Les listes LO-LCR dans la campagne électorale

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Avril 2004

Que n'a-t-on entendu les commentateurs gloser sur "l'échec des listes LO-LCR" - ce qui, après tout, n'est qu'un jugement subjectif qui n'engage que celui qui le profère - ou sur le "recul" - ce qui est un mensonge lorsqu'on compare ce qui est comparable, c'est-à-dire les voix recueillies par les listes LO-LCR aux régionales de 2004 à celles recueillies par les listes des deux organisations aux régionales de 1998 ! Beaucoup en ont profité pour ironiser sur le "mariage" LO-LCR qui n'aurait pas apporté les résultats escomptés. Escomptés par qui ? Pas par nous en tout cas - et nous y reviendrons.

Qu'en est-il des résultats chiffrés et de la signification de ces résultats ? Quelle conclusion peut-on en tirer pour la décision des deux organisations de se présenter ensemble dans ces élections ?

Ce qui est certain, c'est que le mécontentement envers la politique du gouvernement de droite ne s'est pas exprimé sur les listes LO-LCR. Le réflexe du vote utile a d'autant plus joué qu'en dehors du rapport des forces électorales entre la droite et la gauche, il y avait aussi un enjeu de pouvoir, à savoir qui dominera les exécutifs régionaux. La mobilisation, plus importante encore au deuxième tour, a montré que les électeurs ne voulaient pas seulement que la droite soit désavouée en perdant des voix mais qu'elle le soit aussi en perdant le contrôle des exécutifs de région.

Les élections sont un moyen de mesurer l'opinion de l'électorat en un moment donné. L'attitude des électeurs qui, pour désavouer la droite anti-ouvrière, ont choisi de voter pour cette gauche qui lui avait préparé le terrain, montre que leur niveau de conscience n'a pas dépassé certaines limites. L'électorat ouvrier lui-même a préféré, pour exprimer son rejet de la droite, voter pour les grands partis de gauche qui, pourtant, l'avaient déçu pendant les cinq ans du gouvernement Jospin, mais qui lui sont apparus plus crédibles, plus à même de donner au vote de protestation un caractère plus massif que le vote en faveur des listes d'extrême gauche.

Ce constat fait, ce qui est remarquable, c'est que l'électorat d'extrême gauche se maintient autour de ce niveau de 5 % qui est devenu habituel depuis l'élection présidentielle de 1995. Habituel, à l'exception de deux élections étroitement liées, la présidentielle de 2002 où l'extrême gauche a doublé son score habituel (les résultats cumulés d'Arlette Laguiller, Olivier Besancenot et Daniel Gluckstein dépassant les 10 %) et les législatives qui, moins de deux mois après, ont divisé les scores habituels par deux (l'ensemble des candidats de Lutte Ouvrière et de la LCR n'obtenant que 2,4 % des voix).

L'exception de la présidentielle de 2002

À la présidentielle de 2002, l'extrême gauche avait bénéficié, en plus des voix de son électorat habituel, du vote d'une partie de l'électorat socialiste ou communiste traditionnel qui, écœurée et déçue par cinq ans de gouvernement de la gauche plurielle, voulait se démarquer de Jospin. Une partie de ces "déçus du socialisme" s'était abstenue. Une autre partie s'était dispersée entre différents candidats qui, à tort ou à raison, apparaissaient moins responsables de la politique du gouvernement Jospin : Taubira, Chevènement, voire le candidat des Verts, Noël Mamère. Certains de ces "déçus de Jospin" avaient porté leurs votes sur l'un ou l'autre des trois candidats d'extrême gauche. Quant à Hue, ayant subordonné la politique du PC à celle du gouvernement Jospin, il en a payé le prix avec ce dernier, plus même que ce dernier.

Pour ceux qui avaient voté au premier tour pour Taubira ou pour Chevènement, il était évident qu'ils le faisaient avec l'intention, une fois leur désapprobation à l'égard de Jospin marquée au premier tour, de voter pour lui quand même au second. On peut supposer que c'était l'état d'esprit d'une bonne partie des électeurs d'extrême gauche, y compris traditionnels, et certainement de la totalité de ceux qui ne se sont résolus au vote d'extrême gauche qu'en cette occasion et en quelque sorte accidentellement.

Mais on connaît la suite : la dispersion des voix a coûté à Jospin sa place au second tour. Ce ne sont pas spécialement les votes en faveur de l'extrême gauche qui ont fait passer Jospin derrière Le Pen car il aurait suffi de l'électorat de Taubira et, à plus forte raison, de celui de Chevènement pour que Jospin soit présent au second tour.

Là encore, rappelons-le, si Le Pen a été présent au deuxième tour en 2002 ce n'est pas parce que son score a connu une progression fulgurante - ce n'était là qu'une explication commode pour les ténors de la gauche afin d'éluder la discussion sur leur politique et pour se coucher devant Chirac - mais parce que Jospin a perdu une partie de son électorat, accompagné dans son recul par Robert Hue.

Ces électeurs accidentels de l'extrême gauche, effrayés par les conséquences de leur propre geste, ont parcouru, entre les deux tours, en quinze jours, l'éventail électoral dans le sens inverse et ont voté pour Chirac au deuxième tour.

Les résultats des législatives qui ont suivi ont montré qu'une partie de l'électorat habituel de l'extrême gauche elle-même, sous la pression d'une opinion publique fabriquée, en avait fait autant et voté pour Chirac au deuxième tour de la présidentielle.Il était dans la logique des choses qu'échaudés par le premier tour de la présidentielle, une bonne partie de ceux qui avaient alors voté pour l'extrême gauche n'aient pas voulu refaire le même geste aux législatives.

La gauche, de son côté, a perdu, dans ces législatives des 9 et 16 juin 2002, une partie de son électorat traditionnel au profit de la droite. Les dirigeants socialistes ayant présenté eux-mêmes Chirac comme le sauveur du pays face à Le Pen, nombre d'électeurs de gauche ont choisi aux législatives de se jeter dans les bras des candidats se réclamant de Chirac, avec le résultat que l'on sait : une Chambre où les députés chiraquiens de l'UMP détiennent une majorité écrasante ! Chirac et la droite gouvernementale, une fois la mise ramassée, avaient les meilleures conditions politiques pour mener la politique antiouvrière qui allait être la leur pendant les deux années suivantes.

La situation particulière des élections de 2002 étant mise à part, les fluctuations de l'électorat d'extrême gauche sont relativement faibles autour d'une moyenne de l'ordre de ces 5 % atteints par Arlette Laguiller pour la première fois lors de la présidentielle de 1995 (5,30 % au total, 5,37 % en métropole) : 4,38 % des votes exprimés aux régionales de 1998, 5,18 % en faveur des listes LO-LCR aux européennes de 1999 et 4,58 % de l'électorat aux régionales de 2004.

C'est un électorat relativement stable et fidèle qui a voté à l'extrême gauche, en gros dans les mêmes proportions, aux municipales de 2001 ou aux cantonales de 2004. Mais la comparaison est nécessairement partielle dans ce type d'élections, l'extrême gauche n'ayant pas la force et l'implantation pour se présenter partout.

Dans les élections nationales, cet électorat représente un million d'électrices et d'électeurs. Cela pèse peu dans les urnes - d'autant moins que toutes les réformes du mode de scrutin des dernières années vont dans le sens de le rendre moins démocratique, moins représentatif de la variété de l'opinion publique (même dans les élections à la proportionnelle, la proportionnalité n'est jamais stricte et elle est faussée par des seuils de plus en plus élevés, par des découpages des circonscriptions). Mais cela représente une présence, très minoritaire certes mais réelle, dans la population, y compris dans de nombreux endroits où ni LO ni la LCR n'ont une présence militante. Ce n'est rien en période de "calme social" mais cela peut peser dans les mouvements sociaux si ces électeurs reprennent à leur compte et défendent les objectifs que Lutte Ouvrière, cette fois-ci en compagnie de la Ligue Communiste Révolutionnaire, a cherché à populariser pendant la campagne électorale.

Cela dépend aussi de la capacité et de la volonté politique de chacune de ces deux organisations de préserver et de consolider les liens créés pendant la campagne à l'occasion des interventions diverses, des meetings, etc., avec les électeurs de ce courant.

Contrairement à la désinformation, voire au franc mensonge véhiculé à leur sujet, les organisations d'extrême gauche ne disparaissent pas entre les élections. Leur présence physique militante n'est cependant pas en proportion de leur influence électorale. Lutte Ouvrière comme la Ligue Communiste Révolutionnaire ne sont présentes dans bien des villes ou quartiers populaires qu'occasionnellement, notamment lors des élections, à la différence justement du PC. De ce constat découle la nécessité de faire tous les efforts nécessaires pour que, d'une élection à l'autre, s'accroisse le nombre de personnes qui non seulement votent pour nos idées, mais qui les défendent autour d'elles et avec qui il est indispensable d'établir et de consolider des liens.

À remarquer, en parlant des scrutins des dernières années, que l'extrême gauche a retrouvé les voix perdues lors des législatives de 2002 où le total recueilli par les candidats de LO et de la LCR ne représentait que 622 451 voix (2,47 % de l'électorat), et ce n'était pas acquis d'avance.

Alors, recul de l'extrême gauche ? Par rapport à quoi ? Par rapport à ses propres attentes ? Sûrement pas.

Pour notre part, LO, notre attitude n'était nullement inspirée par l'attente d'un résultat exceptionnel et encore moins par l'espoir raisonné d'avoir des élus. Ceci est devenu d'autant moins vraisemblable que le mode de scrutin a été modifié pour écarter un courant comme le nôtre de toute représentation dans les Conseils régionaux. Rappelons cependant que, si la loi électorale n'avait pas été changée, nous aurions autant d'élus qu'en 1998, c'est-à-dire 22 (LO : 20 ; LCR : 2).

Notre démarche politique, y compris notre démarche pour proposer l'unité électorale à nos camarades de la LCR, a été, au contraire, inspirée par l'hypothèse qu'il nous paraissait fort probable qu'un "fort courant d'électeurs (...) préféreront voter pour le PS afin de donner au moins une gifle à la droite et ramener la gauche socialiste aux affaires". Les lecteurs de la Lutte de Classe (n° 77 de décembre 2003-janvier 2004) ont eu l'occasion de lire la résolution soumise à notre organisation, datée du 27 octobre 2003 et votée lors de notre congrès de décembre 2003. Nous la republions cependant en annexe.

Bien entendu, l'unité électorale n'aurait pu se réaliser si Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste Révolutionnaire n'avaient pas trouvé la base politique pour défendre ensemble un certain nombre d'objectifs indispensables à avancer dans cette campagne électorale et que nos deux organisations étaient les seules à pouvoir avancer. Les votes qui se sont portés sur les listes LO-LCR ne se sont pas seulement portés sur des étiquettes politiques - encore que le nom de chacune des organisations résume un choix de camp - mais aussi sur les objectifs défendus et popularisés pendant cette campagne, comme la nécessité de contrôler les comptes et les projets des grandes entreprises, comme l'interdiction des licenciements sous peine de réquisition, en particulier dans les grandes entreprises qui font du profit.

Alors bien sûr, cet accord électoral n'a pas mis fin aux divergences entre nos deux organisations. Tel n'était pas son but. Ces divergences se sont reflétées dans le fait qu'un tiers de la direction de la LCR s'est opposé à l'accord et surtout, une fois la décision prise, a trouvé le moyen, de façon fort peu démocratique par rapport à sa propre organisation, de ne pas le respecter et d'appeler à voter pour la gauche au deuxième tour. Malgré les couacs qui en ont résulté, cependant l'accord a tenu tout au long de la campagne. Et les représentants des deux organisations ont développé, chacun avec la sensibilité propre à son organisation, le même axe politique fondamental. Et, quoi qu'en disent les commentateurs sur le "mariage raté entre Arlette et le facteur", il sera reconduit pour les élections européennes.

2 avril 2004