que les deux premiers arrivés en tête étaient Mirlande Manigat et Jude Célestin. La première est l'épouse d'un ancien président de la République, installé sur le fauteuil présidentiel par les militaires alors au pouvoir, puis écarté peu après par les mêmes. Le second était patronné par le président sortant René Préval dont il était un des séides. Ce dernier était donné d'autant plus gagnant qu'il disposait de fonds lui permettant de mener une campagne coûteuse, se payant notamment le service d'un petit avion, promenant une banderole portant son nom au-dessus des ruines de Port-au-Prince, la capitale toujours pas reconstruite, et jetant des tracts sur différentes agglomérations de province.

Le dégoût à l'égard du président sortant et de son protégé était tel qu'il était évident pour tous que le résultat annoncé par le CEP était truqué. Des manifestations se sont succédé pour réclamer l'annulation du scrutin jusqu'à ce que le CEP, « en toute objectivité », revoie sa copie et annonce que, tout compte fait, les deux vainqueurs du premier tour étaient Manigat et Martelly.

Et au deuxième tour, le chanteur l'a emporté « haut-la-voix », avec 67,57 % des suffrages.

L'ex-Sweet Micky doit manifestement son élection à la partie pauvre de l'électorat qui, en votant pour lui, a fait un pied-de-nez à la caste politique. Cela dit, le nouveau président n'a jamais caché ses sympathies pour l'ex-dictateur Duvalier, et une fois élu, il s'est entouré de conseillers issus des milieux de l'extrême droite macoutique.

Le fait de se rabattre sur cet ancien chanteur, après s'être réfugié derrière l'ancien curé Aristide, montre à quel point la population pauvre est démoralisée et sans perspectives. Mais les classes pauvres de ce pays ont montré bien des fois dans le passé leur capacité de sursaut, parfois d'une violence irrésistible, comme peut en témoigner l'ancien dictateur Duvalier, chassé du pays il y a un quart de siècle. Aujourd'hui, aussi bien Duvalier qu'Aristide sont de retour au pays.

Pour parler de la situation créée par l'élection de Michel Martelly, nous reproduisons ci-après l'éditorial du n° 190, du 27 avril 2011, de La Voix des Travailleurs, périodique édité par nos camarades de l'Organisation des travailleurs révolutionnaires.

Michel Martelly élu président : les classes pauvres obtiendront ce qu'elles seront capables d'imposer

La victoire de Michel Martelly au deuxième tour des élections présidentielles avec 67,57 % des suffrages exprimés a été accueillie par des manifestations populaires spontanées tant à Port-au-Prince que dans la majorité des villes de province où le scrutin du 20 mars dernier s'était transformé en quasi-plébiscite de Michel Martelly alias Sweet Micky. Dans les quartiers pauvres de Port-au-Prince d'où partaient simultanément des cris de joie au moment où le nom de Michel Martelly a été cité comme vainqueur des élections, c'était la fête toute la nuit du 4 avril, date de la proclamation des résultats. L'euphorie était telle que beaucoup de travailleurs de la zone industrielle ne se sont pas présentés au travail le lendemain, au risque de perdre leurs emplois.

D'aucuns disent qu'il s'agit d'un vote-sanction contre la classe politique traditionnelle et surtout contre Préval et consorts, honnis par les couches pauvres de la population qui l'avaient pourtant voté massivement en 2006. En effet, d'Aristide à Préval en passant par le tandem Latortue-Boniface, les conditions de vie des masses se sont dégradées à une vitesse vertigineuse. Le tremblement de terre du 12 janvier ainsi que l'épidémie de choléra ont montré à nu et de manière dramatique la décomposition de l'État, l'inertie et la nullité de ces dirigeants qui s'enrichissent au détriment du Trésor public et au mépris des revendications des couches pauvres de la population. Ils affichent leur incapacité sinon leur refus d'utiliser les ressources de l'État pour venir en aide à la population même quand celle-ci est en danger. C'est une bande de crapules.

Les élections présidentielles et législatives ont été une occasion pour les masses d'exprimer leur ras-le-bol, de dire à Préval qu'elles en ont assez de lui, qu'elles aspirent à un changement.

Aux yeux des masses, c'est Martelly qui incarne ce changement et leurs aspirations à une vie meilleure. Parmi les 19 candidats qui briguaient la présidence, les classes pauvres ont choisi de jeter leur dévolu sur le chanteur populaire mué en politicien le temps d'une élection. Une bonne partie de cette population pauvre croit que Martelly va apporter un changement dans ses conditions de vie. Mais leur espoir est à la mesure des promesses fallacieuses et illusoires faites par le chanteur pendant toute sa campagne électorale jusqu'à son élection. Il s'était présenté comme « le candidat du changement », « le candidat de la rupture » capable de « changer le système », principale cause de la misère de la population.

Il a tiré à boulets rouges sur Préval et son gouvernement qui n'ont rien fait pour changer le sort de la population, ressassait-il dans ses interventions publiques. L'éducation gratuite, la réforme agraire, la création massive d'emplois, la relocalisation des sinistrés du 12 janvier figurent parmi les nombreuses promesses électorales du nouveau président adulé en tant que chanteur populaire.

Si les masses pauvres se croisent les bras sous prétexte que les élections sont finies, qu'il faut donner le temps au nouveau gouvernement, leurs aspirations à un travail, à un salaire, à un logement, à l'éducation gratuite, bref leurs rêves se transformeront à coup sûr en cauchemar comme cela a été le cas avec Aristide et Préval.

La pire des choses pour les classes pauvres, serait, justement, qu'elles croient, avec l'installation de Martelly au pouvoir, il suffira d'attendre et d'espérer pour que les choses changent pour elles. La pire des choses, ce serait qu'elles se taisent sous prétexte de laisser travailler le gouvernement pour elles, alors que les riches continueront à se faire entendre dans les allées du pouvoir, alors qu'elles continueront à se servir de la puissance que leur procurent leur argent, leurs richesses, leur mainmise sur l'économie pour faire prévaloir leurs intérêts.

Si l'écrasante majorité de la population est aussi pauvre, c'est parce qu'il y a cette infime minorité qui s'est accaparée la part du lion des richesses du pays, concentre entre ses mains tous les moyens de production et s'enrichit chaque jour davantage par toutes sortes de trafics, par l'exploitation éhontée des travailleurs, par la hausse exponentielle des prix des produits de consommation courante, du coût de la vie en général quitte à affamer les familles pauvres.

Quand ça va de mal en pis pour la population pauvre en général, ça va de mieux en mieux pour cette poignée d'affairistes qui s'appellent Mevz, Brandt, Biggio, Madsen, Boulos, Apaid, Backer, etc.

Ce sont ces requins qui sucent le sang de la population pauvre, qui démolissent l'État avec l'aide des politiciens qui se relaient au pouvoir.

On ne peut donc apporter de changement notable dans les conditions de vie de la population, ni « au système » remis en question par Martelly, sans toucher aux richesses de cette poignée d'individus. Or le nouveau président est déjà l'otage et sous le contrôle de ces derniers. Ce sont eux qui ont financé sa campagne électorale, ce sont eux qui lui apportent conseils et consultants pour sa prochaine équipe gouvernementale, c'est avec eux qu'il se réunit avant et après sa victoire.

Les bourgeois de ce pays sont donc maîtres du nouveau président, Michel Martelly, et des décisions de ce dernier qui n'osera pas égratigner leurs richesses. Qui finance, commande. Pendant toute sa campagne électorale, Martelly n'a jamais fait allusion aux riches, les vrais responsables et les profiteurs de « ce système » que le nouveau président dit vouloir changer. Comment changer un système sans s'attaquer aux tenants et aux bénéficiaires directs du système en question, c'est-à-dire les classes possédantes ?

Martelly a déjà annoncé clairement la couleur dans sa conférence de presse du 27 avril au cours de laquelle il a affirmé que son gouvernement prélèvera des taxes notamment sur la borlette et les transferts pour financer son projet d'éducation gratuite. Pas sur les propriétaires des banques de borlette et des grandes agences de transferts, mais sur les clients, c'est-à-dire sur les pauvres parce que ce sont ces derniers qui espèrent en vain améliorer leur situation en jouant à la borlette et ce sont essentiellement les couches pauvres de la population qui reçoivent des transferts de leurs parents, leurs proches qui sont contraints de faire deux jusqu'à trois emplois par jour - lorsqu'ils en trouvent - pour arriver à subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille en Haïti.

Le nouveau président, tout en reconnaissant qu'il n'est pas une lumière, se targue d'être entouré d'experts de toutes sortes qui ne faisaient pas partie de l'équipe du président sortant, René Préval. Mais la majorité de ces experts, sinon tous, avaient servi sous la dictature des Duvalier : de Daniel Supplice qui a occupé de hautes fonctions sous Duvalier de 1977 à 1986 à Gervais Charles, avocat de Jean-Claude Duvalier en passant par Calixte Delatour, avocat et militant duvaliériste présent sur la scène politique depuis 1946.Qu'est-ce que la population pauvre peut attendre de ces vieux roublards de la politique noués par un tas de liens familiaux, personnels ou d'intérêts à la classe des possédants et n'ayant d'autre ambition que de se remplir les poches au plus vite avant la fin du mandat présidentiel ou avant d'être virés ?

Le restaurant aura beau changer de nom, il continuera à servir les plats indigestes. Le changement de visages à la tête du gouvernement a toujours été une farce pour tromper les pauvres. La taxation de la borlette et des transferts, voilà ce que les experts de Martelly peuvent pondre au mieux.

Ce qui est sûr, c'est que le gouvernement de Michel Martelly génèrera une nouvelle classe de grands mangeurs - pas si nouvelle que ça d'ailleurs - qui viendront siphonner ce qui reste et ce qui va entrer dans les caisses publiques pendant que la population pauvre continuera à crever de faim et de misère. Les riches, de leur côté, continueront de mener leurs juteuses affaires dans l'océan de misère avec la certitude que Martelly, grâce à sa popularité, saura faire tenir tranquilles les classes pauvres par des promesses, des mensonges, des discours pour les endormir et les berner. Mais jusqu'à quand ? Préval se targuait d'être le seul président à réaliser deux mandats d'affilée sans problème et pensait en sortir grandi, jusqu'à la claque que lui a infligée la population pauvre aux deux tours des dernières élections présidentielles. Il est aujourd'hui au plus bas de sa popularité et ne risquerait pas de marcher ou de conduire seul dans la rue, comme il l'a souhaité, quand il ne sera plus président, donc dans quelques jours.

C'est grâce à la mobilisation des couches pauvres de la population que Martelly a été repêché pour participer au deuxième tour des élections à la place de Jude Célestin. C'est encore le vote et la pression populaires qui ont porté Martelly à la présidence du pays contre la volonté et les magouilles du gouvernement Préval-Bellerive.

Par conséquent, pour que les promesses électorales de Martelly aient même un début de réalisation, les classes pauvres ont donc intérêt à continuer la mobilisation, à amplifier la pression sur les riches de ce pays et leurs valets au prochain gouvernement.

Elles n'obtiendront que ce qu'elles seront capables d'imposer par la force et la pression. C'est d'ailleurs le seul langage que comprennent les dirigeants politiques et économiques de ce pays.