Martinique, Guadeloupe : la question du statut

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mai-juin 2022

À la fin du mois de novembre 2021, une révolte sociale a éclaté dans les possessions françaises des Antilles, en Martinique et en Guadeloupe. L’une des principales revendications était la réintégration de centaines de soignants suspendus, privés de salaire, parce qu’ils ne voulaient pas se faire vacciner contre le Covid-19 comme l’imposait la loi du 5 août 2021. À cela s’ajoutaient des protestations contre la vie chère, le chômage de masse et la misère croissante.

La première réponse du gouvernement français fut l’envoi de forces de gendarmerie supplémentaires et des forces spéciales du GIGN et du Raid.

La deuxième réponse survint par la voix du ministre des Outre-mer, M. Lecornu, venu sur place, qui se dit prêt à discuter de l’autonomie. Sa déclaration tombait comme un cheveu sur la soupe. Personne ne lui avait rien demandé à ce propos.

Cette question n’était absolument pas à l’ordre du jour ni discutée au sein même du mouvement social.

Cette déclaration signifiait en fait : « Si vous n’êtes pas contents des lois françaises, alors prenez votre autonomie et faites vos lois. » De tels propos méprisants reviennent souvent dans la bouche des hauts fonctionnaires de l’État français.

Les dirigeants nationalistes de la Corse ont sauté sur l’occasion pour rappeler au gouvernement leur revendication d’autonomie. Plusieurs mois plus tard, après l’assassinat d’Yvan Colonna, l’indépendantiste corse jugé coupable de l’assassinat du préfet Érignac, et les manifestations consécutives en Corse, ces leaders autonomistes ont remis le sujet sur le tapis. Le gouvernement a alors promis, par la voix du ministre de l’Intérieur, Darmanin, dépêché en Corse, d’entamer des discussions sur l’autonomie.

Dans la foulée, le 26 mars dernier, les élus de la collectivité territoriale de Guyane ont profité de l’occasion pour voter une délibération réclamant « l’autonomie à la carte dans la République française » et ce, à l’unanimité. Et voilà donc réapparue la question du changement de statut et de l’autonomie en Martinique et en Guadeloupe.

Un rappel historique

Le premier changement de statut administratif de la Guadeloupe et de la Martinique eut lieu en mars 1946, lorsque ces deux îles des Antilles françaises, de colonies, devinrent départements. Ce fut le cas aussi en Guyane et à La Réunion.

Pendant longtemps, l’État français s’opposa à toute forme de changement statutaire, de crainte que ses anciennes colonies évoluent vers l’indépendance et échappent à sa domination. D’autant que, dans le contexte de guerre froide entre l’impérialisme et l’URSS, toute zone d’influence impérialiste était précieuse à garder. Quand des pays échappèrent à un impérialisme, ce fut à l’issue de longues et sanglantes guerres coloniales qu’ils gagnèrent, comme au Vietnam et en Algérie.

À partir des années 1980, l’État français admit la possibilité de timides évolutions du statut des Antilles françaises. Il institua le principe d’évolution à la carte de ses dernières colonies, de la Nouvelle-Calédonie à ses possessions antillaises. Ce petit changement de ton survenait dans le contexte de révoltes populaires et anticolonialistes des Kanaks, en Nouvelle-Calédonie, et d’une montée de l’activisme des indépendantistes en Guadeloupe et en Martinique, avec les attentats à la bombe.

En Guadeloupe, pour l’instant, rien n’a été changé. Ce territoire reste régi par une assemblée départementale et une assemblée régionale. Tout comme dans l’Hexagone. À ceci près que les régions françaises sont composées de plusieurs départements, alors que la Guadeloupe est une région monodépartementale.

Les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélémy, autrefois rattachées à la Guadeloupe, ont changé de statut en 2007. Saint-Martin devint en janvier 2012 une COM, collectivité d’outre-mer, et Saint-Barthélémy une COM, puis un PTOM, pays et territoire d’outre-mer.

La Martinique et la Guyane sont sorties du statut juridique de départements pour devenir collectivités territoriales uniques, avec une seule assemblée qui remplaçait le conseil régional et le conseil général (nom que portait alors l’assemblée départementale). Ainsi naquirent la CTM, collectivité territoriale de Martinique, et la collectivité territoriale de Guyane (CTG), en 2015.

Chacun de ces statuts comprend des dispositions particulières, en termes de relations avec l’État français et l’Union européenne, dans le mille-feuilles législatif et réglementaire relatif aux outre-mer. Ce bricolage politico-administratif excluait cependant le plein statut d’autonomie avec pouvoir législatif.

À chaque fois, des référendums préparés par les officines ministérielles en liaison avec les élus et notables locaux ont précédé ces changements de statut. Dans les faits, très peu de choses ont changé pour les populations dans ces territoires. Mais, pour les différents gouvernements français, qu’ils soient de droite ou de gauche, il fallait donner à la population l’illusion du changement par l’intermédiaire de ses élus locaux.

Replâtrés administrativement, ces territoires demeurent gangrenés par le chômage, la misère, les profondes inégalités entre une classe possédante, un milieu aisé et les classes populaires pauvres. Pour ces dernières, rien n’a changé en mieux.

Pour le moment, en Martinique, après avoir obtenu une seule collectivité, les notables partisans de l’autonomie et de l’indépendance se contentent du peu de pouvoir local qu’ils ont reçu. Le Mouvement indépendantiste martiniquais (MIM), qui a dirigé la première CTM avec Alfred Marie-Jeanne, prône un moratoire sur le changement de statut. Le parti qui lui a succédé à la tête de la CTM en 2021, avec Serge Letchimy comme président, est le Parti progressiste martiniquais (PPM), fondé par Aimé Césaire (1913-2008). Mais le PPM, depuis longtemps, ne milite plus vraiment pour l’autonomie, bien que celle-ci fasse partie de son programme.

Les partis et élus locaux liés aux républicains des ­Sarkozy­-Pécresse-Ciotti et Cie et leurs représentants locaux sont pour le moment hostiles à l’autonomie. Ceux de la gauche locale, liés au PS et à Macron, penchent en Guadeloupe pour la solution martiniquaise d’une seule assemblée, avec de nouvelles variantes. Les Partis communistes de Guadeloupe et de Martinique prônent toujours une large autonomie ou un « pouvoir local ».

La question institutionnelle sur fond de luttes sociales

Les ex-colonies françaises de Guadeloupe et de Martinique ont depuis toujours connu périodiquement des luttes ouvrières et populaires importantes, des grèves fréquentes et fortes. Pour ne revenir qu’aux treize dernières années, la Martinique et la Guadeloupe ainsi que la Guyane ont connu, chacune, grèves générales, manifestations et blocages de protestation. La grève générale de 2009 en Martinique et en Guadeloupe contre la pwofitasyon, c’est-à-dire l’oppression des travailleurs et les séquelles coloniales, fut la plus importante.

Les organisations politiques nationalistes tentent d’utiliser le climat de contestation créé par les luttes sociales périodiques pour remettre régulièrement en avant la question du changement de statut et de l’autonomie, voire de l’indépendance. Ils dirigent en Guadeloupe et en Guyane les syndicats les plus importants (UGTG, UTG). En Martinique, s’ils ne dirigent pas le plus important, la CGTM, ils sont très actifs dans d’autres (CSTM, UGTM notamment).

Mais les nationalistes n’ont jamais pu créer un réel rapport de force avec l’État français sur l’autonomie ou l’indépendance. L’une des raisons, et sans doute la plus importante, est que, si le sentiment d’oppression sociale et raciale de la population à majorité noire et indienne est fort le grand patronat étant majoritairement blanc , on ne peut parler pour le moment de réel sentiment national au sein de la population.

Ce sont surtout les luttes des travailleurs et l’expression du mécontentement des couches pauvres de la population qui s’expriment. Les différents gouvernements français tentent de les contenir. Ils sortent alors de leur chapeau la fausse solution du changement de statut, voire de l’autonomie.

Leur morale et la nôtre

Quelques jours avant le deuxième tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a déclaré au quotidien France Antilles : « Je suis ouvert aux adaptations institutionnelles []. Par ailleurs il faut avoir en tête que la question du financement sera la clé. Je suis très attaché au principe du ‘’qui décide, paie ; qui paie décide’’. »

De tels propos sont bien ceux d’un dirigeant politique de la bourgeoisie. Car, pour ces dirigeants politiques là, que les travailleurs paient en enrichissant la classe bourgeoise et l’État par les profits immenses qui sont réalisés sur leur dos, leur sueur, leur vie, cela ne compte pas, c’est normal. Les travailleurs de Martinique et de Guadeloupe, comme tous ceux de l’Hexagone, paient en travail harassant, en bas salaires, en privations de toutes sortes. Ils paient de leur vie, comme ce camarade mort d’épuisement le 21 avril dernier sur la plantation d’une riche famille béké, Bois-Debout, à Capesterre-Belle-Eau. Il était le dixième travailleur en 25 ans à mourir sur cette plantation. Cette mort même était tout un symbole. Il est mort avec un lourd régime de banane sur les épaules. Oui, les travailleurs paient assez cher pour être les décideurs de leur propre sort. Et on mesure tout le mépris de classe d’un Macron avec ses propos sur le « qui paie décide ».

La richesse de l’État français et de sa classe dominante provient de l’exploitation sans bornes de sa classe ouvrière, de celle des travailleurs des ex-colonies françaises, de l’accumulation primitive du capital par l’esclavage jadis, par le travail des enfants dans l’Hexagone, pour ne citer que ces méfaits.

Qui paie décide ? Eh bien ce serait mille fois aux travailleurs de décider. C’est partant de cette conscience de classe que les travailleurs auront, le moment venu, la force et la volonté politique de s’imposer et de décider.

Quel avenir pour les travailleurs et la classe populaire ?

L’avenir dira si, du mouvement ouvrier combatif, sortira une organisation révolutionnaire, de classe et indépendante, du prolétariat des Antilles et de la Guyane. C’est une condition indispensable pour permettre aux travailleurs et aux classes populaires de changer réellement leur sort, changement de statut ou pas, autonomie voire indépendance ou pas. Leur sort ne s’améliorera pas par la seule vertu du changement de statut. Il ne changera réellement que par leurs propres luttes, et seulement si ces dernières sont collectives, offensives, générales contre les possédants et le grand patronat capitaliste.

Si les travailleurs parviennent à s’imposer par leurs luttes sur la scène politique, s’ils ne laissent pas le pouvoir aux seuls notables et aux possédants, ils pourront marquer des points vers leur émancipation du pouvoir capitaliste et des séquelles coloniales, quel que soit le statut politique.

C’est pour une telle émancipation des travailleurs que militent les communistes révolutionnaires de Combat ouvrier en Martinique et en Guadeloupe.

24 avril 2022