Conférence de grenelle : environnement et économie de marché

打印
novembre 2007

Après des mois de réunions des six groupes de travail qui le composaient, le Grenelle de l'environnement, qui a réuni des représentants d'associations se réclamant de l'écologie, des collectivités locales, des syndicats de salariés et d'agriculteurs, et des organisations patronales, a conclu ses travaux le 25 octobre. Le rapport final a été présenté à Sarkozy, et comme on pouvait s'y attendre la montagne a accouché d'une souris, car les « engagements » qu'il a pris après cette opération médiatique, destinée à prouver qu'il prenait au sérieux sa signature du « pacte écologique » de Nicolas Hulot, ne l'engagent finalement à rien. Clin d'œil aux adversaires du nucléaire, il a promis de ne pas créer de nouveaux sites nucléaires, mais en oubliant de préciser que tous les projets à l'étude concernent de nouvelles constructions sur des sites anciens. Affirmant qu'il fallait faire une plus grande place au rail dans le transport des marchandises, il s'est prononcé pour le fait de ne pas augmenter les capacités routières, sauf en cas de sécurité ou d'intérêt local, ce qui, dit comme cela, pourrait apparaître plein de bon sens, si on ne savait pas que dans le même temps la SNCF, avec son aval, abandonne progressivement les transports de fret qui ne lui paraissent pas rentables, en particulier le transport de wagons isolés, pour se concentrer sur les « trains entiers », obligeant ainsi nombre d'entreprises qui étaient ses clientes à recourir au transport par la route. Concernant l'utilisation des pesticides dans l'agriculture, Sarkozy s'est engagé à la réduire de moitié en dix ans... « si c'est possible ». Aux adversaires de l'utilisation des OGM dans la culture du maïs, il a garanti que leur emploi serait gelé jusqu'au printemps, d'autant plus facilement que le maïs ne se sème pas avant avril. Bref, beaucoup de mots pour ne rien dire.

Le seul point sur lequel le président de la République s'est montré précis concernait la « taxe carbone » réclamée par Nicolas Hulot, en promettant que si celle-ci voyait le jour, pour les entreprises, elle serait compensée par une nouvelle baisse des cotisations sociales patronales.

Mais si les acrobaties verbales de Sarkozy ne présentent guère d'intérêt, le long rapport de synthèse sur les mois de discussion du Grenelle, rédigé par Thierry Tuot, maître des requêtes au Conseil d'État, est édifiant sur l'impossibilité d'élaborer une politique environnementale destinée à lutter contre les effets du changement climatique, à limiter la production de gaz à effet de serre, à préparer la relève des carburants fossiles, à préserver la bio-diversité, dès lors qu'on se refuse à mettre en cause l'économie de marché, c'est-à-dire le système capitaliste. Car en ce qui concerne ce dernier, le Grenelle de l'environnement, qui se proposait d'aboutir à un consensus, n'a pas mis en évidence, si l'on en juge par le rapport général, de divergences entre les participants. Par exemple, ce rapport affirme que « le recours aux mécanismes du marché, si les prix tiennent compte des économies et avantages environnementaux, semble en général un meilleur garant que les interventions publiques unilatérales ». Mais comment les prix tiendraient-ils « compte des économies et avantages environnementaux », dans une économie qui repose sur la recherche du profit maximum ?

D'ailleurs, quand le rapport affirme un peu plus loin, parlant des technologies nouvelles à développer dans le cadre d'une politique soucieuse de l'environnement, qu'il faut « être en mesure de participer à la compétition mondiale sur ces technologies et d'obtenir les brevets correspondants, notamment dans une perspective d'aide au développement » et que c'est « un objectif majeur », il met le doigt sans le vouloir sur la contradiction qu'il y a à vouloir marier la recherche du profit comme moteur de l'économie et la protection de l'environnement. Pourquoi en effet des technologies moins polluantes, plus soucieuses de l'environnement, devraient-elles donner lieu à des brevets, c'est-à-dire à des redevances, et ne seraient-elles pas mises à la disposition de l'humanité, dans l'intérêt des populations des pays qui les ont mises au point comme de celles des pays moins développés ?

Le classique chantage à l'emploi, tant prisé du patronat, n'est pas non plus absent de ce rapport général, quand il affirme : « Taxer une entreprise polluante peut l'inciter à délocaliser sa production, et polluer bien plus dans le tiers monde : la voie réglementaire, de la recherche et de la planification du retrait des produits polluants, s'avère ici bien plus profitable. » Mais en quoi « la recherche et la planification du retrait des produits polluants » en France, ou dans tout autre pays industrialisé, pourraient-elles empêcher l'utilisation de ces mêmes produits, au profit des mêmes multinationales, dans les pays du tiers monde ? De la démolition des vieux navires, dans les pires conditions, sur les rivages de l'Inde et du Bangladesh, aux déchets toxiques déversés à même le sol à Abidjan, l'actualité est pleine d'exemples de ces trafics qui transforment le tiers monde en poubelle des pays industrialisés, où la législation est tout de même un peu plus rigoureuse.

Et évidemment, lorsqu'on ne veut pas toucher aux intérêts capitalistes, il y a des règles à respecter. Le rapport général, qui n'est pas à une contradiction près, commence par affirmer que : « La loi doit passer et poser le principe qu'en matière environnementale tout est public et communicable, sans aucune exception », mais c'est pour préciser dans la foulée : « en dehors des trois restrictions classiques : ne pas porter atteinte au secret nécessaire à la performance économique de nos entreprises, ne pas porter atteinte à la vie privée des personnes, ne pas mettre en danger la sécurité nationale ». Or, c'est au nom du secret industriel, du secret commercial, qu'on dissimule dans bien des cas aux travailleurs et aux utilisateurs la composition de produits qu'ils ont à manipuler.

Par exemple, si la composition des produits pharmaceutiques est fort heureusement publique et contrôlée, dans le cas des produits de cosmétique et d'hygiène la loi ne prévoit que la transmission de ces données aux centres antipoisons de Paris, Lyon et Marseille, et encore sous des conditions dignes d'un mauvais roman d'espionnage : « Toutes les précautions seront prises dans les centres anti-poisons pour préserver le secret des formules transmises. Ainsi, les enveloppes contenant les fiches seront classées fermées et ne seront ouvertes qu'en cas d'accidents. Dans une telle éventualité, le responsable du centre antipoisons consignera l'ouverture de l'enveloppe sur un registre et en avisera immédiatement le fabricant et, le cas échéant, le fournisseur exclusif et responsable. Ces derniers établiront une nouvelle fiche dans les mêmes conditions que la première, qui sera détruite par le responsable du centre » ( texte publié par le Journal officiel du 24 juin 1998).

Quant aux mille et un produits que la publicité nous conseille d'utiliser pour nettoyer vaisselle et appartements, pour peindre et vernir, pour désodoriser, pour parfumer, qui contribuent à l'environnement domestique et dont l'utilisation n'est pas forcément anodine, le consommateur le plus attentif est bien en peine d'en connaître la composition exacte, secret industriel oblige.

Autre restriction à la transparence, dit ce rapport, il ne faudrait pas « mettre en danger la sécurité nationale ». Mais c'est au nom de cet impératif que l'on a rendues opaques les conditions dans lesquelles ont été effectuées dans le passé les expérimentations d'armes nucléaires, dont on n'a su que des années après quels dommages elles avaient causés aux populations locales comme à des militaires français, ou que l'on peut jeter un voile sur les investissements dans la fabrication de bombes à fragmentation ou de gaz de combat qui, outre les morts, les blessés et les mutilés qu'ils entraînent, ne sont évidemment pas sans conséquences sur l'environnement.

Mais il est vrai que l'auteur du rapport général a un sens très particulier de la transparence, puisqu'il écrit sans rire, à propos des industriels, que « chacun serait libre de communiquer dans le cadre de l'auto-contrôle actuel du BVP ». Il suffit d'ouvrir son poste de télévision pour se convaincre de l'inutilité complète de ce Bureau de vérification de la publicité pour éliminer les annonces cherchant sciemment à tromper le consommateur.

Évidemment, tout cela ne veut pas dire que les industriels soient absolument hermétiques aux discours environnementaux, parce que l'environnemental, cela peut aussi rapporter.

Tous les industriels de l'automobile, par exemple, axent aujourd'hui leur publicité, hausse du prix du pétrole aidant, sur la faible consommation de leurs véhicules, sur leur compatibilité éventuelle avec ce qu'il est convenu d'appeler les « bio-carburants ». BMW vient même de présenter un modèle baptisé « Hydrogen 7 », qui pourrait être commercialisé d'ici une dizaine d'années, et qui ne produit pratiquement comme gaz d'échappement que de la vapeur d'eau. Parfaitement écologique donc... à condition de ne pas dire comment on fabrique cet hydrogène (actuellement, soit à partir d'hydrocarbures, soit par électrolyse) et quel est le coût énergétique de la production d'hydrogène utilisé comme carburant.

C'est le même problème que l'on rencontre avec les agro-carburants, produits à partir de céréales, de canne à sucre ou de matières oléagineuses (improprement qualifiés de bio-carburants, car au sens propre du terme, les seuls bio-carburants, résultant d'une activité biologique, sont les carburants fossiles, le charbon et le pétrole !). La flambée des prix des céréales, dont la spéculation sur ces nouvelles sources énergétiques est largement responsable, joue non seulement sur le pouvoir d'achat de la population pauvre des pays industrialisés, mais constitue un véritable scandale dans les pays pauvres, par exemple au Mexique où le maïs constitue la base de l'alimentation d'une grande partie de la population. Au Brésil, où quatre millions de familles de paysans sans terre luttent pour obtenir un lopin qui leur permette de vivre, consacrer des milliers d'hectares à la culture de la canne à sucre pour en faire du carburant est une monstruosité. Et détruire des milliers d'hectares de ce poumon vert qu'est la grande forêt amazonienne pour y faire pousser de la canne à sucre en vue de produire de l'éthanol est une ineptie. Là aussi les promoteurs de ces carburants de remplacement se gardent bien de faire le bilan énergétique de l'opération, c'est-à-dire de calculer combien d'énergie est nécessaire à la culture de la canne, à sa récolte, à l'extraction de l'alcool par distillation.

En fait, tous les raisonnements des promoteurs capitalistes de ces « énergies nouvelles » reposent, non sur la recherche de solutions aux problèmes de la planète, mais sur la recherche de marchés.

Il est vrai que les industriels ne se contentent pas de polluer, quand cela leur permet de faire des économies et d'augmenter leurs bénéfices. Ils peuvent aussi dépolluer, pour peu que le marché de la dépollution soit rentable. Et les mêmes qui ont empoisonné la plupart des fleuves et des rivières se précipiteront peut-être demain pour les dépolluer, s'ils ont trouvé des solutions... et si les pouvoirs publics sont prêts à financer généreusement ces opérations. Sans que rien ne garantisse d'ailleurs, secret industriel et complicités politiques aidant, que leur intervention ne créera pas d'autres atteintes à l'environnement.

En réalité, s'il est aujourd'hui difficile de mesurer l'importance des dangers qui menacent la planète, les conséquences à venir du changement climatique, la part exacte des activités humaines dans celui-ci, il est certain que c'est toute l'organisation sociale qu'il faut bouleverser pour en pallier les conséquences.

Le rapport général du Grenelle accorde par exemple une large place, dans la lutte contre le réchauffement climatique, au problème des déplacements, celui des individus comme celui des marchandises, et invoque la nécessité de « transports de masse accessibles ». Mais comment prendre au sérieux ce discours quand on sait que l'État, depuis des décennies, a donné la priorité à la route et à l'automobile sur les transports en commun, et que la seule mesure concrète qu'ait avancée le gouvernement, c'est la « prime à la casse de 1 000 euros » destinée à accélérer le renouvellement du parc automobile au profit de véhicules censés être moins polluants. La prime à la casse n'est d'ailleurs pas une nouveauté : Balladur en avait institué une en 1994... avec pour principal bénéficiaire l'industrie automobile, qui enregistra ainsi un certain nombre de commandes anticipées.

Mais le problème des déplacements ne se limite pas à la nécessaire amélioration des transports en commun.

Pour prendre l'exemple de la France, dans toutes les grandes villes, le renchérissement des loyers et des appartements a progressivement chassé les travailleurs du centre, puis même bien souvent de la proche banlieue. Les déplacements pour se rendre à son travail ou en revenir représentent souvent des distances considérables, parce qu'usines, ateliers ou bureaux sont non seulement très éloignés du lieu d'habitation, mais aussi situés dans d'autres banlieues difficilement accessibles autrement que par la route. Les réorganisations pour compressions de personnel amènent nombre d'ouvriers ou d'employés, femmes et hommes, à changer de lieu de travail, ce qui allonge souvent leurs déplacements. Mais changer de lieu d'habitation est beaucoup plus difficile, parce qu'on ne trouve rien à louer quand on est locataire, parce que vendre son appartement, quand on est parvenu à en devenir propriétaire, pour en racheter un autre plus commode du point de vue des transports coûte cher.

La durée du temps de travail a sensiblement diminué depuis les années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale. Mais si on fait entrer en ligne de compte le temps passé dans des déplacements de plus en plus longs, bien des travailleurs passent plus de temps loin de chez eux que leur père ou leur grand-père.

Développer les transports en commun améliorerait au moins le confort de ces déplacements, permettrait dans un certain nombre de cas de renoncer aux transports individuels. Mais une organisation sociale qui mettrait fin à la spéculation foncière en nationalisant ou en communalisant les sols, peu importe, qui résoudrait la crise du logement en en construisant autant que nécessaire, qui interviendrait dans l'implantation des lieux de travail comme dans l'urbanisme, pourrait faire encore beaucoup mieux.

En matière d'urbanisme, que valent d'ailleurs les discours du Grenelle sur la nécessité de rénover toutes les habitations pour éviter le gaspillage d'énergie, de construire des appartements capables, grâce au solaire, de fournir de l'énergie plutôt que d'en consommer, dans un pays qui compte des dizaines de milliers de sans-logis, des millions de mal-logés ? Des aides sont envisagées pour permettre la réhabilitation ou la construction de logements plus économes en matière énergétique. Elles permettraient sans doute à la fraction la plus aisée de la population de bénéficier de techniques nouvelles d'isolation et de chauffage. Mais les habitants des HLM dégradées, des immeubles-taudis, continueront à voir s'envoler leurs notes de chauffage et à rejeter bien malgré eux des calories dans l'atmosphère.

En ce qui concerne le transport des marchandises, la priorité donnée à la route par tous les gouvernements successifs n'est pas le seul aspect du problème. L'anarchie capitaliste est la cause d'un immense trafic de camions sans le moindre intérêt social. Sur les autoroutes, des trente-tonnes chargés de tomates de Hollande, fonçant vers le sud, croisent leurs homologues venant du sud de l'Espagne et montant vers le nord. Pour faire plus de profit sur le coût de la main-d'œuvre, on achemine des pommes de terre d'Allemagne en Italie pour les faire laver, puis on les réexpédie en Allemagne pour en faire des chips. La politique du flux tendu, destinée à minimaliser les immobilisations de capitaux, pratiquée entre autres par l'industrie automobile, entraîne une véritable noria de camions entre les lieux où sont fabriquées les diverses pièces et ceux où elles sont assemblées.

C'est une autre organisation de la production qui est nécessaire, mais qui nécessite aussi une autre organisation sociale, où le pouvoir de prendre les décisions économiques qui engagent la vie de millions de gens et l'avenir de toute la société soit arraché à la grande bourgeoisie et placé entre les mains des producteurs. Et où du même coup le pouvoir politique soit aux mains des travailleurs. Cela s'appelle le socialisme.

Nous n'avons pris, dans ce qui précède, que des exemples tirés de ce qui se passe en France et dans son environnement géographique immédiat. Mais c'est évidemment à l'échelle de la planète que ces problèmes se posent. Faire pousser dans des pays pauvres des fruits et des légumes, avec comme principal objectif l'exportation vers les pays industrialisés où existe un marché solvable, y élever des poissons ou des crevettes dans le même but, alors que les populations locales souffrent de malnutrition, voire de la famine, est dans la logique capitaliste, mais cela aboutit à des conséquences criminelles du point de vue humain.

La prise du pouvoir par les travailleurs, la révolution socialiste, ne résoudra évidemment pas comme par un coup de baguette magique les problèmes de l'environnement. Bien des erreurs seront sans doute commises. Mais parce que les décisions seront prises en fonction de l'intérêt général, et non pas pour la satisfaction des profits que peut en escompter une petite minorité de privilégiés ; parce qu'elles seront prises dans la transparence, et non en occultant volontairement toute une partie des données du problème, comme c'est le cas aujourd'hui quand on nous vante le tout-nucléaire ou les agro-carburants - elles seront infiniment plus faciles à corriger.

L'avenir de l'humanité ne peut pas être à la « décroissance », que prônent des gens qui ne se rendent même pas compte que, quel que soit le genre de vie qu'ils ont adopté dans un pays industrialisé, ils bénéficient tout de même des progrès de la technique, et qui abandonnent de fait à son sort le reste de l'humanité. Ce ne peut pas être un retour à une agriculture de petits paysans confinés dans leurs parcelles. Mais ce ne peut pas être non plus la continuation sans fin de ce système sauvage qui broie des milliards d'êtres humains et dévaste la planète pour le seul profit de quelques-uns.

Nous vivons une période de recul du mouvement ouvrier et, cela va de pair, de recul des idées de progrès. Mais le programme socialiste, c'est-à-dire la collectivisation de tous les grands moyens de production, la construction d'une économie ayant comme moteur la satisfaction des besoins de la communauté humaine, échappant à l'anarchie et aux gaspillages d'énergie et de travail inhérents au système capitaliste, reste, lui, d'une brûlante actualité.

7 novembre 2007