États-Unis - Des milices prêtes à en découdre, mais dans quel but ?

Imprimer
Été 1995

Avant même que l'écho de l'attentat à la bombe contre l'immeuble fédéral d'Oklahoma City ne s'éteigne, la grande presse bourgeoise publiait toutes sortes de statistiques sur la montée en puissance d'une extrême droite militante aux États-Unis. Elle attirait en particulier l'attention sur les milices, dont les media ainsi que certains porte-parole officiels laissaient entendre qu'elles étaient impliquées dans l'affaire.

Évidemment, la presse est avant tout une affaire lucrative et plus l'histoire à raconter est sensationnelle, plus elle est se vend. D'autre part, le gouvernement Clinton laissait, volontairement semble-t-il, filtrer des informations, sans doute pour justifier la législation répressive votée par le Congrès moins d'une semaine après l'attentat (cet arsenal répressif - dont il faut souligner qu'il était déjà fin prêt - pourra être utilisé contre tous les militants politiques, et pas seulement ou même prioritairement contre les extrémistes de droite accusés d'être responsables de l'attentat).

Mais le coup de projecteur jeté sur l'extrême droite à l'occasion de cet attentat aura au moins servi à rappeler son existence ainsi que sa capacité à trouver un écho dans la population, au-delà des milieux traditionnellement sensibles à ses thèmes. De toute évidence, l'extrême droite constitue un mouvement très hétérogène, avec des composantes qui ont des racines profondes dans l'histoire des États-Unis et des tendances apparues plus récemment, sur la base des problèmes actuels de la société américaine.

Le racisme : une tradition bien américaine

L'existence d'une extrême droite organisée sur la base du racisme n'est pas chose nouvelle aux États-Unis. Bien sûr, le Ku Klux Klan ne dispose plus des forces qui lui permettaient autrefois de faire, avec l'assentiment des autorités locales, la loi dans les États du Sud profond. Il s'est considérablement affaibli, grâce aux actions menées par le mouvement noir, qui a réussi à débusquer les membres du Klan, à leur arracher pour ainsi dire leurs cagoules. Mais, d'une part, le Klan n'a pas entièrement disparu. Il semble même connaître un regain de faveur, comme d'autres groupes racistes, dont certains se réclament ouvertement du nazisme. En 1984, par exemple, ce sont des militants nazis qui ont organisé l'assassinat d'Alan Berg, un commentateur d'origine juive d'une radio de Denver. D'autre part, la symbolique du Klan (les croix enflammées, les cagoules et les robes blanches, les initiales) est toujours présente, même si le KKK, lui, n'est pas toujours directement impliqué. Ainsi, quand une bande de jeunes Blancs, n'appartenant pas au Klan, s'en sont pris à un touriste noir en vacances en Floride en 1993 et l'ont brûlé vif, ils ont laissé derrière eux un message signé des lettres KKK.

Mais il y a aussi de nouveaux groupes qui, tout en se réclamant ouvertement du même racisme, se disent avant tout "séparatistes". Le plus important d'entre eux est probablement la Nation Aryenne qui propose que tous les blancs qui ne sont ni "abâtardis", ni immigrés, ni Juifs, se séparent de la fédération américaine telle qu'elle existe aujourd'hui et créent leur propre nation, par exemple dans le nord-ouest américain, dans une région qui irait du nord de la Californie à la frontière canadienne et qui comprendrait l'Orégon, l'État de Washington, l'Idaho, l'Utah et le Montana (région où la Nation Aryenne possède l'essentiel de ses forces). Elle affirme hypocritement ne pas considérer les Noirs comme des ennemis et en veut pour preuve son respect affiché pour Louis Farrakhan dont elle dit qu'il poursuit, pour ceux de sa race, un objectif semblable au sien. Par contre, elle se déclara prête à recourir à la violence contre les Noirs partisans de la "mixité" ou contre les Mexicains qui tentent de franchir la frontière américaine. Enfin, la Nation Aryenne a ouvertement encouragé, et dans certains cas organisé elle-même, des bandes de jeunes skinheads qui s'en prennent, jusque-là de manière apparemment non concertée, aux Noirs et à d'autres minorités - en particulier dans l'Orégon (par exemple à Portland) et dans le nord de la Californie.

Quand ils ne prônent pas un racisme dirigé contre les Noirs ou la minorité hispanique, la plupart des groupes d'extrême droite - y compris la Nation de l'Islam de Louis Farrakhan - reprennent à leur compte la vieille fable d'une conspiration juive visant à dominer le monde.

L'aspiration à une république théocratique

Mais les plus gros bataillons de l'extrémisme se retrouvent sans doute dans les organisations appartenant à la droite dite "chrétienne". La religion a toujours joué un rôle important dans la vie politique américaine. Mais depuis quelques décennies, son influence s'est surtout fait sentir par l'intermédiaire d'un nombre considérable d'Églises intégristes et d'organisations créées par des télévangélistes comme Billy Graham ou, plus récemment, Pat Robertson. Le succès des télévangélistes a permis la création de groupes plus ouvertement politiques dans le milieu chrétien de droite. Le plus important d'entre eux, la Coalition Chrétienne, affirme compter 1,5 million de membres. On trouve aussi des organisations comme la Coalition pour les Valeurs Traditionnelles, qui vise à regrouper les diverses Églises entre elles et qui affirme en représenter déjà 31 000 à travers le pays.

En plus de leurs appels à un sursaut moral, à la lutte contre le péché, l'incroyance et autres calamités, les extrémistes chrétiens mettent en avant un certain nombre d'objectifs précis : retour à la prière obligatoire dans les écoles publiques, proclamation officielle faisant des États-Unis une "république chrétienne". Ils s'emploient aussi à faire passer leurs conceptions morales dans la loi. Ils réclament, par exemple, l'enseignement du "créationnisme" dans les écoles ; l'interdiction de l'avortement ; la réduction des prestations sociales, sous prétexte que les femmes doivent assumer pleinement la responsabilité de leurs grossesses (pour ne pas dire la responsabilité de leur activité sexuelle).

Plus concrètement, la droite dite "chrétienne" soutient les hommes politiques qui se disent prêts à défendre ses objectifs et, à cet effet, a mobilisé ses membres sur une grande échelle au cours des deux dernières élections. Elle a, en particulier, joué un rôle important lors des élections législatives de 1994 qui se sont soldées à la fois par un raz-de-marée républicain dans les deux chambres ainsi qu'aux postes de gouverneurs d'État et par l'élection de députés plus ouvertement favorables à ses thèses. Selon des sondages effectués à la sortie des bureaux de vote, environ un tiers des votes pour les républicains provenaient de membres de ces Églises ou organisations de type "évangéliste" ou "intégriste", qui constituent la base de cette droite "chrétienne".

"Pro-life" ou la justification du terrorisme

Ce sont les Églises établies (et plus particulièrement les Églises catholique, baptiste du Sud et évangéliste) qui se lancèrent les premières dans la bataille contre l'avortement, en 1973, à l'époque du jugement de la Cour suprême qui devait faire jurisprudence sur la question. Leur agitation ne fut pas vaine. En 1977, le Congrès démocrate et le nouveau président, démocrate et chrétien fervent, Jimmy Carter limitèrent considérablement le droit à l'avortement, en laissant les États libres d'accorder ou de refuser l'aide médicale aux femmes désireuses d'interrompre leur grossesse.

Autrement dit, la réaction face à la légalisation de l'avortement a commencé bien avant l'arrivée de Reagan au pouvoir. Ce dernier, il est vrai, ne s'est pas gêné pour en faire un de ses chevaux de bataille. Ainsi, lors de sa campagne électorale de 1980, il s'est déclaré totalement hostile à l'avortement, dans le but de plaire aux membres des Églises qui jusque-là soutenaient traditionnellement les Démocrates. Mais alors qu'il avait déclaré, à de nombreuses reprises, que l'avortement devrait être interdit, il n'a pris aucune mesure en ce sens pendant toute la durée de ses deux mandats. C'est alors que des groupes comme Opération Sauvetage se sont mis à recruter, en particulier parmi les membres des Églises et organisations intégristes.

Au départ, l'objectif de ces organisations baptisées "Pro-Life" (équivalent de "Droit à la vie") était de faire pression sur les hommes politiques pour qu'ils reviennent sur le droit à l'avortement, ou qu'ils le limitent sévèrement. Mais elles passèrent bientôt à l'action directe, pour empêcher les femmes de se faire avorter. La plupart de ces actions étaient au départ de type propagandiste : dénonciation publique des médecins et des employés des cliniques pratiquant l'avortement ; piquets à l'entrée de celles-ci. Mais une partie du mouvement eut bientôt recours à des actions de type terroriste à l'encontre des médecins et des auxiliaires médicaux qui furent alors les cibles non seulement de harcèlements divers mais de meurtres. Il est alors devenu plus difficile de se faire avorter, au point que, dans de nombreuses régions, il est pratiquement impossible aujourd'hui, en dehors des grandes villes, de trouver un médecin qui accepte de pratiquer l'avortement. En 1992 par exemple, 83 % de tous les comtés des États-Unis ne possédaient pas un seul médecin acceptant de pratiquer l'IVG, non pas pour des raisons légales, mais à cause du climat de peur créé par les actions du mouvement "Pro-Life".

"Pas d'imposition sans représentation"

Il est dans l'ordre des choses qu'aux États-Unis, où le racisme a toujours eu des racines profondes, celui-ci imprègne l'idéologie de la droite extrémiste. Mais le récent développement de cette droite n'est pas dû seulement, ni même principalement, à une montée du racisme.

C'est ce qu'illustre la croissance du Posse Comitatus ("Groupe de détachements armés"). Cette organisation fut, semble-t-il, fondée à la fin des années soixante par d'ex-militants des Chemises Argentées, un groupe d'inspiration nazie créé aux États-Unis dans la foulée de la prise du pouvoir par Hitler en Allemagne. Le Posse Comitatus affirmait que le véritable but des pères fondateurs du pays était d'établir une république chrétienne, où l'individu serait souverain. Il encourageait ses adeptes à recouvrer leur souveraineté, par exemple en retournant leur permis de conduire, leur certificat de naissance, leur carte de sécurité sociale et autres documents officiels. Il soutenait que le seul pouvoir légitime est le pouvoir local (jusqu'au niveau du comté) ; que le pouvoir législatif est une aberration qu'il faudrait remplacer par de grands jurys composés uniquement d'hommes, de race blanche et chrétiens, chargés d'interpréter la loi de Dieu ; que la seule force de l'ordre légitime est celle du shérif du comté, qui peut être révoqué à volonté par les citoyens. Il accusait d'autre part le gouvernement d'encourager le mélange des races, par exemple, en entérinant la décision de la Cour suprême de 1954 sur l'intégration scolaire.

Mais le Posse Comitatus avait encore d'autres thèmes d'agitation. Il s'en prenait par exemple à la Réserve fédérale, l'accusant d'être un instrument aux mains des banques de l'Est pour drainer la richesse du reste du pays ; dénonçait l'impôt sur le revenu, comme un moyen d'appauvrir les travailleurs ; se réclamait de William Jennings Bryan pour vilipender le remplacement de l'or et de l'argent par le papier-monnaie ; protestait contre l'existence des Nations Unies et contre l'adhésion des États-Unis à cet embryon de gouvernement mondial qui ne pouvait qu'être au service du système bancaire international ; et s'opposait, avec la même ferveur, à l'envoi de troupes américaines en Corée et au Viêt-nam. Les thèmes populistes d'organisations comme le Posse Comitatus s'accompagnent évidemment de théories fumeuses où l'on mêle allègrement les "conspirateurs" juifs, le système bancaire, le "gouvernement mondial", l'ONU, le nouvel ordre mondial et le sionisme. Mais ces thèmes font aujourd'hui écho au désespoir des agriculteurs victimes de la crise économique.Le développement du Posse Comitatus remonte à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, à l'époque où des campagnes entières étaient vendues au plus offrant, suite à la chute brutale du prix des terres à la fin des années soixante-dix et à l'augmentation des impôts destinée à éponger la dette de la guerre du Viêt-nam.

Frappés de plein fouet par la crise, de nombreux agriculteurs cessèrent de payer leurs impôts. L'auraient-ils voulu qu'ils ne l'auraient pas pu. Mais quand les représentants de l'État ou des banques se présentaient pour liquider leurs biens, leur famille, leurs amis, leurs voisins se réunissaient pour tenter, par leur nombre, d'empêcher la vente aux enchères. Les membres du Posse Comitatus, ou de groupes similaires, virent là l'occasion de promouvoir leurs idées. Certains "rebelles" à l'impôt devinrent ainsi des militants, faisant du refus de payer l'impôt un principe.

Selon le Trésor public, en 1978,6 700 personnes refusèrent officiellement de payer leurs impôts ; en 1979, le chiffre était de 9 900 ; en 1980, de 12 823 ; en 1981, de 23 000 ; et en 1982, de 44 500. C'étaient de petits chiffres, mais ils étaient en augmentation, et ceux qui protestaient contre l'impôt le faisaient désormais au grand jour.

Le refus réitéré de certains d'entre eux de payer leurs impôts les conduisit devant les tribunaux. Et quand leurs condamnations furent confirmées par les cours d'appel, il y eut des affrontements avec les représentants des forces de l'ordre venus les arrêter ou saisir leurs terres. L'affrontement le plus célèbre eut lieu en février 1983 et faisait partie de toute une campagne de harcèlement dirigée contre les militants du mouvement anti-impôts. Des officiers fédéraux tentèrent de mettre à exécution un mandat d'arrêt vieux de deux ans à l'encontre de Gordon Kahl, un cultivateur d'une région rurale du Dakota du Nord. Le mandat d'arrêt en question, qui n'était plus valable car trop vieux, l'accusait de récidive, pour avoir publiquement déclaré qu'il ne paierait pas ses impôts, après avoir été condamné une première fois (avec sursis) par le tribunal.

Les officiers fédéraux l'interceptèrent, lui et sa famille, sur la route. Deux officiers furent tués. Le fils de Gordon Kahl et trois autres policiers furent blessés. Kahl réussit à s'enfuir.

Il fut finalement rattrapé en Arkansas et tué au cours d'une fusillade avec des agents du FBI et des shérifs locaux. Il avait fallu aux agents du FBI plus de trois mois de recherches avant de retrouver sa trace. Pendant cette période, la famille de Kahl, ses amis et connaissances furent étroitement surveillés. Dans l'espoir de le faire sortir de sa cachette, ils arrêtèrent la femme de Kahl, l'accusant de complicité de meurtre. Son fils, qui avait été blessé lors de la tentative d'arrestation, fut condamné pour meurtre sans préméditation. Kahl réussit pendant tout ce temps à échapper aux autorités et à la chasse à l'homme nationale organisée contre lui, grâce à l'importance du réseau de militants, anti-impôts ou autres, prêts à le cacher dans toutes les campagnes, depuis le Dakota du Nord jusqu'au Texas, en passant par l'Arkansas.

Quelle est la taille de ces organisations ? Le Posse Comitatus a toujours refusé de donner des chiffres. Selon le FBI, qui a tendance à gonfler ses évaluations pour justifier ses demandes de crédits ou de pouvoirs accrus, le Posse Comitatus comptait en 1976 "de 12 000 à 50 000 membres avérés", et dix ou douze fois plus de sympathisants. En 1990, selon le FBI, il y avait 1 700 organisations locales regroupant plus de 100 000 membres qui étaient liées soit au Posse Comitatus, soit à des groupes qui récusent la citoyenneté américaine et qui visent à établir leur propre gouvernement à l'échelle du comté.

Quoi qu'il en soit, il est certain qu'aujourd'hui, le désespoir est grand dans les régions rurales. Avec des taux de pauvreté comparables à ceux des quartiers défavorisés des grandes villes, la campagne est devenue une véritable poudrière. La chasse à l'homme organisée par le pouvoir d'État contre Gordon Kahl et son acharnement sur ses proches n'ont pu qu'accroître le sentiment que le gouvernement fédéral, non seulement est insensible aux problèmes des cultivateurs, mais est devenu leur principal ennemi.

"Le droit du peuple à détenir et à porter des armes est un droit inviolable"

Depuis deux ans, la composante de la droite extrémiste qui connaît la plus rapide expansion est celle qui dénonce les tentatives du gouvernement pour limiter le port d'armes, soit comme une basse manœuvre, soit comme un pas menant inévitablement à une dictature accrue de l'État sur les citoyens.

Depuis des décennies, la National Rifle Association (NRA, "Association nationale pour les armes à feu") est considérée comme le porte-parole de tous ceux qui sont sensibles à ces thèmes. La NRA n'est plus, depuis longtemps, le simple groupe de pression des fabricants d'armes qu'elle était à l'origine : elle compte aujourd'hui 3,4 millions de membres. Elle a évidemment toujours été très légaliste et elle s'enorgueillit d'avoir eu parmi ses cotisants de nombreux députés, tant démocrates que républicains, ainsi que quelques présidents des États-Unis. Bush, par exemple, qui a fait la une de la presse, non pas pour avoir adhéré à l'association, mais pour l'avoir quittée. Il voulait ainsi protester contre une lettre circulaire de la NRA décrivant les agents fédéraux comme des "hommes de main tyranniques", ajoutant que "dans l'administration Clinton, la possession d'un insigne officiel vous autorise à harceler, intimider ou même tuer de paisibles citoyens."

Bien sûr, pour la plupart des membres de la NRA, adhérer ne signifie rien de plus que de payer des cotisations qui servent à soutenir le lobby des armes à feu et à financer un magazine consacré aux armes et aux activités de la NRA. Mais la NRA a tout de même réuni 22 000 personnes lors de son dernier congrès, tenu après l'attentat d'Oklahoma City.

Depuis dix ans cependant, la NRA a été débordée par un certain nombre d'organisations paramilitaires qui prennent au pied de la lettre le second amendement à la Constitution et ses références à l'organisation en milices et au droit de détenir et de porter des armes. Ces groupes, qui organisent des week-ends d'entraînement militaire (inspirés de ceux de la Garde nationale) et stockent des armes, étaient jusqu'à tout récemment plutôt marginaux. Mais un certain nombre d'événements leur ont permis de se développer rapidement.

Le premier, en août 1992, fut l'embuscade organisée à Ruby Ridge dans l'Idaho par des agents du FBI et de l'administration des alcools, tabacs et armes à feu (ATF), dans le but d'appréhender (sur de fausses charges, semble-t-il) un certain Randy Weaver, membre d'une secte religieuse. Ils ouvrirent le feu, tuant son épouse et son fils adolescent, tous deux sans armes. Puis, il y eut en février 1993 le raid organisé par l'ATF contre le camp retranché de la Branche Davidienne, à Waco au Texas, qui fit dix morts dans un premier temps et qui fut suivi d'un siège de 51 jours, jusqu'à l'assaut final du 19 avril. On retrouva dans les décombres les corps de 75 personnes, dont 25 enfants. D'autres corps avaient été incinérés par les assiégés et ne furent jamais identifiés. Peu après, le Congrès vota la loi Brady, qui imposait une série de vérifications et une période d'attente pour toute personne désirant acheter une arme à feu. Puis vint l'interdiction à la vente des "armes d'assaut".

Depuis les événements de Waco, les groupes paramilitaires se sont renforcés dans un certain nombre d'États, et plus particulièrement, semble-t-il, dans le Montana, le Michigan et le Texas. Lors du vote de la loi Brady, il y eut 10 000 manifestants à Lansing, la capitale du Michigan. Et au Montana, des membres de la Nation Aryenne et d'autres groupes racistes ont mis sur pied une milice organisée à l'échelle de l'État. Cette milice affirme compter aujourd'hui 10 000 membres, mais selon certains observateurs elle ne totaliserait que 250 militants réellement actifs. La Milice du Montana s'est organisée d'emblée à l'échelle d'un État, créant ainsi un précédent, et ne s'est pas privée d'encourager d'autres groupes locaux à faire de même. C'est ainsi que, bien que leurs idéologies divergent, elle a apporté son soutien à la Milice des Citoyens du Michigan, dont le succès a été encore plus éclatant. Selon un observatoire des groupes d'extrême droite, le Southern Poverty Law Center, il y aurait 190 milices de ce type aux États-Unis, présentes au total dans 30 États. Certaines d'entre elles sont organisées à l'échelle d'un État, mais la plupart le sont à l'échelle locale. Bien que, pour l'instant, il n'y ait pas d'organisation nationale des milices, ces organisations locales ou autres ont, semble-t-il, entrepris de tisser entre elles des liens à l'échelle du pays.

Un populisme de droite

Évidemment, il est difficile de définir clairement ce que représentent des groupes aussi disparates et, pour certains d'entre eux, d'idéologie aussi vague. Mais on peut dire que ceux qui appartiennent aux organisations anti-impôts font souvent partie du mouvement des milices. Quant aux intégristes chrétiens, non seulement ils participent au mouvement anti-avortement, mais ils lui ont fourni sa direction. Ces divers groupes n'ont pas toujours des programmes complets ou même conséquents. Certains d'entre eux, par exemple, ont soutenu la guerre des États-Unis contre l'Irak, alors que d'autres y étaient fermement opposés. Certaines milices plongent leurs racines dans les organisations racistes, alors que d'autres cherchent à se développer en direction des Noirs.

Il y a enfin des groupes dont le but n'est autre que la défense d'intérêts corporatistes et qui, pour ce faire, recrutent sur des thèmes d'extrême droite. Dans les États de l'Ouest, par exemple, où parfois plus de la moitié des terres appartiennent au Trésor public et où les propriétaires de ranchs et les cultivateurs, qui étaient déjà dans une situation difficile, se sentent victimes des mesures prises par le gouvernement, certaines grandes compagnies, pétrolières ou autres, ont été à l'origine d'un mouvement qui prétend défendre les "droits de propriété" de ces catégories sociales.

Ainsi, on peut dire de ce mouvement d'extrême droite qu'il est très varié. Ce que les groupes qui le composent ont en commun, finalement, c'est, d'une part, le sentiment que la situation dans le pays est fondamentalement injuste et, d'autre part, qu'à ce problème de fond il faut une solution radicale.

Un grand nombre d'entre eux utilisent un langage populiste. Ils dénoncent une économie au service des banques, des grands groupes industriels et des riches. Ils dénoncent la charge que les impôts font peser sur une population qui n'a aucun contrôle sur les dépenses du gouvernement. Ils montrent du doigt le fossé grandissant entre les "élites" et le reste de la population. Et même si la plupart d'entre eux continuent à soutenir le Parti républicain, il y en a de plus en plus qui considèrent les deux grands partis traditionnels comme des ennemis.

Ce qui est plus inquiétant, c'est que les milices semblent avoir trouvé un thème capable d'unifier les différentes composantes du mouvement et de vastes couches marginalisées de la population, depuis le Ku Klux Klan d'un côté jusqu'à l'organisation des "Juifs pour le maintien du droit à posséder des armes", en passant par les cultivateurs ruinés et les chômeurs qui pensent devoir la perte de leur travail à l'ALENA. Ce thème, c'est celui de la lutte contre l'État, ou plus précisément, contre l'État fédéral.

Ray Southwell, l'un des leaders de la Milice des Citoyens du Michigan, n'a-t-il pas récemment déclaré : "Je crois qu'il n'y a que trois façons d'exercer un contrôle sur ceux qui gouvernent : la première, ce sont les élections ; la seconde, c'est la menace du recours à la force ; quant à la troisième, elle consiste à assumer soi-même le gouvernement. Personnellement, je ne crois pas que nous en soyons là." Mais, si on le comprend bien, on n'en est pas loin.

Sommes-nous sur le point de voir l'extrême droite s'unifier dans une lutte contre l'appareil d'État et, sur cette base, créer son propre parti politique ? Il semble pour l'instant que non. Mais ce n'est pas exclu dans l'avenir et il est impossible de dire à quel rythme les choses évolueront.

Des syndicats qui ont laissé le terrain libre à l'extrême droite

Depuis 17 ans, la situation des classes laborieuses du pays n'a cessé de s'aggraver, que ce soit dans les villes ou les campagnes. L'écart entre la minorité privilégiée et la grande masse des petites gens continue de s'agrandir. Les patrons ne cachent même plus leurs objectifs et se vantent d'avoir amélioré les profits en "restructurant", c'est-à-dire, tout le monde le sait aujourd'hui, en licenciant et en diminuant les salaires. Quant aux cultivateurs, ils continuent à être chassés en masse de leurs terres.

Face à cette crise, les seules organisations de masse de la gauche, c'est-à-dire les syndicats, se sont montrées incapables de proposer la seule perspective qui permettrait de faire pièce à la droite : engager la lutte contre les capitalistes et le pouvoir à leur service. Ils ne disent même pas qu'une telle lutte est nécessaire.

Par contre, leurs campagnes contre le Mexique et le Japon, ou contre l'arrivée d'une nouvelle "vague" d'immigrants qui "prennent le travail" des ouvriers américains ont créé un climat favorable aux idées d'extrême droite. Toutes leurs actions reposent sur un soutien implicite du système capitaliste, même quand ils critiquent telle ou telle entreprise. Il n'est pas rare de les voir défendre "leur" entreprise quand elle est en difficulté et expliquer qu'il est normal qu'elle maintienne "ses" profits. Ce qui revient à demander aux travailleurs de lier leur sort à celui de "leurs" patrons.

Évidemment, quand les patrons les acculent et ne leur laissent pas d'autre choix que de lutter, ils réagissent. Mais là encore, ils ne proposent que des luttes sans perspectives, aussi limitées que possible, respectueuses des décisions des juges et des interventions policières, etc. Et y compris dans le cas de luttes désespérées, comme celle de Caterpillar, ils demandent aux travailleurs de s'en remettre aux mêmes juges et aux mêmes autorités. En aucun cas, ils ne proposent à la classe ouvrière de répondre politiquement à ces attaques, en se mobilisant sur des bases de classe face aux capitalistes et au gouvernement à leur service.

Leur réponse à la série de grèves perdues par la classe ouvrière, c'est de demander aux travailleurs de... continuer. De continuer par exemple à voter pour les Démocrates, qui ont diminué les impôts des riches et augmenté ceux du reste de la population et se sont contentés de belles phrases sur chaque problème important soulevé par les syndicats.En réalité, l'extrême droite s'est développée sur un terrain laissé libre par les syndicats. Ces derniers continuent de défendre le système capitaliste, même s'ils estiment qu'il comporte des injustices, alors que l'extrême droite, elle, fait des propositions concrètes. Et radicales. D'ailleurs, de moins en moins de gens sont choqués quand ils l'entendent parler de recourir à la violence.

Une partie non négligeable de la population, y compris des ouvriers et des paysans pauvres, sont aujourd'hui sensibles aux thèmes agités par l'extrême droite. S'ils le sont, c'est parce que l'extrême droite semble être la seule force à proposer des solutions radicales face à la crise, la seule qui soit prête à bouger.

Quelle réponse face au développement de l'extrême droite ?

La croissance de l'extrême droite comporte de toute évidence des dangers pour les travailleurs, ne serait-ce que parce qu'elle a des liens étroits, par l'intermédiaire de l'armée, avec l'État qu'elle prétend combattre. Timothy McVeigh, inculpé dans l'affaire de l'attentat d'Oklahoma City, avait reçu un entraînement militaire et avait eu certaines armes difficiles à se procurer grâce à un réseau qui possède des ramifications à l'intérieur et à l'extérieur de l'armée. Et n'oublions pas que Gordon Liddy, le plus virulent critique des agents fédéraux, est lui-même un ex-agent, stipendié sinon par le "gouvernement fédéral" (la bête noire de l'extrême droite), à tout le moins par l'État bourgeois.

Ce n'est pas encore le fascisme, bien sûr. Mais l'extrême droite peut en prendre le chemin si la bourgeoisie en éprouvait le besoin. Pour l'instant, elle s'occupe de préparer ses troupes.

Certains syndicats semblent s'inquiéter de la croissance de l'extrême droite. Ils la dénoncent et demandent au gouvernement de réagir. C'est-à-dire qu'ils demandent à l'État bourgeois, qui utilise en permanence la violence pour maintenir l'exploitation de la classe ouvrière, de défendre cette dernière contre la violence.

Pour pouvoir contrer l'extrême droite, la classe ouvrière ne peut compter que sur sa propre organisation, que sur sa propre mobilisation sur la base de luttes radicales, y compris la lutte pour le pouvoir. C'est seulement ainsi qu'elle pourra attirer les forces qui sont aujourd'hui dans l'orbite de l'extrême droite, parce que cette dernière est la seule à offrir des réponses radicales aux problèmes posés.

Aux États-Unis, l'extrême gauche a toujours été très faible. Mais le problème n'est pas seulement un problème de taille. Il s'agit aussi des objectifs que l'on se fixe face à la montée de l'extrême droite. L'extrême gauche doit considérer la construction d'un parti ouvrier révolutionnaire comme sa priorité. Ce n'est qu'en créant un tel parti que l'extrême gauche pourra trouver les moyens de rallier à elle les mécontents et les laissés pour compte, qui ont aujourd'hui l'impression que seule l'extrême droite est prête à lutter contre le gouvernement et l'appareil d'État.

$$s19 mai 1995