France - Le PCF et la "monnaie unique" : une campagne pour abuser les travailleurs et dédouaner la bourgeoisie française

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Avril 1996

Il est beaucoup question de l'Europe ces temps-ci, et plus particulièrement de la monnaie unique européenne prévue par le traité de Maastricht.

Les débats entre gouvernements européens discutant âprement du nom qu'ils donneraient à une monnaie qui, avant même d'avoir vu le jour, a déjà vu changer son nom de baptême d'"écu" en "euro", ont pu paraître byzantins. Mais ils sont caractéristiques des difficultés sur lesquelles butte ce qu'il est convenu d'appeler la construction européenne.

D'un côté, celle-ci est le résultat d'ententes entre bandes capitalistes rivales étouffant dans le cadre de leurs États nationaux respectifs et qui essayent de se partager plus ou moins pacifiquement un marché de quelque 300 millions de consommateurs. L'objectif principal de cette Europe-là est la libre circulation des flux financiers et des marchandises, même si elle a aussi certains sous-produits dont peuvent profiter ses habitants, comme la libre circulation des personnes (à l'exception des travailleurs immigrés, auxquels les États ne reconnaissent pas ce droit, ou seulement partiellement).

Cette Europe est l'expression du besoin pour l'économie capitaliste de s'affranchir du cadre anachronique du morcellement du continent en une mosaïque d'États. Alors que la superficie et la population de l'Union européenne actuelle sont comparables à celles des États-Unis d'Amérique, ce morcellement entre États rivaux, dont chacun protège avant tout les intérêts de ses propres groupes capitalistes, représente un handicap considérable. L'unité des États-Unis est incontestablement un des principaux facteurs qui ont permis à l'impérialisme américain, à la fin du siècle précédent et durant celui-ci, de se renforcer économiquement sur les mêmes bases capitalistes que ses rivaux européens, mais bien plus puissamment, et d'occuper sur la scène mondiale le rôle que l'on sait.

Et rappelons que rien qu'au cours de ce siècle, la concurrence entre les bourgeoisies rivales d'Europe a été la raison fondamentale de deux guerres mondiales.

L'Europe des Six, puis des Douze et aujourd'hui des Quinze - car leur Europe reste de surcroît un tronçon qui exclut toute la partie orientale du continent, dont la Russie - ne met pas fin à cette concurrence, mais elle cherche à lever progressivement les obstacles protectionnistes par lesquels chaque État national protège sa propre bourgeoisie.

Il s'agit d'une unification toute relative, non définitive, au sens où chaque État peut revenir en arrière, car il n'est pas question d'un État européen unique. Elle résulte de marchandages entre groupes capitalistes et exprime surtout les intérêts du grand capital. Elle reflète, aussi, le rapport de forces entre les principales puissances impérialistes européennes qui, pour s'être associées, n'en demeurent pas moins rivales : l'Allemagne surtout, la France, la Grande-Bretagne et, dans une moindre mesure, l'Italie, chacune avec sa sphère d'influence à l'intérieur de l'Union européenne... ou à l'extérieur.

Europe à Quinze ou pas, le capitalisme reste toujours aussi infâme et les travailleurs n'ont certainement pas à choisir entre les différentes formes d'organisation du monde capitaliste sur lesquelles, de toute façon, ils n'ont aucune prise. Au mieux, ils peuvent se servir de certaines retombées de ces formes d'organisation, comme la plus grande facilité de circulation des personnes. Mais sans jamais oublier que la construction européenne ne se poursuit et ne se poursuivra que tant que le grand capital le veut et peut le faire, tout en préservant en permanence la possibilité de revenir sur ce processus.

La construction européenne ne supprime nullement les États nationaux : elle est seulement une forme d'entente entre eux, sous la domination conflictuelle des plus puissants.

Mais, à côté de cela, il y a la façon plus ou moins démagogique dont les hommes politiques justifient cette situation ou s'en démarquent, en fonction de la fraction de l'électorat à laquelle ils s'adressent, leurs positions en la matière dépendant souvent de leur... position par rapport à ce que l'on appelle la majorité ou l'opposition, c'est-à-dire en fonction des luttes qu'ils se livrent pour rester ou accéder au gouvernement des affaires de la bourgeoisie. Et c'est dans ce cadre-là que nous voudrions discuter de la campagne que le PCF a lancée depuis plusieurs semaines autour d'une "pétition pour un référendum sur la monnaie unique".

Les deux langages du PCF

Il faut noter d'emblée que sur cette question le PCF use d'un double langage selon qu'il s'adresse à Jospin, Delors, Rocard, etc., ou à un public populaire.

Dans les entreprises - telle la plate-forme aéroportuaire d'Orly d'où nous tirons ces citations - ses militants, tract après tract, sonnent le tocsin contre "la monnaie unique (qui) est Maastricht en plus fort. Danger ! ". Ils partent en guerre contre "la monnaie unique (parce que) c'est la suppression des frontières", ce qui les "fait frémir". Ils accusent "le Patronat, le Gouvernement et nos PDG (qui) cachent le danger" et publient des caricatures où l'élève Juppé se fait sermonner par un professeur "Maastrict" (sic) pour n'avoir "pas assez de chômeurs, des salaires pas assez bas... ".

En parcourant les entreprises et cités ouvrières, on pourrait glaner quantité de tracts de la même veine, car le PCF n'y va pas de main morte quand il fait de la démagogie contre Maastricht auprès du public populaire.

Mais quand Robert Hue se rend à une réunion sur l'Europe, organisée à la mi-mars par le PS, et y prend la parole devant un parterre d'anciens et sans doute futurs ministres, le discours change. Le fait que les grandes manœuvres en vue des élections législatives de 1998 soient déjà engagées et que le PCF cherche à plaire au PS n'y est évidemment pas pour rien.

A cette réunion, Hue déclara que "nous (le PCF) sommes foncièrement inscrits dans la volonté de construire l'Europe", disant "retrouver dans le texte socialiste (sur la monnaie unique) des propositions à faire". A lire Libération, "R. Hue fut délicieux. Les socialistes n'en croyaient pas leurs oreilles". Ils l'ont pourtant bien entendu affirmer qu'il est "très respectueux de ceux qui se battent pour (la monnaie unique). J'ai entendu Jacques Delors. Je crois en sa sincérité". Plus question de dénoncer ceux qui cachent le "danger" de la monnaie unique : ils sont sincères, enfin Hue voudrait s'en persuader, quand ils évoquent avec lui... l'après législatives de 1998.

Dans sa presse, sa propagande, le PCF fait depuis des mois de l'opposition à Maastricht et à la monnaie unique le critère déterminant de la vie politique. Or, dans le même temps, il n'offre comme seule perspective aux travailleurs que de s'associer dans les élections, puis, espère-t-il, au gouvernement, avec le principal parti "maastrichtien" du pays, le PS. Ce simple fait réduit son agitation anti-Maastricht à ce qu'elle est : du vent. Mais pour être creuse, elle n'en est pas pour autant innocente.

Quand le PCF appelle Chirac, Pasqua, Séguin à la rescousse

Publiant le texte de sa pétition le 14 février, L'Humanité l'accompagnait d'un long article intitulé : "Les critères de Maastricht engagent la France dans la récession". Il ne se passe pratiquement pas de jour sans que les dirigeants ou la presse du PCF reviennent sur un projet qu'ils disent, dans leur pétition, conduire "à mettre en cause la souveraineté de la France en matière monétaire, économique et sociale, donc politique". Et ils convient ceux auxquels ils s'adressent, "dans la diversité de (leurs) préférences politiques et de (leurs) opinions sur le traité de Maastricht et la monnaie unique", à en appeler "au président de la République (pour que), conformément à l'engagement qu'il a pris en tant que candidat, (il organise) un référendum sur le passage ou non de la France à la monnaie unique".

Passons sur le fait que la direction du PCF fait semblant de prendre au sérieux les promesses d'un Chirac, même si cela pourrait rappeler à certains militants de ce parti ce qui, juste après l'élection présidentielle, ressemblait, de la part de Robert Hue, à des offres de services à Chirac.

Dans le "Spécial Europe" de L'Humanité-Dimanche du 21 mars, la direction de ce parti revient à la charge, consacrant une pleine page à "ce que disait Chirac en 1990" sur "le système de la monnaie unique (qui) conduirait à des transferts de souveraineté, à (ses) yeux tout à fait excessifs", concluant sur une citation où Chirac s'affirmait "opposé à la phase 3 du plan Delors (alors à la tête de la Commission européenne), dans la mesure où celui-ci entend instituer une monnaie unique".

Chirac n'est pas le seul à avoir les honneurs de la presse et des tracts du PCF. L'Humanité a ouvert une rubrique fournie où elle cite régulièrement les propos réservés ou critiques sur la monnaie unique et l'Europe d'une série de politiciens, de Pasqua à Simone Veil, de De Villiers à Elizabeth Guigou (du PS) et Chevènement en passant par Séguin, sans parler de la tribune complaisamment ouverte à Calvet, PDG de Peugeot-Citroën et grand ami des travailleurs comme chacun sait.

Vaste éventail d'alliés de circonstance, pour accréditer l'idée que la monnaie unique signifierait l'abandon de la "souveraineté nationale". En quoi cette "souveraineté nationale" serait-elle favorable aux travailleurs ? L'Humanité ne s'embarrasse pas de cette question. Le PCF tient à affirmer et à rappeler qu'il est soucieux de ce qu'il appelle l'"intérêt national", embouchant la trompette chauvine d'une bataille où, bien des fois dans le passé, il a tenté de fourvoyer ses militants et où les travailleurs n'ont rien, mais absolument rien à gagner, si ce n'est des illusions sur ce que sont leurs véritables ennemis et sur là où il leur faudra frapper pour tenter de changer leur sort.

C'est en appui à cette démonstration de responsabilité vis-à-vis d'un intérêt national que les hommes politiques de la bourgeoisie ont toujours identifié à celui de leur classe, que le PCF invoque dans sa presse la caution de certains d'entre eux.

On peut supposer qu'un certain nombre de lecteurs de L'Humanité sont choqués de voir leur journal servir de tribune à des gens qu'ils ont toutes les raisons de considérer comme des ennemis. Et l'on peut espérer qu'il y en aura bien quelques-uns pour en venir à la conclusion que quand on fait fond sur le chauvinisme, on recueille les appuis que l'on mérite.

Le leurre du chauvinisme et son rôle social

Dans l'Europe des Quinze le chômage a pris des proportions gigantesques et frappe 23 millions d'Européens officiellement recensés comme privés d'emploi. Un constat d'autant plus accablant qu'il s'agit d'une des régions du globe les plus riches, les plus développées. Mais projeter le spectre du chômage et de la mise en pièces des acquis sociaux sur la toile bleu étoilé du drapeau européen, comme le fait le PCF, c'est chercher à détourner l'attention des travailleurs des vrais responsables de cette situation. Car enfin, est-ce l'Europe de Maastricht - et rappelons que le traité du même nom n'a été signé qu'en 1992 - qui a créé et développé le chômage... ou le capitalisme qui dicte sa loi aussi bien aux quinze États-membres de l'Union, qu'au reste de la planète ?

Poser la question en ces termes c'est aussi y répondre. C'est bien pourquoi toute une fraction du monde politique français - avec, pour les mêmes raisons, des homologues dans tous les pays d'Europe - campe sur le terrain de la démagogie anti-européenne et de l'exploitation ou du renforcement des préjugés nationalistes.

Le "Spécial Europe" de L'Humanité-Dimanche (déjà cité) en fournit une illustration peu reluisante. "Europe, il faut changer de cap", y est-il proclamé à la "une" et au fil d'un dossier censé répondre à une dizaine de questions sur la monnaie unique, on y voit la direction du PCF agiter méthodiquement ce leurre. "Avec la monnaie unique, qui aura le pouvoir en Europe ? " (question 2). Les capitalistes, comme aujourd'hui ? Pour L'Humanité-Dimanche, ce serait "une banque centrale européenne siégeant à Francfort" et établissant "une zone mark". Et d'enfoncer le clou à la question 6 : "le risque d'une domination monétaire allemande serait-il dilué ou renforcé par la monnaie unique ? ". Pour ceux qui n'auraient pas deviné, la rédaction met les points sur les "i" : l'euro sera un "supermark". Le chômage ? (question 7). "On peut développer l'emploi, mais pas avec la monnaie unique. Le plan Juppé contre la Sécurité Sociale, le gel des salaires, les restrictions budgétaires (...) sont des passages obligés pour aller à cette monnaie unique".

Comme si les restrictions budgétaires, le plan Juppé ne résultaient pas des choix de gouvernements successifs qui, de gauche comme de droite, ont pillé les caisses de l'État et de la Sécu pour soutenir les profits de la bourgeoisie française ! Ils n'ont évidemment pas eu besoin que l'Europe leur en souffle l'idée ou que Bruxelles leur "impose ses diktats", comme l'affirme le PCF. A la rigueur, ils usent de cette Europe et de Maastricht comme d'une excuse pour tenter de justifier, auprès de qui voudrait bien se laisser abuser, leurs attaques contre la classe ouvrière.

Rappelons que le gel des salaires, évoqué ci-dessus par le PCF, a été instauré en 1982, dix ans avant le traité de Maastricht. Donc, bien avant qu'il soit même question de passage à la monnaie unique, mais lors du passage... de dirigeants du PCF au gouvernement Mauroy entre 1981 et 1984. En invoquant Maastricht et la monnaie unique, le PCF ne cherche qu'à le faire oublier. Mais les travailleurs, eux, n'ont pas oublié ce qui s'est décidé contre eux, non pas à Bruxelles, Bonn ou Francfort, mais bien à Paris.

Et il faut tout de même un certain aplomb au PCF pour prétendre que les "abandons progressifs de la souveraineté nationale", dont il feint de voir pointer la menace avec la monnaie unique, ne permettraient pas de "donner la priorité à l'emploi". C'est souverainement que, sous la gauche comme sous la droite, les gouvernements ont servi de leur mieux les intérêts de la bourgeoisie et forcé la classe ouvrière à l'abandon progressif de ses acquis.

Défense de la "souveraineté nationale" ou des intérêts des travailleurs ?

Le PCF n'est certes pas le seul à chercher à égarer les travailleurs sur le terrain du chauvinisme. Mais ce parti a, dans cette affaire, une responsabilité toute particulière, ne serait-ce que parce qu'il dispose encore d'une influence réelle au sein de la classe ouvrière et que celle-ci résulte, au moins en partie, des lointaines origines d'un parti qui continue, en tout cas nominalement, à se revendiquer du communisme.

La campagne que la direction du PCF développe contre l'Europe contribue à véhiculer le poison du chauvinisme dans les rangs de ce parti et, au-delà, dans les milieux populaires qu'il influence. Quand Pierre Zarka, dirigeant du PCF, titre son éditorial de l'Humanité-Dimanche - "Monnaie unique : rien d'irréversible - Quand le sort du peuple et de la France est en jeu, c'est aux citoyens de décider" -, derrière l'appel au référendum, le principal est l'identité d'intérêts dont la direction du PCF voudrait persuader ses lecteurs entre ce qu'elle appelle le peuple et la France. Une politique qui ne date pas d'hier.

Le PCF s'opposa à ce qui n'était pas encore le Marché commun, dès ses origines, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il y voyait, à juste titre, un instrument de la politique européenne de l'impérialisme américain dirigé (sous la forme de la CED - Communauté européenne de défense - mais aussi de la CECA - Communauté européenne du charbon et de l'acier) contre l'URSS, à laquelle il était encore très lié.

Mais le PCF - qui sortait d'une période de soutien actif aux intérêts de la bourgeoisie française - éprouvait le besoin de justifier son opposition à cet embryon d'Europe par "l'intérêt national". C'est au nom de cet intérêt national que, durant la guerre, il s'était rangé derrière un général réactionnaire, De Gaulle, puis, après la défaite allemande de 1945, qu'il avait mis tout son poids pour aider la bourgeoisie à remettre les ouvriers au travail en leur imposant des sacrifices pour le "redressement national", comme disait alors le PCF, mais en réalité pour le redressement des profits de la bourgeoisie française.

Depuis lors, et malgré des inflexions de son discours, le PCF s'en est toujours tenu à ce credo nationaliste et chauvin qui le faisait, dans les années cinquante, dénoncer ceux qui soutenaient l'idée d'un futur Marché commun - au premier chef la SFIO, le PS d'alors - comme "le parti de l'Amérique" ou les fourriers des "revanchards allemands".

Quel gouffre il y avait entre celui qui se présentait alors comme le "parti des patriotes" et son lointain ancêtre, le Parti communiste - Section française de l'Internationale communiste ! Peu après sa création, celui-ci avait, au milieu des années vingt, lors de l'occupation de provinces allemandes par l'armée française, appelé les soldats français à fraterniser avec les ouvriers allemands et, dans une proclamation signée avec d'autres partis communistes d'Europe, il avait affirmé placer son combat dans la perspective de la création, par le prolétariat, des États-Unis socialistes d'Europe.

Pour le PCF des années cinquante, au contraire, toute tentative d'unification européenne ne pouvait être le fait que d'un parti de l'étranger menaçant "nos" industries, "notre" pays. Pendant une quinzaine d'années, le PCF consacra une part notable de sa propagande à réclamer que l'on dissolve les organismes supranationaux européens ou que la France s'en retire.

Ce n'est qu'en 1972, après la signature du Programme commun de gouvernement de l'Union de la gauche, que ce parti reconnut le Marché commun comme un fait accompli. Il est vrai que Mitterrand en avait fait une condition sine qua non à cet accord qui ouvrait au PCF la perspective d'un retour à des postes ministériels.

Mais, par la suite, le PCF eut encore bien des occasions de guerroyer contre l'Europe ou l'élargissement du Marché commun. Tout particulièrement entre 1977 et 1979, quand il s'efforça de se démarquer de ses partenaires du Programme commun dont il constatait, au fil des élections, qu'ils se refaisaient une santé à son détriment. Et, là encore, c'est d'abord sur le terrain de l'Europe que le PCF chercha à faire entendre sa différence.

Lors des législatives de 1978, on vit ainsi paraître, par exemple dans le sud-ouest viticole, des tracts du PCF affirmant : "la Grèce et l'Espagne dans le Marché commun, c'est pire que le phylloxéra. Votez Myriam Berbera, candidate du PCF". La presse du Parti communiste faisait alors ses gros titres, telle l'Humanité-Dimanche début 1979, avec des slogans du genre : "La France ne sera pas la banlieue de Bonn".

Dans ces années où le chômage explosa avec le début de la crise économique mondiale, le PCF et la CGT tentèrent de dévoyer le mécontentement grandissant de la classe ouvrière sur le terrain d'une campagne ayant pour slogan "Produire français". Aux élections européennes de 1979, le PCF placarda des affiches titrant : "Ne laissons pas liquider un seul emploi, une seule entreprise". On n'aurait pu que s'en féliciter, mais, au-dessus et en bien plus gros caractères, il y avait : "Halte au déclin de la France" ! Quotidiennement, le PCF dénonçait alors ce qu'il appelait "la casse de nos entreprises décidée à Bruxelles", en particulier dans la sidérurgie.

Ce n'est pourtant pas Bruxelles mais un gouvernement socialiste à participation communiste, en France, qui allait, un peu plus de deux ans après, réaliser la "casse de nos entreprises". En effet, la contraction du marché, due à la crise économique mondiale, poussait les actionnaires de l'acier, dans toute l'Europe, à licencier et à vouloir récupérer leurs capitaux pour les placer ailleurs. En France, ils allaient y réussir grâce à la décision du gouvernement de gauche de racheter au prix fort (les "nationalisations") des entreprises dont leurs propriétaires voulaient se défaire, et il lança un plan acier qui jeta à la rue des dizaines de milliers de sidérurgistes.

De d'Artagnan à... Le Pen ou à la lutte de classe ?

Une fois accompli le "sale boulot" (comme allait dire Pierre Mauroy, le Premier ministre d'alors) avec la participation des ministres membres du PCF, Mitterrand n'eut plus besoin d'eux.

Le PCF put reprendre son antienne anti-européenne. Lors du débat parlementaire sur le traité de Maastricht, on entendit un de ses députés, Jean-Claude Lefort, s'écrier : "On sait que d'Artagnan avait rendu l'âme à Maastricht. On saura désormais que la France a voulu y perdre la sienne". L'Humanité, pêle-mêle, accusait Mitterrand de "larguer la bombe" car "la force de frappe française serait livrée à l'Europe" et un "arsenal redoutable confié à la puissance allemande" et en appelait aux mânes de "De Gaulle, qui défendait "l'Europe des patries" (et qui aurait) dû se retourner dans sa tombe". Le principal dirigeant du PCF, Marchais, affirmait : "Je crois que les Français doivent rester maîtres de leur pays, que la politique sociale, la politique extérieure doivent être décidées en France par les Français".

D'Artagnan, De Gaulle, il ne manquait que Jeanne d'Arc. Mais le personnage venait d'être annexé par un certain Le Pen. Car c'est à ce vieux routier de l'extrême droite qu'une démagogie xénophobe, se résumant au slogan "les Français d'abord", allait permettre de tirer profit du discrédit d'une gauche qui, depuis des années, menait au gouvernement une politique anti-ouvrière que la droite et la bourgeoisie n'ont aucune raison de renier. En 1992, à l'occasion du référendum sur le traité de Maastricht, la direction du PCF a accepté sans sourciller de mêler ses voix à celles des partisans de Le Pen, Pasqua, De Villiers. Aujourd'hui, le PCF va répétant qu'une victoire du "non" à ce référendum aurait été un acquis pour les travailleurs. Comme si les Le Pen, Pasqua, De Villiers ou Calvet, le patron de PSA, pouvaient vouloir renforcer le camp des travailleurs !

Si, comme le souhaite le PCF, un nouveau référendum devait avoir lieu sur la même question, le plus probable est que ce parti servirait finalement de rabatteur électoral pour les Séguin et les Pasqua, sinon pour Le Pen. Ce sont eux, en effet, qui seraient les mieux placés pour en tirer tout le profit politique. Et cela d'autant plus qu'ils pourraient accuser le PCF de duplicité vis-à-vis du camp des anti-Européens si, comme Jospin l'a souhaité au Forum du PCF de Bercy, le PCF conclut un accord pour les législatives avec un PS qui fait figure de premier parti pro-européen du pays.

Mais la direction du PCF, elle-même, ne croit guère à la possibilité d'imposer, par sa campagne actuelle, un nouveau référendum sur le même sujet. Toute cette campagne n'est qu'une agitation, mais une agitation sur un thème qui obscurcit la conscience des travailleurs au lieu de les éclairer.

C'est une politique qui détourne les travailleurs du combat contre leurs véritables ennemis : les possédants, qu'ils soient anti-maastrichtiens, pro-européens ou qu'ils s'en moquent comme de leur premier plan de licenciements. Les hommes politiques de la bourgeoisie, qu'ils évoquent la "souveraineté nationale" ou les "nécessités de la construction européenne", qu'ils se disent de gauche ou soient de droite, ne font que fournir l'habillage à une politique inchangée depuis des décennies et qui permet à la bourgeoisie de prospérer de façon insolente en plongeant des pans entiers de la société dans la misère, l'exclusion et en abaissant le niveau de vie de l'ensemble de la classe ouvrière.

L'Humanité du 29 mars écrivait que "Maastricht favorise une véritable guerre fratricide en Europe (qui) se traduit déjà par une baisse des coûts du travail". Mais, cette guerre, il n'est nul besoin d'aller en chercher bien loin les causes et les racines : elles sont là, sous notre nez, dans chacun des pays concernés. Cette guerre économique est celle que les groupes capitalistes se livrent entre eux et, plus encore, celle que tous les patrons mènent aux travailleurs. C'est une guerre de classe.

Pour l'instant, la bourgeoisie est seule à mener cette guerre, car c'est elle qui porte des coups à une classe ouvrière que ses partis traditionnels laissent désarmée quand ils ne la trahissent pas en cherchant à la détourner de ses vrais ennemis.

Dans cette guerre, notre seul ennemi, c'est le patronat, toutes nationalités confondues, et c'est vers lui que la classe ouvrière devra tourner ses coups pour changer son sort.