Les Etats déréglementent les marchés financiers

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14 mars 1997

Pour en revenir à l'endettement, en France, par exemple, la dette publique qui représentait déjà près de 20 % du Produit intérieur brut au début des années 70, en représente aujourd'hui 40 %. Quant aux Etats-Unis, leur dette, à elle seule, est deux fois et demie plus importante que celle de tous les pays sous-développés réunis. Ils sont devenus, depuis 1985, les plus gros débiteurs du monde après en avoir été le principal créancier.

Le marché des eurodollars, qui permit au départ cet endettement phénoménal des Etats, s'enfla démesurément, augmentant de 3 000 % entre 1973 et 1990. S'y ajoute, sur le même principe, le marché des euromarks, des eurofrancs, des euroyens, ce qui aboutit à un marché des eurodevises de quelque 2 200 milliards de dollars, échappant, avec la bénédiction des Etats, aux règles que ces derniers avaient eux-mêmes établies.

Au milieu des années 80, les Etats abrogèrent les règles qui limitaient encore l'activité financière des banques et des entreprises et le déplacement des différents capitaux sur les différents marchés financiers. En France, ce fut en particulier le ministre socialiste de l'Economie, Pierre Bérégovoy, qui entreprit la déréglementation des marchés financiers en 1984 et 1985. Les principales places financières et boursières de la planète sont aujourd'hui ouvertes à tous les capitaux, publics comme privés, nationaux ou étrangers, offrant ainsi un marché international unifié au capital financier et aux besoins de financement des Etats.

Et ce marché d'une taille gigantesque se développe à un rythme bien supérieur à celui de la production et même à celui du commerce international.

Toutes les grandes entreprises, qui, depuis le milieu des années 70, ne comptent pas sur une extension de la consommation et qui, par conséquent, ne se risquent pas à accroître leur production, ont des quantités importantes de capitaux disponibles. Elles ne les investissent donc pas dans la production, mais sur les marchés financiers, seul moyen de les faire fructifier.

Mais ce sont les Etats eux-mêmes qui sont à l'origine de la croissance des marchés monétaires et financiers, à cause de leurs besoins d'argent incessants.

La spéculation sur les emprunts d'Etat

Bons du trésor, titres d'emprunts d'Etat, obligations publiques, etc, sont les noms divers des emprunts d'Etats.

C'est un placement le plus souvent sans risque pour les prêteurs, pour tous ceux qui ont des capitaux à placer, y compris les entreprises qui ne savent plus quoi faire de leur argent. Une partie importante de l'argent prélevé par les impôts est consacrée à ce qu'on appelle le "service de la dette" et sert donc à rémunérer le capital de banques, d'organismes financiers, et même d'entreprises parmi les plus importantes.

Et puis, ces titres, obligations ou autres, s'achètent, se vendent comme des marchandises et font l'objet de spéculations selon leur intérêt par rapport à d'autres valeurs boursières ou aux émissions d'Etat plus récentes à intérêt plus élevé ou plus faible. Chaque année la valeur de ces émissions augmente de 8 % et le volume de la dette publique dans le monde a quintuplé depuis 1980.

La spéculation sur les actions

Les entreprises qui ont besoin d'argent peuvent faire comme les Etats et émettre des obligations. Ou bien elle peuvent émettre des actions accordant à celui qui apporte son argent un droit de propriété sur une fraction de l'entreprise. En principe, une action est donc un titre de propriété, un capital qui donne droit à une partie proportionnelle des bénéfices. Mais en réalité les actions, quand elles entrent dans les circuits financiers, s'achètent et se vendent à un prix qui dépend du pari fait sur le dividende futur. C'est ainsi que l'annonce de licenciements dans une entreprise peut faire monter le cours de ses actions car elle est annonciatrice de profits plus élevés. Et les actions ne s'achètent pas seulement pour toucher le dividende à la fin de l'année, mais pour les revendre quelque temps plus tard, parfois quelques heures plus tard, plus cher qu'on ne les a achetées. Avec la spéculation, le capital sert à acheter pour revendre plus cher sans avoir contribué à produire quoi que ce soit entre temps. Les actions mènent donc, elles aussi, une vie propre, de plus en plus détachée de la production ou de la valeur réelle des entreprises.

Ce sont quelque 25 milliards de dollars d'actions qui sont échangés chaque jour sur les places boursières du monde en période calme. Lorsque la bourse s'emballe et, plus encore, quand la panique s'empare des détenteurs d'actions, les transactions deviennent frénétiques. La quantité totale d'actions existantes représente en effet plus de 13 000 milliards de dollars (plus de la moitié du PIB mondial), en augmentation de plus de 400 % depuis 1980.

La spéculation sur les "produits dérivés"

On ne peut énumérer tous les produits financiers qui servent de supports à la spéculation.

La grande mode, c'est la spéculation sur ce qu'on appelle "les produits dérivés" réputés pour être à hauts risques, car cela consiste justement à spéculer sur les risques. Dans ce monde économique instable, existe le besoin de se protéger des risques, risques de variations des taux de change, des taux d'intérêts, des prix. Par exemple, un fermier préférera vendre sa récolte de l'été prochain à un prix convenu aujourd'hui s'il a peur que les cours baissent. En face il y a des possesseurs de capitaux qui sont prêts à assumer le risque à sa place en espérant faire une bonne affaire. On peut donc vendre son risque à un spéculateur. Les organismes financiers font ainsi des contrats quasiment sur mesure, sur les risques de variations des prix, des taux de change, des taux d'intérêts ou les deux et même des indices économiques ou des politiques des Etats.

L'imagination fertile des ingénieurs de la finance c'est comme cela qu'on les appelle a inventé pas moins de 1 200 produits dérivés aux noms parfois étranges : options, swaps, junk bonds (obligations pourries), "certificats nocifs", et même "obligations du ciel et de l'enfer" ! Certains sont cotés en bourse et on peut spéculer sur la spéculation. Les fonds dits de couverture (des risques), les hedge funds, qui manipulent ces produits, dont le plus connu est celui de George Soros, sont donc ainsi, par nature, des fonds spéculatifs.

Actuellement, le marché des produits dérivés, en pleine expansion équivaut à deux fois le PIB des Etats-Unis ! C'est dire que si les Etats alimentent les marchés financiers, ces derniers, comme un cancer, se démultiplient sans contrôle.

La spéculation monétaire

Et en plus des marchés boursiers, il y a aussi les marchés monétaires.

Ce sont 1 300 milliards de dollars qui se déplacent chaque jour entre les différentes monnaies. Cela équivaut, chaque jour, au Produit intérieur brut annuel d'un pays comme la France.

Une toute petite fraction de ces opérations, 5 à 8 % au maximum, correspond au paiement de marchandises ou de services vendus d'un pays à l'autre. Si on y ajoute les opérations de change non spéculatives correspondant à la circulation nécessaire des capitaux, on atteint 15 % du total. Tout le reste, 85 % des 1 300 milliards de dollars, correspond à des opérations quotidiennes purement spéculatives : c'est ce qu'on appelle l'argent chaud, qui ne tient pas en place, qui recherche le profit à très court terme et contribue grandement à l'instabilité monétaire.

Les gains spéculatifs peuvent être si importants qu'ils attirent toutes les sortes de capitaux : compagnies d'assurances, fonds communs de placements, fonds de pensions, qui sont censés investir à long terme pour gérer au plus sûr les cotisations et les dépôts qui leur sont confiés. Les fonds communs de placements américain gèrent des sommes équivalant à la moitié du PIB américain de 1996.

Quant aux fonds de pensions anglo-saxons, plus gigantesques encore, ils gardent l'argent que les futurs retraités leur confient sous des formes immédiatement négociables, actions, obligations, prêts à court terme, afin de pouvoir en tirer le meilleur profit à court terme, en participant aux jeux spéculatifs, y compris, et de plus en plus, sur les produits dérivés, y compris sur les cours des matières premières, etc.