Allemagne : la prétendue pénurie de travailleurs qualifiés

Yazdır
septembre-octobre 2018

Alors qu’après le déclenchement de la crise de 2008 l’économie paraissait mal en point, depuis 2010 ou 2011 médias et hommes politiques répètent en boucle combien elle va bien. Pourtant, le nombre de bas salaires a explosé depuis lors, de même qu’a augmenté la misère, notamment des personnes âgées et des enfants ; des millions de gens n’arrivent pas à boucler les fins de mois. Le nombre de contrats précaires bat des records, les suppressions d’emplois se succèdent dans presque toutes les grandes entreprises. Face à cela, l’une des explications récurrentes des dirigeants politiques et économiques, leur leitmotiv presque, serait le manque de travailleurs qualifiés. En somme, si la situation d’une partie des travailleurs s’est tellement dégradée, ce serait de leur propre faute.

Les indicateurs économiques, par exemple le recul de la production ou le poids de la dette publique, sont certes moins alarmants que dans d’autres pays européens, mais l’économie n’en est pas moins enfoncée dans la même crise mondiale que les autres, et c’est à la classe ouvrière que les possédants en font subir de plein fouet les conséquences.

Le gouvernement de grande coalition CDU-SPD (chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates) nie l’existence même de la crise et veut convaincre les travailleurs qu’ils devraient se réjouir de la bonne santé de l’économie allemande. Pour porter ses attaques, il argumente comme s’il voulait améliorer leur situation. Il explique ainsi que les lois laisseraient trop peu de liberté aux salariés, qui devraient pouvoir décider de leur situation, par exemple leur temps de travail, de manière plus autonome.

Que veulent-ils dire par là ? Les salariés peuvent-ils, en régime capitaliste, décider de leurs conditions de travail ? Prenons l’exemple de la loi sur le congé maternité. Depuis les années 1950, la législation prévoyait qu’au minimum six semaines avant la naissance les femmes n’avaient plus le droit de travailler. La loi était donc conçue comme protectrice vis-à-vis d’éventuelles pressions de l’employeur. Eh bien, en début d’année, cette interdiction de travailler à la fin de la grossesse a été levée. Les entreprises ont désormais le droit de faire travailler les femmes (prétendument volontaires) jusqu’au jour de l’accouchement ! Sous prétexte de la liberté de décider, les travailleuses sont brutalement ramenées des décennies en arrière.

La pénurie de travailleurs qualifiés : un argument pour diviser

Outre le leurre de l’individualisation des situations, le deuxième argument auquel les dirigeants aiment recourir pour justifier leurs attaques est le prétendu manque de travailleurs qualifiés. Presque chaque semaine, représentants du patronat ou de l’État se plaignent, expliquent qu’ils chercheraient désespérément des travailleurs, sans pouvoir en trouver. Pendant que 2,8 millions d’actifs sont au chômage, que 40 % d’entre eux ne trouvent que des emplois à temps partiel, des minijobs ou de petits contrats d’intérim, les possédants expliquent qu’ils manqueraient de travailleurs qualifiés, de professionnels !

Les salariés que leurs mesures condamnent au chômage ou au sous-emploi ne seraient-ils pas des travailleurs compétents ? Les ouvriers du bâtiment qui montent des échafaudages stables à vingt mètres de haut ne sont-ils pas des professionnels ? Ou les femmes de ménage à l’hôpital, qui connaissent tant de réglementations d’hygiène ? Sans parler des intérimaires, qui doivent en permanence se former à de nouvelles tâches, souvent très spécialisées : cela ne les rend-il pas particulièrement qualifiés ?

Toutes ces discussions autour d’une pénurie de travailleurs qualifiés sont avant tout de la propagande, et une propagande assez écœurante. Plutôt que de mettre en cause les entreprises, elle rend les travailleurs eux-mêmes responsables de leur situation difficile, en sous-entendant : si vous vous étiez donné plus de mal, si vous aviez choisi le bon métier, vous seriez maintenant travailleur qualifié et vous auriez un emploi correct.

Et il faut reconnaître que ce discours répété sans cesse commence à avoir un effet. Les préjugés contre les « fainéants de chômeurs » avaient presque disparu après l’introduction des lois Hartz. À partir de 2003, ces lois avaient notamment autorisé le recours massif au travail intérimaire, réduit radicalement la durée d’indemnisation du chômage, imposé les minijobs à quelques centaines d’euros par mois. Il s’agissait de forcer à travailler tous ceux qui perdaient leur emploi. La dernière de ces lois, Hartz IV, l’équivalent du RSA, faisait basculer les travailleurs privés d’emploi dans l’aide sociale. Depuis, chacun connaît quelqu’un dans son entourage qui, après un an de chômage, a brutalement plongé dans la pauvreté et se trouve mis sous pression par le Pôle emploi allemand. Pendant une dizaine d’années, aucun gouvernement ne se risqua à aggraver encore ces lois qui à l’évidence avaient causé tant d’appauvrissement, et fait naître tant de colère. Mais depuis un ou deux ans les préjugés contre les « assistés » reviennent en force, alimentés par la fable de toutes ces entreprises qui chercheraient, sans y parvenir, à recruter tellement de travailleurs. Pour les dirigeants, il s’agit de monter ceux qui ont un emploi contre ceux qui survivent de leurs maigres allocations.

Aggraver l’exploitation et diffamer les travailleurs sans emploi

Et à présent des politiciens parmi les dirigeants de la CDU se servent de l’ambiance politique dégradée pour oser exiger qu’on supprime carrément les allocations Hartz IV et le complément de loyer aux demandeurs d’emploi qui refuseraient ne serait-ce qu’une seule offre d’emploi. Ils veulent les obliger à accepter n’importe quel poste, même loin de chez eux, dangereux, mal payé. Cela en usant de l’argument – pour citer Christian Gräff, un responsable berlinois de la CDU – que « étant donné la situation que nous connaissons sur le marché du travail, il est impensable que des personnes âgées de 25 ou même de 45 ans soient assises chez elles et sollicitent Hartz IV ».

Leur propagande s’appuie comme en France sur le fait que, dans quelques métiers, il existe effectivement un déficit de travailleurs. Si l’on prend par exemple l’aide aux personnes âgées, il y a en moyenne vingt-huit demandeuses d’emploi pour cent offres. Il arrive donc que bon nombre d’emplois d’infirmières ou d’ASH restent vacants. Mais cela n’incite pas les employeurs à rendre ces professions plus attractives, notamment en augmentant les salaires ou en proposant des temps pleins, lorsque dans les Ehpad une bonne partie des emplois sont à temps partiel imposé, ce qui offre notamment aux patrons une plus grande flexibilité pour les plannings. La pénurie n’empêche pas non plus les autorités d’expulser des réfugiées qui suivent justement une formation comme aide-soignante auprès de personnes âgées.

Surtout, cette pénurie de main-d’œuvre concerne peut-être une douzaine de métiers, parmi lesquels les informaticiens, les kinésithérapeutes et certains métiers techniques. Et même ce déficit n’empêche ni les entreprises ni le gouvernement de sous-traiter en série ces tâches à des filiales ou des sociétés extérieures, où les salariés sont plus mal payés encore.

À côté de cette poignée de métiers où règne une pénurie de main-d’œuvre, il y a une série d’entreprises qui n’ont plus formé ni embauché depuis tant d’années qu’il leur faut maintenant recruter d’urgence, ne serait-ce qu’un peu, pour fonctionner ; ou qui ont tellement dégradé les conditions de travail que les ouvriers sont usés en quelques années et doivent sans cesse être remplacés. Dans ce genre d’entreprises, la probabilité d’obtenir un CDI après la formation est actuellement un peu plus élevée. Mais tout leur mythe d’une pénurie de personnel ne va pas plus loin que cela.

Et surtout, si les entreprises manquaient réellement de travailleurs formés, ce serait leur problème et leur responsabilité d’en former davantage. Elles ont très bien su le faire à d’autres époques, lorsque dans les années 1960 et 1970 elles allaient recruter la main-d’œuvre nécessaire jusqu’à l’extrême est de la Turquie, ou bien en Espagne, en Grèce, dans le Maghreb, et qu’il fallait non seulement la former à des métiers mais lui apporter d’abord au moins les rudiments de la langue. Mais aujourd’hui, elles ne remuent pas le petit doigt pour cela. Elles attendent que la force de travail déjà formée selon leurs besoins leur arrive sur un plateau. Et si ce n’est pas le cas, les postes restent vacants. Ensuite elles en rendent encore responsables les ouvriers, parce qu’ils n’auraient pas la formation appropriée.

Cela va plus loin : ces postes non pourvus leur servent d’argument massue contre tous les travailleurs. La direction des chemins de fer explique : « Nous ne réussissons pas à trouver de conducteurs de train. Il faut donc que les conducteurs soient flexibles et acceptent de ne connaître que peu à l’avance leur planning pour la semaine à venir. » Les directions hospitalières assènent : « Nous ne trouvons pas d’infirmières. C’est pourquoi celles en place doivent se débrouiller seules de nuit sur deux services, et revenir travailler sur leurs congés. » En usant du même argument du manque de travailleurs qualifiés, le gouvernement veut donner aux entreprises encore plus de facilités pour exploiter les aînés, pour les faire travailler après l’âge de la retraite, à 67 ou 70 ans.

Faire miroiter l’individualisation des conditions de travail

Dans les trois principaux mouvements sociaux de cette année, qui ont eu lieu dans la métallurgie, les services publics et les hôpitaux, les patrons ont poussé cet argument à fond. Dans la métallurgie, le syndicat IG Metall a trouvé depuis des années des justifications pour tous les reculs frappant les travailleurs, au nom de la sacro-sainte compétitivité des entreprises. Mais, après des années de profits record et dans le contexte des discours sur l’économie allemande florissante, le syndicat s’est senti obligé de se montrer un peu plus offensif.

En plus d’une augmentation de salaire, il a revendiqué la possibilité de réduire le temps de travail à vingt-huit heures hebdomadaires. Il ne revendiquait pas une diminution généralisée du temps de travail avec maintien du salaire, mais uniquement que chaque salarié obtienne individuellement la possibilité de réduire pendant deux ans son temps de travail de trente-cinq à vingt-huit heures. Ce temps partiel, c’était donc aux travailleurs eux-mêmes de se le payer.

Cette revendication ne coûtait rien aux capitalistes. Mais ceux-ci y ont vu l’opportunité de faire passer de nouveaux reculs. Ils ont expliqué qu’étant donné le manque de main-d’œuvre qualifiée, c’est au contraire un allongement du temps de travail qui était nécessaire : chaque ouvrier devait avoir le droit de passer individuellement… à la semaine de quarante heures.

Aussi, IG Metall a fait quelque chose qu’il n’avait plus fait depuis plus de trente ans : il a appelé à vingt-quatre heures de grève. D’habitude, il ap­pe­lait au maximum à quelques heures de débrayage. Le succès des grèves d’avertissement, puis de cette grève de vingt-quatre heures, a été massif : plus de 500 000 ouvriers y ont participé. Les vingt-huit heures hebdomadaires laissaient les travailleurs indifférents ou sceptiques ; en revanche, beaucoup étaient contents, tout simplement, de faire grève. Pour la plupart d’entre eux, c’était la première grève de leur vie ; ils découvraient leur capacité à arrêter l’usine, et ils ont arraché une augmentation de salaire non négligeable.

Mais, de leur côté, les entreprises ont imposé un recul important. Car, en contrepartie, IG Metall a accepté le principe de contrats de quarante heures pour une fraction notable du personnel. C’est la fin, de facto, de la semaine de trente-cinq heures, au nom du manque de main-d’œuvre et de « la liberté du salarié de décider lui-même de son temps de travail ».

La discussion autour de la prétendue pénurie de travailleurs qualifiés a encore davantage compté dans les ­négociations salariales pour les services publics. Les discours sur la bonne santé de l’économie avaient amené le syndicat de ce secteur, Ver.di, à revendiquer 6 % d’augmentation des salaires, avec un minimum de 200 euros pour tous.

Dans les années précédentes, les augmentations avaient souvent été minimales, et toujours en pourcentage, les plus bas salaires obtenaient donc la plus faible augmentation. La revendication de 6 % avec un socle de 200 euros aurait signifié au contraire que les meilleurs salaires auraient obtenu 6 %, et les plus faibles deux cents euros, c’est-à-dire 10 % à 12 % d’augmentation.

Le gouvernement comme les représentants des municipalités ont refusé avec véhémence d’augmenter nettement les salaires de ces catégories, femmes de ménage, éboueurs ou chauffeurs de bus. Avec arrogance, ils ont prétendu que ces salariés gagnaient déjà beaucoup dans le public, et qu’on en trouvait suffisamment sur le marché du travail. Qu’au contraire l’État devait réussir à attirer des salariés qualifiés, comme des informaticiens ou ingénieurs du bâtiment ; et que les attirer passait par des augmentations de salaire substantielles ; qu’enfin il n’y avait pas d’argent pour faire les deux à la fois.

À plusieurs reprises, le syndicat Ver.di a appelé à des ­grèves d’avertissement d’un à deux jours. Et ici aussi, comme dans la métallurgie, la participation à ces mouvements a été très élevée, et les catégories les plus mobilisées étaient justement les plus mal payées, ouvriers de la propreté urbaine, conducteurs de bus et de train, aides-cuisinières, etc. À la fin, le syndicat a signé pour une ­augmentation dont le détail est complexe, mais qui représente quand même une ­augmentation moyenne de 7,5 % sur deux ans et demi. Les agents les plus mal payés n’obtiennent pas davantage. L’idée de ne pas se contenter cette fois d’un pourcentage nécessairement injuste fut complètement abandonnée.

Bon nombre de travailleurs sont privés d’augmentations de salaire

Une fraction significative et grandissante des salariés de ces deux secteurs, métallurgie-électronique et services publics, ne toucheront cependant aucune augmentation de salaire. C’est notamment le cas de tous ceux qui sont ­employés par un sous-traitant ou une filiale, ces entreprises n’étant pas concernées par ces négociations salariales : leurs salariés (et ils sont nombreux !) ne touchent pas un centime des substantielles augmentations évoquées ci-dessus. Quant aux intérimaires, également toujours plus nombreux ces dernières années, il est bien rare également qu’ils les perçoivent. Ils n’ont pas le droit non plus de demander un temps partiel (à vingt-huit heures), tandis qu’ils peuvent très bien être touchés par la semaine de quarante heures ! Si les augmentations de salaire ne les concernent pas directement, certains intérimaires n’en ont pas moins participé aux mouvements de grève du début d’année.

Les directions syndicales ne font rien pour aller dans le sens de l’unité des travailleurs, ne s’adressant guère aux intérimaires ou ouvriers des sous-traitants, et n’essayant même pas de répondre au discours patronal sur la priorité à donner aux ouvriers professionnels. Au contraire, au lieu d’expliquer que, lorsque les prix augmentent, chaque travailleur doit quand même pouvoir payer son loyer et ses factures, au lieu de prévenir de la manœuvre cherchant à diviser les travailleurs entre personnel qualifié et tout-venant pour mieux les ­mettre en concurrence, le syndicat ­Ver.di agit finalement dans le même sens que les ­employeurs, expliquant qu’il doit bien s’engager lui aussi pour attirer les professionnels qualifiés et de valeur.

Les syndicats ne sont pas seuls dans cette démarche. Le parti de gauche radicale Die Linke parle toujours plus souvent de la pénurie de professionnels qualifiés qu’il faudrait combattre en leur ­octroyant des avantages, donnant aux travailleurs concernés l’impression d’être un groupe à part. C’est aider les possédants dans leur propagande, et aussi nourrir les idées corporatistes. Pour les révolutionnaires, il s’agit au contraire de montrer ce qu’il y a de mensonger et d’antiouvrier dans la propagande sur la ­pénurie de travailleurs qualifiés.

Le mouvement de grève dans les hôpitaux

C’est dans ce contexte que s’est développé un mouvement dans les hôpitaux. Depuis deux ans, le syndicat Ver.di et Die Linke sont engagés dans une campagne pour plus de personnel soignant dans les hôpitaux, réclamant aussi des mesures précises limitant le nombre de patients par infirmière. La souffrance au travail est telle que cette campagne a rencontré beaucoup de sympathie, à la fois dans les hôpitaux et dans l’opinion.

Cependant Ver.di et Die Linke n’évoquent que la pénurie d’infirmières, laissant complètement de côté toutes les autres catégories de travailleurs qui font tourner les hôpitaux et dont la situation n’est pas meilleure. Leur calcul est que, la pénurie de personnel soignant étant avérée, le rapport de force est plus favorable que pour des catégories moins qualifiées. Le gouvernement, avec sa propagande sur le manque de personnel qualifié, a d’ailleurs contribué malgré lui à rendre cette revendication populaire, et il semblait plus facile que dans d’autres secteurs de le pousser à quelques concessions ou au moins à des gestes symboliques.

Finalement, le personnel soignant s’est mobilisé cette année dans une vingtaine d’hôpitaux du pays, avec des mouvements de grève allant de quelques journées isolées à plusieurs semaines consécutives. Pratiquement partout, c’était la première fois que les infirmières se mettaient en grève. Elles ont souvent obtenu quelques promesses d’embauches supplémentaires, mais celles-ci les concernaient exclusivement, ce qui a eu tendance à accroître la division, notamment vis-à-vis des personnels moins qualifiés. Car, pour la plupart des autres catégories, les directions hospitalières se sont empressées d’expliquer qu’il fallait d’autant plus économiser, supprimer des emplois, parfois externaliser des secteurs entiers, des agents du nettoyage aux kinésithérapeutes, qui verront alors leurs conditions se dégrader encore.

Dans les deux grands centres hospitalo-universitaires (CHU) de Düsseldorf et Essen, les choses se sont passées différemment. Cela grâce à la présence de quelques militants ayant conscience du danger de se laisser diviser. Dès le début de la grève, ils ont popularisé l’idée qu’il fallait davantage de personnel dans tous les secteurs et tous les métiers, et ont argumenté contre la division entre soignants et non-soignants. À Düsseldorf, ils se sont adressés aux salariés des filiales travaillant sur le site, et ceux-ci ont rejoint le mouvement, luttant pour obtenir à nouveau les mêmes salaires qu’au CHU.

Pendant cette grève qui dura tout l’été, les militants ont œuvré à maintenir l’unité du mouvement, notamment contre les manœuvres des directions hospitalières. Ils ont contribué à mettre en avant des revendications à la fois unitaires, capables d’entraîner toutes les catégories, et qui émanaient des travailleurs concernés. Ainsi s’est développée la conscience d’être d’abord des travailleurs, aux intérêts communs, que l’on soit secrétaire médicale, ­ouvrier, agent du nettoyage, aide-cuisinière ou bien soignant.

Le refus de prendre en compte les revendications des non-soignants n’était pas que le fait des directions hospitalières et du gouvernement, Ver.di allait dans le même sens. La direction syndicale a fait pression pour que les grévistes acceptent les propositions faites aux soignants, laissant sur le carreau toutes les autres catégories. Mais la cohésion est restée, et finalement l’accord arraché prévoit des embauches supplémentaires pour toutes les catégories. Les travailleurs des filiales, dont au début il était hors de question de discuter, ont au moins des promesses d’augmentations de salaire.

On voit donc que la campagne autour du manque de travailleurs qualifiés s’est en partie retournée contre ses initiateurs. Elle a contribué à donner suffisamment confiance en eux à une partie du personnel hospitalier, finalement convaincue de la légitimité de ses exigences. Et, à l’issue de plusieurs semaines d’une grève qu’au moins à Essen ils ont contrôlée de bout en bout, leur niveau de conscience est bien différent, comme leur compréhension des choix politiques qui étranglent les hôpitaux.

Pour les révolutionnaires, il est bien sûr nécessaire en toutes circonstances de faire vivre l’idée qu’il n’y a pas des groupes distincts, tels que professionnels, ouvriers lambda et demandeurs d’emploi, mais une seule classe ouvrière avec des intérêts communs. Dans une simple grève comme celle des CHU, cette conscience progresse rapidement, tant les grévistes ont éprouvé que la force de leur grève, pourtant minoritaire, venait justement de la cohésion profonde entre catégories. Les grévistes ont acquis la conviction d’être attaqués en tant que travailleurs, de même que sont attaqués ceux de toutes les branches, dans cette économie en recherche permanente de plus de profits, et que c’est tous ensemble qu’il faudra répondre.

10 septembre 2018