Le monde capitaliste en crise
La partie du texte consacrée à « l’interminable crise de l’économie » complète en un certain sens le texte publié pour le congrès précédent.
Dans le texte du mois de mars, nous avions choisi de retracer l’évolution par laquelle cette financiarisation s’est imposée comme le trait dominant de l’économie de notre époque.
Nous n’y sommes pas revenus, ou très peu, dans le présent texte qui est davantage un instantané de la situation à la date d’écriture. Mais il faut avoir en permanence en tête que la situation d’aujourd’hui ne résulte d’aucune décision des grands groupes capitalistes et de leurs dirigeants ni du personnel politique.
La question du protectionnisme
Bien des questions ont porté sur le protectionnisme. S’agit-il, dans l’état actuel des choses, de l’orientation générale de la grande bourgeoisie ou d’une simple démagogie réactionnaire de la part de Trump aux États-Unis ou, ici en France, de la part de Le Pen et/ou de Mélenchon, de Montebourg et quelques autres ?
Passons rapidement sur l’aspect démagogique de la chose.
Les discours d’un certain nombre de démagogues n’expriment pas forcément le choix de la bourgeoisie du pays concerné. L’histoire du Brexit, qui n’était pas spécialement souhaité par la grande bourgeoisie britannique ou par les banquiers de la City, montre que parfois la démagogie a des conséquences non souhaitées par le grand capital. Bien sûr, ce dernier saura s’accommoder du résultat du référendum britannique, l’arranger à sa sauce, le dénaturer ou l’annihiler.
Quant à Trump, nous avons vu sa capacité à rétropédaler en quelques jours, voire en quelques heures.
Pour ce qui est de Mélenchon, qui pourrait sérieusement penser que c’est par sa bouche que la bourgeoisie exprime ses intérêts du jour ?
Nous avons à dénoncer cette démagogie, à la fois parce qu’elle véhicule des stupidités, et surtout parce que s’en prendre à l’Europe, à la mondialisation, au « plombier polonais », aux migrants, a toujours pour retombée de pourrir la conscience de la classe ouvrière.
Sur le fond, le protectionnisme est, depuis le début du capitalisme, une des armes de la grande bourgeoisie et de son État dans la concurrence qui l’oppose aux bourgeoisies des autres pays.
Rien qu’au cours des dernières décennies de l’histoire du capitalisme, le protectionnisme a pris de multiples formes extrêmement diverses, et pas seulement celle qui est personnifiée par le gabelou qui vous fait ouvrir le coffre de votre voiture en demandant combien de paquets de cigarettes ou de bouteilles d’alcool vous transportez.
De façon plus générale, la taxation, le contingentement ou l’interdiction de certaines importations sont les formes les plus primitives du protectionnisme. Ils ont été en principe supprimés entre les pays du Marché commun européen. Dans la zone euro, cette forme plus subtile de protectionnisme qui consiste à jouer sur les variations de sa monnaie a été supprimée.
Mais, même dans l’Union européenne (UE), la suppression de ces obstacles-là à la libre concurrence des marchandises a laissé la place à une multitude de réglementations techniques, sécuritaires ou sanitaires, sans même parler de la fiscalité, etc. Tout cela fait, depuis des décennies, l’objet de marchandages entre les représentants des différentes bourgeoisies de l’UE et donne du travail à une armada de juristes.
Cela fournit aussi du grain à moudre aux députés européens. Du peu de temps que nous avons passé au Parlement européen (1999-2004), il nous reste le souvenir de nombreux débats sur les avantages de la lumière blanche sur la lumière jaune pour les phares de voiture, la taille en dessous de laquelle il est interdit de pêcher les juvéniles de poissons marins, la longueur adéquate des cars pour passer dans les rues des villes européennes et, le fin du fin, quel pourcentage de beurre de cacao et d’huile de palme pour que le chocolat mérite son nom de chocolat !
Derrière toutes ces discussions absconses, il y avait des lobbies représentant les intérêts de grandes entreprises en compétition.
Au-delà de l’horizon européen, la décision de la justice américaine de taxer Volkswagen d’une amende de plusieurs milliards de dollars, parce que ce constructeur a trafiqué les ordinateurs de bord de ses automobiles censés mesurer l’émission de gaz polluants, a-t-elle été prise dans l’intérêt porté à la bonne santé des citoyens américains, ou s’agit-il d’une mesure protectionniste ?
Lorsque la BNP a été condamnée à payer une amende de plusieurs milliards, elle aussi aux États-Unis, pour avoir financé des opérations commerciales avec l’Iran alors que ce pays était sous boycott américain, était-ce de la rigueur diplomatique, ou du protectionnisme ?
La concurrence, la compétitivité, c’est la guerre pour préserver au mieux son marché national et pour conquérir une partie plus grande du marché international. Il est loin le temps, au 19e siècle, où les partisans du protectionnisme et ceux du libre-échange en lutte représentaient deux fractions de la bourgeoisie. À l’époque des multinationales, l’agressivité nécessaire pour élargir son marché se mélange intimement à la volonté de protéger le marché qu’on a déjà.
Soit dit en passant, lorsque Mélenchon, ou d’autres de l’autre bord politique, s’insurgent contre le fait que les États-Unis soient capables de se protéger davantage que la France, ils découvrent cette grande vérité que, dans un monde régi par la loi de la jungle, la loi est celle du plus fort. Quand on est puissant, on a plus de moyens de protéger son marché national que lorsqu’on ne l’est pas.
Si Volkswagen et BNP acceptent cette forme de protectionnisme des États-Unis qu’est l’amende qui les frappe, c’est qu’ils ne veulent pas être éjectés du marché américain et préfèrent payer. Ce type de protectionnisme n’est certainement pas à la portée de la Gambie ou du Lesotho, et à peine à la portée de la France.
Le protectionnisme est une question de rapport de force. Contrairement aux simplifications stupides des démagogues, protectionnisme ne signifie d’ailleurs pas arrêt des échanges internationaux. Le « produire français », cher aussi bien à Marine Le Pen qu’à Montebourg ou au PCF, est parfaitement stupide tant le moindre produit industriel exige des produits intermédiaires, des matières premières, venus d’ailleurs.
Le régime du pays impérialiste qui a poussé le plus loin le protectionnisme à l’ère du capitalisme moderne, c’est l’Allemagne nazie. Et si le nazisme a fait payer cher à sa population, principalement à la classe ouvrière, le renchérissement de la vie que son protectionnisme impliquait, la coupure avec le marché mondial n’a évidemment jamais été totale. Et même comme cela, le seul dénouement possible du protectionnisme a été la guerre, pour conquérir des territoires susceptibles de fournir le blé, le pétrole et bien d’autres choses que l’Allemagne n’avait pas.
La grande faiblesse de l’UE
Une autre question, revenue dans plusieurs débats, concerne la phrase : « L’une des grandes faiblesses des bourgeoisies européennes sur le terrain de l’économie est de ne pas avoir pu se donner un appareil d’État à l’échelle de l’économie européenne. »
Contrairement au baratin, notamment altermondialiste, du style « les États ne font pas le poids face aux trusts », la réalité est la fusion plus intime que jamais entre l’État et les grands trusts d’un pays impérialiste.
D’où le problème de l’Europe. L’unification du marché européen, et plus encore la zone euro, s’ils offrent des facilités aux entreprises françaises, allemandes ou britanniques, en offrent tout autant aux entreprises américaines. Nous rappelons d’ailleurs le rôle des États-Unis dans les années 1950 pour pousser à l’unification des marchés européens.
Lorsque l’économie fonctionne bien et que la concurrence est, disons, normale, l’unification des marchés a des avantages pour tout le monde. Mais la crise rend la concurrence plus acharnée et la guerre commerciale plus intense. Les groupes capitalistes ont davantage besoin de leur État, de ses commandes, de ses subventions, de sa diplomatie, voire de sa force de frappe militaire. Sans parler du rôle de commis voyageur des présidents et des ministres.
Oh, le personnel politique fait ce que le grand patronat lui demande. Mais il va de soi que, lorsque Hollande essaie de bazarder les avions Rafale, chers, et chers à Dassault, sa capacité de persuasion ne repose que sur les moyens de l’État français, pas sur ceux de l’ensemble de l’UE.
Pire : à l’intérieur même de l’UE, le Rafale a un concurrent, l’Eurofighter, produit conjointement par le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne.
C’est bien là le problème. Non seulement c’est le « chacun pour soi » des bourgeoisies européennes mais, en plus, elles se concurrencent entre elles sur le marché mondial.
L’UE n’est pas un État, mais un conglomérat d’États aux intérêts divergents, voire opposés.
Et quand nous parlons d’intérêts opposés, il ne s’agit pas seulement de ce qui est visible, comme l’exemple précédent sur la concurrence à l’intérieur de l’Europe entre le Mirage et l’Eurofighter. Mais le commerce international est constitué de multiples marchandages du genre : « Vous m’autorisez à ouvrir une usine PSA en Chine ; en contrepartie, nous laissons entrer des jouets chinois sur mon marché. » Il est clair que ceux qui ont quelque chose à demander à la Chine seront plus tolérants à l’égard des importations de jouets ou de tricots. Ceux, en revanche, dont les principales productions sont directement concurrencées par celles de Chine ont de quoi accuser Bruxelles de mollesse en matière de protection.
Voilà pourquoi l’UE est relativement désarmée non seulement face aux États-Unis, mais même, dans une certaine mesure, face à la Chine.
Nous répétons que tout cela est une question de rapport de force, que les rapports de force changent, qu’il y a un moment où ces rapports de force entre bourgeoisies impérialistes ne s’établissent plus naturellement et que c’est par les guerres que se consacrent les nouveaux rapports de force.
La « socialisation » du grand capital
Un paragraphe du texte constate que « les grands fonds spéculatifs opèrent avec des capitaux considérables qui proviennent de riches individus et, plus encore, de groupes industriels et financiers d’horizons divers. C’est un degré de plus de la socialisation du grand capital. Mais cette forme de socialisation se produit sur la base de la propriété privée. »
Une camarade a posé la question : « Qu’est-ce que la socialisation du grand capital, et n’est-ce pas contradictoire avec la propriété privée ? »
Eh oui, c’est absolument contradictoire, et cela ne date pas d’aujourd’hui ! La contradiction n’est pas dans le texte mais dans la réalité. L’économie capitaliste sous l’impérialisme est entrée en contradiction avec la propriété privée sur la base de laquelle est né le capitalisme.
Lénine dressait ce constat dans L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916) : « Ce n’est plus du tout l’ancienne libre concurrence des patrons dispersés, qui s’ignoraient réciproquement et produisaient pour un marché inconnu. La concentration en arrive au point qu’il devient possible de faire un inventaire approximatif de toutes les sources de matières premières (tels les gisements de minerai de fer) d’un pays et même, ainsi que nous le verrons, de plusieurs pays, voire du monde entier. Non seulement on procède à cet inventaire, mais toutes ces sources sont accaparées par de puissants groupements monopolistes. On évalue approximativement la capacité d’absorption des marchés que ces groupements “se partagent” par contrat. Le monopole accapare la main-d’œuvre spécialisée, les meilleurs ingénieurs ; il met la main sur les voies et moyens de communication, les chemins de fer en Amérique, les sociétés de navigation en Europe et en Amérique. Le capitalisme arrivé à son stade impérialiste conduit aux portes de la socialisation intégrale de la production ; il entraîne en quelque sorte les capitalistes, en dépit de leur volonté et sans qu’ils en aient conscience, vers un nouvel ordre social, intermédiaire entre l’entière liberté de la concurrence et la socialisation intégrale. »
Cet aspect du raisonnement de Lénine est souvent oublié. Nonobstant le retard de la révolution prolétarienne, la dynamique interne de l’économie capitaliste est toujours à l’œuvre. Et, avec la concentration, la mondialisation, elle continue à produire, sur le terrain économique, les prémisses de l’économie socialisée.
« La production devient sociale, mais l’appropriation reste privée. Les moyens de production sociaux restent la propriété privée d’un petit nombre d’individus. Le cadre général de la libre concurrence nominalement reconnue subsiste, et le joug exercé par une poignée de monopolistes sur le reste de la population devient cent fois plus lourd, plus tangible, plus intolérable. »
Dans tous ses développements sur la concentration, l’émergence des monopoles, Lénine, tout en parlant de la fusion entre le capital bancaire et le capital industriel, insiste sur la pression puissante des nécessités de la production elle-même.
L’impérieux besoin s’impose d’écarter ou d’écraser la concurrence, comme celui tout aussi impérieux de contrôler verticalement la filière de la production. Par exemple, Boussac, qui était il y a un demi-siècle la première fortune capitaliste en France, contrôlait toute une série d’entreprises ; il avait mis la main, en amont, sur le coton du Tchad et, en aval, sur tout un secteur de l’industrie de l’habillement et de l’ameublement.
Ce monopole régissait la vie de dizaines de milliers de paysans tchadiens au fin fond de l’Afrique, comme celles des ouvrières des usines de textile en France, dans le Nord et dans les Vosges.
La socialisation du grand capital de plus en plus financiarisée
Avec la financiarisation croissante, cette concentration se fait de plus en plus sur le plan purement financier, de plus en plus éloigné de la production. Citons deux exemples :
La société multinationale BlackRock ne produit rien. Elle est simplement un gestionnaire d’actifs, le plus grand du monde dans son genre. Le quotidien Les Échos a annoncé triomphalement, en octobre, que « BlackRock passe le cap de 5 000 milliards de dollars d’actifs gérés ». Par comparaison, cette somme représente quelque chose comme douze fois le budget de l’État français. Elle est supérieure au produit national brut du Japon ou de l’Inde !
On appelle aussi ce type d’entreprise « société d’investissement ». Son métier est, pour reprendre le langage feutré des économistes, de « fournir aux investisseurs, notamment institutionnels, des services de gestion d’actifs et de risques ».
En termes plus simples, c’est une société dont la raison d’être est de placer le plus judicieusement possible les actions, les obligations, les titres financiers divers des sociétés qui font appel à ses services, soit, pour le dire plus trivialement, de spéculer.
Pour donner une idée de la puissance de cette entreprise, elle est le premier actionnaire d’une société américaine sur cinq. Elle possède au moins 5 % du capital de quatre sociétés américaines cotées en Bourse sur dix, parmi lesquelles JPMorgan Chase, Chevron ou Walmart.
En France, BlackRock est actionnaire de 18 sociétés du CAC 40, parmi lesquelles BNP Paribas, Vinci, Saint-Gobain, Société générale, Michelin, Sanofi…
Dernier élément : ses représentants ont exercé leur droit de vote au sein de 14 872 assemblées générales d’actionnaires de par le monde, dont 3 800 aux États-Unis.
Ce n’est même plus un monopole, au sens que cela avait sous la plume de Lénine, mais un regroupement financier chapeautant des monopoles qui sont et restent concurrents entre eux, tout en étant liés par des opérations financières spéculatives.
Cela existait déjà à l’époque de Lénine, mais sous une forme plus embryonnaire. Qu’elles sont prémonitoires, ces lignes de Lénine, extraites de L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, écrit il y a un siècle : « Le développement du capitalisme en est arrivé à un point où la production marchande, bien que continuant de “régner” et d’être considérée comme la base de toute l’économie, se trouve en fait ébranlée, et où le gros des bénéfices va aux “génies” des machinations financières. À la base de ces machinations et de ces tripotages, il y a la socialisation de la production ; mais l’immense progrès de l’humanité, qui s’est haussée jusqu’à cette socialisation, profite... aux spéculateurs. Nous verrons plus loin comment, sur cette base, la critique petite-bourgeoise réactionnaire de l’impérialisme capitaliste rêve d’un retour en arrière, vers la concurrence libre, pacifique, honnête. »
Une économie de plus en plus instable, chaotique, erratique
Le texte cite le nommé Badré, directeur général de la Banque mondiale, qui a été inspecteur des finances, banquier d’affaires chez Lazard et conseiller économique à l’Élysée. Un de ces hommes qui font partie de cette prétendue élite de la société bourgeoise et qui passent de conseils d’administration en cabinets ministériels, dont Macron est un exemple. Il y en a des dizaines, des centaines comme lui.
Et voilà son cri du cœur : « Comment maintenir la stabilité d’un système financier international alors que le poids de ces nouveaux investisseurs est plus important que celui des banques, leur concentration plus forte et leur degré de corrélation plus élevé ? »
Le texte rappelle que le système bancaire vaguement réglementé et le marché financier dominé par des fonds spéculatifs représentent non pas deux secteurs opposés mais deux expressions du même capital financier.
Sa plainte a cependant un fondement réel. L’économie mondiale est devenue extrêmement instable, chaotique, erratique, en tout cas imprévisible, y compris et surtout pour ceux qui la dirigent et en profitent. La moindre déclaration, la moindre rumeur a des conséquences difficiles à maîtriser.
Exemple : la spéculation sur les actions de Vinci. Le Canard enchaîné rapporte ainsi cette affaire :
« 16 h 05 : faux communiqué de Vinci annonçant qu’un directeur financier a gonflé frauduleusement les comptes du groupe de 3,5 milliards ;
16 h 05 : les cours de Vinci commencent à s’effondrer à cause des automates, des ordinateurs programmés pour vendre automatiquement en cas de mauvaise nouvelle ;
16 h 10 : le titre a perdu 18 % de sa valeur. Sept milliards envolés !
16 h 23 puis 16 h 28 : démentis de Vinci. Puis les cours se rétablissent ;
L’AMF, “gendarme de la Bourse”, est en train d’examiner « plusieurs centaines de milliers de transactions, venant en majorité de l’étranger, et de tenter d’identifier ceux qui auraient acheté au plus bas et revendu après le coup de chaud ».
Des hackers « zadistes » revendiquent la blague. »
Des milliers de spéculateurs, artisans de ces transactions, ont pu s’enrichir un peu plus en quelques minutes. Et c’est pour dégager ces profits spéculatifs faramineux que les entreprises « modernisent », « restructurent », économisent centime par centime sur les salaires, font crever les travailleurs au nom de la compétitivité…
Les dangers de guerre
Cette instabilité se répercute par une multitude de canaux, de réseaux, sur la situation politique. Elle se répercute aussi sur les relations internationales.
À ce propos, dans une discussion, plusieurs questions ont porté sur la possibilité d’une guerre. Nous supposons qu’il s’agit d’une guerre généralisée, car les habitants d’Alep ne se posent pas cette question !
Certaines de ces discussions sont parties de ce que le texte dit des tensions russo-américaines. Un camarade affirmait que, dans les relations entre les États-Unis et la Russie, il voit « plus la complicité que les tensions ». Peut-être, mais les deux aspects sont entremêlés. Sans vouloir exagérer la comparaison avec la situation à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, lors des accords de Munich en septembre 1938, Trotsky pouvait à juste raison souligner la complicité entre Hitler, Mussolini, d’un côté, et Daladier, Chamberlain, de l’autre, sur le dos des petits peuples d’Europe, notamment de Tchécoslovaquie. Or, un an après, le 1er septembre 1939, c’était la guerre entre les deux blocs impérialistes.
Eh oui, la complicité entre les États-Unis et la Russie est une vieille histoire, même à l’époque où la Russie était encore soviétique. Les tensions de la guerre froide n’excluaient pas la complicité.
Bien que l’Union soviétique ait cédé la place à la Russie, cela fait bien des années qu’une sourde lutte d’influence oppose cette dernière aux États-Unis pour le contrôle de l’espace ex-soviétique, avec quelques crises, de la Géorgie à l’Ukraine en passant par la Moldavie, sans même parler de l’implication dans ces tensions des ex-démocraties populaires. Les oppositions d’intérêts se sont étendues au Moyen-Orient, même si les protestations des États-Unis et de leurs alliés à propos du soutien russe à El-Assad sont largement hypocrites.
Nous ne disons pas, cependant, que le principal danger de guerre vient de cette tension entre ces deux puissances. Nous n’en savons rien. Tout au plus peut-on dire que, s’agissant de deux grandes puissances de la force militaire et nucléaire qui est celle des États-Unis et de la Russie, les conflits même locaux qui les impliquent ont une importance particulière, car ils peuvent déboucher sur une guerre généralisée.
Mais il peut en être de même des tensions entre les États-Unis et le Japon, d’un côté, et la Chine, de l’autre.
La comparaison avec les deux guerres mondiales s’arrête là. La raison fondamentale de la Première comme de la Deuxième Guerre mondiale – et la seconde était en quelque sorte la continuation de la première – était l’affrontement de deux blocs impérialistes rivaux. Au-delà des multiples changements d’alliances, le contour des blocs qui allaient s’affronter lors de la seconde était visible dès le début des années 1930.
Rien de tel n’existe aujourd’hui. Mais rien ne dit que l’histoire du monde capitaliste est censée se répéter sous des formes identiques à la Première ou à la Deuxième Guerre mondiale.
Nous évoquons dans le texte les multiples guerres locales qui ont lieu en ce moment. Alors oui, il y a un lien étroit entre l’instabilité économique aggravée par la crise et les tensions politiques qui minent le monde capitaliste !
Alors, nous ne jouons pas à la Pythie. Ce qu’on peut en revanche constater, c’est que nombre d’oppositions nationales et ethniques qui existent de par le monde peuvent se transformer en foyers de tension ouverts, et les foyers de tensions devenir des guerres locales, et celles-ci se transformer en guerre régionale.
À ce propos, deux mots d’une autre discussion concernant « les rapports de domination entre pays puissants et faibles de l’Europe ». Nous ne sommes pas revenus cette année sur cette question car nous nous en sommes expliqués bien souvent dans le passé.
Il ne faut pas mélanger deux types de rapports de domination qui minent les pays de l’Est européen. Le principal rapport de domination est celui, impérialiste, que le grand capital d’Europe occidentale exerce notamment sur les pays dits du « groupe de Visegrad » (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie). Nos camarades de l’automobile savent que les entreprises d’automobiles de ces pays, quand elles n’appartiennent pas à Renault ou à PSA, appartiennent à Volkswagen ou à BMW, voire à Suzuki.
Il en va de même dans bien d’autres secteurs de l’économie, y compris pour les banques ou les grandes chaînes de distribution. Des usines, des branches entières ont été rachetées. Et des usines nouvelles ont même été créées car la production y coûte moins cher : les salaires sont nettement plus bas dans les pays de l’Est européen, alors que la compétence et la formation des ouvriers sont équivalentes à celles des ouvriers occidentaux. De plus, il n’y a plus les coûts de transport dus à l’éloignement des usines implantées en Asie ou en Afrique.
Il y a, par ailleurs, des rapports de domination d’un autre type, des majorités nationales sur les minorités. L’exemple de la Yougoslavie a montré avec quelle rapidité les relations entre des nationalités qui vivaient ensemble depuis longtemps ont pu se transformer en rapports de domination sous des formes souvent brutales, violentes, voire barbares.
Pendant les guerres en Yougoslavie, il ne faisait pas bon être serbe dans une région dominée par les Croates. Pas plus qu’être croate ou bosniaque dans les régions dominées par les Serbes. Parfois, ces rapports de domination étaient inversés d’un village à l’autre. Et nous ne parlons pas des Albanais du Kosovo, opprimés par l’État serbe, avant de devenir à leur tour des oppresseurs des Serbes devenus minoritaires au Kosovo.
Disons-nous bien que l’Est européen est miné par le même type de problèmes que la Yougoslavie, problèmes qui ne prennent pour le moment que la forme d’irrédentismes ou de revendications territoriales mais qui, avec la crise, la dégradation des conditions d’existence de la population, peuvent se transformer en conflits violents. D’autant plus si les puissances impérialistes s’en mêlent. Car même le conflit entre Serbes et Croates ne resta pas un simple conflit ethnique, au fur et à mesure que les puissances impérialistes s’en mêlèrent. L’Allemagne et la France intervinrent en sous-main, chacune du côté de ses propres protégés.
Quelques années après la Yougoslavie, l’Ukraine a été une piqûre de rappel, pour montrer avec quelle rapidité, dans cette période, des populations qui vivaient ensemble ont pu se transformer en ennemies.
Un optimisme militant
L’analyse marxiste part du constat objectif que ce sont les forces internes du capitalisme qui poussent vers leur contraire, la socialisation croissante de la production. C’est cette analyse qui a amené Trotsky à écrire, dans le Programme de transition, que « les bavardages de toutes sortes selon lesquels les conditions historiques ne seraient pas encore mûres pour le socialisme ne sont que le produit de l’ignorance ou d’une tromperie consciente », et il ajoute : « Les prémices objectives de la révolution prolétarienne ne sont pas seulement mûres, elles ont même commencé à pourrir. »
Alors oui, sur la base de la propriété privée des moyens de production, du capitalisme, l’économie, la société, l’humanité ne progressent plus et menacent d’une régression vers la barbarie. Il ne s’agit plus des simples crises cycliques que le capitalisme a toujours connues, y compris à l’époque où il était encore ascendant et représentait un progrès pour l’humanité. C’est toute l’organisation économique et sociale qui est sur le déclin et ne se relèvera pas.
Être communiste révolutionnaire, c’est être cependant fondamentalement optimiste sur l’avenir de l’humanité.
C’est être convaincu que l’évolution qui a porté l’ordre social capitaliste à l’extrême limite de ses contradictions finira par les résoudre en rejetant la propriété privée, la concurrence, l’organisation capitaliste de la société. L’humanité se débarrassera tôt ou tard d’une organisation sociale devenue anachronique au profit d’une nouvelle. De l’alternative « socialisme ou barbarie », l’humanité saura rejeter la barbarie.
Notre optimisme est actif, c’est-à-dire militant.
L’histoire de l’humanité est faite par les hommes. Les conditions objectives finissent par se refléter dans la conscience des hommes. C’est la condition préalable, à notre époque, pour que les structures sociales devenues anachroniques puissent être changées. Contribuer à cela est notre raison d’être fondamentale.
Toute dernière chose, nous affirmons dans le texte : « Le marxisme a toujours été et reste aujourd’hui la seule façon scientifique de comprendre le fonctionnement de la société et de ses ressorts. La seule aussi qui non seulement permet d’appréhender le monde, mais aussi de le transformer. Il reste le seul humanisme de notre époque. »
Un camarade a contesté la dernière phrase. À tort. Il ne s’agit évidemment pas pour nous d’afficher une filiation philosophique avec ce mouvement intellectuel qui a surgi à l’époque de la Renaissance et qui a cherché à renouer avec la civilisation de l’Antiquité grecque et son appétit de savoir. Encore que nous nous revendiquons, au sens très large du terme, de tout mouvement d’idées qui dans le passé a fait progresser l’humanité.
Nous voulons insister par cette formulation sur le fait qu’agir aujourd’hui pour l’avenir de l’humanité, s’opposer à la régression, au retour de la barbarie, c’est lutter pour la transformation révolutionnaire de la société. Et c’est cette conviction que nous voulons transmettre aux jeunes, en particulier intellectuels, qui ne souffrent pas de l’exploitation, en tout cas pas directement, mais qui sont révoltés par un tas d’aspects de la vie sociale découlant de l’exploitation. À ceux qui sont révoltés par le fait qu’on puisse mourir de faim au 21e siècle, ou par ce qui se passe à Alep ou dans tant d’autres régions en guerre. Révoltés par le fait que des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants poussés à l’émigration par les guerres ou la pauvreté, s’ils ne meurent pas en cours de route, se heurtent à des barbelés, au rejet. Révoltés par la « jungle » de Calais, comme par la poussée réactionnaire dans la vie sociale comme dans la vie culturelle.
À ceux de ces jeunes qui ont envie de transformer cette révolte en action, nous voulons transmettre que la seule façon conséquente de le faire, c’est de s’engager dans le combat du prolétariat pour l’émancipation sociale.
Les élections présidentielle et législatives de 2017
Lutte Ouvrière dans la campagne présidentielle
Des camarades se demandent s’il n’est pas nécessaire de compléter les textes pour les mettre à jour.
Nous proposons de laisser en l’état ces deux textes, car ils sont datés. En les écrivant, y compris le tout dernier, nous savions que, s’agissant des candidats et des rapports de force électoraux, nous réfléchissions à partir d’hypothèses dont certaines allaient devenir caduques les jours suivants. Mais l’essentiel c’était et ce sont toujours les raisonnements qui sous-tendent ces analyses.
C’est-à-dire la lassitude vis-à-vis de l’alternance traditionnelle, l’usure des deux grands partis qui se relaient au pouvoir, le discrédit de la caste politique, la poussée des idées réactionnaires et le caractère électoraliste de la montée du Front national.
Et le remue-ménage politicien auquel nous venons d’assister, avec d’un côté Fillon qui a envoyé Sarkozy et Juppé à la retraite et de l’autre côté Hollande qui a jeté l’éponge, confirme ces raisonnements.
La primaire de la droite
La large victoire de Fillon confirme la droitisation de la vie politique. Le gros des bataillons de droite a adoubé celui qui revendiquait la politique antiouvrière la plus brutale et la plus conservatrice, par exemple sur la question de l’IVG ou sur la place de la religion dans le pays.
Beaucoup de commentateurs ont présenté cette primaire comme un succès capable de revigorer l’opposition gauche/droite. C’est en effet l’objectif poursuivi par le parti Les Républicains et par le PS. Au départ, les primaires ont été conçues pour régler leurs rivalités internes. Aujourd’hui, ils veulent s’en servir pour pallier leur déficit de popularité et restaurer la légitimité qui manque à leur parti et à leur candidat. Le duel gauche/droite avec des candidats choisis par les appareils et quasi inamovibles ne fait plus rêver personne, eh bien ils organisent l’élection de leur candidat, dans l’espoir de remobiliser. Beaucoup d’électeurs ne croient plus dans les discours des politiciens et dans les élections ? Eh bien, ils ajoutent des élections aux élections. On verra si ça marche. On pourra peut-être le mesurer au premier tour en regardant l’impact que cela aura eu sur le nombre d’abstentions par exemple. Pour l’instant, il est bien difficile de se faire une idée.
Il y a bien eu 4,3 millions de votants à la primaire de droite. C’est un chiffre important mais à relativiser. D’abord au regard de l’enjeu : il s’agissait de choisir celui qui a toutes les chances de devenir président de la République. Et puis c’est à relativiser au regard du corps électoral, qui compte 45 millions d’électeurs, et du poids de la droite dans le pays. La droite est forte ; je rappelle qu’au premier tour en 2012, Sarkozy et Bayrou avaient, ensemble, fait 13 millions de voix ; et elle a des réseaux, qu’on ne connaît pas du tout mais qu’il ne faut pas sous-estimer, à commencer par les réseaux catholiques conservateurs que l’on a vus se mobiliser contre le mariage homosexuel.
En tout cas, les primaires qui se sont déroulées jusque-là n’invalident pas ce que nous disons sur le rejet de la caste politique et sur l’aspiration au renouvellement qui recouvrent, en fait, du désarroi et de la désorientation politique. La primaire écologiste a sorti Duflot. Celle de droite a balayé Sarkozy, le chef de la droite, et Juppé, le favori. Et, quoi qu’en disent les dirigeants des Républicains, cela montre que la droite est affectée, elle aussi, par une certaine usure et un discrédit. Bien sûr, cela se passe à l’intérieur d’une même famille politique, mais la rapidité et la brutalité du mouvement est tout de même significative d’un certain état d’esprit. On peut, du jour au lendemain, changer de courant, changer de candidat. Et c’est d’autant plus notable qu’il s’agit là de ceux qui se sentent les plus concernés et qui sont les plus politiques. Nous parlons beaucoup de désorientation pour les classes populaires, mais c’est un phénomène plus général, qui touche aussi la petite bourgeoisie.
Ce phénomène se traduit aussi dans les réflexions que l’on entend ici ou là : que cette fois, l’élection est plus ouverte, que rien n’est joué… Qu’on a échappé au remake Hollande/Sarkozy, qu’il y a de nouveaux candidats qui se présentent seuls, comme Macron… L’élection leur paraît ouverte parce que les premiers rôles ont été redistribués ! Tout cela est évidemment l’expression de la désorientation politique générale.
Mais il faut garder en tête ce que nous soulignons dans le texte : le fait que cette perte de repères, doublée de la droitisation de la vie politique et du retour en force des idées protectionnistes et nationalistes, confortera d’abord Le Pen, qui est la seule à n’avoir jamais participé au gouvernement et qui sera la plus crédible en candidate « antisystème ». Tout cela montre que la mise à jour de nos textes, il faut la faire tous les jours dans le cadre de la campagne, et c’est le travail de chacun que de rebondir sur toutes les occasions de discussion créées par tous ces rebondissements politiciens. Mais sur le fond, ils ne changent absolument rien pour nous.
Dans les décisions récentes, il y en a une cependant qui a des conséquences pour nous, c’est celle du PC de soutenir Mélenchon. Ce ralliement nous surprend d’autant moins que, comme la direction du PC l’a expliqué, cette décision ne l’empêchera pas de chercher des accords y compris avec le PS pour les législatives. La conséquence pour nous est que nous pourrons plus facilement présenter la candidature de Nathalie Arthaud comme une candidature communiste, et nous en profiterons.
Le second tour et le Front national
Un camarade a regretté que nous ne parlions pas de la probabilité qu’a le Front national d’accéder au pouvoir, et s’est demandé pourquoi nous ne raisonnions pas là-dessus alors que, dans les réunions et dans les discussions, c’est un sujet qui revient systématiquement.
Nous ne voulons justement pas raisonner sur le second tour. Et nous voulons convaincre les nôtres qu’il ne faut pas le faire. Parce que c’est tomber dans le piège électoraliste. Nous ne participons à cette élection que parce qu’il y a un premier tour, dans lequel nous pouvons nous exprimer et mener le combat pour nos idées. Le reste ne nous intéresse pas.
Nous avons essayé de l’expliquer dans les meetings, en disant : « On le sait d’avance, les jeux sont faits, celui qui sortira des urnes en 2017 sera un ennemi des travailleurs. Choisir parmi Sarkozy, Juppé, Hollande, le Pen, celui qui nous attaquera à partir de mai 2017, c’est accepter par avance d’être trompés et sacrifiés. C’est une duperie. » Alors maintenant, il faut changer les noms des acteurs qui jouent les premiers rôles, mais on continue de se battre sur cet axe.
Évidemment, il y a toute une pression. Il n’y a pas eu une réunion de campagne sans que la question du second tour ne vienne sur le tapis et que la peur de l’arrivée au pouvoir du Front national ne s’exprime. Et cette pression au vote utile ne va faire que se renforcer. Cette pression conduit à nous faire taire. Nous ne voulons pas choisir la sauce à laquelle nous serons mangés, nous voulons nous battre, nous voulons construire, et cela se passe dans la campagne du premier tour.
Il faut insister sur cette idée toute simple qu’il n’y aura pas de « moins pire » tant que les travailleurs ne reprendront pas le chemin des luttes conscientes. Cela ne dépend pas seulement de nous, mais il est de notre devoir de maintenir vivant un programme de lutte de classe et d’essayer, dans ce combat politique, d’avancer sur la voie de la construction d’un parti.
Toute autre attitude conduit à reculer. Par exemple, sur le vote utile. Il y a une dizaine d’années, les électeurs votaient utile pour élire quelqu’un qui ferait tout de même des petites choses. Les électeurs votaient pour tel ou tel parce que ce serait mieux que rien. Aujourd’hui, le vote utile consiste à choisir le « moins pire », à voter pour un ennemi parce qu’il est censé faire moins pire que les autres. C’est comme cela que, de recul en recul, ils seront peut-être prêts dans quelques années à voter Marine Le Pen contre sa nièce. Voilà où nous conduit l’électoralisme.
Nous avons jusque-là fait l’hypothèse qu’au second tour Le Pen avait très peu de chances car, dans le duel Juppé/Le Pen qui était annoncé par tous les sondages, le report des voix des voix du PS était assuré. Avec Fillon, le report de la gauche sera peut-être moins fort. Alors, l’arrivée du FN est-elle impossible ? Non. Maintenant, est-ce qu’un succès de Marine Le Pen à la présidentielle serait suivi d’un succès aux législatives tel qu’elle dispose de la majorité à l’Assemblée ? C’est très improbable. On peut alors imaginer un tas de choses, une crise institutionnelle, comme il y en a eu dernièrement en Espagne ou en Autriche, de nouvelles élections… des tractations diverses et variées… Mais là on commence à faire de la politique fiction, qui n’ajoute rien à tout ce que nous avons déjà dit sur les recompositions politiques qui étaient devant nous.
Alors attendons l’entre-deux-tours, où nous déciderons de notre attitude comme chaque fois. Pour l’instant, ne nous engageons ni dans un sens, ni dans l’autre. Lorsque que nous en serons là, la campagne sera terminée. Ce sera fini pour nous. Encore une fois, l’identité des finalistes de cette élection ne change rien pour ce que nous avons à dire et à faire dans cette campagne. Il faut rester centrés sur notre axe : en appeler à un vote de classe, à un vote de fierté ouvrière qui affirme que les exploités ont des intérêts qui leur sont propres et qui sont opposés à tous les représentants de la bourgeoisie que sont la gauche, la droite et le FN.
La mobilisation contre la loi El Khomri
Des camarades ont regretté que l’on ne fasse pas dans le texte le bilan de la mobilisation contre la loi El Khomri. Nous aurions pu écrire un paragraphe sur le sujet. Mais comme ce mouvement n’a changé l’état d’esprit des travailleurs ni dans un sens ni dans un autre, comme il n’y a ni plus ni moins de démoralisation qu’avant, et comme le mouvement est déjà loin dans les consciences ouvrières, nous n’avons pas trouvé que c’était indispensable.
Et surtout, le bilan du mouvement, nous l’avons déjà fait dans une brochure. Nous l’avons fait pour que cela serve aux camarades pour discuter et essayer de faire partager toutes les leçons politiques que nous pouvions en retirer avec la petite fraction qui s’était mobilisée. C’était le plus important. La seule chose politique notable, et le texte le signale, c’est qu’elle a achevé de discréditer Hollande.
« Populisme » et extrême droite
Dans plusieurs assemblées préparatoires, des camarades ont discuté l’emploi du terme « populiste » dans le paragraphe consacré au Front national : « Lorsqu’elle ne s’incarne pas dans des partis d’extrême droite, elle prend le visage des populistes du genre de Trump aux États-Unis ou de Beppe Grillo en Italie. » Certains camarades regrettaient que nous reprenions à notre compte ce terme péjoratif, non seulement pour les hommes politiques concernés, mais aussi pour les petites gens. Certains copains pensaient que, pour cette même raison, nous nous interdisions l’emploi de ce terme. D’autres ont dit ne pas bien voir la différence entre populisme et extrême droite.
Nous utilisons en fait souvent le terme « populiste ». C’est un mot valise, un peu facile dans le sens où il englobe des phénomènes différents. Trump et Beppe Grillo ne recouvrent pas exactement la même chose. En revanche, ils jouent sur le même registre. Ce sont des opportunistes, qui apparaissent à un moment donné et qui tentent de surfer sur le rejet des élites et de la caste politique en posant au candidat antisystème.
Cette démagogie est un point commun entre l’extrême droite et le populisme. Mais il y a des différences. L’extrême droite se revendique des idées réactionnaires, elle a des références politiques, une filiation, une histoire, pas les populistes. Beppe Grillo par exemple, ce n’est pas la Ligue du Nord. Et puis le populisme peut aussi être de gauche. Mélenchon fait aussi dans le populisme, lorsqu’il joue sur l’anti-Bruxelles, ou lorsqu’il parle des travailleurs détachés.
C’est vrai, dans la bouche de beaucoup, le terme est péjoratif. Mais, politiquement, cette référence au « peuple » est significative. Elle mélange petits patrons et exploités. Elle occulte la lutte de classe et masque le fait que le peuple est composé essentiellement de travailleurs qui représentent une force sociale de par leur position dans la production. Elle participe au brouillage politique que nous combattons.
Dénoncer le « système » en visant seulement le système politicien ou médiatique est une tromperie. Oui, nombre de politiciens sont corrompus, mais ce n’est pas là la cause de la dégradation de la condition ouvrière. Les conditions de travail et de vie des classes populaires reculent partout dans le monde du fait du système capitaliste, du système d’exploitation basé sur la concurrence, sur la course effrénée aux profits et à la compétitivité. C’est aussi cela que nous dénoncerons dans la campagne.
Abstentionnisme et électoralisme
Des camarades se demandaient en quoi « l’abstentionnisme recouvre bien souvent un électoralisme indécrottable » et d’autres ont regretté l’usage insultant du terme « indécrottable ».
Le terme est choisi pour nous. Pour que nous réfléchissions à ce qu’est l’abstention. Parce qu’il ne faut pas s’illusionner sur les abstentionnistes. Souvent ce sont des déçus qui ont marché dans toutes les illusions et qui ne voient plus de sauveur suprême… mais qui en cherchent un. Ils raisonnent comme les autres de façon électoraliste, en disant par exemple : « Il n’y en a pas un pour nous défendre. » Mais ils s’abstiennent rarement au nom du fait qu’il n’y a que la voie des luttes collectives.
Cela arrive quand même de trouver des abstentionnistes qui partagent une partie de nos idées, mais souvent ils nous répondent que cela ne sert à rien de voter pour nous, car nous n’avons pas de programme concret, parce que nous ne sommes pas crédibles vu nos petits scores… Ce qui témoigne là encore de raisonnements électoralistes. Il y a aussi ceux qui accordent une vertu électoraliste à l’abstention. Nous pensons à ceux qui croient qu’en étant nombreux à s’abstenir, ou à voter blanc, on peut forcer les politiciens à prendre en compte leur protestation.
Au tout début de la campagne, un camarade a déjà soulevé la question en défendant l’idée que « notre vrai public, ce sont les abstentionnistes déçus de la politique » et il continuait en disant : « Il faut commencer par donner raison aux gens qui ne veulent plus voter. » Ce n’est pas juste. On peut donner raison à ceux qui ne veulent plus voter pour Fillon, Valls ou Le Pen. Mais, dans la foulée, il faut leur donner tort de ne pas vouloir voter pour nous. Et le combat est tout aussi rude qu’avec ceux qui ne s’abstiennent pas.
L’apolitisme, le dégoût de la politique en général sont nos adversaires. Le problème des travailleurs, c’est justement qu’ils ne font pas de politique et la laissent dans les mains des représentants de la bourgeoisie. Tout cela pour dire qu’il ne faut pas se laisser leurrer dans les discussions. Ceux qui parlent de s’abstenir ne seront pas plus faciles à convaincre que les autres.
Nos axes et notre campagne
Il y a beaucoup d’inconnues dans cette campagne mais cela ne change rien pour nous.
Nous sommes en campagne depuis septembre ; l’axe, nous l’avons depuis le début. Nous faisons des réunions de campagne depuis juillet dernier et nous pouvons dire que toutes les péripéties politiciennes n’ont rien changé aux discussions et aux préoccupations de nos camarades. Beaucoup se sont emparés des axes et se sont lancés dans les discussions. Ils se retrouvent dans le caractère de classe que nous voulons donner à cette campagne.
Alors il faut continuer. Les prochaines réunions publiques qui auront lieu à partir de janvier seront l’occasion de concrétiser notre axe en reformulant le programme que nous connaissons avec les trois points que nous empruntons au Programme de transition. Et dans ce contexte de dépolitisation, même si nous n’appellerons pas à voter « pour » les idées communistes révolutionnaires, nous réaffirmerons nos idées fondamentales et les perspectives des travailleurs de renverser le pouvoir de la bourgeoisie et d’exproprier le grand capital pour construire une société sur des bases collectives.