« Négociations » sur la dette grecque : les dirigeants impérialistes imposent leur loi

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juilet-août 2015

Alors que nous écrivons, un accord n'a toujours pas été trouvé entre les représentants du gouvernement grec et ses créanciers. Les réunions continuent de se succéder, négociateurs et commentateurs continuant de s'agiter autour de la menace d'un défaut de paiement de la Grèce. Faute d'un déblocage d'une nouvelle aide financière, elle ne pourra s'acquitter du remboursement de 1,6 milliard d'euros au Fonds monétaire international (FMI) pour le 30 juin. « Pas d'aide sans réformes », c'est-à-dire sans nouveau plan d'austérité : tel est le chantage exercé par ces huissiers du système capitaliste international que sont le FMI, la Banque centrale européenne (BCE) et la Commission européenne.

Les propositions faites le 22 juin par le gouvernement grec à l'Eurogroupe, la réunion des ministres des Finances de la zone euro, montrent qu'après avoir résisté pendant cinq mois le Premier ministre Alexis Tsipras est en passe de céder aux exigences des institutions de la bourgeoisie internationale : augmentation de la TVA ; réforme du système de retraite avec la baisse de certaines pensions et le report progressif de l'âge de départ à 67 ans ; disparition des dispositifs de préretraite. Des ajustements sont encore en cours de négociation, mais il s'agit bien d'un nouveau plan d'austérité que Tsipras a accepté de mettre en œuvre.

Tsipras avait été pourtant élu en dénonçant les plans d'austérité imposés à ses prédécesseurs. Mais, en Grèce comme ailleurs, les dirigeants du monde impérialiste se moquent des résultats d'un scrutin ou, comme aiment le dire les politiciens de la bourgeoisie, de « l'expression démocratique de la volonté populaire ». Leur politique, ils l'imposent par un rapport de force, sans témoigner le moindre respect de la souveraineté nationale des petits pays, et encore moins des conditions d'existence de leur population.

Ainsi, en Grèce, les travailleurs, les petits bourgeois, les chômeurs, les retraités continueront de payer pour que le FMI et la BCE récupèrent les prêts que le système bancaire a accordés à l'État grec dans le passé. Les banques ont ligoté ce dernier par un système d'endettement mis en place pendant les années qui ont suivi la crise financière de 2008. L'État grec pouvait alors emprunter à sa guise. Pour les banquiers, acheter des obligations d'État apparaissait comme un placement sûr parce que la Grèce fait partie de la zone euro. Les bailleurs financiers poussaient la Grèce à l'endettement d'autant plus que le remboursement de la dette paraissait garanti par la « solidarité » de la zone euro.

Patatras ! Derrière la solidarité européenne, il y avait des intérêts nationaux opposés. Les riches États impérialistes de la zone n'avaient nullement envie d'être garants de la dette grecque.

La crise de la zone euro, en 2010-2011, a apporté la preuve que prêter à la Grèce n'était pas aussi sûr que de prêter à l'Allemagne ou à la France, bien qu'ils aient la même monnaie. Le FMI et la BCE sont venus au secours des banques en acceptant obligeamment de racheter les titres de la dette grecque. Les banquiers ont été contraints d'accepter une certaine décote. Mais, grâce à cette opération de transfert, ils ont sauvé leur mise, laissant aux gouvernements et aux institutions européennes la charge de régler la question de l'endettement de la Grèce.

Depuis, le FMI, la BCE et la Commission européenne répètent à la population grecque sur tous les tons, y compris le plus méprisant, qu'« une dette se paie ». Au nom de celle-ci, ils ont imposé aux gouvernements grecs successifs une politique d'austérité de plus en plus drastique. Une logique poussée jusqu'à l'absurde puisqu'elle a plongé l'économie grecque dans la récession et dans une spirale d'appauvrissement sans fin, contraignant l'État grec à consacrer toutes ses ressources au remboursement de ses créanciers.

La politique de Tsipras face à l'impérialisme

Derrière les promesses faites à son électorat, promesses au demeurant très modestes en ce qui concerne les salaires, les retraites, il y avait le refus de Syriza que la Grèce soit traitée par les puissances impérialistes d'Europe comme une semi-colonie placée sous leur tutelle.

Car les rapports entre la Grèce et les puissances impérialistes d'Europe occidentale rappellent que les États qui constituent l'Union européenne (UE) ne sont pas égaux. Malgré sa façade prétendument démocratique, elle est régie par les mêmes types de rapport que l'ensemble du monde impérialiste. Les décisions qui sont prises ne résultent pas de « processus démocratiques » mais de rapports de force. Et les bourgeoisies les plus riches imposent leur diktat aux États les plus faibles.

Bien d'autres dirigeants de pays pauvres ont incarné au fil du temps des politiques de résistance face aux puissances impérialistes. Plusieurs ont fait preuve de plus de détermination que Tsipras : à Cuba, le régime castriste a tenu tête aux États-Unis pendant plus de cinquante ans ; en Égypte, Nasser a osé nationaliser le canal de Suez, ne craignant pas d'affronter une intervention militaire ; ou plus récemment, au Venezuela, le régime de Chavez. Ces dirigeants nationalistes ont souvent eu le soutien des catégories les plus exploitées de leur pays. Aux yeux de celles-ci, cette lutte contre l'impérialisme apparaissait avec raison comme un combat pour reconquérir une dignité. Ne serait-ce que pour cette raison, les communistes révolutionnaires ne peuvent qu'être solidaires de cette opposition à l'impérialisme.

Mais défendre la souveraineté et la dignité nationales avec plus ou moins de ténacité ne signifie pas encore qu'on se place du point de vue des intérêts des classes exploitées. La preuve en est que Nasser avait su conjuguer son opposition à l'impérialisme, en particulier franco-britannique, et une politique d'oppression contre les classes populaires égyptiennes.

La politique de Tsipras vis-à-vis des classes populaires

Désireux de desserrer l'étau des institutions internationales de la bourgeoisie impérialiste, Tsipras était disposé à mener une politique paternaliste à l'égard des classes exploitées. Était-il sincère lorsqu'il promettait à l'électorat populaire qu'il augmenterait le salaire minimum ou qu'il défendrait les retraites à un niveau décent ? Peut-être. Mais Tsipras ne représentait pas les intérêts matériels et encore moins politiques des classes exploitées. Il ne le prétendait d'ailleurs pas.

Après les élections qui ont porté Syriza à la tête du gouvernement et qui ont montré l'ampleur de l'indignation de l'électorat populaire contre les diktats qui imposaient une politique d'austérité au pays, les puissances impérialistes ont fait quelques gestes pour dissimuler la brutalité de leurs interventions dans la politique du pays.

Elles ont accepté qu'il ne soit plus question de « troïka » et de mémorandums, autant de termes qui heurtaient la population grecque. Encore que la morgue de Christine Lagarde, ex-ministre française et actuelle directrice du FMI, affirmant qu'elle voulait bien négocier mais à condition que ce soit avec des adultes, a laissé transparaître les limites de ces gestes.

Mais, une fois ces concessions symboliques obtenues, Tsipras a dû s'incliner et faire acte de soumission. C'est le sens de la déclaration qui lui a été imposée à l'issue d'une réunion des ministres des Finances de la zone euro, le 20 février, dans laquelle le gouvernement grec déclarait reconnaître les engagements définis par le plan d'aide négocié en 2012. Ainsi, il dressait même une liste de mesures qu'il s'engageait à prendre en échange du report de quatre mois de l'échéance qui devait intervenir fin février. Il a aussi dû s'engager à ne prendre aucune mesure unilatérale et à « financer complètement » toute nouvelle mesure, s'inclinant ainsi devant la tutelle budgétaire de Bruxelles.

Malgré l'opposition de Bruxelles, Tsipras a fait voter une loi pour lutter contre la crise humanitaire prévoyant, entre autres mesures, de rétablir le courant chez les plus démunis et de leur fournir jusqu'à 300 kWh d'électricité gratuite d'ici la fin de l'année, une aide alimentaire et le relèvement des petites retraites. Mais, par contre, le relèvement du smic promis pendant la campagne électorale a été repoussé à 2016, de même que le rétablissement des conventions collectives et d'un 13e mois pour les retraites. L'impôt foncier instauré par la droite, l'ENFIA, que Syriza s'était engagé à supprimer, a été maintenu.

De recul en recul, Tsipras s'est aujourd'hui déclaré prêt à imposer de nouveaux sacrifices à la population. Par rapport à ses prédécesseurs, il pourra mettre en avant le fait qu'il a tenté de fixer des limites, une ligne rouge à ne pas dépasser. Les dirigeants européens, de leur côté, au cours des négociations qui se poursuivent actuellement, cherchent à faire la démonstration politique la plus visible possible. En faisant plier Tsipras, ils veulent montrer à tous les peuples qu'il est impossible de leur désobéir et de manifester la moindre velléité d'indépendance.

Mais les dirigeants politiques de la bourgeoisie d'Europe savent que Tsipras est un des leurs. Un peu remuant, un peu trop sensible à la pression de sa population, mais un des leurs quand même ! Ils ont en commun de redouter que la menace que la Grèce se retire de la zone euro déclenche une crise financière européenne impossible à maîtriser. Ils ont surtout en commun que Tsipras se place dans le cadre du système capitaliste et de la loi de la jungle, sa seule loi.

La bourgeoisie grecque continue d'être épargnée par l'austérité

Depuis le début, Tsipras s'est comporté en chef de gouvernement responsable vis-à-vis de la bourgeoisie grecque, se refusant à la contraindre à participer à la « solidarité nationale » en prenant sur ses profits.

Parmi les dernières mesures annoncées dans les négociations actuelles, il est question d'une taxe sur les articles de luxe et sur les revenus des 500 Grecs les plus riches. Mais ce genre de mesures figure de temps en temps dans la panoplie des gouvernements des États impérialistes comme la France. Les ministres de Syriza dénoncent ceux qui fraudent le fisc et ont ouvert des comptes en Suisse pour échapper à l'impôt. Mais ils se sont contentés de promettre une amnistie à ceux qui rapatrieraient leur argent, s'inspirant d'une mesure mise en œuvre en France et dans d'autres États, avec une efficacité limitée comme à chaque fois qu'il est fait appel à la bonne volonté des classes privilégiées.

Le gouvernement Tsipras s'est refusé à imposer sérieusement des sacrifices à la bourgeoisie grecque et aux catégories les plus riches alors que, fort d'un soutien populaire, il aurait pu le tenter, ne serait-ce que pour soulager les conditions de vie des classes populaires.

Ainsi l'exemption fiscale dont bénéficient les armateurs grecs n'a pas été remise en cause, alors que ceux-ci ont accumulé des fortunes considérables et possèdent la première flotte du monde en tonnage. Pas plus que celle dont bénéficie l'Église grecque. Alors que des milliards ont quitté les caisses des banques grecques depuis plusieurs jours, aucun contrôle des capitaux n'a été instauré. Bien des États confrontés à une crise de financement, sans être particulièrement révolutionnaires, ont pourtant été capables d'instaurer une telle mesure.

Tous ces choix de Tsipras montrent qu'il appartient au même monde que tous les représentants du monde impérialiste. Ceux-ci ne lui en ont peut-être pas voulu pour sa résistance dans les négociations, sauf les plus imbéciles ou les plus méprisants. Ils savaient que le véritable problème n'était pas Tsipras ni Syriza, mais les réactions éventuelles de la majorité exploitée de la population qui devait supporter les coûts. Après tout, la résistance manifestée par Tsipras dans les négociations sera probablement mise à son crédit et lui servira d'argument. « Nous avons cédé mais nous avons fait tout ce que nous avons pu », pourra-t-il tenter d'expliquer en substance.

Ceux qui, dans les milieux populaires, seront convaincus par ce discours seront-ils majoritaires ? Ou, au contraire, les reculs de Tsipras passeront-ils pour des concessions inacceptables, pour la démonstration que, même avec un gouvernement qui se prétend à la gauche de la gauche traditionnelle, il n'y a pas de salut pour les exploités ?

Et cette compréhension de la politique de Tsipras provoquera-t-elle dans les classes exploitées un sentiment de résignation ou alimentera-t-elle leur colère ? L'avenir le dira. Mais même si c'est la colère qui gagne les classes populaires, il faudra qu'apparaisse une organisation politique capable de l'exprimer, c'est-à-dire capable d'engager le combat non pas contre la politique d'austérité de la bourgeoisie, mais pour le renversement de la bourgeoisie elle-même, aussi bien grecque qu'internationale.

Le 25 juin 2015