Macron réélu, Le Pen renforcée, les travailleurs devront se battre et s’organiser

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mai-juin 2022

Le deuxième tour de l’élection présidentielle a reconduit Macron à l’Élysée. Le souhait largement exprimé de la bourgeoisie et des porte-parole de ses institutions tant nationales qu’européennes a donc été exaucé.

Pour la bourgeoisie, peu importe dans l’immédiat que l’électorat de Macron, même bénéficiant de l’apport de voix de tous les partis de gauche qui ont appelé à voter pour lui, ait diminué de 1,9 million en voix entre le deuxième tour de 2017 et celui de 2022, passant de 20,7 millions à 18,8 millions d’électeurs.

En revanche, Le Pen, en passant de 10,6 millions de voix au second tour de 2017 à 13,3 millions en 2022, en a gagné 2,7 millions.

Par ailleurs, si le total des abstentions et des votes blancs et nuls n’a augmenté que de 500 000 voix, de 16,2 millions à 16,7 millions, il n’en reste pas moins à un niveau très élevé, signe du désintérêt, de la désaffection, voire du dégoût de l’électorat populaire à l’égard du jeu électoral et, au-delà, de la démocratie parlementaire bourgeoise dont les élections sont un des principaux éléments.

Cette désaffection croissante d’une partie de l’électorat populaire à l’égard des élections préoccupe principalement la caste politique de la bourgeoisie dont le gagne-pain consiste à servir les intérêts de cette dernière dans les différentes institutions électives. Il n’y a pas de quoi inquiéter la bourgeoisie tant que les affaires continuent et que les profits rentrent. Après tout, c’est une forme de retour au suffrage censitaire de sa jeunesse.

Là où l’évolution en cours a de quoi l’inquiéter, c’est que la désaffection à l’égard de la caste politique qui fait tourner le parlementarisme bourgeois et les illusions qu’il entretient auprès des classes opprimées se conjugue aujourd’hui avec la crise économique et son aggravation. Il y a là la menace de mouvements sociaux, faisant que les classes sociales atteintes par la crise ne se contentent pas de s’exprimer uniquement sur le terrain électoral, mais le fassent surtout en dehors.

Dans son histoire moderne, la bourgeoisie a eu deux types d’attitudes politiques face à cette menace : endormir la classe ouvrière avec les illusions réformistes de la démocratie parlementaire bourgeoise, ou toutes les variantes de régime autoritaire, jusques et y compris la plus violente, le fascisme. Bertolt Brecht est l’auteur d’une formule lapidaire qui contient une part de vérité : « Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution par temps de crise. » Ce que Trotsky a exprimé de façon moins lapidaire mais plus politique : « Le fascisme est la continuation du capitalisme, une tentative pour perpétuer son existence à laide de méthodes bestiales et monstrueuses. »

Les calculs de Mélenchon

Les partis réformistes traditionnels, le PS comme le PC, à force de tromper et trahir, sont aujourd’hui déconsidérés et pratiquement hors d’usage. Mais il y a des candidats à la relève, en premier lieu Mélenchon.

Ce n’est pas la peine de perdre son temps à deviner s’il a la moindre chance déjà de regrouper autour de lui, de forger une union à partir des ambitions contradictoires des différents partis qu’il a sollicités, du PS jusqu’au NPA, et, surtout, d’obtenir aux législatives une majorité parlementaire.

Disons, pour utiliser un euphémisme, qu’il a très peu de chances. Mais là n’est pas l’essentiel. Mélenchon n’a rien d’autre à proposer à l’électorat ouvrier qu’un duo de cohabitation, avec Macron en président de la République et lui-même en Premier ministre ! Avec la collaboration du PC. « Le troisième tour en vue, la gauche na pas dit son dernier mot », renchérit LHumanité (22, 23 et 24 avril). Quelle perspective enthousiasmante !

L’illusion sera sans doute assez forte pour prendre dans ce magma d’ex-staliniens, des syndicalistes, etc., afin d’exercer une pression sur nos militants.

Cela rappelle la cohabitation Chirac/Jospin, en pire, car le contexte est pire. Une fois de plus, les travailleurs étaient sortis de cette période de cohabitation trompés, trahis. Accessoirement, Jospin l’avait payé en étant écarté du deuxième tour de la présidentielle de 2002, en laissant la place pour la première fois au candidat d’extrême droite Jean-Marie Le Pen. Il avait ainsi apporté sa pierre au renforcement continu de l’électorat d’extrême droite.

Même l’illusionniste Mitterrand, ex-ministre centriste de la IVe République, devenu icône du Parti socialiste par un raid sur celui-ci puis président de la République par la grâce du PCF, avait des promesses plus nombreuses et plus alléchantes dans sa besace en acceptant de signer le Programme commun. On sait ce qu’il en est advenu.

Pour ce qui est des négociations en cours entre les partis de gauche, les grandes phrases sur le programme ne dissimulent même pas les sordides marchandages sur les circonscriptions, surtout celles susceptibles d’être gardées ou gagnées.

Pour couper court à toutes les spéculations, Lutte ouvrière annonce sa décision de se présenter dans toutes les circonscriptions de métropole, à La Réunion, et Combat ouvrier se présentera en Guadeloupe et en Martinique, pour défendre une politique communiste révolutionnaire.

La menace de l’extrême droite

L’autre méthode politique de la bourgeoisie face aux menaces de mouvements sociaux provoqués par la crise est de compléter les illusions par la matraque, c’est-à-dire un régime de plus en plus autoritaire. Macron lui-même, en cédant sous la pression de l’extrême droite, voire en laissant agir des groupes fascisants prospérant à l’ombre de Le Pen et Zemmour, peut en être l’instrument.

L’extrême droite est présente au plus haut niveau de l’appareil d’État, notamment dans l’armée. Si ceux qui sont dans l’active ne s’expriment pas en public, un certain nombre d’officiers supérieurs à la retraite l’ont fait l’année dernière dans Valeurs actuelles. Pour le moment, tout cet ensemble d’individus ne se manifeste pas en dehors de la légalité. Y en aura-t-il à l’avenir pour franchir le Rubicon ?

La bourgeoisie n’en a pas besoin pour le moment. Elle a clairement exprimé son opinion en faveur de Macron. Mais, sans s’opposer à la légalité, l’extrême droite de la police et de l’armée peut la contourner. Quels sont les liens entre les ex-généraux et la bourgeoisie ? Ils sont étroits.

Nous avons dit et répété pendant la campagne que Macron ne sera pas, ne pourra pas être un rempart contre la montée de l’extrême droite. C’est lui qui subira la pression, pas l’inverse.

Et, surtout, il ne pourra pas, il ne voudra pas s’opposer à cette fraction de l’extrême droite assez déterminée pour passer à la violence, pour cette raison fondamentale que le noyau susceptible d’encadrer cette fraction se trouve dans l’appareil d’État. La bourgeoisie ne lui permettra pas – et il ne se permettra pas – de toucher à l’État dans son noyau répressif.

Comme nous l’avons répété pendant la campagne : Le Pen élue, elle aurait fait du Macron, et Macron fera du Le Pen.

Bien sûr, dans la progression de l’électorat de Le Pen, il n’y a pas que ceux qui militent pour les idées de cette extrême droite. Il y a nombre de travailleurs qui sont tellement dégoûtés de Macron, qui éprouvent une telle haine de classe, qu’ils ont cru utile de se saisir du seul instrument que leur a laissé le deuxième tour pour l’exprimer. C’était, volontairement ou par inconscience, se tirer une balle dans le pied.

Le fait que, dans plusieurs départements d’outre-mer, Marine Le Pen soit arrivée largement en tête au deuxième tour, alors qu’au premier c’était Mélenchon, est significatif. Les mêmes travailleurs qui ont voté pour Le Pen au deuxième tour n’ont pas nécessairement perdu pour autant leur combativité.

Il s’agit cependant d’un grave recul de la conscience de classe, aux conséquences dramatiques pour les travailleurs eux-mêmes. En votant pour Le Pen, ils ont cautionné toutes les idées réactionnaires, nauséabondes, qu’elle représente, y compris des idées qui les divisent en fonction de leur nationalité, de la couleur de leur peau, de leur statut légal, etc. Mais ce qui est plus grave encore pour l’avenir est que la frange fascisante du Rassemblement national, qui en est le noyau, ne peut que se sentir encouragée par le résultat électoral de Marine Le Pen.

Nous constatons déjà que dans certains cas des travailleurs, qui n’osaient pas dire publiquement qu’ils votaient Le Pen, en deviennent des militants.

Pour n’être qu’un geste électoral, le vote massif en faveur de Le Pen ne peut qu’encourager le noyau dur de cet électorat qui hait la classe ouvrière et les partis ou les syndicats qui prétendent la représenter, comme il hait la démocratie parlementaire. C’est un encouragement à passer à la violence physique.

* * *

Alors, il est indispensable, il est vital que tous ceux qui se sentent du camp des travailleurs œuvrent pour que naisse un parti ouvrier capable de proposer à la classe ouvrière la seule politique qui lui permettra de faire face à cette menace.

Ce parti ne peut être que communiste et révolutionnaire, c’est-à-dire avoir pour objectif de renverser le pouvoir de la bourgeoisie.

Un tel parti ne pourra vraiment se développer qu’avec la montée de la combativité de la classe ouvrière. Mais il ne naîtra pas des luttes en elles-mêmes. Cela exige une conscience communiste révolutionnaire et la détermination de s’y accrocher, même dans les périodes de recul comme la nôtre où un homme comme Mélenchon passe pour être d’extrême gauche.

Aussi difficile, voire utopique que paraisse la tâche dans cette période de recul, il faut s’y accrocher car la classe ouvrière relèvera la tête tôt ou tard. Non pas par la grâce d’une agitation ou d’une propagande révolutionnaire, mais parce que la bourgeoisie ne lui en laissera pas le choix.

C’est dans des périodes de remontée ouvrière que les illusions réformistes, l’électoralisme, etc., se révèlent catastrophiques pour la classe ouvrière.

Mais c’est dans les périodes de recul que se mesure et se constate la fidélité aux idées révolutionnaires. C’est dans ces périodes de recul que, pour reprendre une expression de Lénine, « on reconnaît ses vrais amis ».

29 avril 2022