États-Unis : vers la destitution de Trump ?

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juillet - août 2017

Jeudi 8 juin, James Comey, l’ancien chef du FBI limogé par Trump le 9 mai dernier, était interrogé par le Congrès. Trump et Comey s’accusent réciproquement de mensonge, dans des conversations portant en particulier sur les échanges qu’auraient eus l’équipe de Trump et le gouvernement russe. L’ex-patron du FBI accuse également Trump de lui avoir demandé d’abandonner l’enquête menée sur Michael Flynn, ex-conseiller de Trump, obligé de démissionner en raison de sa collusion avec l’ambassadeur russe. Les soupçons portent également sur les conflits d’intérêts de Trump, qui a tendance à mélanger les intérêts de son empire immobilier, en Russie notamment, avec ceux de l’État américain. Depuis quelques semaines, la presse américaine évoque de plus en plus l’éventualité d’une destitution du président Trump, cinq mois après son investiture. Le 16 juin, Trump a lui-même reconnu faire l’objet de l’enquête. Cette procédure peut-elle aller à son terme, c’est-à-dire jusqu’à sa destitution (impeachment) ? C’est une procédure longue. Par le passé, plusieurs procédures similaires ont été engagées ; aucune n’a abouti. Cependant Nixon, visé par cette procédure, dut démissionner en 1974, faute d’appuis suffisants au Congrès. Lors de la fête de Lutte ouvrière, le 4 juin, les militants du groupe trotskyste américain The Spark ont évoqué cette hypothèse, du point de vue des travailleurs : ont-ils quelque chose à en attendre ? Nous traduisons ci-dessous des extraits de leur intervention sur le sujet.

La victoire de Trump à l’élection présidentielle de 2016 avait été un choc. En outre, les républicains ont gardé leur majorité au Congrès, à la Chambre des représentants et au Sénat. De nombreux travailleurs, en particulier les Noirs et une partie des immigrés, redoutaient une série d’attaques et la mise en œuvre d’une politique d’extrême droite. La petite bourgeoisie de gauche craignait aussi­ le pire. En même temps, de nombreux travailleurs ayant voté pour Trump, principalement des travailleurs blancs, espéraient qu’il crée de nombreux emplois. Et lors de son investiture Trump a cherché à s’adresser à sa base, en adoptant des « ordres exécutifs »  pour laisser penser qu’il réalisait beaucoup, en prétendant qu’ils étaient un acompte sur des changements d’ampleur.

Aujourd’hui, cinq mois plus tard, aucune loi importante n’a été adoptée. Les ordres exécutifs de Trump ne signifient pas grand-chose, car il n’a rien fait pour les mettre en application. Et, malgré le fait que le Parti républicain a la majorité, il semble incapable de fonctionner, et encore moins de contrôler son propre président. Il est désormais possible que Trump soit destitué.

Du fait de Trump lui-même. Il prétendait qu’il pourrait tout changer dans la politique américaine, du système de santé à l’immigration, simplement parce qu’il était président. Il pensait qu’il pourrait changer la politique américaine envers la Russie, pour son propre bénéfice. Il a ainsi marché sur les pieds de différents secteurs de la bourgeoisie, et il s’est fait de nombreux ennemis dans de grandes parties de l’appareil d’État, dont le Pentagone, la CIA, le FBI, etc. Résultat : même la Cour suprême, dominée par les républicains, a statué contre lui.

Et Trump n’a cessé d’attiser les braises, en parlant et en twittant sans arrêt, en insultant différentes institutions et des hauts responsables, tout en avouant ouvertement plusieurs actions qui pourraient être poursuivies comme des crimes, y compris la corruption et l’obstruction à la justice. Depuis les premières semaines de sa présidence, les médias ont diffusé des informations qui ne pouvaient provenir que de la Maison-Blanche, c’est-à-dire des associés les plus proches de Trump, qui cherchaient manifestement à protéger leurs propres carrières et à éviter des poursuites. Et il n’est pas parvenu à trouver suffisamment de personnes pour pourvoir tous les postes de son administration.

Enfin, il a limogé le directeur du FBI et, peu de temps après, il s’est avéré qu’il s’était vanté auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’ambassadeur russes que ce limogeage lui avait permis d’arrêter l’enquête sur les liens de son administration avec les Russes. C’est alors que le ministère de la Justice de Trump a nommé un procureur spécial, Robert Mueller, ancien directeur du FBI sous des gouvernements républicains et démocrates.

Tout ce que Trump avait à faire, quand il est devenu président, était de se taire et de signer les lois que lui présentait le Congrès contrôlé par les républicains, y compris des changements à l’Obamacare, pour le rendre plus rentable, et des baisses d’impôts pour les entreprises. Au lieu de cela, ses bouffonneries ont paralysé le gouvernement. Et Trump, du géant mythique et redouté qu’il était, est devenu la cible constante des plaisanteries, et un filon pour les grandes entreprises possédant des chaînes de télé avec des émissions humoristiques populaires. Bien sûr, Trump garde une base dans le Parti républicain, qui est composé de certaines des fractions les plus réactionnaires de la population. Et une partie des Blancs de la classe ouvrière qui l’ont soutenu pensent toujours qu’il est attaqué parce qu’il veut bousculer l’establishment.

Le gouvernement des États-Unis est organisé de façon à assurer sa stabilité, sans changement en cours du mandat. Lors des élections qui ont lieu tous les deux ans, seule une partie du Congrès est renouvelée. Les mandats sont décalés. Le système est stable. Changer de président n’est donc pas une idée que la bourgeoisie et ses représentants politiques adoptent à la légère. Mais, avec la nomination d’un procureur spécial, ils ont fait un premier pas dans ce sens. Au minimum, c’est un moyen de suspendre une épée de Damoclès sur la tête de Trump. Mais cela signifie aussi qu’il pourrait non seulement être révoqué, mais aussi poursuivi en justice pour crime.

Où cela mène, nous ne pouvons le dire. Parce que personne ne sait ce que Trump va faire. Mais le fait que l’administration ait pris cette initiative signifie qu’une partie importante de la bourgeoisie y est prête. Cela dit, si Trump est destitué, cela ne signifiera nullement une amélioration pour les travailleurs. Le vice-président, Mike Pence, qui succéderait à Trump dans ce cas, est un fondamentaliste, un créationniste qui nie l’évolution des espèces. Peut-être n’est-il pas aussi stupide et mégalomane que ­Trump, mais il est au moins aussi réactionnaire. Il fait appel aux pires préjugés afin de justifier des attaques, à commencer par le droit à l’avortement qu’il veut remettre en cause.

Mais le problème, pour les travailleurs, n’est pas de savoir si Trump va être destitué. Trump, aussi arrogant et vaniteux soit-il, n’est pas seul. Le problème est de se débarrasser de Trump et de toute sa classe, la classe capitaliste qui dirige le pays, de balayer les scories qu’ils sont. Aucune enquête du Congrès ne fera cela, aucun procureur spécial.