Le capitalisme en crise vers le chaos

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décembre 2022-janvier 2023

La bourgeoisie est aussi aveugle aujourd'hui, aussi perdue devant la crise de son propre système, aussi désarmée qu'elle l'était dans la crise qui a conduit à la Deuxième Guerre mondiale.

Au forum des banquiers compris du monde impérialiste, qui sont en quelque sorte les têtes pensantes de la grande bourgeoisie impérialiste, en 2021, ceux-ci ont applaudi le principal d'entre eux, le président de la Fed (Réserve fédérale américaine). Ce dernier considérait alors l'inflation comme un phénomène passager et préconisait le maintien des taux d'intérêt au plus bas, mis à la disposition du grand capital du crédit bon marché, voire gratuit.

À la réunion des mêmes banquiers concernés, fin août 2022, le même Jerome Powell, toujours président de la Fed, a été applaudi en proposant exactement le contraire, la fermeté pour augmenter les taux d'intérêt des banques centrales. « Union sacrée des banques centrales contre l'inflation », titraient Les Échos du 29 août.

Même succession de décisions contradictoires dans une multitude de domaines aussi bien économiques que politiques ou diplomatiques. La crise de l'énergie, outre son caractère dramatique pour les classes populaires, est une véritable danse de Saint-Guy entre des choix contradictoires, pour ou contre le nucléaire, pour ou contre le charbon, pour ou contre l'éolien…

Commentant la « rentrée incertaine de Macron » , Le Monde rapporte des réflexions critiques de quelques personnes de l'entourage du président, qui lui reprochent un « manque de projections stratégiques » ou qui s'agacent « d'un pouvoir qui patauge » .

L'erreur serait de considérer que le reproche est causé par la seule personne de Macron ou par l'affaiblissement de la position du président de la République, que les législatives ont privé d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale.

Le personnage Macron a bien peu d'importance. Il « patauge », comme pataugent, chacun à sa manière, ses confrères d'Allemagne, du Royaume-Uni, d'Italie ou d'ailleurs. Que l'on songe à la minable aventure de la nouvelle Première ministre de Grande-Bretagne : à peine avait-elle annoncé une réduction de l'imposition des catégories les plus riches de la bourgeoisie, qu'elle était obligée de faire marche arrière et de se désavouer ! C'est toute la classe bourgeoise qui patauge, ne maîtrise rien, avec cependant le même cap : « tant qu'il y a du profit, peu importe ». C'est « après nous, le déluge ».

« La bourgeoisie elle-même ne voit pas d'issue », commentait Trotsky en 1938, dans le Programme de transition , à propos de l'attitude de la classe capitaliste face à la précédente grande crise de son économie celle commencée en 1929 : « Tous les partis traditionnels du capital se trouvent dans une situation de désarroi qui frise par moment la paralysie de la volonté » , écrivait-il à une époque où, comme aujourd'hui, « Les crises conjoncturelles dans les conditions de la crise sociale de tout le système capitaliste accablent les masses de privations et de souffrances toujours plus grandes. La croissance du chômage approfondie à son tour une crise financière de l'État et sape les systèmes monétaires ébranlés. »

Trotsky n'était ni devin ni cartomancien pour annoncer ce qui allait se dérouler huit décennies après sa mort !

C'est le capitalisme décadent qui a perduré et qui aujourd'hui bégaie.

Le seul domaine où il n'y a pas de « paralysie de la volonté », c'est la distribution des dividendes, qui ont battu tous les records cette année.

Pas de paralysie de la volonté non plus pour s'attaquer aux conditions d'existence des masses exploitées, en minimisant par le chômage, la généralisation de la précarité et la destruction insidieuse ou brutale de tout ce qui dans les services publics concernent les exploités.

On sait à quoi a conduit la crise de 1929 : la Deuxième Guerre mondiale, avec ses 50 millions de morts sur les champs de bataille, 100 millions en comptant les civils qui ont péri sous les bombes, de privations, de faim, ou qui ont été exterminés.

Même aveuglement dans le domaine des relations internationales. « Sous la pression croissante du déclin capitaliste, écrit Trotsky, les antagonismes impérialistes ont atteint la limite au-delà de laquelle les divers conflits et explosions sanglantes (Éthiopie, Espagne, Extrême-Orient, Europe, Europe centrale) doivent infailliblement se confondre en un incendie mondial. »

Aujourd’hui, la guerre qui focalise l’attention est celle qui oppose la Russie à l’Ukraine soutenue par le camp des puissances impérialistes. Cette guerre elle-même, les sanctions et contre-sanctions qu’elle provoque, s’ajoutant aux nombreux conflits armés qui perdurent du Moyen Orient à l’Afrique et à l’Asie, la recherche fiévreuse d’alliances, la course aux armements, témoignent de la même course aveugle vers l’incendie mondial.

C’est Poutine qui a pris l’initiative d’envahir l’Ukraine, mais c’est l’impérialisme américain qui alimente la guerre et la prolonge. Manifestement, ses dirigeants considèrent qu’il a tout intérêt à ce qu’elle dure. L’impérialisme américain y a déjà gagné de ressusciter et de renforcer l’OTAN, diagnostiqué par Macron, il y a peu, comme « en état de mort cérébrale ».

C’est l’impérialisme américain qui tire profit de l’affaiblissement de la Russie, mais aussi des difficultés entraînées par la guerre en Ukraine pour ses alliés et néanmoins rivaux d’Europe, l’Allemagne principalement.

Contrairement aux guerres menées au Vietnam ou, plus récemment, en Afghanistan, les États-Unis n’ont même pas à envoyer des hommes dans cette guerre : ils la mènent avec la peau des Ukrainiens et des Russes. Et les armes généreusement envoyées offrent un nouveau marché pour leurs marchands de canons.

Même les États-Unis cependant, la principale puissance impérialiste, ne sont pas sûrs, avec leur politique guerrière, de ne pas se tirer des rafales dans le pied.

Le développement économique du passé, la mondialisation ont tissé tant de liens entre économies nationales, leurs classes dirigeantes sont si interpénétrées, rivales et en même temps complices, que bien malin serait celui qui pourrait démêler à qui nuirait le plus le jeu des sanctions et contre-sanctions. À part la certitude que ce sont les moins puissants qui en pâtiront le plus.

C’est l’ensemble du monde qui est en train de plonger dans un chaos sanglant.

En son temps, Trotsky résumait « la situation politique mondiale dans son ensemble » en affirmant qu’elle « se caractérise avant tout par la crise historique de la direction du prolétariat ». Depuis, cette « crise historique de la direction du prolétariat » s’est achevée par le naufrage complet des directions successives social-démocrate et stalinienne.

La principale, sinon la seule conclusion à en tirer, c’est qu’il faut que le prolétariat, au lieu de chercher à redonner vie aux zombies que sont devenues ses anciennes directions social-démocrate et stalinienne, se donne une nouvelle direction révolutionnaire. Avec pour objectif, non pas d’aménager ou d’améliorer un capitalisme qui sombre dans la crise et dans le sang, mais de renverser le pouvoir économique et politique de la bourgeoisie sur le monde. Construire le parti mondial de la révolution prolétarienne reste la tâche fondamentale de notre époque.

10 octobre 2022