En plus de quatre mois de guerre, les bombardements massifs et l’avancée des troupes israéliennes à Gaza ont fait plus de 30 000 morts, majoritairement des femmes et des enfants, ont provoqué le déplacement de près de deux millions de personnes, ont détruit la plupart des infrastructures et transformé les villes en champs de ruines.
Affichant son opposition à toute trêve, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a demandé début février à son état-major de lancer une offensive sur la ville de Rafah, située dans le sud de Gaza, à la frontière égyptienne. Plus d’un million de Palestiniens ayant fui le nord y sont concentrés, vivant dans des conditions précaires, sous des tentes, privés d’accès aux soins. La frontière égyptienne leur étant fermée, ils se retrouvent pris au piège, soumis au pilonnage de l’aviation et de l’artillerie israéliennes.
Le gouvernement de Netanyahou proclame vouloir éradiquer le Hamas, mais il ne fait que poursuivre une politique qui est celle des dirigeants israéliens depuis le début et qui consiste à chercher à terroriser le peuple palestinien et à l’écraser par la force des armes. Il sait lui-même qu’il ne mettra pas fin à sa résistance, qui ressurgira, sous la direction du Hamas ou d’une nouvelle organisation. Mais les dirigeants israéliens n’ont pas d’autre politique à proposer que de s’enfoncer toujours plus dans cette impasse.
Netanyahou a beau répéter que « la victoire est proche », que ce n’est plus qu’une question de mois, la réalité est tout autre. Le Hamas est capable de tirer chaque semaine des salves de roquettes contre Israël. D’après les informations circulant dans certains médias israéliens, le plan initial de l’armée israélienne prévoyait un « contrôle opérationnel » total des trois grandes villes de la bande (Gaza, Khan Younès et Rafah) avant la fin décembre. Or ce contrôle, même dans le nord, n’est toujours pas effectif comme l’a montré la mort de 21 soldats israéliens, tous des réservistes entre 25 et 40 ans, survenue le 22 janvier, lors d’une attaque à la roquette menée par des miliciens du Hamas dans le camp de réfugiés de Maghazi, à 600 mètres seulement de la frontière israélienne.
La question de la fin de la guerre divise les Israéliens, la population comme ses dirigeants. Il est de plus en plus clair que Netanyahou se préoccupe surtout de repousser, grâce à la poursuite de la guerre, le moment où il aura à rendre des comptes sur sa politique. Engagé dans une fuite en avant militaire, il a besoin plus que jamais du soutien des mouvements d’extrême droite. C’était déjà le cas après les élections législatives de novembre 2022. Pour constituer son gouvernement, il avait alors été obligé de leur concéder des postes ministériels importants, dont celui des Finances, accordé à Bezalel Smotrich, dirigeant du Parti sioniste religieux. Itamir Ben Gvir, dirigeant du parti ultranationaliste la Force juive, s’était vu attribuer un super-ministère de la Sécurité publique taillé sur mesure.
Depuis le 7 octobre, l’extrême droite a encore renforcé sa pression, profitant du climat guerrier, cherchant à attiser les sentiments anti-arabes dans la population israélienne. Les partisans de la négociation d’une trêve avec le Hamas pour obtenir la libération des otages encore retenus sont dénoncés comme des « capitulards ». En Cisjordanie, les colons, qui constituent la principale base militante de l’extrême droite, bénéficient d’un appui ouvert de l’armée israélienne pour créer de nouvelles implantations et ils peuvent se livrer en toute impunité à des agressions contre les Palestiniens.
Le 29 janvier, à Jérusalem, une Conférence pour la victoire d’Israël a été organisée, avec pour thème principal le transfert des Palestiniens hors de Gaza. Alors que certains se déclaraient ouvertement pour l’expulsion des Gazaouis, le ministre d’extrême droite de la Sécurité publique, Ben Gvir, faisait presque figure de modéré en prônant une « émigration volontaire ». À ses côtés, à la tribune, se trouvaient quatorze autres membres du gouvernement de Nétanyahou issus de l’extrême droite, du Likoud, le parti de droite, et du parti religieux orthodoxe Unité de la Torah. L’extrême droite se bat pour la « reconquête » et pour « recoloniser Gaza ». En organisant des manifestations à la frontière entre Israël et Gaza pour bloquer les camions transportant l’aide humanitaire destinée aux Palestiniens, ses militants appellent à mener une guerre d’extermination.
Face à Netanyahou et ses alliés d’extrême droite, d’autres manifestations regroupent des familles d’otages et les Israéliens qui dénoncent « le gouvernement qui n’en a rien à faire des otages », et réclament le départ de Netanyahou et l’organisation de nouvelles élections. Des divisions se manifestent désormais ouvertement au sein même du cabinet de guerre, formé au lendemain du 7 octobre. Ancien chef d’état-major et figure de l’opposition à Netanyahou, Benny Gantz saisit toutes les occasions pour marquer ses distances avec son rival et rencontre régulièrement les familles des otages. Un autre ancien chef d’état-major, Gadi Eisenkot, a déclaré, lors d’une conférence de presse le 18 janvier que « les dirigeants israéliens ne disent pas toute la vérité sur la guerre », et a refusé de répondre à une question quant à sa confiance en Nétanyahou. Ce général qui s’affirme partisan d’une fin rapide de la guerre pour éviter l’enlisement n’a rien d’un pacifiste : il est connu pour avoir conçu la doctrine Dahiya, du nom d’un quartier de Beyrouth détruit par l’armée israélienne en 2006, prônant « l’usage de la force disproportionnée » contre les zones civiles. Cette vision a été officiellement insérée en 2008 dans l’arsenal stratégique de l’armée israélienne, et elle est mise en œuvre aujourd’hui à Gaza.
En reprenant à leur compte les critiques qui se font jour au sein d’une partie de la population israélienne, ces généraux se posent en candidats à la succession de Netanyahou. Ils peuvent aussi compter sur un soutien de plus en plus marqué des dirigeants américains que le jusqu’au-boutisme de Netanyahou contrarie. Ainsi, lors de sa dernière tournée au Moyen-Orient, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a tenu à s’entretenir en particulier avec Gantz et Eisenkot.
Dans cette année d’élection présidentielle, Biden doit tenir compte de son opinion publique, dont une partie est opposée à la guerre à Gaza. Mais, au-delà de ces calculs électoraux, le dirigeant de la première puissance impérialiste se préoccupe aussi de limiter les risques d’extension du conflit à l’ensemble du Moyen-Orient que l’attitude provocatrice de Netanyahou risque d’entraîner. Biden a appelé le gouvernement israélien à « garantir la sécurité des populations civiles de Gaza ». Ses émissaires ont favorisé la tenue de négociations avec le Hamas en Égypte. Pour la première fois, début février, des sanctions ont été décidées contre quatre colons israéliens accusés de violences anti-palestiniennes en Cisjordanie. Ceux-ci sont interdits de séjour aux États-Unis, et leurs biens, à supposer qu’ils en aient, y sont gelés.
Mais cette pression très limitée ne peut empêcher la guerre de continuer encore longtemps, grâce aux munitions et aux obus fournis par les États-Unis, via un pont aérien et maritime. Si l’aide militaire américaine est de loin la plus importante, en fait toutes les grandes puissances occidentales apportent leur soutien actif à la machine de guerre israélienne, y compris la France dont le gouvernement fait mine d’appeler à un cessez-le-feu. Ainsi, les grandes entreprises françaises de l’industrie d’armement participent aux côtés de sociétés israéliennes à des programmes de production de drones, de blindés lance-missiles…
Ce soutien des États occidentaux s’est aussi manifesté spectaculairement avec leur attitude vis-à-vis de l’Unrwa. Cette agence de l’ONU a été fondée en 1949 pour prendre en charge les réfugiés Palestiniens après la création d’Israël, dont les dirigeants n’ont aucun scrupule à faire ainsi reposer les frais résultant de leurs exactions sur ce qu’on appelle « la communauté internationale ». Après que les autorités israéliennes ont déclaré, sans apporter la moindre preuve, que des employés de l’agence avaient participé aux massacres du 7 octobre, 16 pays – dont les principaux donateurs, les États-Unis et l’Allemagne – ont annoncé suspendre leur financement à l’Unrwa jusqu’au résultat de l’enquête. De leur côté, la France et l’UE ont déclaré attendre ses conclusions pour se prononcer sur un éventuel arrêt des financements.
L’Unrwa emploie 30 000 personnes, pour la plupart palestiniennes, et vient en aide à près de six millions de réfugiés palestiniens en Cisjordanie, à Gaza mais aussi au Liban, en Jordanie et en Syrie. Dans la seule bande de Gaza, elle prend en charge 278 écoles et 22 centres de soins, et fournit de la nourriture aux quelque deux millions de personnes assiégées par Israël depuis le début du mois d’octobre.
La subvention américaine, essentielle, avait été une première fois suspendue entre 2018 et 2021. Biden manifeste ainsi la continuité de la politique de la Maison-Blanche, qui a toujours consisté, quel que soit le président en titre, à prendre parti pour l’État israélien.
On ne peut prévoir quel sera le résultat des manœuvres et des tractations auxquelles se livrent les dirigeants américains. Depuis le début du conflit, ils se déclarent partisans d’une « solution à deux États ». Ont-ils vraiment la volonté d’imposer aux dirigeants israéliens d’engager officiellement des négociations avec des représentants palestiniens ? Dans les années 1990, cela avait débouché sur la signature des accords d’Oslo, qui prévoyaient, à terme, la reconnaissance d’un État palestinien. Le seul résultat a été la création de l’Autorité palestinienne, un État croupion auxquels les gouvernements israéliens n’ont jamais reconnu aucun véritable pouvoir, à part celui de réprimer sa propre population. La colonisation de la Cisjordanie s’est poursuivie, et l’armée israélienne a continué de se comporter en territoire occupé, réprimant, assassinant, organisant régulièrement à son gré le blocus de villes, voire de l’ensemble de la Cisjordanie et de Gaza. Même si, sous la pression américaine, les dirigeants israéliens finissaient par reconnaître officiellement l’existence d’un État palestinien, celui-ci ne serait pas très différent de l’actuelle Autorité palestinienne, et il est certain que cela ne mettrait pas fin à l’oppression que subissent les Palestiniens.
Il ne peut rien sortir d’autre de la guerre actuelle que de nouveaux affrontements. La contestation qui s’exprime en Israël à l’égard de Netanyahou montre qu’une partie des Israéliens sont conscients que l’extrême droite et sa politique les condamnent à une guerre sans fin. Mais les opposant actuels à Netanyahou, comme Gantz et quelques autres, ne proposent pas une politique fondamentalement différente. Une paix véritable ne sera pas possible tant que les droits nationaux des Palestiniens ne seront pas reconnus, et tant que la population israélienne acceptera d’être enrôlée dans une guerre permanente qui en fait le bras armé de l’impérialisme.
Ce sont en effet les puissances impérialistes qui ont sciemment créé les conditions de l’éclatement du conflit israélo-arabe. Loin de chercher à le résoudre, elles n’ont jamais cessé de l’alimenter afin de pouvoir disposer avec Israël d’un État qui soit le pilier de la défense de l’ordre impérialiste au Moyen-Orient. Partout sur la planète, elles ont utilisé les mêmes méthodes, dressant des peuples les uns contre les autres pour mieux les utiliser en fonction de leurs intérêts. C’est dans la nature même du système impérialiste, fondé sur des rapports de domination, sur la mise en coupe réglée des peuples par les États les plus puissants, et sur l’exploitation des travailleurs du monde entier au profit des classes possédantes, en particulier celles des pays impérialistes les plus riches.
En tant que communistes révolutionnaires, nous sommes totalement et inconditionnellement solidaires du combat des Palestiniens pour faire reconnaître leurs droits et refuser les spoliations dont ils ont été victimes. Mais nous avons aussi à affirmer que l’issue de ce combat, comme celui de bien d’autres peuples, dépendra de la capacité du prolétariat à mener son combat jusqu’au renversement du capitalisme et à bâtir une société débarrassée de toute forme d’exploitation et de domination.
20 février 2024