États-Unis - Élection présidentielle : deux candidats de la bourgeoisie pour un fauteuil

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novembre 2012

Bien que les électeurs américains d'une douzaine d'États aient la possibilité de se rendre aux urnes avant la date officielle du scrutin présidentiel le 6 novembre - en Iowa on vote depuis le 27 septembre -, il est, à l'heure où nous écrivons, impossible de prévoir qui, du républicain Mitt Romney ou du démocrate Barack Obama, l'emportera. Mais ce qui est certain c'est que l'un et l'autre ont été sélectionnés par les appareils des deux grands partis au service de la bourgeoisie américaine, les Républicains et les Démocrates, qui alternent à la Maison-Blanche et se partagent le pouvoir au Congrès depuis plus de cent cinquante ans.

Deux candidats de la bourgeoisie

Le sénateur Barack Obama a ainsi franchi il y a quatre ans l'étape des primaires démocrates, avant de gagner l'élection présidentielle en 2008. Cette année, son statut de président sortant lui a épargné une autre campagne des primaires.

En revanche, l'ancien gouverneur du Massachusetts Mitt Romney avait perdu les primaires républicaines en 2008. Cette année, il était en compétition avec des rivaux tous plus réactionnaires les uns que les autres. Et s'il a pu cette fois emporter la compétition interne, c'est que sur le terrain réactionnaire il a fini par donner satisfaction tant à l'aile religieuse de son parti (il a été lui-même un dignitaire mormon) qu'au Tea party, son aile anti-impôt, mais surtout antiouvrière et anti-fonctionnaires, viscéralement hostile à cette frange des classes populaires qu'elle méprise en employant le vocable d'« assistés ». Les électeurs républicains se sont donc finalement accordés sur la candidature de Romney. D'autant plus qu'il a été capable de mobiliser plus de fonds que ses rivaux. Il faut dire que les riches donateurs ont eu de quoi s'identifier à cet homme d'affaires qui a accumulé un quart de milliard de dollars de fortune personnelle grâce à son fonds d'investissement Bain Capital. En tant que capitaliste, Romney a acheté des entreprises en difficulté, a procédé à des licenciements, puis les a revendues avec d'autant plus de profits qu'il a utilisé toutes les ficelles possibles de l'optimisation fiscale, y compris les paradis fiscaux, pour ne payer qu'autour de 14 % de ses revenus à l'État fédéral au titre de l'impôt, c'est-à-dire une proportion à peine supérieure à celle de l'Américain moyen qui en paye 12 %. C'est en toute légalité qu'il a bénéficié à plein, ainsi que l'ensemble de la classe bourgeoise, des baisses d'impôt dont le dernier président républicain, George W. Bush, avait fait cadeau au prix d'un déficit croissant du budget fédéral et qu'Obama a reconduites.

Un système électoral sous contrôle

Le système électoral américain est si bien verrouillé par les deux partis de la bourgeoisie que même leurs rivalités internes pour briguer la présidence, les élections primaires, sont institutionnalisées. Aux niveaux inférieurs également - et en novembre seront aussi élus des parlementaires, des gouverneurs d'État, des maires, et une kyrielle de responsables locaux - les Démocrates et les Républicains se partagent presque entièrement le monopole. Il existe des exceptions, mais elles sont rares. Et les candidats indépendants ne se situent presque jamais à gauche et encore moins sur le terrain de la classe ouvrière.

Ce qui n'empêche pas les efforts pour limiter tout de même le nombre de votants. Ainsi cette année plusieurs États ont adopté des lois obligeant les électeurs à présenter un document d'identité avec une photo le jour du vote, alors que les USA n'ont jamais exigé que les habitants possèdent une carte d'identité. Le prétexte est d'empêcher la triche électorale. Mais la plus récente manipulation électorale n'a pas été le fait des électeurs, mais bien de l'appareil d'État, notamment de la Cour suprême, qui a permis à G. W. Bush de devenir président en 2000. Et cela bien qu'il ait eu 540 000 voix de moins que son concurrent et que sa « victoire » dans l'État-clé de Floride, dont son frère était gouverneur, ait été assez suspecte. Aujourd'hui une frange de la population de ce pays ne possède pas le permis de conduire qui tient lieu de document d'identité photographique. C'est le cas des plus pauvres, qui ne possèdent pas de voiture, et de toute une partie des personnes âgées, qui n'en possèdent plus et qui ont pu égarer leur permis. Or les États ont été bien plus rapides à voter ces lois restrictives qu'à mettre en place la logistique pour délivrer des papiers d'identité à ces personnes pour qu'elles puissent voter. Les commentateurs estiment que 500 000 personnes, rien qu'en Pennsylvanie, risqueraient ne pas pouvoir voter et que cela avantagerait les Républicains. Toutefois il semble que ces lois, qui ont été contestées en justice, ne seront pas forcément appliquées, du moins cette fois-ci.

La Pennsylvanie fait partie de la douzaine d'États-clés de l'élection de 2012, sur les 50 de l'Union. En effet, l'élection présidentielle est une élection indirecte à deux degrés. Les électeurs votent pour des grands électeurs de leur État, qui eux-mêmes élisent le président. Bien que nationale, l'élection se déroule État par État, chacun ayant ses propres règles électorales. À l'exception du Maine et du Nebraska, peu peuplés, le candidat qui obtient la majorité dans un des 48 autres États remporte tous les grands électeurs de cet État. Dans la plupart des États, puisque tout le monde s'accorde à l'avance sur le très probable vainqueur local qui remportera tous les grands électeurs, la campagne n'a presque pas d'enjeu. En revanche, elle est bien plus acharnée dans les États-clés.

Le contrôle de la bourgeoisie américaine sur le processus électoral, pour ne parler que de cela, car elle contrôle bien évidemment l'appareil d'État à son service, est encore plus direct au travers du financement des campagnes. Cela détermine déjà en grande partie celui des politiciens rivaux qui peut dans chaque parti noyer ses concurrents sous les publicités télévisées négatives et remporter les primaires pour être candidat à la présidentielle. Aux États-Unis, une campagne à quelque niveau que ce soit, mais encore plus une présidentielle, est avant tout dirigée vers les donateurs potentiels. C'est une étape indispensable pour pouvoir briguer les suffrages de la population. Ainsi la bourgeoisie, par ses habitudes de financement des campagnes électorales, sélectionne ses candidats bien en amont de l'élection elle-même. Le bon peuple n'est appelé qu'à ratifier ses choix.

Les campagnes électorales américaines sont habituellement financées par des dons privés qui vont directement aux candidats. Depuis deux ans, les particuliers et les entreprises peuvent financer presque sans limite des comités de soutien, les « super PACs » (Political Action Committees), moyennant l'hypocrisie qui consiste à officiellement séparer la campagne d'un candidat de celle des « super PACs » qui le soutiennent. S'il est trop tôt pour en connaître le bilan financier, la campagne de cette année est d'ores et déjà la plus coûteuse de toutes. Déjà en 2008, Démocrates et Républicains additionnés avaient récolté et dépensé plus d'un milliard de dollars ; ce montant considérable est en passe d'être atteint pour la seule campagne d'Obama de 2012...

D'abord les Républicains ont semblé récolter la plus grosse part de ces dons, notamment parce que leur longue et acharnée campagne interne des primaires l'a nécessité. Mais à présent il semble que les Démocrates les rattrapent. Pour 4 millions de dollars, James Simons est le plus gros donateur individuel de la campagne démocrate. La fortune de ce Simons provient d'un « hedge fund », un fonds spéculatif. Parmi les autres gros contributeurs amis d'Obama, on retrouve l'inévitable spéculateur à la retraite et milliardaire actif George Soros pour 1,25 million, ainsi que l'acteur Morgan Freeman et l'animateur télé Bill Maher pour 1 million chacun. Le nom des entreprises contributrices n'est pas encore connu...

Les Démocrates prétendent qu'à ce jour ils n'ont dépensé que 303 millions de dollars en publicité, contre 351 dépensés par les Républicains. Mais ils ont réussi à acheter 35 000 spots télé de plus que les républicains. Cela signifie que les téléspectateurs ont été abreuvés de centaines de milliers de ces spots, dont plus des deux tiers sont des publicités négatives accablant le camp d'en face. Ce matraquage publicitaire est concentré sur une douzaine d'États qui sont considérés par les deux camps comme incertains.

Au milieu de cette débauche d'argent, les appareils syndicaux qui se flattent de faire contrepoids aux moyens financiers de la bourgeoisie ont déjà donné au moins 14 millions de dollars à la campagne d'Obama. Ce faisant ils entretiennent bien des illusions parmi leurs adhérents et ils marquent leur intégration de longue date dans le jeu politique de la bourgeoisie américaine.

Le bilan d'Obama : la bourgeoisie s'est enrichie dans la crise

Et pourtant, au vu du bilan d'Obama, il n'y a pas grand-chose qui puisse être favorable aux travailleurs. Remportant la précédente élection présidentielle en novembre 2008 au milieu de la pire crise financière qu'ait connue depuis longtemps le capitalisme, Obama a sauvé la mise aux plus grandes banques en les subventionnant massivement. Le refinancement des institutions financières a alors été massif : plus de 1 000 milliards de dollars ont été mis à leur disposition par l'État américain pour les sauver de leur propre irresponsabilité. Obama n'a fait en cela qu'appliquer le plan concocté conjointement par l'administration républicaine battue et son nouveau gouvernement au cours de la transition qui a précédé son intronisation fin janvier 2009.

Les plus grandes entreprises industrielles américaines ont aussi bénéficié des attentions successives de G.W. Bush et d'Obama. General Motors, pour n'évoquer que ce symbole du capitalisme américain, avait distribué 2,3 milliards à ses actionnaires avant de se déclarer en faillite fin 2008-début 2009. Le constructeur automobile a directement obtenu 50 milliards de dollars, plus 45 autres milliards en cadeaux fiscaux en 2009, tout en baissant les salaires de 3 à 10 % et en licenciant 47 000 travailleurs, dont certains peuvent éventuellement retravailler dans les usines GM mais pour des salaires réduits. Ce qui a permis à GM de faire son retour triomphal à la Bourse en 2010. Une grande fierté pour Obama, qui s'en vante régulièrement.

L'héritage de G. W. Bush s'est vite transformé en politique volontariste pour Obama. Cela s'est traduit par les fameux QE, « quantitative easing » (assouplissements quantitatifs), qui consistent pour la banque fédérale (FED), conjointement avec le gouvernement, à noyer sous les liquidités le système financier pour lui éviter la syncope. En échange de quantités astronomiques de dollars, la FED récupère des papiers représentant des produits financiers non fiables qui plombent les comptes des banques, trop contentes de pouvoir s'en débarrasser. Les grandes banques de Wall Street ont avalé goulûment ces montagnes de dollars, mais la crise n'a pas été résolue pour autant. À un premier assouplissement quantitatif QE 1 en 2009-2010, il a fallu ajouter un QE 2 en 2011. À présent l'heure est au QE 3, qui a comme particularité de ne pas être limité dans le temps, mais au contraire d'être un transfert mensuel de 40 milliards de dollars sortis de la planche à billets vers les banques. Cela ne résoudra certainement pas plus la crise, mais il semblerait que les institutions financières ne peuvent plus à présent se passer de vampiriser en permanence l'argent public et ne doivent plus leur survie qu'à une transfusion permanente des coffres des États vers les leurs. Pendant ce temps rien n'a été fait pour aider le million de ménages qui chaque année, depuis l'éclatement de la crise des « subprimes », ont perdu leur logement, ni pour les 900 000 autres qui devraient le perdre en 2012.

Sans surprise, la présidence d'Obama a accru considérablement la dette de l'État américain. Aux 10 600 milliards de dollars de dette dont Obama a hérité en 2009, il en a rajouté 5 400. Ce qui lui est reproché bien entendu par Romney, qui va répétant qu'il faut réduire la taille de l'État en réduisant les services publics et les budgets sociaux. En même temps Romney veut maintenir, voire augmenter, le budget militaire et la taille de l'armée, le plus sûr pilier de l'État. En cela il n'est pas contredit par Obama.

L'un et l'autre ont préparé des plans de réduction de la dette pour les années à venir. C'est le rythme de la crise de l'économie capitaliste et le comportement totalement irresponsable de la bourgeoisie qui fixeront les échéances des finances publiques, aux USA comme ailleurs, bien plus que la volonté d'un politicien, fût-il le président des puissants États-Unis. Mais d'ores et déjà l'évocation du déficit fédéral, plus de 1 000 milliards cette année, et la perspective de sa réduction sont le prétexte à des attaques tous azimuts sur les dépenses sociales et les fonctionnaires. Ces quatre dernières années, 500 000 postes de fonctionnaires fédéraux ont été supprimés.

Obama a fixé la date du 1er janvier à une commission de sénateurs démocrates et républicains pour parvenir à un accord sur la réduction du déficit budgétaire. Sans cela de nouvelles coupes drastiques seront appliquées automatiquement au budget fédéral, allant de pair avec une augmentation des impôts décrite comme une « falaise fiscale ». Ce qui est un bon prétexte pour réduire « volontairement » les budgets sociaux. Et cela quel que soit le président élu le 6 novembre. L'État américain est le théâtre permanent de ces compromis entre deux partis, qui ne sont en rivalité que pour la distribution des postes, car la distribution des cadeaux fiscaux et de l'argent public va toujours aux mêmes : les capitalistes.

C'est donc sans surprise que l'on constate que les records de profits des entreprises américaines sont battus : 1 500 milliards de dollars pour 2011, dont 814 milliards ont directement augmenté la fortune des actionnaires via les dividendes versés et 409 milliards indirectement en rachat de leurs propres actions, de façon à en faire monter le cours et à en concentrer la richesse en toujours moins de mains. Cela laisse peu pour les investissements...

À tous les niveaux, les dépenses publiques utiles à la population sont réduites

Par contre, les villes, les comtés et les États ont toutes sortes de difficultés financières que leurs responsables font retomber entièrement sur le monde du travail. Ainsi le gouverneur démocrate de l'État de Californie impose un jour de congé non payé par mois à ses fonctionnaires, diminuant ainsi leur salaire de 4,6 %.

Le système éducatif public est soumis à un véritable démantèlement. Le district scolaire de Los Angeles, le second plus important du pays, a vu son budget réduit de 18 % au cours des deux dernières années. À Detroit, dans le Michigan, le nombre de fermetures de classes et même d'écoles a été tel que 45 % des élèves de cette ville pauvre sont à présent scolarisés dans des « chartered schools » (écoles privées). Cette délégation de service public, sous forme de charte, s'accompagne d'un transfert de fonds des caisses publiques, pourtant presque vides, vers le privé pour lequel les politiciens au service des riches trouvent toujours de l'argent. Ce bouleversement a été tel que les 4 000 enseignants du district scolaire de Detroit ont dû attendre la rentrée scolaire pour connaître leur affectation. Le gouvernement d'Obama offre des aides financières aux districts scolaires nécessiteux, à condition qu'ils ferment des écoles publiques et autorisent les ouvertures d'écoles privées. De plus en plus d'élèves sont ainsi exclus de l'éducation publique : en 2010, 1,4 million de jeunes constituaient ainsi la clientèle des « chartered schools ». Entre les nécessités de leur éducation et les bénéfices à dégager, les managers n'hésitent pas une seconde à choisir...

À Chicago, le maire Rahm Emanuel, un Démocrate qui était jusque récemment le chef de cabinet d'Obama à la Maison-Blanche, mène la même politique en supprimant de nombreux emplois d'enseignants et de personnel périscolaire. Dans cette ville les professeurs sont confrontés à de nombreuses attaques : allongement de la durée hebdomadaire de travail, perte de dix jours de congés, remise en cause des augmentations de salaire promises... C'est une façon de préparer le troisième district scolaire du pays à être offert au privé, car il s'agit d'attirer des capitaux prêts à s'investir dans l'éducation pour en retirer un profit rapide. Mais à Chicago les 29 000 enseignants ont décidé de prendre l'offensive en cette rentrée en faisant grève. Ce conflit était attendu, car Emanuel s'était arrangé à l'avance pour que l'État de l'Illinois se dote d'une loi spécifique aux enseignants de Chicago, exigeant que 75 % des membres de leur syndicat se prononcent formellement pour la grève pour que celle-ci puisse être déclenchée. La détermination des enseignants a été telle que 90 % l'ont votée, au grand dam des Démocrates, qui ont fait intervenir la justice pour empêcher la grève de continuer après l'ouverture des négociations. La grève s'est terminée sur une promesse d'augmentation de 16 % des salaires des enseignants sur quatre ans.

Dans certaines régions du pays les dirigeants des syndicats enseignants ont réagi aux attaques des Démocrates non pas en mobilisant leurs membres, comme à Chicago, mais en finançant la campagne de leurs rivaux républicains.

Obama se pose en réformateur

Héritant de la gestion délicate d'une crise financière dévastatrice, Obama s'est mis en devoir de réguler la finance. Il s'agissait de rendre un peu de stabilité à un capitalisme générateur de crises. La loi Dodd-Franck a ainsi été adoptée en 2010, loi qui ne prévoit bien sûr pas le contrôle de la population ou des employés de banque sur les prédateurs irresponsables de Wall Street. Ce texte de plus de 800 pages, où même les spécialistes se perdent, prévoit de faire intervenir onze agences gouvernementales, qui sont chacune fondamentalement aux ordres de la bourgeoisie, pour édicter plus de 230 règles concernant l'activité financière. Deux ans après, moins d'un quart des règles ont été écrites et la spéculation continue de plus belle. Cette loi est bien à l'image de ce système financier que même les dirigeants des banques ne comprennent plus tant il est compliqué à souhait pour en cacher l'essentiel : la prédation des richesses de toute la société au profit d'une minorité.

Toutefois c'est encore trop pour les rapaces de Wall Street, qui veulent continuer leurs affaires comme avant, même si elles mènent à des crises à répétition. Des banques ont donc contesté la loi devant les cours de justice, où elles ont trouvé l'oreille attentive de plusieurs juges bien placés pour leur rendre service. Il en résulte que les banques ont à présent le droit d'attaquer en justice la SEC (Securities and Exchange Commission), le gendarme américain de la Bourse, si celle-ci n'a pas étudié en détail et de façon exhaustive toutes les conséquences économiques des arrêtés qu'elle rend lorsqu'elle constate un dysfonctionnement des marchés boursiers et financiers. L'ironie de l'affaire étant que la SEC a l'habitude de commander ses études aux mêmes cabinets d'avocats d'affaires qui sont généralement au service des banques. C'est dire que ses interventions pour réguler la finance vont être très timides. Ainsi, au lieu que la SEC, bras très peu armé de l'État, gendarme les banques, ce sont les banques qui lancent les juges après la SEC !

L'autre grande affaire de la présidence d'Obama a été l'extension de la couverture maladie. Mais Obama n'a fait que créer un rideau de fumée pour masquer ce problème vital pour nombre de travailleurs. Car si l'on n'est pas assuré, en cas de maladie grave ou d'accident, on a le choix entre ne pas se soigner ou bien s'endetter considérablement. On peut aussi être amené à s'endetter pour pouvoir s'assurer, car les compagnies d'assurance ne font pas de cadeaux. Traditionnellement les salariés des grandes entreprises et leurs proches étaient assurés par le biais des contrats de travail. Mais la crise est passée par là depuis longtemps et le nombre de personnes dépourvues d'assurance-maladie a augmenté : 55 millions avant la réforme d'Obama.

Malgré cette faillite patente, il n'est pas question que l'État crée une assurance publique pour tous. Non, au contraire, la loi de 2010 d'Obama oblige ceux qui n'en ont pas à contracter une assurance privée d'ici 2014 sous peine d'amende ! Il offre aux compagnies privées de nouveaux clients captifs, au tarif qu'elles exigent. C'est d'ailleurs le même système que Romney, quand il était gouverneur du Massachusetts, avait mis en place dans cet État.

Les mailles de ce filet de protection sociale sont tellement larges qu'on estime que 23 millions de personnes passeront à travers. De plus la loi implique un contrôle accru des dépenses de santé par l'État, ce qui ne pèsera certainement pas sur les trusts opérant dans le domaine de la santé ou l'assurance, mais prendra plus certainement la forme de restrictions de soins. Déjà sous Obama, les programmes qui financent une partie des dépenses de santé pour les plus démunis et pour les personnes âgées, ainsi que le système de retraites à financement public, ont subi des coupes budgétaires. Par ailleurs Obama a fait des concessions aux réactionnaires en plaçant l'IVG en dehors du périmètre des soins couverts obligatoirement par la nouvelle loi. Cela ne l'a pas empêché d'être traité de tous les noms, de nazi à socialiste, par les Républicains flattant leur électorat hostile à toute intervention de l'État.

En matière d'immigration, Obama ne s'est pas distingué des plus réactionnaires : il a fait expulser chaque année 400 000 immigrants illégaux, entrés le plus souvent par la longue frontière avec le Mexique. Plus que son prédécesseur républicain. En juin dernier, ce n'est que pour donner le change à un électorat hispanique de plus en plus nombreux qu'Obama a annoncé que les sans-papiers de moins de 31 ans pourraient être provisoirement régularisés pour deux ans. À condition qu'ils soient d'anciens militaires - car s'engager dans l'armée est une voie pour obtenir des papiers, c'est ainsi que l'état-major recrute une partie de sa chair à canon - ou qu'ils apportent des preuves de leur entrée aux USA avant l'âge de 16 ans et de leur présence depuis, et notamment le jour même de l'annonce le 15 juin. Il y aura donc beaucoup de jeunes incapables de fournir ces preuves ou qui ne voudront pas les fournir de peur d'exposer d'autres membres de leur famille à la menace d'une expulsion. Rien qu'au niveau du district scolaire de Los Angeles, 200 000 lycéens et étudiants sont probablement dans les critères. Mais jusqu'à présent seuls 100 000 jeunes ont présenté un dossier dans tout le pays et fin septembre l'agence chargée de ces dossiers n'avait approuvé que 29 régularisations... provisoires. Et Obama a bien pris soin de préciser que ces jeunes-là ne devaient pas espérer que ce soit là le premier pas vers l'acquisition de la citoyenneté.

L'impérialisme américain englué dans ses guerres

La guerre d'Irak avait été déclenchée sous G.W. Bush en 2003. Bien que les États-Unis aient aisément balayé le régime de Saddam Hussein, ils ont été incapables d'y maîtriser la guerre civile et l'hostilité à leur présence. L'envoi massif de troupes (« surge ») en 2007, après des succès initiaux, n'y a rien changé. Ainsi, en retirant les troupes d'Irak en 2011, Obama a pu se donner le beau rôle. Mais l'impérialisme américain n'a pas renoncé à contrôler ce pays. Il laisse à Bagdad la plus grande ambassade américaine du monde où 17 000 personnes (dont 4 000 à 5 000 mercenaires chargés de la sécurité) y défendent ses intérêts, secondées par plusieurs autres milliers d'agents dans les consulats de Mossoul, Kirkouk et Bassora, situés tous les trois au centre des zones pétrolifères...

La guerre d'Afghanistan, la plus longue jamais menée par les États-Unis (en alliance avec la France, entre autres), a suivi une évolution similaire, mais décalée dans le temps car ce sont les troupes et les généraux retirés d'Irak qui ont été jetés ensuite sur la population afghane. L'année de son arrivée à la Maison-Blanche, Obama a doublé le nombre de troupes américaines en Afghanistan en portant leur nombre à 68 000. C'était la mise en œuvre de la politique de son prédécesseur G. W. Bush. Et, deux mois après avoir reçu en octobre 2009 le prix Nobel de la paix, Obama a décidé d'y envoyer encore 30 000 soldats supplémentaires et de bombarder à coups de drones les zones frontalières du Pakistan. Mais, pas plus qu'en Irak, le « surge » n'a pu venir à bout du chaos aggravé précisément par l'intervention impérialiste. Ce n'est pas l'assassinat de Ben Laden au Pakistan en 2011 qui y a changé grand-chose. Aujourd'hui les troupes occidentales ne sont même plus en sécurité aux côtés des troupes afghanes qu'elles équipent et entraînent car de plus en plus de soldats afghans se retournent contre leurs maîtres. Il ne reste plus beaucoup d'options à Obama, à part s'orienter vers la fin de l'intervention militaire.

En Irak et en Afghanistan, l'impérialisme américain laisse derrière lui des ruines et des cimetières. Obama n'a même pas fermé la sinistre prison de Guantanamo malgré sa promesse de campagne de 2008. Les critiques de Romney sur un ton va-t-en-guerre ne sont là que pour alimenter sa campagne. Obama n'est d'ailleurs pas en reste ; au cours du débat du 22 octobre, le prix Nobel de la paix a rétorqué à son adversaire qui l'accusait de mollesse : « Sachez que nos dépenses militaires ont crû tous les ans depuis que je suis au pouvoir. Nous dépensons plus que le total cumulé des dix nations suivantes.»

Sur le terrain de la politique étrangère des États-Unis il faut s'attendre à une continuité en cas d'alternance.

Le chômage et la misère s'étendent

La phase aiguë de la crise en 2008 a fait brutalement doubler le taux de chômage en une année et demie, l'amenant à 10 % en octobre 2009. Ce taux n'a pas été inférieur à plus de 8 % depuis trois ans et demi. Seule la dernière statistique mensuelle disponible fait passer cette proportion à 7,8 %, ce qui est une bonne nouvelle pour Obama qui peut prétendre que le bout du tunnel est en vue, et ce qui attire une certaine suspicion à la vue de ce chiffre sorti juste un mois avant l'élection. Toutefois on peut douter que les chômeurs, 23 millions au bas mot, aient bondi de joie. D'autant moins que les deux tiers des emplois créés sont à temps partiel, et que les indemnités chômage ont été réduites et ne sont plus versées à taux plein que pour environ six mois, voire moins selon les États. À la fin de l'année environ trois millions de travailleurs sans emploi seront aussi sans allocation. Une situation qui n'est pas près de s'améliorer d'après les patrons eux-mêmes, puisque 34 % des PDG américains prévoient de supprimer des emplois dans les six prochains mois ; une proportion qui n'était que de 20 % lorsque le même sondage a été réalisé il y a trois mois.

Obama et les Démocrates parlent depuis des années de reprise de l'économie, parfois avec un bémol en évoquant une « reprise fragile » depuis 2009. Mais si on peut parler de reprise, c'est uniquement par rapport à la franche dégringolade de l'économie productive en 2008. Depuis, le revenu médian annuel a diminué de 4 000 dollars et la misère n'a pas cessé de s'étendre. Au printemps 2012, plus de 46 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté n'ont dû leur survie qu'aux bons alimentaires. Rien que dans la ville de New York, 46 000 personnes vivent à la rue, dont 20 000 enfants ; 4 000 de plus que l'an dernier...

Une compétition électorale sans intérêt pour les travailleurs

Avec un tel bilan, Obama aborde la course à la Maison-Blanche avec un sérieux boulet au pied. D'autant que, pour ne pas risquer de s'aliéner la partie la plus conservatrice de l'électorat, il s'est bien gardé de faire quoi que ce soit qui puisse être interprété comme trop progressiste. Ainsi le premier président noir n'a fait aucun geste envers la communauté noire, principalement composée de travailleurs et toujours victime d'un racisme rampant. Obama a agi comme s'il était certain de conserver cet électorat, quoi qu'il fasse. Nous saurons dans un avenir proche si ce calcul aura été payant.

Les politiciens républicains, quand ils ont abordé leur campagne interne des primaires, ont senti la victoire facile se profiler, tant Obama avait déçu une large partie de son électorat de 2008. Ils se sont disputés sans retenue sur le terrain des idées réactionnaires. Romney, qui a souvent changé de position en la matière, a fait campagne contre le droit à l'IVG, «sauf en cas de viol, d'inceste ou de danger pour la mère». Obama a été leur cible favorite, d'autant plus qu'implicitement ils faisaient appel au racisme de leur électorat : tout d'abord il n'était pas américain, puis il était secrètement musulman, puis socialiste, puis communiste, et tout récemment ils ont découvert qu'il était anticolonialiste. Tout cela étant des insultes dans leurs cervelles obtuses ...

C'est Mitt Romney qui a gagné à ce jeu-là. Mais il y a laissé des plumes. Tout d'abord, ses concurrents républicains se sont acharnés contre lui, le dépeignant comme un ultra-riche éloigné du peuple, hautain et, qui plus est, gaffeur. C'est évidemment ce qu'il est, comme l'a prouvé la vidéo le montrant, à un dîner de collecte de fonds avec des bourgeois ayant payé leur place plusieurs milliers de dollars, en train d'ironiser sur les « assistés » que seraient 47 % des Américains, supposément électeurs d'Obama. Et puis, en endossant toutes les outrances des courants les plus réactionnaires de son parti, Romney s'est potentiellement aliéné les électeurs indécis. Au point qu'au cours de l'été c'est Obama qui a cru la partie gagnée.

Tous deux ne parlent que d'aider les petites entreprises, ce qui est un camouflage pour une politique qui profite aux plus grandes firmes. Au cours du débat télévisé du 16 octobre, Obama a déclaré : «J'avais dit [il y a quatre ans] que je diminuerais les impôts pour les petites entreprises, les moteurs de la croissance, et on l'a fait dix-huit fois.» Lors du débat du 3 octobre, Obama n'a pas seulement promis des cadeaux pour les « petites » entreprises mais pour toutes : «Le gouverneur [Romney] et moi sommes d'accord sur le fait que l'impôt des sociétés est trop élevé. Je veux l'abaisser à 25%.» L'impôt sur les bénéfices est de 35 % officiellement. En réalité beaucoup moins pour les grandes entreprises, qui bénéficient à fond des niches fiscales. De 2008 à 2010, 78 grandes entreprises n'ont pas payé d'impôt au moins une année ; et 30 n'en ont pas payé du tout, bien qu'elles aient déclaré officiellement 160 milliards de dollars de bénéfices. Parmi celles qui n'ont pas payé d'impôt du tout, on trouve General Electric (industrie), qui a fait 10,46 milliards de profit durant ces trois années en licenciant 21 000 travailleurs ; Verizon (téléphonie), qui en a fait 32,52 milliards tout en licenciant 16 000 travailleurs en 2009 et à nouveau 1 700 cette année ; et la banque Wells Fargo, qui en a déclaré 49,37 milliards et a licencié 2 800 personnes en 2010. Ce sont ces « moteurs de la croissance » qui bénéficient à plein des sollicitudes démocrates et républicaines pour les petites entreprises.

Romney et Obama ne s'adressent qu'à la « classe moyenne », un terme vague cachant leur soumission à la grande bourgeoisie, au profit de laquelle Obama a maintenu les importantes baisses d'impôt sur les hauts revenus inaugurées par son prédécesseur, et qu'il critique pourtant à tout bout de champ. Pour le monde du travail, Obama n'a que des phrases creuses sur le terrain du patriotisme économique, du protectionnisme et de la lutte contre les importations chinoises. De son côté Romney s'est recentré, pensant certainement que l'électorat le plus à droite lui est acquis, quoi qu'il dise. Il minimise les baisses d'impôt qu'il prévoit pour les plus riches, qui sont pourtant la base de son programme. Il n'hésite pas, lui le capitaliste, à s'adresser même aux travailleurs en leur parlant du chômage. Romney se paye le luxe de critiquer le soutien d'Obama aux grandes banques de Wall Street, au nom bien sûr des plus petites banques fragilisées par la crise. Obama et Romney sont maintenant au coude à coude dans les sondages.

Le résultat n'aura guère d'importance du point de vue des intérêts des travailleurs. La personnalité même du président importe peu. Il suffit de se rappeler que cet État, le plus puissant au monde, a eu à sa tête un président comme l'acteur Ronald Reagan pendant huit ans dans les années 1980 et plus récemment comme le fils à papa Bush pendant huit ans au cours des années 2000, sans que cela le handicape le moins du monde. L'appareil d'État, qui prend réellement les décisions et les applique au nom des intérêts généraux de la bourgeoisie, est bien peu dépendant de celui qui s'installe pour quatre ans à la Maison-Blanche.

C'est dans les réactions de révolte des travailleurs contre l'aggravation de l'exploitation capitaliste, c'est dans la conscience de classe qui peut en émerger que réside l'espoir dans l'avenir, bien plus que dans le nom qui sortira du chapeau présidentiel le 6 novembre prochain.

24 octobre 2012