Contre la barbarie de la guerre ethnique, contre la barbarie des bombardements, pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes

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Avril 1999

Il faut toute la cruauté de cet univers dominé par l'impérialisme pour que ses maîtres, la quasi-totalité des partis politiques et nombre d'intellectuels à leur suite, prétendent faire passer une intervention menée à coup de bombes et de missiles pour une intervention en faveur des peuples, du peuple kosovar en l'occurrence ; une intervention qui ne vise pas seulement des cibles militaires, mais aussi des usines, des centrales thermiques, des ponts, des mines de charbon, etc., ou des bâtiments situés dans le centre de villes comme Belgrade en Serbie ou Pristina au Kosovo...

Il faut toute leur capacité d'hypocrisie et de cynisme pour oser prétendre que ces bombardements ne seraient pour rien dans l'exode massif des Kosovars vers les frontières des pays limitrophes que les médias ont montré alors que le Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés évalue à quelque 450 000 le nombre des personnes qui ont été chassées du Kosovo entre le déclenchement des bombardements (24 mars) et le 6 avril.

Cela n'empêche pas tous les va-t-en-guerre qui approuvent ces bombardements et même en appellent à une intervention militaire terrestre des puissances occidentales (comme les Verts passés au vert kaki) de se poser en défenseurs du peuple albanais du Kosovo.

Face à l'évident désastre, pour s'exonérer de toute responsabilité, les dirigeants occidentaux clament que Milosevic avait des plans pour chasser les Albanais du Kosovo antérieurs à leur intervention : ils feignent de le découvrir.

Belle et opportune "découverte" ! C'est néanmoins un truisme d'affirmer que Milosevic et ses acolytes n'ont jamais fait mystère de leur volonté de "purification ethnique", de leur volonté de conserver une totale domination sur le Kosovo, comme de la brutalité sanglante de leurs méthodes, étalée depuis des années en Croatie, en Bosnie, et au Kosovo lui-même.

Ce qui s'y passe aujourd'hui était prévisible, et les chefs de l'OTAN l'avaient sans doute plus ou moins prévu. Plusieurs d'entre eux l'ont admis eux-mêmes. Comment, d'ailleurs, auraient-ils pu escompter que Milosevic ne profiterait pas de leurs bombardements pour accélérer la mise en oeuvre de ses projets, alors que ces bombardements lui laissent les mains plus libres ? C'est toute la tactique de Milosevic que de chercher à créer des faits accomplis en matière de transferts forcés de populations. Elle n'est pas nouvelle.

Cependant, disent les responsables des gouvernements occidentaux, ni le rythme ni l'ampleur n'étaient prévisibles, à quoi Bernard Kouchner fait écho : "Qui aurait imaginé une telle déportation de masse en cette fin de siècle ?" (Il n'avait pourtant pas à faire un effort d'imagination. Il aurait suffi, par exemple, qu'il pense aux massacres du Rwanda, perpétrés avec la complicité du gouvernement français. Et rappelons pour mémoire que c'était sous la présidence de Mitterrand.)

Il reste que l'intervention militaire impérialiste en Yougoslavie a facilité les basses oeuvres des nationalistes grand-serbes au Kosovo, pour ne pas dire qu'elle leur prête la main.

Elle les facilite politiquement en renforçant les positions des pires instigateurs de la politique de "purification ethnique", les chiens de guerre comme le général Mladic, ex-massacreur en Bosnie qui parade maintenant à Belgrade, ou comme le bandit Arkan, et l'extrême droite ultra-nationaliste et fascisante de Vojislav Seselj (devenu un des vice-premiers ministres du gouvernement) qui est en passe de tenir le haut du pavé en Serbie même.

Tandis que les démocrates opposants à Milosevic, ceux à qui, ne serait-ce que par pacifisme, répugne l'exaltation sanglante d'un "serbisme" déchaîné, sont eux réduits au silence, si ce n'est pire étant donné le renforcement policier.

Où est le prétendu souci des droits des peuples, dans tout cela ?

Que les justifications invoquées par les impérialistes ne sont que foutaises, cela s'est étalé particulièrement avec la façon dont ils ont réagi, ou plutôt pas réagi, devant la catastrophe que représente l'exode massif des Albanais du Kosovo depuis le 24 mars. Les Etats de l'OTAN se glorifient des secours tardifs qu'ils improvisent, même si ce sont des gouttes d'eau, mais ils ne s'étaient pas soucié d'anticiper et de prévoir une aide conséquente, efficace et rapide pour faire face à la situation issue de l'exode, et qui était encore une fois bien prévisible. Alors que lorsqu'il y va de leur politique et de leurs intérêts ou, comme on le voit actuellement, lorsqu'il s'agit pour eux d'organiser l'intervention de quelque 600 avions de tous types, fournis par 13 pays sur les 19 que compte l'Alliance atlantique, ils disposent de tout autres moyens et ne lésinent pas pour les déployer rapidement.

La révoltante vérité est que les secours "humanitaires" sont bien le cadet de leurs soucis et qu'ils se lavent les mains des conséquences de leur intervention pour les peuples.

Les révolutionnaires communistes internationalistes sont vigoureusement opposés aux bombardements, comme à toute intervention militaire de l'OTAN contre la Serbie et le Kosovo.

L'infamie de la purification ethnique ne justifie en rien une intervention militaire qui ne fait que l'aggraver, en même temps qu'elle fait payer la population de Serbie pour les crimes de son dictateur.

Nous dénonçons la participation du gouvernement à cette crapulerie.

Oh, ce n'est pas un pacifisme abstrait qui nous anime, mais la claire constatation que cette entreprise n'est qu'une variante de la politique de la canonnière de l'époque coloniale, à laquelle les travailleurs n'ont pas le moindre soutien à accorder. Elle n'est pas menée pour défendre un peuple mais pour imposer, contre les peuples, tous les peuples, la loi des grandes puissances.

La loi des puissances impérialistes

La seule raison des bombardements de l'OTAN est d'imposer l'ordre mondial des grandes puissances, d'affirmer, à l'intention de tous les peuples du monde, la force de son bras armé.

Les dirigeants occidentaux tiennent d'autant plus à amener Milosevic à se montrer plus obéissant à leur ordre que, par son régime et sa politique, le dictateur de Belgrade entraîne une sérieuse menace de déstabilisation et de chaos dans toute la région, peut-être au delà de l'ex-Yougoslavie elle-même, car la logique de guerre comporte des enchaînements, un engrenage, aux conséquences pas toujours contrôlables.

Ce n'est certes pas d'hier que date l'intervention des grandes puissances pour faire et défaire les frontières dans les Balkans, en fonction des rapports de forces entre impérialismes rivaux. Cette intervention a été constante depuis plus d'un siècle, et particulièrement dramatique dans une région aux peuples entremêlés. Ces peuples ont été ballottés, divisés ou rassemblés arbitrairement, en fonction de règlements imposés de l'extérieur, depuis Berlin ou Versailles. C'est ainsi, par exemple, que les traités qui ont suivi la Première Guerre mondiale, ont consacré la création d'un petit Etat d'Albanie tout en attribuant la région du Kosovo, déjà largement peuplée d'Albanais, à la monarchie slave "des Serbes, des Croates et des Slovènes" dominée par la Serbie.

Les impérialistes s'intéressaient aux Balkans en tant que terrain de pillage, découpé en "zones d'influence" parce que les capitaux anglais, français, allemands se le disputaient.

Cet héritage a pesé lourd dans le fait que cette région de l'Europe ne soit pas parvenue à sortir de la pauvreté, de l'oppression et des violences ethniques, largement exploitées comme instrument de domination par les couches dirigeantes locales. Mais la responsabilité des grandes puissances est écrasante y compris pour la période actuelle.

Car il ne faudrait tout de même pas oublier que, pendant près de 40 ans, dans la Yougoslavie de Tito qui n'était pourtant certainement pas un modèle de démocratie, ces peuples ont au moins coexisté, se sont mélangés, dans le cadre d'une entité dépassant les micro-Etats précédents, et où les habitants finissaient par pouvoir ignorer les "ethnies" pour se déclarer simplement yougoslaves.

Lorsque, après la mort de Tito, le régime est entré en crise, les luttes pour le pouvoir au sommet de l'Etat, puis entre cliques rivales se cherchant un appui territorial dans les différentes républiques constitutives de la Fédération, sont venues sur le devant de la scène, sur un fond de crise économique et sociale. Ces cliques n'ont pas manqué de recourir aux vieux thèmes éculés des micro-nationalismes, serbe certes mais aussi croate, slovène, etc., mais ce sont les puissances impérialistes qui ont, on peut le dire, présidé à l'éclatement de la Yougoslavie en 1991. Elles ont encouragé ceux qui poussaient dans ce sens et elles ont consacré le démembrement en officialisant la transformation de limites administratives internes à la Fédération yougoslave en de vraies frontières entre les Etats successeurs.

Cela semble une mesure anodine, mais ses conséquences allaient être catastrophiques dans ces Etats successeurs, au fur et à mesure que les cliques nationalistes, cautionnées sinon directement propulsées à leur tête, allaient transformer chacun d'entre eux en Etat-nation.

Mais la Serbie comptait d'importantes minorités non serbes, albanaise, justement, au Kosovo ou hongroise, croate, roumaine, en Voïvodine. Mais les Serbes eux-mêmes qui vivaient depuis des temps lointains dans la Krajina, région attribuée à la Croatie, ou qui s'y étaient installés récemment, au temps où toutes les nations composantes étaient en principe chez elles dans toute la Yougoslavie, ont été transformés en minorité. Sans parler de la Bosnie aux nationalités entremêlées.

Et, rappelons-le, si Milosevic ou ses sous-fifres ont pratiqué l'épuration ethnique en grand, le Croate Tudjman l'a, de son côté, pratiquée contre les Serbes de la Krajina ou contre les Bosniaques de la région de Mostar.

Les cliques nationalistes prêtes à jouer de cette situation existaient mais les puissances impérialistes les ont reconnues pour ne pas dire patronnées. Du fait de leurs propres rivalités entre elles, elles ont aussi contribué à jouer les uns contre les autres. Elles ont jeté de l'huile sur le feu.

Aujourd'hui, c'est au moyen d'une spectaculaire intervention guerrière menée par une coalition de grandes puissances mondiales que l'impérialisme prétend, une nouvelle fois, régler le sort des peuples balkaniques.

Ceux-ci n'ont rien de bon à en attendre.

Les peuples n'ont rien à espérer des grandes puissances

Les dirigeants occidentaux cherchent à faire plier Milosevic, par trop incontrôlable mais qu'ils n'ont apparemment pour le moment du moins pas la possibilité de remplacer comme interlocuteur pour d'éventuelles négociations. Jospin, au seizième jour des bombardements, continuait de lui donner du "monsieur Milosevic", et toutes les conditions qu'ils lui posent, c'est de revenir à la table des marchandages en acceptant une forme d'autonomie pour les Albanais du Kosovo qui les maintiendrait toutefois dans le cadre de la Serbie, et assortie d'un contrôle par des forces de l'OTAN sur le terrain.

De toute façon, quel que soit l'avenir de Milosevic, qu'il redevienne l'interlocuteur des chefs de l'impérialisme ou qu'il soit remplacé dans ce rôle par un successeur du même acabit, une telle négociation aboutirait à organiser un découpage territorial de plus, consacrant le rapport de forces créé sur le terrain.

Les bonnes âmes qui réclament une "solution négociée" ont-elles oublié ce que les accords de Dayton imposés à la Bosnie ont signifié comme solution pour les peuples ? Un partage entre trois zones ethniquement homogénéisées par les méthodes que l'on sait, séparées par un fleuve de sang, qui ne sont que des misérables ghettos pour des populations privées d'espoir et placées sous la botte de micro-dictatures féroces et corrompues. Un partage qui fait que deux millions environ de personnes de Bosnie sont encore "déplacées", en exil dans de multiples pays. Une partition patronnée par les impérialistes sur la base des résultats des pratiques de la purification ethnique.

Quant au Kosovo, on a bien vu ce que les dirigeants occidentaux voulaient imposer à la conférence de Rambouillet. Car il ne s'agissait nullement de faire respecter le droit du peuple kosovar à disposer de lui-même, dans le respect de la minorité serbe. Les projets d'accord de Rambouillet refusaient formellement aux Albanais kosovars le choix de l'indépendance ou celui du rattachement à l'Albanie. Le seul "droit" proposé aux Kosovars était celui d'entériner ce que les grandes puissances avaient choisi pour eux.

Là, on voit se dessiner sur le terrain la configuration de l'accord que sur les cadavres des Albanais victimes des militaires, miliciens, para-militaires serbes, comme sur ceux des Serbes victimes des bombardements de l'OTAN les grandes puissances pourraient imposer à Milosevic, le jour où celui-ci sera contraint à négocier. La terreur des milices serbes, secondée par les effets des bombardements, a vidé certaines régions du Kosovo dont la capitale, Pristina d'une partie importante de leurs habitants albanais. Milosevic pourrait ajouter des arguments démographiques à ses arguments pseudo-historiques le Kosovo, berceau du peuple serbe, etc. pour conserver une partie de la région (peut-être dans le cadre d'une solution "provisoire", mais qui durera, comme dure le provisoire en Bosnie). Et peut-être ramènera-t-on une partie des réfugiés, parqués en attendant en Albanie ou en Macédoine, dans ce qui restera du Kosovo.

Et si une force dite d'interposition est mise sur pied, elle ne sera là que pour imposer une "solution" aussi méprisante du droit des Albanais à décider de leur avenir. Qu'elle émane de l'OTAN ou de l'ONU distinguo dérisoire , elle ne ferait que contribuer à fouler aux pieds le droit du peuple kosovar à son autodétermination.

Pour les peuples des Balkans, qui ont pour ainsi dire tous été victimes, tour à tour, de l'éclatement de la Yougoslavie, il n'y a que des "solutions" pourries à attendre des dirigeants impérialistes, qui seront autant de creusets de désespoir et de ressentiments et génératrices de nouveaux brûlots et de nouvelles poudrières.

Il n'y a pas non plus à attendre de solutions d'avenir des différentes cliques dirigeantes nationalistes locales, lesquelles ne peuvent, dans le meilleur des cas, qu'acculer leurs populations à de misérables impasses.

En tant que révolutionnaires prolétariens, nous affirmons résolument que notre solidarité va au peuple albanais-kosovar face à l'oppression et aux ignominies de l'Etat serbe. C'est aux peuples eux-mêmes qu'il revient de choisir le cadre dans lequel ils souhaitent vivre ce qui est une évidence, à nos yeux , de même que nous défendons le droit de tous les peuples des Balkans à disposer d'eux-mêmes, le droit de toutes les minorités d'être reconnues au même titre que les majorités, avec toutes les libertés démocratiques que cela implique.

Cela ne nous empêche pas de penser que l'avenir pour ces peuples est dans une coexistence fraternelle entre eux, et que cela ne pourra se réaliser que lorsqu'ils auront les moyens de renverser toutes les cliques nationalistes et exploiteuses qui les tiennent sous leur coupe, de déraciner les bases de leur pouvoir, quand ils pourront se dresser à la fois contre elles et contre les diktats des grandes puissances. C'est dans cette voie-là que réside la seule perspective d'une solution positive pour les peuples de tous les pays.