Haïti - Entre catastrophe naturelle, misère sociale et agissements des bandes armées

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Septembre-Octobre 2004

Les conséquences de la récente tempête tropicale en Haïti ont attiré pendant quelques jours l'attention des médias sur ce pays qui partage avec Saint-Domingue l'île d'Hispaniola, dans les Caraïbes. Les cyclones et les tempêtes tropicales qui se sont succédé dans les Antilles et qui ont également atteint la Floride, aux États-Unis, ont fait des morts et des dégâts un peu partout. Le nombre de victimes a été cependant sans commune mesure en Haïti: 2 400 morts officiellement reconnus, près du double probablement. Et, surtout, les projecteurs un moment braqués sur les zones atteintes ont montré combien la misère généralisée, l'absence d'infrastructures, la pauvreté des habitations ont multiplié par dix ou par cent les effets de la tempête tropicale.

Plus révoltant encore a été le fait que les grandes puissances se soient contentées de quelques gestes dérisoires alors qu'il était évident que l'État local, complètement disloqué, était impuissant à venir en aide aux sinistrés.

Les deux articles qui suivent sont extraits de La Voix des Travailleurs, publication de l'Organisation des Travailleurs Révolutionnaires d'Haïti (UCI). Le premier est extrait du numéro du 24 septembre 2004 et date donc de quelques jours après le passage de la tempête tropicale. Le second est tiré du numéro du 15 juillet. Publié bien avant la tempête, il décrit la décomposition de l'État haïtien, fort avancée déjà sous la dictature d'Aristide (débarqué par les troupes américaines et françaises en février 2004) mais qui s'est encore aggravée après.

La récente mésaventure du secrétaire d'État aux Affaires étrangères français, Renaud Muselier, en a donné une illustration. Ce monsieur se croyant sans doute en tournée électorale dans sa circonscription, s'est avisé de rendre une visite-photo à un hôpital situé à Cité Soleil, le principal quartier populaire de Port-au-Prince, un immense bidonville en réalité. Bien qu'accompagné de gardes du corps et de gendarmes de l'ambassade de France, il s'est trouvé, pendant deux heures, sous le feu des "chimères", ces miliciens partisans de l'ex-président Aristide qui contrôlent complètement Cité-Soleil. Il a fallu que les troupes de l'ONU présentes dans la capitale exfiltrent en voiture blindée le sous-ministre pour qu'il puisse échapper à un accueil manifestement un peu trop chaud pour lui.

L'évolution décrite dans l'article de juillet s'est intensifiée depuis. Le nouveau gouvernement Latortue et le président provisoire Honorat mis en place par les troupes américaines et françaises ne contrôlent absolument pas le pays, ni même la capitale. Derrière la fiction d'un gouvernement central, il y a la loi des bandes armées, chacune d'elles avec ses propres préoccupations, ses propres intérêts et sa propre politique. La force militaire officielle est représentée par la police. Elle ne compte qu'un effectif de 3000 hommes mal armés, et elle est pourrie de corruption, sans parler de ceux des policiers qui font des heures supplémentaires, leur uniforme enlevé, en participant à des actes de grand banditisme. Elle est totalement incapable d'assurer un minimum de sécurité au quotidien, et elle ne se donne pas la peine de faire semblant.

Les quartiers pauvres de la capitale cependant, Cité Soleil, Bel Air notamment, sont entièrement contrôlés par d'autres bandes armées, celles des "chimères". Aristide a été contraint de partir, mais pas les "chimères" qui avaient été armés et payés par lui. La police ne met pas les pieds dans les quartiers contrôlés par les chimères, et le gouvernement s'en accommode, faute de pouvoir faire autrement.

D'autres bandes armées sont constituées par des débris plus ou moins importants des anciennes Forces armées de Haïti (FAH). Cette armée s'était installée au pouvoir lors de la chute de Duvalier en 1986 et avait exercé directement le pouvoir jusqu'à l'élection d'Aristide, des généraux se succédant les uns aux autres. En 1991, sous la direction de Cédras, l'armée avait renversé Aristide pour mettre en place une dictature sanglante. Ramené au pouvoir en 1995 par l'armée américaine, Aristide avait dissous les Forces armées d'Haïti pour les remplacer par la police actuelle.

Quelques-uns des anciens officiers de cette armée, généralement connus comme les pires bouchers sous la dictature de Cédras, ont regroupé autour d'eux, notamment au Saint-Domingue voisin, des éléments de l'ancienne armée. Ces bandes ont franchi la frontière pour précipiter la chute d'Aristide, et se posent aujourd'hui en libératrices du pays. Elles revendiquent la reconstitution de l'ancienne armée de Haïti, et exigent non seulement que leur soit versée de nouveau leur solde, mais aussi que ce versement soit rétroactif. Dans un certain nombre de villes, comme Petit Goâve, ces bandes ont occupé qui l'ancienne caserne, qui le commissariat préalablement nettoyé de ses policiers, qui d'autres édifices publics, sans que le gouvernement soit capable de réagir autrement que par des discours lénifiants sur la nécessité de désarmer les groupes armés illégaux. Incapable cependant de désarmer ces bandes armées en uniforme, voire désireux d'obtenir leur intégration future dans une nouvelle force armée, le gouvernement a entamé une négociation avec elles. La commission chargée de négocier a même conclu qu'à défaut de verser un salaire aux militaires -surtout à titre rétroactif, ce que les caisses vides de l'État ne permettraient pas de financer- ils percevraient de l'État une "indemnité compensatoire".

À ces groupes armés, s'ajoutent ceux des trafiquants en tout genre, notamment les trafiquants de drogues. Mais il est vrai qu'en la matière, la double appartenance à une bande de narco-trafiquants et à la police et/ou l'ancienne armée n'est pas interdite.

Il y a enfin la "Mission de stabilisation des Nations unies" (MISNUAH) dont les 2700 militaires venus du Brésil, de l'Argentine ou du Chili ont relayé les troupes américaines et françaises. Malgré leur nom, ces troupes ne stabilisent rien et ne servent à rien -à part tirer de l'embarras un Renaud Muselier de passage. Et leurs véhicules blindés qui parcourent les rues de la capitale passent avec indifférence à côté des groupes de chimères armés, même lorsque ces derniers sont manifestement en train de terroriser la population. Ils n'assurent que la sécurité de l'aéroport, du palais gouvernemental et, dans une certaine mesure, de la zone industrielle située à proximité de l'aéroport.

Autant dire que, dans ce pays considéré comme le plus pauvre de toute l'Amérique latine et un des plus pauvres du monde, la présence de ces bandes armées signifie pour la majorité de la population à la fois une insécurité qui s'ajoute à la pauvreté et une pauvreté encore plus grande.

5 octobre 2004