Algérie - Contre le terrorisme des intégristes et contre le terrorisme de l'État algérien - Le coup d'arrêt à l'évolution réactionnaire de la société algérienne ne peut venir que de la classe ouvrière

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Novembre 1995

C'est dans moins de deux semaines qu'aura lieu en Algérie l'élection présidentielle, du moins si rien ne vient perturber le calendrier décidé par le pouvoir. Liamine Zeroual, l'actuel chef de l'État, présente ce scrutin comme une preuve que la situation est en train de se normaliser en Algérie et que, une fois légitimé par des élections, le pouvoir sera en situation de franchir de nouvelles étapes. Mais ces affirmations cachent bien mal le fait que le pouvoir est loin, bien loin aujourd'hui de tenir la situation en main.

C'est chaque jour que des commandos de tueurs du GIA, l'organisation terroriste islamiste actuellement la plus extrémiste, font exploser des voitures piégées dans les quartiers d'Alger ou d'autres grandes villes d'Algérie, c'est chaque jour que des intellectuels, des étrangers, sont menacés ou assassinés. Et les attentats des commandos terroristes en territoire français sont là pour démontrer, non seulement à l'opinion algérienne mais aussi à l'opinion mondiale, que les intégristes islamistes demeurent une force déterminante en Algérie, dont l'ambition reste la conquête du pouvoir.

Il est d'ores et déjà certain que même si ce simulacre d'élection qui met en compétition des candidats présélectionnés, donne une caution relative au pouvoir en place, elle ne règlera aucun des problèmes importants que posent à la population algérienne la montée de l'islamisme et l'emprise croissante de ce mouvement réactionnaire sur la société algérienne et en particulier sur les couches sociales les plus pauvres.

Du FIS au GIA

Lorsqu'au début du mois de janvier 1992 les dirigeants militaires de l'Algérie décidaient d'annuler les élections législatives, dont les résultats du premier tour avaient consacré la victoire du FIS et laissaient prévoir l'obtention par ce parti de la majorité absolue des sièges au second tour, ils pensaient donner un coup d'arrêt à la marche des intégristes vers le pouvoir.

Le succès électoral du FIS aux législatives de décembre 1991 venait un an et demi après le succès de ce même parti aux élections municipales de juin 1990. Il montrait que depuis 1988, c'est-à-dire en quelques années, ce parti religieux et réactionnaire, partisan de la mise en place d'un régime islamiste, et qui ne cachait pas ses visées dictatoriales, avait été le principal bénéficiaire des quelques réformes libérales que le régime s'était senti obligé d'accorder au lendemain des événements d'octobre 1988 au cours desquels l'armée avait brutalement écrasé une explosion de révolte de la jeunesse pauvre.

La place occupée par les courants islamistes intégristes dans la vie politique algérienne venait d'un long passé de relations entre les représentants politiques de l'islamisme et le personnel politique des régimes qui s'étaient succédé depuis l'indépendance. Le pouvoir, qui s'était à plusieurs reprises servi d'eux comme d'un contrepoids aux forces de gauche, les avaient en d'autres occasions maintenus plus fermement à l'écart des allées du pouvoir. Mais les islamistes, et leur variante intégriste, étaient une composante reconnue de la vie politique algérienne. C'est d'ailleurs sous leur influence et leurs pressions qu'en 1984 le gouvernement avait adopté un Code de la famille qui officialisait la dépendance des femmes vis-à-vis des hommes et légitimait au nom de la loi islamique les inégalités dont elles étaient victimes.

La crise politique ouverte par la succession de Houari Boumedienne en 1978, puis la crise économique et sociale qui suivit l'effondrement des cours du pétrole dans les années quatre-vingt donnèrent au mouvement islamiste l'occasion de jouer un rôle de premier plan. Pendant que le FLN, discrédité, était devenu après près de trente ans de pouvoir la cible de toutes les critiques, tous les autres courants politiques, même ceux qui se réclamaient des idéaux de gauche, avaient laissé le champ libre aux "barbus" - qui bénéficiaient déjà de nombreux relais dans la population. Et ceux-ci purent développer encore leur audience et leur implantation dans les classes populaires les plus pauvres et en particulier dans une jeunesse désespérée. Les militants du FIS d'alors, qui menaient autour des mosquées une activité associative et assumaient des tâches d'assistance dans les quartiers pauvres, avaient su conquérir un crédit parmi les couches les plus déshéritées de la population des villes. Malgré sa dénonciation du modernisme, du progrès social, son hostilité à la lutte des classes et sa propagande en faveur d'un retour en force des valeurs et des règles islamistes, en particulier celles concernant l'enfermement et la dépendance des femmes, le FIS, ce parti réactionnaire dont les objectifs politiques, la propagande démagogique et les méthodes faisaient une sorte de parti fasciste des pays pauvres, apparaissait comme un parti nouveau. Le radicalisme des critiques des imams fissistes et des militants vis-à-vis du FLN faisait d'eux des champions de la contestation, qui ne craignaient pas de dénoncer les privilégiés et la corruption du régime. Le FIS apparaissait aussi comme le parti de la revanche, opposant les valeurs islamiques à des valeurs occidentales qui avaient trop fait rêver et trop déçu une jeunesse démunie et désormais convaincue que le mode de vie des pays riches lui serait toujours inaccessible.

Le FIS profitait par ailleurs de la crédibilité que lui conférait depuis des années les concessions d'un pouvoir qui s'était servi à plusieurs reprises des intégristes comme d'un facteur d'ordre. Par ailleurs le radicalisme de certaines des actions du FIS, en particulier pendant le printemps et l'été 1991, avait contribué à lui donner l'image d'un parti qui ne se laissait pas arrêter par les limites de la légalité. Un parti qui avait par ailleurs d'autant plus de prestige que ses dirigeants étaient périodiquement pourchassés et emprisonnés.

Mais le FIS n'envisageait pas d'être un simple comparse ou un supplétif du pouvoir auquel ce dernier pouvait assigner la tâche de servir de rempart contre de nouvelles explosions incontrôlées de la colère populaire. Les intégristes aspiraient à conquérir le pouvoir. Tout le pouvoir. Par les élections, si celles-ci le permettaient, sans doute. Mais aussi par les moyens illégaux et la force, s'il le fallait.

Les militaires qui, en janvier 1992, décidèrent, au mépris du respect des formes démocratiques les plus élémentaires, de barrer la route électorale au FIS, faisaient face au risque immédiat de voir triompher leurs rivaux. Mais ils durent convenir bien rapidement qu'ils n'avaient rien réglé, car les intégristes se montrèrent capables de mener une politique de rechange.

Les élections furent annulées, les prêches politiques du vendredi suspendus, le FIS interdit, les municipalités gagnées en juin 1990 par ce parti furent dissoutes. On traqua les militants du FIS. Mais les forces du mouvement intégriste se reconstituèrent rapidement dans la clandestinité.

Les militants fissistes restaient nombreux. Ils parvinrent à recruter des jeunes prêts à tout. Les militants testaient la détermination de ceux qu'ils envisageaient d'enrôler dans la lutte armée en les faisant participer à des coups de main ou des attentats contre des policiers ou des soldats. La victime tuée, il fallait prendre ses armes. Les forces de l'ordre réagissaient par des expéditions punitives au cours desquelles elles se livraient à des arrestations, des liquidations sommaires, des violences contre la population civile. Et pour les jeunes ainsi traqués, il ne restait plus qu'à se cacher ou rejoindre l'un des maquis organisés par le FIS. Les jeunes d'un même quartier appartenant souvent à des familles originaires d'une même région, pouvaient espérer y trouver un appui pour organiser des maquis. Mais du même coup ces maquis devenaient trop faciles à repérer par les forces de l'ordre, et ils furent bien souvent rapidement démantelés. De nombreux jeunes activistes étaient tués, blessés, emprisonnés, torturés mais d'autres s'enrôlaient. L'assassinat de Boudiaf en juin 1992 s'accompagna d'un durcissement de la répression. Tandis que toutes les tentatives d'unification du mouvement armé échouaient, les forces de l'ordre parvenaient à liquider ou démanteler les réseaux de l'organisation armée du FIS, le MIA.

Le terrain était libre pour l'ambition de groupes terroristes rivaux. Et ce fut le GIA qui s'imposa et prit de fait la direction de la politique terroriste.

A la fin 1992, Abdelhak Layada, un aventurier lié à divers réseaux de trafics d'armes, se proclama commandant des groupes militaires. En janvier 1993, il organisa un Congrès, distribuant des responsabilités à ses proches et proclamant son indépendance vis-à-vis des différentes organisations partie prenante de l'action armée ainsi que des personnalités de l'ex-FIS en exil. Pour fonder son autorité, le GIA se lança dans une politique d'attentats, doublée d'une vague de terreur, qui frappa les intellectuels hostiles aux intégristes.

Nous ignorons quels étaient les rapports entre les dirigeants du GIA et ceux de l'ex-FIS, tout comme nous ignorons les rapports de forces entre les différents appareils politiques et militaires qui coexistaient au sein du mouvement intégriste qui continuait de se développer dans la clandestinité.

Mais les objectifs et la politique du GIA s'inscrivent dans la même logique et dans la même perspective que ceux du FIS. Quelles que soient leurs relations même aujourd'hui et quelles que soient les tensions entre le GIA et l'AIS, organisation armée directement liée à l'ex-FIS, leurs politiques restent complémentaires.

Le GIA n'en est cependant plus à vouloir gagner des gens par des actions paternalistes dans les quartiers pauvres, comme le faisait le FIS avant les élections de 1991. Sa politique vise à contraindre par la violence la population à faire des choix.

Le GIA agit en considérant tous ceux qui ne sont pas de son côté comme des ennemis. Les assassinats, y compris les plus ignobles comme égorger des jeunes filles qui refusent de porter le voile, ne sont pas seulement l'expression d'une violence aveugle ni même d'une misogynie barbare. Ils obéissent à une logique politique infâme. Ils refusent de tolérer qu'une femme ne porte pas le voile alors que les autres acceptent de le porter - par conviction ou par crainte - car c'est comme si elle affirmait qu'elle n'accepte pas les règles, les pratiques, la dictature du GIA. C'est comme si elle levait un drapeau, celui de l'opposition au GIA. C'est pour cela qu'elle doit disparaître. Pour faire un exemple. Et c'est pour cela, qu'a contrario, le courage des femmes qui refusent les oukases du GIA est un des plus importants espoirs pour l'avenir.

L'objectif des actions militaires du GIA n'est pas de gagner la guerre contre l'armée par la force des armes. Même lorsque les actions militaires du GIA sont dirigées contre les militaires, contre les forces de l'ordre, elles visent au bout du compte la population. Elles sont destinées à lui montrer la force du GIA et sa capacité à porter des coups aux militaires quand il veut et là où il veut.

Toute une partie, voire l'essentiel des actions militaires du GIA est en fait dirigé contre la population civile. Ce sont des assassinats politiques, même si, selon les cibles choisies, ils poursuivent des buts différents. Ceux qui sont visés sont les femmes, mais aussi des intellectuels, en particulier des journalistes, ou encore des étrangers installés en Algérie. A l'automne 1994, le GIA avait même déclaré la guerre à la rentrée scolaire en détruisant des écoles ou en assassinant enseignants et élèves. En dehors de la signification politique particulière que le GIA veut donner à chacune de ses actions, elles ont toutes pour objectif de démontrer à la population que, d'ores et déjà, elle n'a pas d'autre choix que d'accepter la dictature intégriste.

Cette terreur vise fondamentalement les quartiers pauvres car, pour espérer arriver au pouvoir, il faut que les islamistes démontrent qu'ils sont capables d'encadrer les quartiers pauvres et de soumettre le prolétariat, et plus généralement les couches populaires urbaines, au contrôle de bandes fanatisées et que tout ceux qui pourraient s'opposer à leur ordre social seraient passibles de la loi islamique.

La terreur vise aussi à contraindre les couches petites-bourgeoises à s'engager plus largement du côté des islamistes. Les franges de la petite bourgeoisie qui n'ont pas eu leur part des retombées de la période de relative prospérité avaient joué un rôle majeur dans la première période de montée du courant islamiste pour, d'une part, en accentuer le caractère d'opposition au régime en place et, d'autre part, pour encadrer le mouvement. Petits fonctionnaires aigris, petits bourgeois en difficulté, intellectuels sans travail et sans le sou, se sont ajoutés aux notables religieux traditionnels pour les déborder et créer un courant qui, en brandissant le drapeau d'un islam radical et opposé au pouvoir en place, a cherché des fantassins dans les quartiers pauvres. Ceux-là ont été rejoints par la suite par d'autres petits-bourgeois poussés, eux, par un mélange d'attrait et de crainte vers cette mouvance qui était en train de montrer sa force.

Malgré son influence sur les quartiers les plus pauvres et en particulier sur le sous-prolétariat, le mouvement islamiste est avant tout un mouvement petit-bourgeois.

Sans même que le mouvement intégriste soit au pouvoir, il a d'ores et déjà tiré en arrière toute la société algérienne. Et la barbarie dont il est capable aujourd'hui donne une idée de ce que serait son emprise sur la société s'il disposait des moyens du pouvoir d'État.

Les impasses du terrorisme d'État pour la société

Depuis quatre ans, et aujourd'hui encore dans la campagne électorale, les responsables du régime militaire au pouvoir en Algérie, se présentent comme le seul rempart contre le péril intégriste. Mais le bilan militaire et politique de ces quatre années de véritable guerre civile qui, officiellement, ont fait au moins 30 000 morts sans compter les blessés, les disparus - c'est-à-dire sans doute le double de victimes - prouve au contraire l'impuissance du régime militaire à sortir d'un enlisement politique et militaire où le temps joue contre lui.

Ce ne sont pas les moyens militaires qui lui ont manqué. D'après les responsables de l'état-major, ce sont entre 45 000 et 60 000 militaires qui sont en permanence mobilisés dans le combat contre les intégristes.

Ce n'est pas non plus la détermination et la brutalité dans la répression. Les quartiers populaires sont systématiquement fouillés, les activistes traqués, les maquis démantelés. Des milliers de jeunes ont été liquidés. D'autres milliers de jeunes sont toujours parqués dans des camps et subissent la faim, les violences, les tortures. Pour terroriser les populations, les militaires ont utilisé les moyens de l'appareil d'État. Mais justement, cette politique de terrorisme d'État, non pas seulement contre les hommes de main du GIA mais contre les quartiers populaires qui les abritent, au lieu d'isoler le GIA de la population, pousse au contraire celle-ci dans ses bras. Il n'est nullement étonnant que, malgré des moyens infiniment supérieurs à ceux dont disposaient les troupes des intégristes, les militaires algériens ne soient pas parvenus à vaincre militairement leurs rivaux.

Dans ces quatre années de sale guerre, les dirigeants algériens ont combattu leurs ennemis avec des méthodes et une politique qui, loin d'arracher les classes populaires à l'emprise des islamistes, contribuaient à les en rapprocher.

Les sacrifices nécessités par cette sale guerre, ce sont les classes pauvres qui en ont fait, et en font les frais. La "démocratie" dont parlent Zeroual et ses alliés, n'a jamais été, pour la plupart des habitants des quartiers pauvres qui servent de base aux intégristes, qu'une longue répétition de violences : le couvre-feu, les expéditions punitives des militaires, les portes des maisons enfoncées, les arrestations arbitraires, les liquidations, les violences même contre les femmes et les enfants.

Toutes les familles populaires comptent des morts, des disparus. Les jeunes que les parents ont vus s'échapper un soir parce qu'au loin on entendait des coups de feu, ne sont bien souvent jamais revenus. Ont-ils rejoint quelque maquis, sont-il parqués dans un camp, ont-ils été tués ? Pour des milliers de familles, on ne sait pas. On ne le saura sans doute jamais. A ceux qui sont morts parce qu'ils étaient dans le camp des islamistes, il faut ajouter ceux qui sont morts parce qu'ils faisaient leur service militaire, ou ceux, plus nombreux peut-être, qui, sans vouloir être d'un côté ni d'un autre, ont été tués, victimes du terrorisme islamiste ou du terrorisme d'État.

Dans ces quartiers pauvres, même ceux qui n'approuvent pas la barbarie des actions du GIA, au point qu'ils pensent parfois que les attentats sont des provocations du pouvoir - et c'est quelquefois vrai - même ceux qui n'ont pas choisi l'islamisme mais vivent dans la peur des pressions et des représailles des intégristes, continuent bien souvent d'imputer au gouvernement l'essentiel de la responsabilité de la situation.

Et puis à toutes ces disparitions, ces souffrances, ces inquiétudes, s'ajoute, pour les classes pauvres, une constante dégradation de leur situation économique. Car si récemment l'Algérie s'est vu attribuer quelques crédits, si la renégociation de sa dette a allégé ses problèmes de trésorerie, si des secteurs ont été remis au privé pour le plus grand profit des affairistes algériens et français d'ailleurs, le niveau de vie des plus pauvres a empiré.

L'État a encore restreint les dépenses sociales et a laissé toutes les infrastructures se dégrader. L'état des logements depuis longtemps trop exigus pour des familles très nombreuses s'est détérioré dramatiquement. Des murs lépreux, l'électricité qui ne fonctionne pas, l'eau coupée près de 15 heures par jour, les lits où l'on dort par roulement, les égouts qui charrient à ciel ouvert des eaux polluées et puantes, les rats qui disputent aux chats un territoire où s'entassent des immondices, tout cela est une banalité dans les quartiers pauvres, dans les bidonvilles, mais aussi les HLM d'il y a trente ans, jamais entretenus.

L'État ne consacre pas d'argent pour régler ces problèmes. Il préfère mettre ses caisses au service des riches, des privilégiés ancien style, des affairistes en tous genres qui font fortune grâce à la reprise des affaires et du commerce légal aussi bien que grâce aux trafics petits et grands.

En même temps une partie croissante de la population parvient de moins en moins à assurer sa subsistance. Dans le courant de l'année 1994, le prix du quintal de semoule avait été multiplié par douze environ. Le prix de la plupart des produits courants ont été totalement libérés sans qu'aucune mesure de protection sociale ne vienne en adoucir les conséquences pour les plus pauvres.

La misère des classes populaires, qui fut à l'origine des explosions de colère de 1988, est encore plus dramatique aujourd'hui. La dictature du pouvoir sur les classes pauvres s'est renforcée. Et cette situation entraîne aujourd'hui le discrédit du régime et alimente, en contrepartie, la persistance de l'influence de l'ex-FIS.

L'échec des tentatives de négociation

Conscients qu'ils sont enlisés dans une guerre dont ils ne voient pas la fin, les dirigeants algériens ont tenté l'an dernier d'ouvrir des négociations avec les représentants historiques de l'ex-FIS. Mais celles-ci ont échoué. Les intégristes n'acceptaient pas que cette rencontre se fasse aux conditions du pouvoir et mirent comme condition à tout accord la libération des dirigeants du FIS et celle de tous les prisonniers politiques. Mais il n'était pas question pour le pouvoir d'accorder une telle concession qui, en apparaissant comme une victoire de l'ex-FIS, pourrait donner encore plus de crédit et plus d'audace aux intégristes dont l'objectif est et reste la conquête du pouvoir.

La politique de l'équipe militaire en place vis-à-vis des islamistes ne fait pas l'unanimité dans la classe politique algérienne. Il y a d'un côté l'opposition de ceux qui trouvent que l'équipe en place est trop conciliante vis-à-vis des islamistes et qu'il faut accroître encore la dictature et la répression pour "éradiquer" l'intégrisme. Ces hommes, bien souvent haut placés dans l'appareil d'État, sont peut-être en situation de connaître les calculs et les hésitations des responsables de l'armée qui peuvent un jour choisir, pour préserver l'unité de l'appareil d'État, de traiter avec les intégristes. Mais ces "éradicateurs", à qui le sort des classes pauvres n'importe pas, sont prêts à s'accommoder du fait que la lutte contre l'intégrisme s'accompagne de plus de sacrifices et de moins de libertés pour celles-ci.

De l'autre côté, il y a l'opposition de divers partis, dont le FLN, le FFS d'Aït Ahmed et d'autres formations qui préconisent la réintégration dans la vie politique de l'ex-FIS qu'ils estiment seul capable de maîtriser le développement du terrorisme du GIA et de ramener l'ordre.

Ce sont ces partis qui, il y a plus d'un an rencontraient à Rome les dirigeants de l'ex-FIS et signaient un pacte demandant que le gouvernement redonne sa place à l'ex-FIS, en contrepartie d'un renoncement à la lutte terroriste. Ils n'ont convaincu de modération ni les militaires ni les chefs intégristes, mais leur démarche montrait combien, malgré la guerre civile et malgré la barbarie du terrorisme, malgré ses objectifs et ses méthodes, l'ex-FIS est un courant politique admis de fait par une partie importante de la caste politique algérienne.

Tout comme il est largement admis d'ailleurs par les sphères politiques des grandes puissances impérialistes. Car les intégristes ont largement pignon sur rue auprès des autorités américaines, anglaises ou allemandes. Si les autorités françaises se méfient de l'éventualité de l'arrivée au pouvoir des islamistes, c'est qu'elles ne sont pas sûres que l'impérialisme français n'aurait pas quelque chose à perdre à ce que les "barbus" remplacent la caste politique actuellement au pouvoir qu'elles pratiquent depuis longtemps (contrats renégociés, substitution des liens avec des entreprises françaises par des liens avec des entreprises anglaises, américaines, allemandes, etc.).

Du point de vue des intérêts impérialistes en général, le problème ne se pose pas de la même manière. Ce n'est certainement pas l'intégrisme religieux, l'application de la charia, la subordination des femmes et les autres aspects moyenâgeux du programme du FIS qui gênent l'impérialisme. Si cela était le cas, les États-Unis auraient dû rompre depuis longtemps avec les rois, les émirs, les sultans, etc., qu'ils maintiennent à bout de bras en Arabie saoudite et autour du golfe Persique. S'appuyer sur les forces politiques les plus rétrogrades dans les pays qu'il pille est une vieille habitude de l'impérialisme. La seule chose qui pourrait le gêner, c'est que l'équipe islamiste n'est pas fiable. On ne sait pas trop qui la compose, quelle est son autorité sur les masses, jusqu'où peut aller sa démagogie anti-occidentale. Même si sa domination n'est pas remise en cause par des mouvements comme celui qui avait porté Khomeiny au pouvoir, l'impérialisme ne tient évidemment pas à ce que ce genre d'expériences se multiplient.

Mais on peut imaginer bien des situations, notamment des réactions violentes des masses populaires susceptibles de porter le mouvement islamiste au pouvoir. Les puissances impérialistes se feraient alors une raison du moment que le mouvement islamiste se révèlerait capable de canaliser et de contrôler les masses.

C'est dans l'éventualité de ce type de situation que les puissances impérialistes témoignent d'une certaine tolérance vis-à-vis des milieux islamistes et maintiennent très probablement des liens discrets avec certains de leurs chefs.

Pour mettre un coup d'arrêt à cette régression

L'arrivée au pouvoir des islamistes algériens serait une catastrophe pour la société et particulièrement pour la classe ouvrière de ce pays et par là-même pour la classe ouvrière tout court.

Pas seulement pour des raisons générales. Les travailleurs originaires de l'Algérie et plus généralement du Maghreb, sont une composante importante de la classe ouvrière en France. Si la classe ouvrière était complètement muselée en Algérie, soumise à une dictature et à un encadrement du type de ce que les intégristes ont installé en Iran, réduite au silence, on en imagine les prolongements parmi les travailleurs d'origine algérienne en France, les pressions directes et indirectes pour faire reculer non seulement les consciences, mais la vie sociale elle-même. On constate déjà aujourd'hui la pression islamiste dans bien des domaines, notamment sur les femmes. Et il n'est pas difficile d'imaginer à quel point l'installation d'une dictature islamiste de l'autre côté de la Méditerranée renforcerait l'extrême droite lepéniste, ici, en France.

Nous n'en sommes pas encore là aujourd'hui. Les islamistes ne sont pas encore au pouvoir et leur emprise sur la société n'est pas encore ce qu'ils souhaiteraient, oh, non pas en raison de la répression de Zéroual et de son armée, mais en raison des résistances dans la société elle-même contre le recul islamiste.

Mais un coup d'arrêt véritable ne peut venir que d'un changement important dans le rapport de forces, c'est-à-dire, de la classe ouvrière elle-même. Seule la classe ouvrière peut offrir une issue à la crise de la société algérienne et des perspectives politiques opposées à celles, voisines, de la dictature militaire et de la dictature islamiste. La perspective politique de transformations sociales radicales qui puisse entraîner l'adhésion de toutes les couches pauvres, la seule façon réelle de combattre l'influence intégriste sur la société, c'est que la classe ouvrière soit en situation d'offrir une autre perspective et d'opposer ses propres valeurs à la régression politique et sociale et à l'obscurantisme que veulent imposer les islamistes.

Au stade où en sont les choses, cela ne pourrait plus être un simple combat d'idées. Il faudrait que la classe ouvrière se donne les moyens de s'opposer par la force aux bandes terroristes, qu'elle assure par exemple la protection des femmes qui ont le courage de résister aux pressions pour porter le voile. Il faudrait que la classe ouvrière, ayant pris conscience de la nécessité de résister à la montée islamiste, ait les moyens de se défendre et d'imposer la loi du talion aux assassins.

Ce n'est pas ce combat-là que se proposent de mener ceux qui aujourd'hui dans la bourgeoisie et la petite bourgeoisie résistent aux pressions des intégristes. Car ce combat ne peut être mené que par des hommes et des femmes totalement au service des exploités, par des hommes et des femmes se situant sur le terrain de la classe ouvrière. Et qui au lieu de considérer, comme le font tous les petits-bourgeois du monde, les classes les plus exploitées comme un monde à part, destiné à vivre dans la misère et l'oppression, voient en elles la seule force sociale capable de stopper la régression en cours et, bien plus, d'émanciper toute la société !