Grande-Bretagne : le référendum sur l’UE, le Brexit et la danse des démagogues

打印
septembre-octobre 2016

Nous publions ci-dessous la traduction d'un article de la revue Class Struggle (n° 108, été 2016) publiée par nos camarades britanniques de Workers' Fight. Cet article ayant été rédigé à l'origine le 10 juillet, il a été mis à jour par ces camarades le 6 septembre, pour le présent numéro de Lutte de Classe, afin de tenir compte des nouveaux développements survenus au cours de l'été.

Le vendredi 24 juin au matin, les électeurs ont appris la nouvelle : le Brexit (le vote en faveur de la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne) l'avait emporté. Les manchettes des quotidiens titraient en lettres énormes : « Nous sommes sortis ! ». Une fois de plus, les sondages s'étaient trompés. Parmi les électeurs qui avaient opté pour le maintien de la Grande-Bretagne au sein de l'UE (le vote « Remain »), nombreux étaient ceux qui n'avaient probablement même pas envisagé un tel résultat, et cela était vrai aussi d'une partie de ceux qui avaient fait le choix inverse en votant pour le Brexit. Ainsi, la déception était grande du côté du « Remain », le malaise palpable du côté du Brexit, et la surprise générale des deux côtés.

La victoire du Brexit n'a rien eu d'un raz-de-marée. Même si la participation a été relativement élevée (72,2 %), l'écart en faveur du Brexit n'a été que de 3,8 %, soit 1,3 million de votes, pour 46,3 millions d'électeurs inscrits. En somme, seuls 37,5 % des électeurs ont choisi le Brexit ; pas franchement une majorité « historique » pour un scrutin présenté par tous comme porteur d'un enjeu politique historique ! Rien d'étonnant à ce que, rapidement, une pétition en ligne réclamant un nouveau scrutin ait recueilli plus de 4 millions de signatures, pétition qui a été suivie depuis par une série de manifestations dans les grandes villes, rassemblant des dizaines de milliers de personnes, et qui continuent en ce début septembre.

Mais même si, d'un strict point de vue juridique, ce référendum n'était qu'un exercice consultatif, les 62,5 % de l'électorat qui n'ont pas voté pour le Brexit vont devoir vivre avec les conséquences de ce vote. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'en ignorer le résultat ne ferait qu'exacerber une crise que ce référendum visait justement à contenir dans les rangs mêmes du Parti conservateur au pouvoir.

Aucun choix possible pour la classe ouvrière

Dans ce référendum, il n'y avait aucun moyen pour la classe ouvrière de faire valoir ses intérêts.

Voter pour le Brexit, c'était cautionner la répugnante démagogie anti-immigrés développée par le parti souverainiste UKIP et par la droite eurosceptique du Parti conservateur, représentée par l'ancien maire de Londres, Boris Johnson. Du même coup, c'était les aider à diviser la classe ouvrière, et donc à affaiblir sa capacité de résister à l'exploitation patronale.

En même temps, cela revenait à accréditer le mythe d'une Grande-Bretagne qui, en quittant l'UE, repasserait sous le « contrôle démocratique de sa population » (comme si les lois britanniques n'étaient pas adoptées par un Parlement au service de la City de Londres, hors de tout contrôle de la population !) et celui d'une Grande-Bretagne qui serait enfin vraiment « grande », capable de tenir sa place seule et contre tous sur le marché mondial (un prétexte dont on voit très bien comment il pourrait servir au patronat pour aggraver l'exploitation, sous couvert d'augmenter la compétitivité !)

Quant au vote pour le maintien dans l'UE, il revenait à cautionner des institutions européennes taillées sur mesure pour les besoins des bourgeoisies européennes les plus riches et de leur système, et certainement pas pour les besoins des populations. Mais il revenait aussi à approuver les nouvelles mesures discriminatoires contre les travailleurs européens pour lesquelles Cameron avait fait campagne pendant les mois précédant le référendum. Cela revenait donc à cautionner une démagogie anti-immigrés qui n'était guère différente de celle du camp du Brexit.

Qui plus est, voter pour un camp ou pour l'autre, c'était apporter son soutien à des hommes politiques également responsables des mesures d'austérité imposées à la classe ouvrière depuis des années, en vue de maintenir les profits de la bourgeoisie dans le contexte d'une crise qui n'en finit pas. Et il était évident que les uns et les autres utiliseraient le résultat du référendum, quel qu'il soit, pour justifier la poursuite de leur politique antiouvrière.

En somme, quelle que soit la façon dont les travailleurs votaient dans ce référendum, leur bulletin de vote ne pouvait qu'être utilisé contre eux par leurs ennemis de classe.

Cameron, pompier-incendiaire du parti conservateur

De toute façon, ce référendum n'a jamais eu pour but de donner la parole aux électeurs. En fait, ses origines tenaient bien moins à la question de l'UE qu'aux querelles intestines du Parti conservateur.

Depuis leur arrivée au pouvoir en 2010, Cameron et son gouvernement n'avaient cessé de mettre la détérioration de la situation économique au compte des difficultés de la zone euro, tout en mettant la dégradation des services publics et la crise du logement au compte de la pression croissante de l'immigration, en particulier européenne.

Bien sûr, cette démagogie ne visait qu'à faire oublier le fait que les coupes claires dans les dépenses sociales et d'infrastructures étaient dues aux détournements des fonds publics au profit des capitalistes. Mais elle suffit à redonner un second souffle à la xénophobie antieuropéenne du parti souverainiste UKIP, qui attendait son heure depuis deux décennies. Tant et si bien que, lors des élections européennes de 2014, UKIP arriva en tête, reléguant le Parti conservateur en troisième position. Un vent de panique souffla parmi les députés conservateurs qui se mirent à craindre pour leurs sièges et la droite eurosceptique du parti en profita pour se mettre à la tête des mécontents et menacer Cameron d'une rébellion ouverte.

Les élections législatives de 2015 approchant, Cameron tenta de contenir la révolte en reprenant à son compte les thèmes de UKIP, promettant : une limitation stricte de l'immigration ; une renégociation du statut de la Grande-Bretagne au sein de l'UE, en particulier s'agissant des droits des immigrés européens ; et la tenue d'un référendum sur le maintien du pays dans l'UE, sur la base des résultats de cette renégociation.

D'un point de vue électoral, la stratégie de Cameron s'avéra payante. Lors des élections législatives de 2015, UKIP perdit un quart de ses voix de l'année précédente et, grâce au scrutin majoritaire uninominal à un tour, ne remporta qu'un seul siège, tandis que les conservateurs, pour leur part, obtenaient une majorité absolue au Parlement. Mais à partir de ce moment-là, il devint difficile de faire la différence entre l'euroscepticisme affiché par Cameron et la démagogie anti-UE de UKIP.

Au bout du compte, après bien des marchandages, la seule concession significative que Cameron obtint de l'UE fut de pouvoir restreindre l'accès des travailleurs européens au système de protection sociale britannique. Puis il annonça la date du référendum, expliquant que, sur la base de cette concession, il ferait campagne pour le maintien dans l'UE.

Les illusions multiples derrière le vote pour le Brexit

Cameron eut beau rappeler régulièrement à son public qu'il demeurait « un eurosceptique de cœur », cette annonce déchaîna les foudres des eurosceptiques de son parti. Six de ses ministres optèrent pour le Brexit, bientôt suivis par Boris Johnson, alors encore maire de Londres. Près de la moitié des députés du parti leur emboîtèrent le pas plus ou moins ouvertement.

Le Parti conservateur était désormais coupé en deux et, en fait de référendum sur l'UE, les électeurs se virent invités à arbitrer entre ses factions rivales, dont les querelles intestines s'étalaient désormais au grand jour. Quant aux autres protagonistes de la campagne, le Parti travailliste (anti-Brexit), UKIP (pro-Brexit) et tous les autres, ils en furent réduits à jouer les faire-valoir dans une farce grotesque dont le scénario avait été entièrement rédigé par les ténors du Parti conservateur.

Au bout du compte pourtant, Cameron perdit son pari et, du même coup, toute chance de restaurer son autorité sur son parti, situation dont il donna acte immédiatement en annonçant sa démission.

Beaucoup d'encre a coulé sur le rôle supposé décisif de l'électorat populaire dans le succès du Brexit. De nombreux commentateurs sont allés jusqu'à imputer le résultat du référendum au vote « anti-immigrés » de l'électorat ouvrier, en particulier dans les régions les plus défavorisées du nord de l'Angleterre.

La vérité cependant est que les scores les plus élevés en faveur du Brexit ont été enregistrés dans les bastions conservateurs traditionnels les plus aisés, qui sont tout sauf ouvriers, mais où les préjugés xénophobes sont bien ancrés.

Certes, dans certaines villes ouvrières, le vote pro-Brexit a atteint voire dépassé les 60 %. Mais le fait le plus significatif est que ces résultats ont été enregistrés dans les cimetières industriels laissés par les licenciements dans la sidérurgie ou les mines au cours des années 1980 et 1990.

Oui, une partie de l'électorat populaire, dans ces localités et ailleurs, a voté Brexit. Elle l'a fait pour toute une série de raisons : parce que ses conditions de vie se sont dégradées, parce qu'elle se sent laissée pour compte par le système, etc., mais aussi parce qu'elle est tombée dans le piège de la campagne démagogique contre le prétendu parasitisme des immigrés européens.

Mais qui est responsable de tous ces mensonges nauséabonds, sinon les politiciens conservateurs et leurs rivaux de UKIP, avec leurs surenchères xénophobes ? Qui est responsable de la politique qui a accrédité ces mensonges, sinon Cameron et son parti, en réduisant les budgets de la protection sociale et du logement dans des régions ouvrières déjà défavorisées ? Et qui est responsable du fait que ces mensonges aient pu trouver l'oreille des travailleurs, si ce n'est un mouvement ouvrier qui, à de rares exceptions près, n'a répondu aux attaques de Cameron contre les immigrés que par un silence assourdissant, au lieu de s'opposer à ces attaques au nom des intérêts de l'ensemble de la classe ouvrière ?

En même temps, tout indique qu'un nombre important de travailleurs a voté pour le Brexit pour exprimer à la fois son opposition à Cameron et à sa politique d'austérité et son rejet de la classe politique dans son ensemble. Mais en votant pour le Brexit, ils ne pouvaient faire ni l'un ni l'autre : en fait, ils ne pouvaient que voter contre leurs propres intérêts de classe.

Peut-être ces électeurs ont-ils éprouvé une certaine satisfaction quand ils ont vu Cameron se départir de son arrogance habituelle, pendant quelques minutes, pour annoncer sa démission ? Peut-être. Et alors ? L'arrogance de ses successeurs sera-t-elle plus tolérable ? Bien sûr que non, car leur politique sera tout aussi antiouvrière.

Le choc économique du Brexit

Durant la campagne du référendum, seuls les plus obtus des partisans du Brexit niaient le risque d'une déstabilisation des marchés financiers. Et celle-ci n'a pas manqué de se produire : d'un côté, il y a eu la chute des actions cotées à Londres, en particulier celles des grandes banques britanniques (jusqu'à 54 % dans le cas de la deuxième banque britannique, Royal Bank of Scotland) et de l'autre, il y a eu la chute de la livre, qui a perdu environ 15 % de sa valeur face au dollar et un peu moins face à l'euro.

Deux mois après le scrutin, les experts officiels cherchent à rassurer avec une avalanche de chiffres destinés à montrer que tout est revenu à la normale.

Certains soulignent, par exemple, la reprise de la Bourse. Mais ils oublient de noter que cette reprise n'a pas bénéficié aux entreprises opérant principalement sur les marchés britanniques et européens. Surtout, ils oublient de mentionner les trois interventions de la Banque d'Angleterre : d'abord avant le référendum et début juillet, essentiellement pour rassurer les spéculateurs ; mais surtout début août, où elle a injecté 84 milliards d'euros de liquidités sur les marchés, offert sa garantie à 120 milliards d'euros de nouveaux prêts bancaires et réduit son taux d'escompte de référence de moitié, de façon à inciter les banques à prêter. On n'en est sans doute pas encore aux niveaux d'intervention atteints lors du sauvetage bancaire qui suivit la crise de 2008, mais c'est quand même la première fois que la Banque réduit son taux d'escompte depuis 2009 et c'est sa plus grosse injection de liquidités depuis 2012. En tout cas, il est probable que, comme par le passé, cette nouvelle injection soit allée alimenter la spéculation, contribuant à faire remonter les cours boursiers, mais pas forcément à mettre fin à l'instabilité causée par le Brexit.

D'autres parlent également de reprise dans l'industrie. Mais pour cela, ils s'appuient sur le fait que l'indice PMI (Procurement Manager Index, qui est censé mesurer « l'optimisme » des directeurs chargés de passer les commandes dans les entreprises) serait en hausse. Cette hausse, nous dit-on, laisserait prévoir une hausse des investissements. L'ennui, c'est que le PMI industriel britannique a bien souvent été en hausse depuis 2008, mais les investissements industriels, eux, n'ont pas cessé de stagner !

En fait, nul ne peut dire aujourd'hui quelles seront, à terme, les conséquences du Brexit sur les marchés financiers, et encore moins sur l'économie réelle, que ce soit en Grande-Bretagne ou au-delà. Mais ce qui est certain, c'est que tout comme après le sauvetage bancaire de 2008, c'est encore une fois à la classe ouvrière que le gouvernement britannique, quel qu'il soit, présentera la note, que ce soit directement, par le biais d'une réduction des budgets sociaux ou d'attaques contre les salaires et l'emploi ou indirectement, par le jeu de l'inflation.

Theresa May sur la corde raide

Politiquement, il n'y a guère eu de vacance du pouvoir après l'annonce de la démission de Cameron. Presque aussitôt, Theresa May posa sa candidature face aux aspirants eurosceptiques et l'appareil du Parti conservateur pesa de tout son poids pour que ses rivaux se retirent de la course, en échange de la promesse d'un portefeuille dans le futur gouvernement.

À bien des égards, May apparaît comme la remplaçante idéale pour Cameron. Ayant été ministre de l'Intérieur depuis 2010, elle représente la continuité du pouvoir, et donc la stabilité. Le fait qu'elle ait soutenu le maintien dans l'UE rassure plutôt les sphères dirigeantes du capital britannique, soucieuses qu'au-delà de la rhétorique politicienne sur le Brexit ses intérêts soient préservés. Enfin, le fait qu'en plus May ait toujours été bien vue de la droite du parti, en particulier grâce à ses campagnes contre les travailleurs immigrés « illégaux », lui donne une autorité qui dépasse ses divisions intestines.

Mais tous les atouts dont elle dispose ne changent rien au fond de la situation. Dans un éditorial paru juste après le référendum, l'hebdomadaire patronal The Economist résumait les choses de la façon suivante : « Ce vote aura des conséquences à long terme. L'économie va souffrir, et la classe politique aussi. Le 23 juin sera un tournant dans l'histoire britannique et européenne. » Bref, il craignait de voir un ralentissement économique se combiner à une crise politique. Et tout indique que, précisément pour cette raison, les hautes sphères du capital assistent à ces événements avec un certain malaise et font pression sur le gouvernement pour qu'il évite tout geste inconsidéré.

Pour ce qui est du ralentissement économique - voire pire, si le contrecoup du Brexit devait s'étendre sur une autre échelle - l'avenir dira ce qu'il en est.

Quant au risque de crise politique envisagé par The Economist, la victoire du Brexit n'y a pas mis fin, même si c'est justement pour parer à un tel risque que Cameron avait pris le pari d'organiser son référendum. Car les surenchères xénophobes de UKIP continuent et continueront à exercer leur pression sur la vie politique et à trouver un écho dans les rivalités internes au Parti conservateur.

On peut d'ailleurs d'ores et déjà discerner cet écho dans les différends qui opposent les partisans conservateurs du Brexit entre eux, y compris au sein du gouvernement. Les uns prônent une politique accommodante qui permettrait à la Grande-Bretagne de rester partie intégrante de l'union douanière européenne, tandis que les autres penchent pour une politique de rupture qui verrait la Grande-Bretagne quitter cette union en claquant la porte ; les uns sont partisans d'un certain renforcement des contrôles aux frontières, mais sans plus, tandis que les autres seraient pour un retour aux visas touristiques pour les ressortissants de l'UE.

Mais c'est surtout cette dernière question de la liberté de circulation des personnes qui risque de raviver les surenchères xénophobes. C'est ce que l'on vient de voir par exemple le 4 septembre, lorsque May a déclenché une tempête de protestations en déclarant, en marge du sommet du G20 en Chine, qu'elle n'envisageait pas l'instauration d'un permis de travail à points pour les immigrés européens (comme il y en a déjà pour la plupart des immigrés non européens travaillant en Grande-Bretagne). L'avenir dira si, comme cela a été le cas précédemment pour Cameron, Theresa May se laissera entraîner sur le terrain glissant de ces surenchères.

Brexit ou Brexin ?

D'un autre côté, le gouvernement May est l'objet de multiples pressions de la part de ceux - et ils sont nombreux dans les cercles dirigeants du grand capital britannique et international - qui ont tout intérêt à ce qu'il y ait le moins de changements possible dans les relations économiques entre la Grande-Bretagne et l'UE.

Avant le référendum déjà, les organisations patronales avaient réclamé de Cameron qu'il protège leur libre accès au marché unique. Obama lui-même s'était joint à elles, au nom de la stabilité de l'économie mondiale, mais tout autant, même si ce n'était qu'implicite, au nom des intérêts des multinationales américaines utilisant la Grande-Bretagne comme avant-poste dans leurs opérations en Europe, de grandes banques comme Citi à un constructeur automobile comme Ford.

De même, début septembre, Tokyo a adressé un mémorandum à Theresa May l'avertissant que la perte du libre accès à l'UE entraînerait une baisse drastique des investissements de banques japonaises telles que Nomura ou de constructeurs automobiles tels que Nissan, Honda et Toyota. Or, aujourd'hui, l'industrie automobile britannique est à 80 %... japonaise !

Pour les grandes institutions financières de la City de Londres, le fait de continuer à servir d'intermédiaire final dans les opérations interbancaires libellées en euros, comme c'est le cas aujourd'hui, est une question de vie ou de mort. Une fois sortie du marché financier unique de l'UE, la City perdrait d'autant plus vite la possibilité de jouer ce rôle que des pays comme la France, l'Allemagne et les Pays-Bas, cherchent depuis longtemps à obtenir une part de ce gâteau.

De même, le secteur de la réassurance, qui assure les gros risques commerciaux, emploie 50 000 personnes dans la City et représente plus de 20 % de son chiffre d'affaires. Or, le 5 septembre, le PDG de la Lloyd's of London, la plus vénérable institution de ce secteur, expliquait à la BBC qu'à défaut de garanties rapides concernant son accès à l'UE, « le secteur votera avec ses pieds », en relocalisant tout ou partie de ses activités, en particulier à Dublin qui, ayant le double avantage d'être dans l'UE et de bénéficier d'un impôt sur les bénéfices très bas, est déjà l'un des pôles de regroupement de l'assurance en Europe.

Aux inquiétudes de la finance viennent s'ajouter celles des entreprises travaillant pour l'import-export. Leur premier problème est évidemment la crainte de perdre leur libre accès au marché unique lui-même. Mais en plus, une cinquantaine de pays sont couverts par des accords commerciaux avec l'UE, auxquels viendront bientôt s'ajouter 21 autres. Tant que la Grande-Bretagne était membre de l'UE, elle bénéficiait de ces accords. Mais qu'en sera-t-il après ? Renégocier autant d'accords bilatéraux avec chacun de ces pays, comme le proposent les partisans d'un « Brexit dur », ne relève-t-il pas de la folie pure et simple ? En tout cas c'est l'avis du patronat concerné, qui ne cache pas son agacement face à ces incertitudes.

Compte tenu des diverses pressions des milieux d'affaires, il ne faut donc pas s'étonner que même les partisans d'un « Brexit dur » mettent de l'eau dans leur vin une fois au gouvernement. C'est ainsi que David Davis, représentant de la droite eurosceptique pure et dure et aujourd'hui paré du titre ronflant de « secrétaire d'État chargé de la sortie de l'Union européenne », a déclaré au Parlement qu'on ne pouvait précipiter les choses : avant de pouvoir envisager de déclencher la procédure de sortie de l'UE (en invoquant l'article 50 du traité de Lisbonne), il faudra prendre son temps, multiplier les contacts bilatéraux afin d'obtenir des garanties de la part des divers gouvernements européens et consulter tous les « partenaires » intéressés.

Tout cela peut non seulement prendre beaucoup de temps mais également conduire à un résultat qui n'a plus grand-chose à voir avec le Brexit tel qu'il était présenté dans la campagne du référendum. Le traité de Lisbonne prévoit un maximum de deux ans de négociations à partir de l'invocation officielle de l'article 50, mais il ne prévoit pas quand cet article doit être invoqué, ni s'il doit ou pas être précédé de contacts bilatéraux avec les différents pays membres de l'UE.

En fin de compte, le problème du gouvernement May est double. D'un côté il lui faut obtenir de l'UE un accord qui soit le plus favorable possible pour les entreprises opérant en Grande-Bretagne, c'est-à-dire, en gros, un maintien du statu quo sur le plan des relations économiques, que certains ont commencé à désigner par le Brexin. Et de l'autre, il lui faut éviter d'apparaître faire trop de concessions en retour qui soient susceptibles de prêter le flanc aux surenchères xénophobes. Et tout cela en sachant que les prochaines élections législatives auront lieu en mai 2020 et que ni le capital britannique ni Theresa May ne peuvent se permettre de laisser la question du Brexit y occuper de nouveau la première place.

La classe ouvrière doit faire entendre sa voix

Ce que ce référendum va laisser derrière lui - et à vrai dire pas seulement ce référendum, mais l'ensemble de la période inaugurée par les élections législatives de 2010 - c'est un climat de xénophobie et des divisions potentielles profondes dans les rangs de la classe ouvrière.

Ce climat de xénophobie a été d'abord illustré par l'assassinat de la députée travailliste Jo Cox, en juin dernier. Depuis le référendum, il s'est manifesté par une augmentation de 50 % des attaques xénophobes recensées par la police. Plus récemment, des ouvriers polonais ont été attaqués à coups de barres de fer par des gangs de jeunes mineurs, fin août, dans la banlieue-dortoir londonnienne de Harlow et début septembre à Leeds, ville ouvrière du nord de l'Angleterre. L'un d'eux est mort de ses blessures. Tous les coupables arrêtés à ce jour avaient entre 14 et 17 ans.

Ces attaques sont peut-être isolées, pour l'instant. Mais le climat xénophobe qui les produit alimente des préjugés anti-immigrés et, de plus en plus souvent, des pratiques de harcèlement que la classe ouvrière ne peut se permettre de tolérer.

Les travailleurs immigrés en général, et ceux qui viennent de l'UE en particulier, constituent une partie importante de la classe ouvrière en Grande-Bretagne. Puisqu'ils vivent et travaillent dans le même pays, puisqu'ils subissent la même exploitation et ont les mêmes exploiteurs que tous les autres travailleurs, ils devraient avoir les mêmes droits. Ils sont partie intégrante de la force collective du prolétariat, et devraient pouvoir compter sur tout le soutien dont ils ont besoin pour se défendre contre les attaques des patrons et de leurs auxiliaires au gouvernement.

Un mouvement ouvrier digne de ce nom se fixerait pour objectif l'organisation de tous les travailleurs, quelle que soit leur nationalité, afin de permettre à la classe ouvrière de se renforcer dans son ensemble et de défendre collectivement ses intérêts matériels.

De ce point de vue, les syndicats britanniques ont failli à la plus élémentaire de leurs tâches. Il est vrai qu'ils ont également failli en s'abstenant d'organiser la moindre riposte contre la dégradation des conditions de travail et la montée de la précarité. Ils n'ont même pas levé le petit doigt pour s'opposer aux attaques qui ont entraîné l'écroulement de la Santé publique ou la disparition progressive du parc de logements sociaux.

C'est cette faillite du mouvement ouvrier britannique, et l'absence de la classe ouvrière de la scène politique qui en résulte, qui alimentent le désespoir et la démoralisation d'un grand nombre de travailleurs, et qui, du même coup, accréditent la démagogie des politiciens qui cherchent à désigner les immigrés comme boucs émissaires.

La campagne référendaire a mis en évidence, une fois de plus, que lorsqu'il s'agit de défendre ses intérêts politiques, la classe ouvrière n'a pas de moyen de se faire entendre. Bien sûr, le référendum en lui-même n'aurait pas pu permettre aux travailleurs d'exprimer leurs intérêts de classe. Mais le fait est que les organisations qui prétendent représenter leurs intérêts matériels ou politiques, des syndicats au Parti travailliste, sont tombées dans le piège tendu par Cameron, au lieu de démasquer ses manœuvres et de rejeter le faux choix qu'il proposait aux électeurs.

Si cela montre quelque chose, c'est la nécessité d'un parti ouvrier qui, au lieu de se prêter aux petits jeux des institutions politiques de la bourgeoisie afin d'y occuper des positions, se fixe pour objectif la défense des intérêts sociaux et politiques de la classe ouvrière. Un parti qui, par-dessus tout, se batte pour le renforcement et l'unification des prolétaires, d'où qu'ils viennent, qui soit de tous leurs combats contre ce système d'exploitation, et qui cherche à leur offrir une perspective visant à préparer le renversement définitif du capitalisme.

6 septembre 2016