Inflation, dévaluations, et instabilité monétaire

Imprimer
24 avril 1998

Le flottement des monnaies pesait sur les échanges intracommunautaires européens. Or ceux-ci étaient devenus particulièrement importants dans le commerce de chaque pays. A notre époque, par exemple, plus des deux tiers du commerce extérieur des pays d'Europe est, en fait, du commerce intra-européen, c'est-à-dire s'effectuant entre pays du Marché commun.

La cause des variations monétaires pouvait être tout simplement le rythme différent de la dépréciation d'une monnaie nationale par rapport aux autres. L'émission de monnaie sans contrepartie a été pendant longtemps un moyen privilégié pour les Etats de combler le déficit de leur budget. La masse trop importante de monnaie par rapport à la circulation des marchandises alimentait l'inflation. Toutes les monnaies-papier se dépréciaient et perdaient de leur pouvoir d'achat. Mais évidemment, il n'y avait aucune raison que les monnaies se déprécient au même rythme d'un pays à l'autre. Quand une monnaie nationale avait manifestement perdu de son pouvoir d'achat par rapport à une autre, il fallait la dévaluer, c'est-à-dire baisser sa valeur relativement à celle-ci. Si par exemple un franc français à une époque s'échangeait contre un mark allemand, aujourd'hui il faut plus de trois francs pour avoir un mark !

Mais il n'y a pas que ces dévaluations "naturelles", si l'on ose s'exprimer ainsi. Il y a aussi ces manipulations monétaires par lesquelles les Etats aident leurs capitalistes à rendre provisoirement leurs marchandises plus compétitives sur les marchés internationaux.

Dévaluer le franc relativement au mark par exemple, c'est faire baisser les prix des marchandises françaises à l'exportation et donc permettre aux patrons français de prendre un avantage, au moins provisoire, sur leurs concurrents allemands. C'est aussi réduire le salaire réel des travailleurs en France. Pour eux, même si leur salaire nominal ne baisse pas, tous les produits importés en effet coûtent plus cher du fait de la dévaluation, tandis que pour un investisseur étranger, le prix de la main-d oeuvre en France baisse, ce qui peut l'inciter à "délocaliser" ses productions en France, comme on dit.

Ce procédé est ce que l'on appelle une "dévaluation compétitive". Bien sûr, cet avantage d'une dévaluation du franc pour les patrons français n'est que provisoire. La dévaluation entraîne une hausse des prix intérieurs de tous les produits importés, à commencer par celui des matières premières. Rapidement, cela se retrouve dans les prix des produits fabriqués en France. Les travailleurs eux-mêmes, constatant la baisse de leur pouvoir d'achat, peuvent revendiquer des hausses de salaire. L'avantage pris par les patrons français sur leurs concurrents peut alors tendre à disparaître. Mais l'opération permet au moins de tenir... jusqu'à la prochaine dévaluation.

Cependant il y a aussi une autre conséquence néfaste : si le franc baisse, ce sont les capitaux de la bourgeoisie française qui se dévalorisent par rapport à ses concurrentes. Les capitaux des bourgeois français ont, dans ce cas, tendance à aller se convertir en marks ou en dollars. Du fait de cette fuite des capitaux, la banque de France doit racheter des francs et vendre des marks et des dollars. Elle risque de voir rapidement ses réserves s'épuiser. Ou alors, il faut en revenir à des mesures abandonnées, comme le contrôle des changes et des mouvements de capitaux. Mais ce sont des mesures que les bourgeois n'aiment pas, qu'ils considèrent comme arbitraires car elles les empêchent de faire aller et venir leur argent pour le placer là où cela leur paraît le plus profitable.

Ajoutons à tout cela que, au fur et à mesure que les activités financières se développaient au détriment des activités productives, la spéculation sur les monnaies se développait aussi. Les taux de change ne subissaient donc pas seulement la pression des rythmes différents de dépréciation de la monnaie d'un pays à l'autre et des opérations de dévaluation compétitive, mais elles subissaient de plus en plus la pression de la spéculation. La spéculation massive, pour des raisons rationnelles ou non, pouvait contraindre les autorités dont dépendait une monnaie à dévaluer. Tout cela rapportait beaucoup à certains, mais c'était nuisible au commerce et à la production.