Nationalisme écossais et illusions régionalistes

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Mai-Juin 1996

Cela fait plus d'un siècle que, pour l'essentiel, les Etats d'Europe occidentale ont fini d'être constitués et sensiblement unifiés. Cela n'a pas empêché pourtant l'apparition périodique de mouvements nationalistes remettant en question leur tracé ou revendiquant un statut d'autonomie particulier pour une région ou une autre. Les exemples ne manquent pas, de la Catalogne au Pays basque en passant par la Flandre, la Bretagne ou encore la Corse. Parfois, il s'agit de simples lubies de milieux restreints. Parfois, ces revendications trouvent un écho réel dans la population concernée, voire conduisent à des actions armées.

Malgré son nom, le Royaume-Uni ne fait pas exception à la règle comme le souligne l'enlisement de l'Etat britannique dans le bourbier d'Irlande du Nord depuis trois quarts de siècle. Mais si le cas de l'Irlande du Nord est bien connu, ceux des deux autres composantes regroupées autour de l'Angleterre au sein du Royaume-Uni, l'Ecosse et le Pays de Galles, le sont moins. Et pourtant dans l'une comme dans l'autre il existe également un courant nationaliste, moins virulent il est vrai que celui d'Irlande du Nord parce que de nature et d'origine assez différentes. Néanmoins on a assisté au cours de la dernière période à un certain réveil de ces courants, en particulier en Ecosse.

AUX ORIGINES DU NATIONALISME ECOSSAIS

C'est en 1688 que prit fin une fois pour toutes l'existence indépendante de l'Ecosse. Cette année- là, les couches les plus riches de la bourgeoisie anglaise firent appel au prince hollandais Guillaume d'Orange pour venir avec ses troupes remettre de l'ordre dans une Angleterre dont la vie sociale était encore bouleversée par les "débordements" de la révolution bourgeoise. Cette période, que l'historiographie officielle appelle en Grande-Bretagne la "Glorieuse Révolution" façon de dire que l'autre, celle de 1640, où le petit peuple avait joué un rôle déterminant dans le renversement du pouvoir de l'aristocratie, aurait eu quelque chose de honteux fut donc la période finale de réaction par laquelle la révolution bourgeoise se consolida en Angleterre et ouvrit une ère de pillage systématique du pays par la nouvelle classe dirigeante.

En Irlande, Guillaume d'Orange dut faire face à un soulèvement général qu'il réprima brutalement. Ce ne fut pas le cas en Ecosse où la résistance, limitée à quelques clans de la vieille aristocratie foncière des Highlands, dans le nord, fut de courte durée. La bourgeoisie écossaise, elle, emboîta le pas sans rechigner à son homologue anglaise en se rangeant derrière Guillaume d'Orange. Ce faisant, elle signa de fait l'arrêt de mort de la relative indépendance dont avait joui l'Ecosse dans la période antérieure, acte qui fut formalisé par la constitution de l'Union entre l'Angleterre, l'Ecosse, le Pays de Galles et l'Irlande, en 1707.

Par la suite la révolution industrielle entraîna une intégration économique étroite de l'Union, tant sur le plan du commerce que de la production. Il serait faux de dire que, dans ce processus, l'Ecosse fut plus exploitée ou opprimée que bien des provinces anglaises. Même si, par la suite, lorsque la centralisation économique et politique du pays s'accentua, l'éloignement de l'Ecosse de Londres, c'est-à-dire du centre politique de l'Union, a sans doute contribué à limiter son développement économique, en particulier par comparaison avec le sud de l'Angleterre.

Quoi qu'il en soit, la population écossaise se fondit dans le brassage de populations qu'engendra l'explosion industrielle et urbaine dans toute l'Union. Elle se répandit d'abord dans le nord de l'Angleterre et de l'Irlande, puis un peu partout en fonction des besoins de main-d' uvre qu'entraînait le développement industriel. Dans ce mouvement, la population écossaise perdit ce qui lui restait de spécificité linguistique et ses traditions culturelles se transformèrent. L'identité écossaise qui émergea de cette période tenait plus d'une identité régionale que nationale.

Jusqu'à la fin du 19e siècle il n'y eut pas vraiment de courant politique spécifiquement écossais. Il fallut attendre les deux graves crises économiques qui marquèrent les années 1882-1895 pour que le mécontentement des classes moyennes donnât naissance à un mouvement autonomiste écossais inspiré de celui qui existait déjà depuis longtemps en Irlande. Mais ce mouvement ne réussit pas à se faire une place. Il chercha vainement à gagner des soutiens dans les rangs de la classe ouvrière, alors la plus touchée par la crise, et disparut assez rapidement. A la même époque, le dirigeant syndicaliste mineur écossais Keir Hardie n'eut guère plus de succès lorsqu'il tenta de mettre sur pied un Parti travailliste écossais fortement teinté d'autonomisme et il finit par rejoindre le Parti travailliste indépendant qui allait jeter les fondements du futur Parti travailliste dans le cadre de la Grande-Bretagne. Dans la période suivante l'autonomisme écossais survécut en tant que courant au sein du Parti travailliste, sans que cela influe d'ailleurs sur l'attitude de la direction de ce parti, qui se montra résolument favorable au maintien de l'Union.

Ce fut une autre crise économique, celle des années 1930, qui remit le nationalisme écossais à l'ordre du jour. Cette fois encore les conséquences dramatiques de la crise économique en Ecosse permirent au nationalisme de regagner un certain crédit. Mais un autre facteur vint s'y ajouter la cassure que provoqua au sein du Parti travailliste la constitution, en 1932, par le Premier ministre travailliste Ramsay MacDonald, d'un gouvernement d'union nationale avec les conservateurs et les libéraux pour appliquer un programme d'austérité brutal. En Angleterre, les appareils syndicaux prirent la tête de l'opposition à MacDonald et réussirent à reconstituer rapidement la cohésion du Parti travailliste dans l'opposition après en avoir chassé MacDonald. En Ecosse, en revanche, où les appareils syndicaux étaient bien plus faibles, une partie non négligeable de la base du Parti travailliste s'en détourna.

En 1934, cette situation favorable incita les nombreuses nuances du courant nationaliste à se fondre en une seule organisation, le Parti nationaliste écossais (SNP). Mais si le nouveau parti réussit, cette fois, à s'établir de façon durable, il ne réussit pas à se débarrasser de l'image sociale traditionnelle du courant nationaliste écossais un mélange étriqué et réactionnaire de classes moyennes aisées des villes et de propriétaires ruraux. Cette image fut au contraire renforcée par le fait que, lors de sa constitution, le SNP intégra dans ses rangs une fraction importante des membres écossais du Parti conservateur. Du coup le SNP devint pour tout le monde le "parti des conservateurs en tartan" (du nom du tissu rayé en laine très en vogue à l'époque dans les milieux nationalistes) et il ne réussit pas à attirer les travaillistes désabusés qui auraient peut-être pu se tourner vers lui s'il avait eu une autre image.

Quoi qu'il en soit, le SNP dut attendre encore trois décennies avant de gagner une base populaire réelle.

LE NATIONALISME ECOSSAIS SUR L'ECHIQUIER POLITIQUE ANGLAIS

Le début des années 1960 marqua un nouveau tournant. Les vieilles industries lourdes écossaises (sidérurgie et métallurgie lourde, construction navale, charbon, etc.) furent les premières touchées par ce qui allait être bientôt la fin de la relative expansion économique de l'après-guerre. Si la classe ouvrière écossaise n'avait guère profité de cette expansion du point de vue de son niveau de vie, la petite bourgeoisie, elle, en avait tiré une prospérité bien réelle. Et le fait que le reste de la Grande-Bretagne n'ait pas montré de signes comparables de crise suscita bien des ranc urs parmi les petits commerçants, les cadres et les membres des professions libérales en Ecosse. Du coup certains d'entre eux se tournèrent vers la démagogie du SNP, en se cramponnant à l'illusion que la seule cause de la dépression en Ecosse était le "pillage économique" que lui aurait imposé l'Angleterre.

Le SNP connut un premier succès, encore hésitant, lorsqu'il arriva second derrière le Parti travailliste dans une élection législative partielle en 1961. Puis, en 1967, il sortit victorieux de l'élection partielle de Hamilton, dans la banlieue de Glasgow, remportant le deuxième siège de député de son histoire (il avait obtenu le premier dans une élection partielle en 1945, mais l'avait aussitôt perdu lors des législatives de la même année). Il faut dire néanmoins que la cause de ce succès fut probablement moins le soutien de l'électorat au programme du SNP que sa désillusion envers le Parti travailliste et son Premier ministre Harold Wilson qui en était alors à sa quatrième année au pouvoir.

En 1970, la mise en exploitation de la première plate-forme pétrolière au large des côtes écossaises redonna vie aux projets grandioses du SNP pour une Ecosse indépendante, avec le slogan "Ce pétrole appartient à l'Ecosse !". Vint la crise pétrolière de 1973. D'un seul coup le pétrole était devenu un luxe coûteux que la Grande-Bretagne, à en croire le gouvernement, ne pouvait plus s'offrir en grandes quantités. Puis, en janvier 1974, le Premier ministre conservateur Edward Heath ordonna la réduction de la semaine hebdomadaire de travail à trois jours dans l'industrie. Le but de cette mesure sans précédent était surtout d'isoler les mineurs de charbon alors en grève dans tout le pays (en vain d'ailleurs). Mais elle renforça du même coup l'image d'une Angleterre aux abois par manque de ressources énergétiques.

Ces événements aidèrent le SNP à donner un nouvel attrait à l'indépendantisme écossais, en promouvant l'image d'une sorte de Koweït écossais auprès duquel les ministres de Londres seraient obligés de mendier le droit d'acheter du pétrole de la mer du Nord. L'image traditionnelle du SNP celle de "conservateurs en tartan" s'estompa, faisant place à un langage plus populiste, comparable à bien des égards à celui qu'utilise par exemple aujourd'hui la Ligue du Nord en Italie, lorsqu'elle accuse l'Italie du sud appauvrie de vivre en parasite de l'Italie du nord.

Ce fut au milieu de cette période de démagogie flamboyante que le SNP atteignit le faîte de son influence électorale, lors des élections législatives d'octobre 1974. Cette fois il fit un réel tabac, avec 30,4 % des voix dans l'ensemble de l'Ecosse un fait sans précédent pour un parti n'appartenant pas au club des trois grands partis parlementaires. Mais du fait du scrutin majoritaire à un tour, ce succès ne lui donna pas un nombre proportionnel de sièges, puisqu'il dut se contenter de 11 sièges sur le total des sièges écossais au Parlement de Londres, contre 46 aux travaillistes et 16 aux conservateurs.

Ce succès était probablement dû pour une bonne part au vote tactique d'une partie de l'électorat conservateur en faveur des candidats qui avaient le plus de chance de l'emporter face aux travaillistes à un moment où la victoire des travaillistes était un fait pratiquement acquis d'avance. Mais d'un autre côté, les dirigeants travaillistes ne pouvaient plus désormais ignorer le SNP et ce d'autant moins que celui-ci se trouva bientôt en position d'arbitrer le jeu parlementaire à la Chambre des Communes. En effet, en 1978, suite à une série de revers dans des élections partielles et au retrait du soutien libéral au gouvernement travailliste de Jim Callaghan, le sort de celui-ci en vint à dépendre du vote des 11 députés du SNP et des trois députés de son homologue gallois, Plaid Cymru. En échange de leur soutien, Callaghan s'engagea à organiser un référendum sur la dévolution en Ecosse et au Pays de Galles c'est-à-dire une forme d'autonomie régionale qui aurait donné à chacune des deux régions un parlement propre doté de quelques pouvoirs, limités mais suffisants pour satisfaire les ambitions des politiciens nationalistes, au moins dans un premier temps.

Ces référendums eurent finalement lieu en mars 1979. Le SNP avait de toute évidence compté sur une majorité écrasante de "oui", mais ce fut un échec pour les nationalistes : bien qu'il y ait eu une majorité de 51,6 % de "oui" en Ecosse, ceux-ci ne représentaient que 32,9 % des électeurs, c'est-à-dire bien moins que la barre des 40 % exigée par la loi pour que le résultat soit reconnu valide. De toute façon l'ère des travaillistes au pouvoir était finie. Trois mois plus tard, en juin, ils étaient balayés par la victoire électorale de Margaret Thatcher. Dans ces élections, le SNP, ayant perdu le bénéfice du vote tactique de l'électorat conservateur, vit son score tomber de moitié en Ecosse, et le nombre de ses députés réduit à deux. Cette fois, le gouvernement en place, n'ayant nul besoin des voix du SNP, n'avait plus aucune raison de lui faire la moindre concession.

LA CAMPAGNE POUR UN PARLEMENT ECOSSAIS

Bien qu'intégré complètement dans le système politique et économique du Royaume-Uni, l'Ecosse a hérité du 18e siècle un certain nombre d'institutions qui lui sont particulières. Lors de la formation de l'Union, la bourgeoisie anglaise avait en effet fait certaines concessions à son alliée écossaise ainsi d'ailleurs qu'à l'Eglise, en particulier celle de ne pas imposer à l'Ecosse l'alignement sur l'Angleterre de ses systèmes éducatif et judiciaire. Par la suite, et toujours dans le but de s'assurer les bonnes grâces de l'opinion bourgeoise écossaise, les choses furent maintenues en l'état.

Seulement une telle concession avait toutes les chances de se révéler être à double tranchant. Si elle créait de fait toute une catégorie sociale au sein de la petite bourgeoisie écossaise, en particulier dans les professions juridiques, disposant d'un monopole sur les activités de ces secteurs en Ecosse, en même temps, du fait des différences importantes entre les systèmes anglais et écossais, cette même catégorie se trouvait en grande partie exclue de fait des professions similaires hors d'Ecosse. Or, avec la centralisation de l'Etat, la plupart des postes de direction des affaires écossaises, en particulier dans les sphères administratives, financières et économiques, se retrouvèrent à Londres, provoquant le ressentiment de la petite bourgeoisie écossaise. Cela suscita bien des tensions et des rivalités qui ne furent que partiellement réglées par le déménagement à Edimbourg d'une partie des services du ministère des Affaires écossaises.

Dans la période qui suivit 1979, ces tensions furent encore aggravées par la montée rapide de la crise économique. De nouveau, on accusa Londres et la centralisation de l'Etat d'être responsables du fait que l'Ecosse était plus touchée par la crise que le reste du pays. De plus, du fait de l'effondrement des principales industries écossaises et de la concentration des nouvelles industries de service dans le sud de l'Angleterre, la petite bourgeoisie écossaise devint bien plus dépendante de l'Etat pour trouver les emplois confortables auxquels elle aspirait. Or cette situation se développa au moment même où le gouvernement de Londres en était à supprimer des postes en grand nombre, et d'une façon générale à réduire une partie des activités des fonctions publiques nationale et municipale, afin de réduire ses dépenses. Bien que ces coupes claires aient été moins franches en Ecosse qu'ailleurs, elles réduisirent à néant les espoirs de carrière de toute une partie de la petite bourgeoisie écossaise. Et cette situation fut encore aggravée par l'habitude qu'avaient les gouvernements conservateurs de réserver les postes de responsabilités à leurs seuls supporters, de sorte que même les postes de direction des services du ministère des Affaires écossaises basés à Edimbourg furent fermés aux nombreux ambitieux Ecossais qui lorgnaient dans leur direction.

Dans ce contexte, la revendication d'un parlement écossais qui prendrait en charge une partie des tâches de gestion administrative assurées par le ministère des Affaires écossaises, et qui jouirait d'une certaine autonomie financière, a fini par apparaître comme le seul salut à une partie de ces couches sociales. La dévolution des pouvoirs de l'Etat est apparue à cette petite bourgeoisie écossaise "nécessiteuse" comme le meilleur moyen de retrouver son statut social antérieur ou, pour dire les choses plus crûment, de lui offrir des carrières plus alléchantes. Et c'est ce qui a donné à la revendication d'un parlement écossais une nouvelle popularité qui dépasse très largement le cadre des sympathisants habituels du SNP.

Il s'est trouvé par ailleurs que l'appareil du Parti travailliste et ses politiciens avaient en plus des raisons particulières d'être tentés par cette perspective. Car, en effet, le pouvoir régional du Parti travailliste en Ecosse dépendait essentiellement des positions-clé qu'il occupait dans les municipalités. Or ce pouvoir se trouvait menacé par la politique des gouvernements conservateurs qui s'évertuaient à réduire les fonctions et le rôle des municipalités afin de mieux contrôler les dépenses de l'Etat. D'où le changement de politique du Parti travailliste sur la question du parlement écossais, à contrec ur dans un premier temps, puis de façon de plus en plus ouverte, jusqu'à s'engager aujourd'hui à instaurer un tel parlement dès que possible après son arrivée au pouvoir, avec le pouvoir de prélever et d'administrer un impôt supplémentaire sur le revenu, à concurrence de 3 % de l'impôt existant.

Bien sûr, le Parti travailliste a dû être également influencé par les changements qui se produisaient dans l'opinion publique sur ce plan, dans la petite bourgeoisie d'abord, mais aussi dans son propre électorat. Car d'élection en élection, tout au long des dix-sept ans de gouvernement conservateur, l'Ecosse n'a cessé de donner une majorité croissante aux travaillistes qui se sont invariablement taillés la part du lion aussi bien dans les municipalités qu'aux élections législatives, tandis qu'à Londres, rien ne semblait jamais changer puisque les conservateurs restaient fermement au pouvoir. Ceci a eu pour effet d'excéder l'électorat travailliste, y compris ses couches les plus modestes, et d'accréditer à ses yeux l'idée qu'au moins la mise en place d'un parlement écossais permettrait d'en finir avec le monopole des conservateurs et d'offrir à l'Ecosse la possibilité d'être administrée différemment.

Du coup l'électorat travailliste se sent aujourd'hui souvent au coude à coude avec celui du SNP derrière la revendication d'un parlement écossais. Au point d'ailleurs que, profitant du glissement de plus en plus droitier dans le langage tenu par la direction travailliste sur le plan social, les dirigeants du SNP ont lancé une véritable opération de récupération en direction de son électorat, en adoptant un langage plus radical sur le plan revendicatif d'autant plus radical, bien sûr, que n'ayant aucune chance de parvenir au pouvoir, ils ne courent aucun risque à faire des promesses. Et les scores réalisés par le SNP lors des dernières élections européennes, où ils ont atteint 33 % des suffrages exprimés, sembleraient indiquer que cette opération rencontre un certain succès.

LE MIRAGE REGIONALISTE

En Irlande du Nord, aussi bien les gouvernements anglais et irlandais que les nationalistes ont souligné maintes fois qu'ils comptaient sur l'Europe pour faciliter la mise en place d'un règlement politique.

C'est le calcul que semblent faire les politiciens du SNP, ainsi d'ailleurs que certains politiciens travaillistes écossais ceux qui se rangent de plus en plus ouvertement dans le camp autonomiste, à la suite des dirigeants syndicaux régionaux du TUC. Après tout une partie importante des subventions régionales attribuées à l'Ecosse ne vient-elle déjà pas du Fonds de développement européen ? Sans doute espèrent-ils que l'Europe puisse fournir le cadre d'une autonomie écossaise qui soit à la fois acceptable pour la bourgeoisie anglaise et suffisante pour leur laisser la place au soleil à laquelle ils aspirent. En tout cas, c'est dans le sens d'un telle perspective que le SNP a infléchi son programme nationaliste depuis plusieurs années déjà.

Pour ce qui est de la classe ouvrière écossaise, une telle perspective, qu'il s'agisse de celle d'un parlement écossais à court terme, ou celle d'une autonomie dans le cadre de l'Europe à plus long terme, est purement illusoire.

Si, à la suite de la victoire probable des travaillistes aux élections législatives de 1997, un parlement écossais voit le jour, sa majorité, quelle qu'elle soit, n'aura pas une politique fondamentalement différente de celle qu'annoncent dès aujourd'hui les dirigeants travaillistes de Londres qu'elle soit travailliste (comme c'est probable) ou SNP, elle ne fera rien qui puisse entraver en quoi que ce soit la course aux profits des capitalistes, et donc rien pour permettre aux couches laborieuses de regagner une partie du terrain qu'elles ont perdu au cours des deux dernières décennies. Tout au plus les contribuables écossais, et en particulier les travailleurs, auront-ils le privilège de payer un peu plus d'impôts qui ne serviront qu'à satisfaire les ambitions carriéristes d'une couche de "bureaucrates en tartan", voire à subventionner les "entrepreneurs écossais" tout comme, en son temps, Thatcher a distribué des subventions à la création d'entreprises sous prétexte de "compenser" les dizaines de milliers d'emplois supprimés dans la sidérurgie, les mines et les chantiers navals nationalisés. Tout comme sous Thatcher, ce sont des subventions qui iront directement remplir les poches du patronat (écossais ou pas, d'ailleurs) sans créer de réels emplois.

Quant à la perspective d'une Ecosse autonome dans le cadre de l'Europe, vivant confortablement des royalties procurées par le pétrole de la mer du Nord, ce n'est qu'une mauvaise blague. Sans même parler du rapport de forces qu'il faudrait créer pour imposer à la bourgeoisie anglaise de renoncer au contrôle qu'elle exerce sur ces réserves pétrolières, il faut savoir que l'un des attraits du pétrole de la mer du Nord pour les grandes compagnies est justement que le gouvernement britannique a depuis longtemps fait le choix non seulement de n'exiger d'elles que des royalties minimes, mais en plus de financer en grande partie leurs travaux de prospection. De sorte que cette manne pétrolière constitue aujourd'hui moins une source de revenus pour l'Etat britannique qu'un moyen d'économiser ses devises, mais surtout un moyen de verser des subventions considérables au secteur privé. Et ce n'est sûrement pas une Ecosse autonome, avec ses cinq millions d'habitants et son économie dévastée, qui serait en mesure d'imposer aux multinationales du pétrole de changer les règles d'un jeu si profitable pour elles, d'autant moins d'ailleurs que la nappe pétrolière s'étend bien au-delà des eaux territoriales écossaises, vers le Danemark, la Norvège et le Groënland.

Reste le problème de la désertification économique engendrée par la crise en Ecosse, de la marginalisation par le chômage d'une partie de sa population laborieuse et des conditions de vie qui y sont, pour elle en tout cas, plus dures que dans les régions les plus riches du sud de l'Angleterre. Mais justement, dans ce domaine, il n'y a guère de raccourcis. Si la petite bourgeoisie peut se satisfaire de sinécures et de subventions, le sort de la classe ouvrière, lui, est lié à celui de la production. L'économie britannique est une entité depuis longtemps indivisible dont les fils sont tirés par une bourgeoisie dont le champ d'opération est le marché mondial. Les sièges sociaux des entreprises au travers desquelles cette bourgeoisie opère peuvent bien être installés à Londres, à Glasgow, ou même aux Bermudes d'ailleurs, sans que cela change d'un iota sa politique. Et face à cette bourgeoisie, la classe ouvrière écossaise ne peut pas se permettre de se laisser enfermer dans un mirage régionaliste qui ne pourrait que l'affaiblir en l'isolant du reste de la classe ouvrière britannique.

C'est pourquoi les organisations se plaçant sur le terrain de la défense des intérêts de la classe ouvrière se devraient de dénoncer ces chimères régionalistes et les arrière-pensées des politiciens qui s'en font les champions. A l'impasse régionaliste, elles devraient opposer une perspective internationaliste, c'est-à-dire affirmer l'unité d'intérêts de la classe ouvrière internationale, et en particulier de la classe ouvrière britannique dans son ensemble, contre toutes les divisions que la bourgeoisie anglaise ou écossaise peut chercher à lui imposer.

Et pourtant c'est loin d'être le cas.

A partir du tournant du Front populaire dans les années trente, le Parti communiste a toujours été marqué de relents nationalistes en Ecosse, tout comme, à l'échelle de la Grande-Bretagne, sa politique dégageait des relents de chauvinisme impérial. Cela pouvait sans doute paraître contradictoire et périodiquement cela créait d'ailleurs des frictions. Mais la contradiction n'était qu'apparente, car dans un cas comme dans l'autre les accents nationalistes du PC ne faisaient que refléter sa perspective réformiste. Et lorsque le PC a fini par éclater à la fin des années 1980, les courants qui en sont issus en Ecosse ont eu tôt fait de se placer avant tout sur le terrain du nationalisme écossais, allant jusqu'à se confondre pour certains avec la mouvance du SNP.

L'extrême gauche, elle, n'a pas l'"excuse", si l'on peut dire, de se revendiquer ouvertement du réformisme. Mais cela n'a pas empêché ses principales organisations d'emboucher la trompette du parlement écossais, cédant ainsi aux sirènes nationalistes, ou plus exactement aux courants qui véhiculent leurs idées dans les rangs de la gauche travailliste. Ces organisations ne manquent pas, bien entendu, d'invoquer un prétendu "droit des nations à disposer d'elles-mêmes", dont la lettre est sans doute tirée de Lénine, mais dont elles défigurent ainsi l'esprit au point de le rendre méconnaissable. Certaines vont même jusqu'à vouloir voir dans le regain d'influence des idées nationalistes l'expression d'une radicalisation qui n'existerait qu'en Ecosse, sans s'expliquer ni sur la nature sociale de cette prétendue "radicalisation" ni sur les limites d'une "radicalisation" qui ne s'exprime ni dans la rue ni dans les luttes sociales, mais seulement dans les bureaux de vote ! Tout cela n'est qu'un bien piteux paravent pour un opportunisme honteux et... bien banal, mais qui n'en revient pas moins pour ces organisations à tourner le dos à leurs responsabilités politiques vis-à-vis de la classe ouvrière, en particulier écossaise, et à la perspective révolutionnaire, c'est-à-dire à leur propre programme.