Macron à la chasse aux sans-papiers

Imprimer
avril 2018

Depuis qu’il a été élu président, en mai 2017, Emmanuel Macron assure qu’il use d’humanité en matière de politique migratoire et en même temps, selon une formule habituelle chez lui, de fermeté. Il est pourtant bien difficile de déceler l’humanité dans l’attitude de l’État vis-à-vis des pauvres et des victimes des conflits qui viennent jusqu’en France dans l’espoir d’une vie meilleure. En revanche, les exemples de fermeté et de dureté envers eux ne manquent pas.

Un harcèlement continu

La politique répressive de destruction des camps de migrants est une constante depuis des années. Macron et Gérard Collomb, son ministre de l’Intérieur, la poursuivent : ainsi en août dernier c’était la 35e fois en deux ans que les migrants campant dans le quartier Jaurès-Stalingrad à Paris étaient délogés, 2 500 d’un coup cette fois-là. À Metz, en novembre, un millier de personnes, dont 300 enfants, ont dû déguerpir du camp de Blida lors d’une opération policière.

À Calais, ceux qui espèrent passer en Grande-Bretagne sont systématiquement harcelés. Ce n’est certainement pas par humanité que certains policiers, spécialisés dans la chasse aux migrants, aspergent de gaz lacrymogène les quelques affaires dont disposent ceux qui dorment dehors, rendant inutilisables les tentes et duvets fournis par les associations. En visite à Calais le 16 janvier 2018, Macron a nié ces faits et a exprimé sa confiance sans faille aux policiers, leur promettant même une prime exceptionnelle de résultat. Mais il a qualifié les associations d’aide aux migrants d’irresponsables parce qu’elles ne collaborent pas avec l’État pour les éloigner de Calais. Les migrants ont tellement peu confiance dans les services d’un État qui les pourchasse qu’il arrive qu’ils refusent de se rendre au lieu de distribution de nourriture, par crainte que pendant ce temps-là leur campement de fortune soit détruit.

En décembre la circulaire Collomb a marqué la volonté gouvernementale de forcer les associations qui gèrent des centres d’hébergement à collaborer avec les préfectures, pour y recenser les personnes qui seraient sans papiers.

Parmi les mille et une misères faites aux migrants, on peut attirer l’attention sur le sort des mineurs, que les pouvoirs publics ont en théorie le devoir de protéger. Or l’État s’est défaussé sur les départements de cette responsabilité, alors que le nombre des mineurs non accompagnés augmente sans que les budgets des départements suivent. En conséquence, bon nombre de ces jeunes ne sont pas reconnus comme des mineurs et sont rejetés vers la rue où ils dépendent de l’aide des associations.

Le prétexte du terrorisme

Le 1er octobre 2017, un homme de nationalité tunisienne a poignardé mortellement deux femmes sur le parvis de la gare Saint-Charles à Marseille. Il était sans papiers et avait été relâché la veille par la police lyonnaise à la suite d’un dysfonctionnement des services de la préfecture du Rhône chargés des expulsions. Sous prétexte de lutte contre le terrorisme, Collomb a saisi l’occasion pour limoger démonstrativement le préfet du Rhône et exiger de tous les autres qu’ils multiplient les rafles et placent les étrangers sans papiers en centre de rétention, souvent au mépris du droit. L’effet a été immédiat : entre le 2 octobre et le 8 novembre, deux fois plus de personnes y ont été placées que lors de la même période un an auparavant.

Déjà en 2016, les juges avaient reconnu que 30 % des étrangers en centre de rétention avaient été victimes de pratiques administratives ou policières illégales et avaient dû être libérés. Entre le 2 octobre et le 8 novembre 2017, cette proportion s’est aggravée à 41 %. Et encore, bien des étrangers ainsi retenus ne connaissent pas leurs droits et ne peuvent donc même pas contester sur le plan légal leur placement en rétention.

Tour de vis législatif en vue

Un projet de loi sur le droit d’asile et l’immigration a été adopté par le Conseil des ministres le 21 février 2018. S’il est adopté tel quel par le Parlement, la durée de rétention d’un étranger sans papiers pourrait passer de 45 à 90, voire 135 jours. Pour les déboutés du droit d’asile, le délai de recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile serait réduit, menace qui a entraîné une grève de plusieurs semaines d’agents de cette cour. Un nouveau délit serait créé, menant à des condamnations à un an de prison, pour franchissement de frontière non autorisé.

De plus, dans ce projet de loi, le gouvernement s’attaque aux migrants en tant que travailleurs, menaçant de cinq ans de prison et de 75 000 euros d’amende ceux qui travailleraient sous l’identité d’un autre, alors que c’est leur mise à l’index pour défaut de papiers adéquats qui force ces salariés à s’arranger avec ceux qui en ont pour pouvoir travailler et vivre, tout simplement.

Des résistances à cette politique inhumaine

Les dirigeants politiques qui prennent ces décisions les justifient par la prétendue attente de l’électorat d’un durcissement de la répression antimigrants. Il est vrai que la bêtise raciste existe en France. Elle est d’ailleurs encouragée par ces clans de politiciens qui bâtissent leur carrière en mettant les tares de la société capitaliste sur le dos des immigrés en général, bien au-delà de ceux qui n’ont pas de papiers. Toutefois, une grande partie de la population est révulsée quand elle voit cet État, sa police, sa justice, s’en prendre aux plus faibles. Il n’est pas rare que des élèves, ou leurs familles, menacés d’expulsion par l’État, soient défendus par leurs camarades de classe et leurs professeurs.

Depuis longtemps, des habitants de la région de Calais emploient leur temps et leur énergie à essayer de protéger les migrants de la misère et de la police. Depuis peu, c’est dans la région de Caen qu’une mobilisation s’organise autour de ceux qui veulent passer en Grande-Bretagne par le port normand de Ouistreham. Ces derniers mois, c’est la mobilisation d’habitants des Alpes-Maritimes, notamment autour de la vallée de la Roya, qui a fait la une de l’actualité. L’État essaye de se venger en transformant en délinquants des gens au comportement profondément humain face à la détresse de migrants traversant les Alpes, les traînant devant les tribunaux. Un peu plus au nord, dans les Hautes-Alpes, on assiste à une mobilisation sous forme de « cordée solidaire », pour dénoncer la chasse aux migrants qui les force à prendre le risque mortel de passer en plein hiver par les cols alpins.

Derrière l’obsession de l’immigration, des politiques antiouvrières

En région parisienne, des travailleurs sans papiers ont pris eux-mêmes l’offensive en février, par une grève, pour en finir avec les discriminations qui les touchent. Une grève similaire avait déjà eu lieu il y a neuf ans. Le mouvement récent était destiné à faire pression sur leurs patrons afin qu’ils leur délivrent les attestations d’emploi nécessaires pour déposer des dossiers de régularisation, sur les préfectures pour qu’elles leur accordent les papiers indispensables à la vie quotidienne, et sur le gouvernement pour éviter d’être criminalisés par la nouvelle loi en élaboration. Le 25 mars, au bout de six semaines de grève, ils ont obtenu des autorités l’engagement d’une issue favorable pour leur régularisation. Ce type de mouvement montre, à ceux qui en douteraient, que la grande majorité des immigrés, avec ou sans papiers, et des familles issues de l’immigration, font partie du monde du travail et sont capables de se battre avec les armes de classe du prolétariat.

Faire des immigrés des boucs émissaires, alors qu’ils sont dans leur très grande majorité des travailleurs, est l’expression de courants politiques foncièrement antiouvriers, même quand ce caractère de classe bourgeois est plus ou moins habilement maquillé par un langage s’adressant aux ouvriers, que ce soit celui de l’extrême droite ou de la gauche. Ainsi le député France insoumise de La Réunion Jean-Hugues Ratenon, venu à Mayotte soutenir un candidat de son parti concourant à une élection législative partielle en mars 2018, a déclaré : « L’insécurité est grandissante, notamment en raison d’une immigration massive et incontrôlée de Comoriens. Les forces de l’ordre sont impuissantes par manque d’effectifs et de matériel. »

Rappelons que toutes les îles des Comores ont été colonisées pendant 132 ans par la France, puissance impérialiste qui a imposé en 1974 que les résultats d’un référendum sur l’indépendance vaillent, non pas pour tout l’archipel, mais déterminent le statut île par île, et a détaché ainsi Mayotte des Comores. La France voulait garder un territoire, si petit soit-il, dans le canal du Mozambique, pour des raisons stratégiques, mais aussi pour bénéficier de sa zone économique exclusive maritime. C’est ainsi que Mayotte peut encore agiter le drapeau tricolore et ses habitants avoir une carte nationale d’identité. Mais l’État français n’a pas sorti l’île de son sous-développement. Il n’y fait vivre que quelques services publics complètement sous-dimensionnés, qui n’apparaissent attractifs aux habitants des autres îles des Comores que parce qu’ils vivent dans une misère encore plus profonde, ce dont la France est d’autant plus responsable qu’elle a continué à y intervenir pendant deux décennies après l’indépendance, par l’intermédiaire des mercenaires de Bob Denard.

C’est dire que les habitants de cet archipel ne sont pas près de cesser de se déplacer entre ses îles, bien que l’absurdité de la domination française vaille aujourd’hui aux Comoriens, qui vivent tout au plus à 200 kilomètres de Mayotte, d’y être qualifiés d’étrangers, contrairement aux Français à 8 000 kilomètres de là.

La démagogie anti-immigrés, commune à tous les partis de gouvernement

Notons aussi la sortie remarquée de Jean-Luc Mélenchon contre les travailleurs détachés en juillet dernier au Parlement européen : « Je crois que l’Europe qui a été construite, c’est une Europe de la violence sociale, comme nous le voyons dans chaque pays chaque fois qu’arrive un travailleur détaché, qui vole son pain aux travailleurs qui se trouvent sur place. »

Attiser la division de la classe ouvrière selon la couleur de peau ou la carte d’identité ne peut que profiter aux exploiteurs. Nicolas Sarkozy avait construit son ascension vers le pouvoir en se bâtissant l’image d’un homme politique impitoyable envers les immigrés. Cela l’avait mené au ministère de l’Intérieur de 2002 à 2007 (avec une interruption en 2004-2005) puis à la présidence de la République. Il faut se rappeler qu’en 2002 l’homme de droite Chirac avait gagné l’élection présidentielle en prétendant être un rempart contre le Front national et les idées racistes que véhiculent les Le Pen. La gauche avait largement aidé à cette mystification et donc à l’arrivée au cœur du pouvoir du démagogue anti-immigré Sarkozy.

En 2012, c’est le dirigeant du Parti socialiste François Hollande qui avait pu gagner l’élection présidentielle contre Sarkozy. Le dégoût de sa politique dure envers les immigrés avait joué son rôle dans la victoire électorale de la gauche, amenant Manuel Valls au ministère de l’Intérieur, avec une posture anti-immigrés et des ambitions présidentielles directement imitées de celles de Sarkozy. De son côté Hollande, avait tenté ensuite de changer la Constitution en vue de rendre possible la déchéance de nationalité après les attentats de novembre 2015, faisant ainsi peser sur les épaules des travailleurs immigrés le soupçon du terrorisme.

Actuellement c’est un autre politicien issu du Parti socialiste, Gérard Collomb, qui a repris ce rôle de ministre de l’Intérieur exigeant de ses services qu’ils pourchassent les sans-papiers avec zèle. À peine élu, Macron lui-même s’est essayé en juin dernier en public à une blague à connotation raciste, que ne renierait pas Le Pen, en déclarant : « Le kwassa-kwassa [embarcation traditionnelle des Comores] pêche peu, il amène du Comorien. » Les électeurs qui ont cru faire barrage à Marine Le Pen et à ses idées en votant pour Macron à l’élection présidentielle de 2017 ont de quoi être écœurés d’être à nouveau tombés dans ce piège. Car, si Le Pen n’est pas au pouvoir, sa démagogie anti-immigration y est bien présente depuis longtemps.

L’actuel gouvernement montre du doigt ceux qui fuient la misère de leur région d’origine, en parlant dédaigneusement d’une immigration économique qu’il conviendrait de combattre, alors que leur misère est causée par la domination séculaire des capitalistes occidentaux. C’est une double hypocrisie. D’abord, le gouvernement prétend aider ceux qui fuient des situations de guerre, bien qu’il dresse des barrières sur leur chemin, provoquant des morts en mer ou en montagne. Ensuite, ce discours contre l’immigration économique disparaît curieusement sous le tapis rouge déroulé pour attirer à Paris les traders de la City londonienne qui seraient amenés à la quitter pour cause de Brexit. Car, évidemment, ce qui gêne les gouvernements ce n’est pas les immigrés en général, mais les pauvres et les travailleurs.

Les travailleurs immigrés sont une partie de la classe ouvrière

D’un simple point de vue humain, nous dénonçons les entraves à la libre circulation des travailleurs, qui sont d’autant plus ignobles que les mouvements migratoires sont aussi anciens que l’humanité elle-même et ont accompagné chaque étape de son développement économique. Les frontières ne les empêchent pas, elles ne servent aux États qu’à essayer de garder le contrôle sur les populations.

Nous combattons ce qui nuit à l’unité de la classe ouvrière, unité qui fait sa force face aux armes que la bourgeoisie utilise dans son incessante lutte de classe. La bourgeoisie a toujours essayé de diviser le prolétariat. Le salaire diffère souvent selon le sexe et l’âge des travailleurs, ou leur métier. Les États qui défendent sa domination ne reconnaissent pas les mêmes droits aux travailleurs qualifiés d’étrangers.

Ainsi, le droit de vote n’est en général pas accordé aux immigrés. Ce n’est pas que ceux des travailleurs qui peuvent voter décident vraiment de leur sort et de celui de la société – le pouvoir des capitalistes ne dépend pas des élections – mais ce type de discrimination légale brouille la conscience des travailleurs d’appartenir à une même classe et d’avoir les mêmes intérêts. De plus, créer des statuts différents accroît les possibilités qu’ont les patrons de mettre en concurrence les ouvriers entre eux.

La bourgeoisie et ses États divisent artificiellement le monde ouvrier entre citoyens nationaux et immigrés, accréditant les imbécillités racistes. C’est pourtant l’économie capitaliste qui n’a pu s’épanouir qu’en libérant la main-d’œuvre de ses attaches territoriales et en multipliant les vagues d’immigration au gré des aléas de la production. Elle a créé un prolétariat mondial.

« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous », proclamaient Marx et Engels dans le Manifeste du Parti communiste. Cette idée a pu pénétrer une large frange ouvrière parce qu’elle correspondait aux processus concrets qui ont fait émerger la classe ouvrière sur toute la planète. Elle a aussi pris corps grâce aux convictions de millions de militants socialistes et communistes sous toutes les latitudes, avant la perversion bourgeoise des partis sociaux-démocrates et staliniens remettant le nationalisme à l’honneur.

Notre solidarité avec les immigrés en butte aux discriminations n’est pas seulement une solidarité humaine avec ces opprimés. Les travailleurs conscients doivent considérer les migrants actuels, qui seront pour la plupart les prolétaires de demain comme les immigrés des générations précédentes le sont devenus, comme leurs frères de classe, quel que soit le statut par lequel les autorités les désignent.

La libre circulation des travailleurs – sans tenir compte des frontières entre États car elles sont largement dépassées depuis longtemps par le développement des moyens de production, de transport et de communication – est l’avenir de l’humanité

Notre perspective est un monde sans frontières, débarrassé des contradictions et situations inhumaines qu’elles engendrent. Elle peut apparaître utopique à ceux qui n’imaginent pas que le prolétariat puisse prendre le pouvoir, débarrasser l’économie de la domination de la bourgeoisie et la gérer en commun à l’échelle mondiale. Mais nous sommes convaincus qu’elle est inscrite dans l’évolution technique, sociale et politique de l’humanité.

28 mars 2018