Michelin-Cholet : retour sur une lutte contre les licenciements

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juillet-août 2025

Cet article est adapté de l’exposition présentée lors de la fête de Lutte ouvrière des 7-9 juin 2025 à Presles et de l’exposé introductif au forum d’entreprise du dimanche 8 juin.

Le 5 novembre 2024, la direction de Michelin annonçait sa décision de fermer courant 2025 les usines de Cholet et Vannes (respectivement 955 et 300 licenciements). Le 6 mars 2025, tous les syndicats sauf la CGT signaient un mal nommé Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) n’offrant aucune garantie aux futurs licenciés quant à leur avenir. Entre ces deux dates, des centaines de travailleurs se sont battus contre les licenciements et, à Cholet, la fraction la plus déterminée a constitué un comité de lutte. Nous revenons ici sur les temps forts de ce combat et sur ses enseignements.

Michelin, exploiteur « bleu blanc rouge » et multinational

Le groupe Michelin, fondé en 1889, se veut à la pointe des entreprises sur la « responsabilité sociale et environnementale » . Il a surtout une longue expérience de l’exploitation sans frein des travailleurs et de la nature, en France et à travers le monde. La fortune de la famille Michelin s’est édifiée sous l’aile de l’État français : ses commandes pendant la guerre de 1914 (masques à gaz, obus, avions…) firent exploser ses profits. La croissance de l’entreprise fut également inséparable de l’expansion coloniale, puisqu’une bonne part du caoutchouc provenait de plantations d’hévéas exploitées en Indochine directement par Michelin1. Pour protéger leurs millions, les Michelin furent dans les années 1930 les principaux financeurs de la Cagoule, organisation fascisante violemment antiouvrière2.

Aujourd’hui, les activités de Michelin sont plus globales que jamais : le trust compte plus de 60 usines sur trois continents, employant 130 000 salariés dont 19 000 en France. La famille Michelin reste un actionnaire central et la soixante-septième fortune du pays au classement du magazine Challenges. Sur un marché mondial très concurrentiel, Michelin a décidé au cours de la dernière décennie de produire moins et de vendre plus cher, d’où des fermetures d’usine en série : Ballymena en Irlande du Nord et Dundee en Ecosse (deux fois 900 emplois, en 2018 et 2020), puis de 2023 à 2025, Karl­sruhe et Trèves en Allemagne (1 500 emplois) et Ardmore aux États-Unis (1 400 emplois).

En France, cela fait vingt ans que la saignée a commencé, avec la fermeture des usines de Poitiers en 2005 (suppression de 400 postes) et de Toul en 2009 (800 emplois), 700 licenciements à Joué-lès-Tours en 2013, et la fermeture de l’usine de la Roche-sur-Yon en 2020 (600 licenciements). Grâce à cette saignée, les actionnaires se sont habitués à des bénéfices net d’environ 2 milliards d’euros chaque année, dont la moitié empochés sous forme de dividendes. Reconnaissants, ils verseront en 2025 au PDG, Florent Menegaux, un salaire fixe de plus d’un million d’euros et autant en variable.

Après le choc de l’annonce, la riposte se cherche

Le 3 novembre dernier, les travailleurs de Cholet ont appris à la télévision, par la bouche du secrétaire du PCF Fabien Roussel, que leur usine, ouverte comme celle de Vannes en 1970 et spécialisée dans la fabrication de pneus de camionnettes (ateliers O) et de gomme (atelier Z), allait fermer. Sur ce site, où les deux tiers des 955 salariés étaient employés à la production et en équipes, les rumeurs allaient bon train depuis longtemps. Mais ce fut un coup de massue, tant pour les plus jeunes des embauchés, perturbés dans leurs projets familiaux, que pour les plus âgés, usés par des décennies d’horaires décalés. Le coup frappait aussi une cinquantaine d’intérimaires et autant de sous-traitants. Dans cette ville industrielle de 55 000 habitants, sous-préfecture du Maine-et-Loire, c’est toute la population qui était sonnée.

Le 5 novembre, dès l’annonce confirmée par la direction de Cholet, une assemblée générale (AG) de 350 travailleurs votait la grève. Car le « plan d’accompagnement », avec ses 35 000 euros brut d’indemnité supralégale de licenciement pour chaque travailleur, équivalait à un crachat au visage. Bien qu’en absence indemnisée jusqu’au lundi suivant, les travailleurs affirmaient par ce vote leur volonté de ne pas se laisser faire.

Le 5 novembre, la première action fut le blocage d’un carrefour puis de l’entrée de l’usine. C’est là, entre les tentes montées par les syndicats et un barnum prêté, en bon démagogue, par le maire d’extrême droite Gilles Bourdouleix, que se sont dès lors retrouvés les travailleurs en lutte, autour d’un feu de pneus constamment entretenu. Le 8, une manifestation de 600 personnes, dont 300 salariés de Michelin-Cholet, défila dans la zone industrielle. Le richissime ministre de l’Industrie Marc Ferracci, conspué, dut la quitter plus tôt que prévu, et le député macroniste de la circonscription, Denis Masséglia, ne s’attarda pas non plus.

La direction espérait que tout rentrerait vite dans l’ordre, mais des dizaines de travailleurs refusèrent de reprendre le travail. Au piquet de lutte se regroupèrent chaque jour et même chaque nuit tous ceux qui voulaient empêcher les camions de rentrer et sortir. La colère était grande, notamment chez les travailleurs ayant accepté une mutation à Cholet après une, voire deux ou trois fermetures d’usines au sein du groupe.

Dès le 5, des militants de Lutte ouvrière (LO) présents dans l’usine, ou y ayant travaillé et représentant LO à Cholet, ont défendu l’idée d’un comité élu par les travailleurs en lutte, syndiqués ou non, en vue de coordonner le combat. Depuis l’ouverture de l’usine Michelin de Cholet en 1970, le groupe Lutte ouvrière y publie un bulletin d’entreprise toutes les deux semaines. Du fait de cette longévité et du rôle ancien de ses militants dans la construction et l’animation de la CGT (malgré leur exclusion par les staliniens du PCF entre 1974 et 1998), ce groupe avait l’oreille de certains travailleurs et militants. Mais la proposition a d’abord fait chou blanc, la plupart des ouvriers mobilisés s’attendant à ce que les syndicats prennent en charge la riposte.

En fait, les travailleurs ont vite réalisé que l’intersyndicale CGT-CFDT-SUD ne tenait pas à s’appuyer sur eux : le 6 novembre, SUD convoquait une AG non au piquet mais à l’intérieur de l’usine, c’est-à-dire sous les yeux de la direction et de l’encadrement, afin de tuer le mouvement dans l’œuf. Une autre prétendue AG, le 13, vota le déblocage de l’entrée de l’usine, en vain. Car ce vote ne reflétait pas la volonté des quelque 150 travailleurs – sur 600 ouvriers de production – qui se relayaient au piquet pour entraver la production et tenter de faire monter la pression sur Michelin.

Le comité de lutte, outil indispensable

La première élection d’un comité de lutte par une assemblée générale eut lieu le 18 novembre, 13 jours après l’annonce du PSE. En deux semaines, les besoins du mouvement avaient rendu cet outil incontournable aux yeux d’une centaine de travailleurs. Jusqu’alors, les initiatives n’avaient pas manqué, mais elles étaient souvent prises en désordre et il devenait manifeste qu’il manquait à la minorité en lutte une instance responsable devant elle pour coordonner l’action.

De plus, les travailleurs avaient pu constater, jour après jour, l’absence des responsables syndicaux au piquet, occupés en réunions avec la direction. Certes, un premier tract intersyndical avait déclaré : « Pas question de se laisser jeter dehors comme des chiens ! […] Pour riposter et défendre notre peau, il faudra que nous soyons nombreux, organisés, soudés. » Mais ces paroles restaient lettre morte. Ce refus des syndicats d’encourager les travailleurs à la lutte se confirma fin décembre, quand commencèrent les premières négociations sur le PSE au siège de Michelin : les seules occasions où les syndicats de Cholet réunirent les travailleurs furent des « grands-messes » lors desquelles, pour justifier leurs propres reculades, ils prétendaient que Michelin faisait des petits pas.

Le comité de lutte, au départ gros d’une dizaine de travailleurs, atteignit vite la vingtaine de membres. Élu par des assemblées dont les effectifs varièrent de quelques dizaines à plus de cent, il fut rapidement aussi décrié par la direction, l’encadrement et les bureaucrates syndicaux que respecté par les travailleurs du piquet. Et pour cause : il était leur émanation et le comité, se réunissant à proximité du piquet, était ouvert à tous ceux qui avaient des actions à proposer, des problèmes à discuter.

Alors que la direction cherchait à creuser un fossé entre la minorité animatrice du piquet et la majorité présente dans les ateliers, le comité s’adressait à tous. À travers des tracts au moins hebdomadaires et rédigés collectivement, le noyau des plus motivés n’eut de cesse de proposer des actions susceptibles de rallier l’ensemble des travailleurs, qui se sentaient tous « dans la même galère ». Lorsque la direction fit le forcing pour faire passer un camion, l’opposition à cette opération ne vint pas seulement des 80 animateurs du piquet, mais aussi de 50 travailleurs des ateliers qui firent barrage avec eux.

Un combat à organiser et à populariser

Le 19 novembre, lors d’une nouvelle tentative de faire passer un camion, la direction fit constater le blocage des entrées par une huissière. Sept travailleurs, syndiqués et non syndiqués, délégués et travailleurs du rang, furent assignés au tribunal d’Angers. Pour les soutenir et dire non à l’intimidation, 70 travailleurs se déplacèrent le 22 novembre, arborant les badges et les drapeaux « comité de lutte » fabriqués entre-temps.

Les sept assignés profitèrent de leur mise en accusation pour soumettre à la direction, via un médiateur nommé par le juge, les revendications de l’AG. Au nom du comité, ils s’engagèrent à lever le blocage à plusieurs conditions : levée des menaces de sanction, négociations non à huis clos mais en public, non à Clermont-Ferrand (où se situe le siège de Michelin, à 460 kilomètres de Cholet), mais à Nantes, entre Cholet et Vannes, en présence de membres du comité. La direction ne céda que sur les sanctions, mais ce recul fut ressenti comme une victoire, et comme le signe que le comité devenait incontournable.

Au-delà de l’autodéfense et des efforts pour rallier un maximum de salariés de l’usine, les travailleurs unis autour du comité ont aussi cherché à faire connaître leur combat en dehors du site, conscients que face à Michelin, ils avaient besoin de renforts. Ainsi, dès le 25 novembre, ils ont distribué un tract sur le marché expliquant que leur combat était celui de tous les travailleurs, et cette action les conforta dans l’idée que la population ouvrière était de leur côté.

Dans le même esprit, lors d’une manifestation appelée le 12 décembre à Cholet par la CGT, le comité, avec sa banderole jaune fluo et ses slogans combatifs, défendit la perspective d’une lutte commune à tous les salariés du groupe. Le 22 janvier, le comité prit la tête d’une manifestation en centre-ville, en vue de convaincre la population, choquée par la fermeture, de ne pas rester spectatrice. Tel fut aussi le sens des distributions de tracts aux commerces et aux péages, toujours bien accueillies. L’envie que la lutte ne reste pas confinée au parking de l’usine déboucha également, le 30 janvier, sur une visite au piquet de l’usine de Vannes qui redonna le moral aux uns et aux autres.

Le comité : une direction alternative et au rôle moteur

Avec le recul, il faut bien constater que la protestation dans l’usine n’a jamais fait boule de neige, hormis lors de l’exercice massif d’un droit de retrait fin février, à l’occasion de l’avant-dernière rencontre syndicats-direction : les assemblées ont alors atteint 200 participants. Mais si la lutte avait grossi, duré ou pris une tournure explosive, l’existence même du comité aurait offert au mouvement une direction alternative à celle, démoralisante, de l’intersyndicale.

Syndiqués ou non, des travailleurs ont appris, à travers l’outil du comité, à s’organiser démocratiquement, à discuter entre eux des initiatives à prendre et à assurer ensemble leur exécution. Le comité fit par exemple voter le 6 décembre, par une assemblée générale de plus de cent travailleurs, l’objectif d’une indemnité supralégale de 120 000 euros et d’une prime de 2 500 euros par année d’ancienneté, alors que les syndicats se refusaient à avancer des chiffres. Leur prétexte : il ne fallait pas heurter la direction en présentant des demandes irraisonnables. L’intersyndicale n’osa chiffrer ses revendications que début janvier lors d’une rencontre avec la direction à Chambray-lès-Tours, sous la pression d’une délégation de 30 travailleurs de Cholet, et elle passa vite de 70 000 à 50 000 euros, sans même consulter les salariés de Cholet et Vannes.

Le 22 janvier dans l’après-midi, quand on apprit que Michelin n’acceptait d’augmenter l’indemnité de licenciement qu’à 40 000 euros, ce fut aussi grâce à des membres du comité et à leur tournée spontanée à travers les ateliers que l’usine se retrouva paralysée pendant plusieurs jours. Des délégués syndicaux leur reprochèrent leur précipitation, mais la réussite de cette action improvisée prouvait que le comité était en prise avec les sentiments du plus grand nombre.

Politique patronale et complicités syndicales

Pour imposer les licenciements, Michelin reçut l’appui de l’État, sous des formes multiples : cordons de CRS devant le siège du groupe, assignations de travailleurs au tribunal, rejet d’un droit de retrait par l’inspection du travail, etc. Le soutien étatique s’est aussi traduit dans les discours des ministres qui ont repris à la lettre les paroles prononcées par le PDG devant le Sénat quant à la nécessité de licencier pour faire face à la concurrence étrangère. Et les parlementaires, après quelques déclarations prudemment critiques, n’ont évidemment pas envisagé un instant l’interdiction des licenciements. Ils n’ont même pas exigé le remboursement des dizaines de millions d’euros d’aides publiques versées au fil des ans à Michelin.

Michelin a aussi reçu le soutien, plus indirect mais non moins réel, des directions syndicales : attachées à leur rôle de partenaire social, prétendant que le salut passait par leurs « négociations » au siège du groupe, elles ont tout fait pour désamorcer la riposte ouvrière. Adeptes de la « co-construction », CGC, CFDT et SUD craignaient toute mobilisation qui aurait perturbé leur position d’avocats autoproclamés des salariés.

Quant à la CGT, malgré le radicalisme verbal de sa fédération de la chimie (la FNIC) et, en son sein, de la coordination Michelin, elle se méfiait elle aussi de l’intervention des travailleurs. La FNIC se veut plus « lutte de classe » que la confédération, et elle tolère voire fait siennes des prises de position radicales, du moment que c’est à froid. Le délégué syndical central du groupe Michelin, Romain Baciak, lança dès le 5 novembre un appel à la grève dans toutes les usines Michelin de France, avec d’autant moins de risques d’être suivi que la CGT avait perdu de l’influence, et surtout que l’ambiance n’y était pas.

La FNIC prit certes l’initiative d’une manifestation le 13 novembre devant le siège de Michelin à Clermont-Ferrand. Mais les 130 salariés de Cholet et les 70 de Vannes qui firent le déplacement furent vite invités à repartir. Cela en laissa plus d’un sur sa faim et ne fut pas pour rien dans l’élection du comité quelques jours plus tard.

Aux yeux de la FNIC, se battre pour ce qu’elle appelait « le chèque » était une trahison : aux travailleurs qui revendiquaient une hausse des indemnités de licenciement, elle expliquait sans y croire elle-même que les emplois pouvaient être sauvés par la grâce d’un repreneur. Elle prônait aussi un retour en France de l’activité pneu camionnettes, quitte à priver d’emploi les ouvriers italiens, polonais ou thaïlandais – comme si la direction de Michelin avait besoin de conseils pour gérer ses affaires ! C’était mener les travailleurs dans une impasse, car remettre leur sort dans les mains d’on ne sait quel sauveur capitaliste, aurait été les désarmer. C’était aussi semer de dangereuses illusions nationalistes, en faisant croire aux salariés que leur avenir dépendrait de la « réindustrialisation » de la France, étendard qui est celui de l’ensemble du personnel politique de la bourgeoisie.

Les bureaucrates contre les travailleurs en lutte

Pour les ouvriers de Cholet, évidemment opposés à cette fermeture qui les privait d’emploi, il paraissait absurde – puisqu’empêcher la fermeture semblait hors de portée – de ne pas se battre pour « vendre leur peau le plus cher possible ». Ils se battaient pour leurs propres objectifs, sans attendre de directives, et c’est fondamentalement ce qui dérangeait les bureaucrates. La rupture entre les travailleurs en lutte et la FNIC fut consommée après la manifestation du 12 décembre à Cholet, lors de laquelle le mépris de dirigeants de l’appareil creva les yeux.

Même au niveau local, le syndicat CGT, pourtant démocratique et combatif, était en décalage par rapport à la mobilisation, et certains de ses militants, sous pression de la FNIC, se tinrent à distance du piquet et du comité. À l’exception d’un tract cosigné avec le comité fin novembre, la CGT ne s’adressa guère aux travailleurs, si ce n’est, une fois le PSE signé, pour inciter les futurs licenciés à choisir un même avocat pour contester leur licenciement devant les Prud’hommes…

Au niveau national, aucun syndicat n’accepta d’inviter des membres du comité aux négociations qui s’échelonnèrent du 17 décembre au 6 mars. Aucun n’en référa aux travailleurs en lutte pour définir les revendications, tant l’organisation des salariés par eux-mêmes leur donnait de l’urticaire. Le PSE fut finalement signé par 25 syndicalistes dont la plupart ne travaillaient ni à Cholet ni à Vannes, et dont une forte proportion appartenait à la CGC, même pas représentée dans les deux sites. C’est donc en faisant l’expérience directe de l’hostilité des directions syndicales envers leurs initiatives qu’une partie des travailleurs de l’usine, dont bien des syndiqués, comprirent qu’ils ne pourraient compter que sur eux-mêmes, et qu’il leur fallait forger leur propre direction.

Qu’a-t-il manqué pour gagner ?

Au terme d’une lutte de quatre mois, Michelin a lâché à peine plus que lors de la fermeture de l’usine de la Roche-sur-Yon cinq ans plus tôt : 40 000 euros de prime supralégale, 1 250 euros par année d’ancienneté. Le comité avait toujours expliqué que le calendrier des négociations était celui du patron, et que tant qu’il y avait des travailleurs en lutte, le combat pouvait continuer. Mais le déroulé des négociations, leur encadrement par la loi et leur légitimation par les organisations syndicales ont agi comme un rouleau compresseur. Pour beaucoup, la fin des négociations signifiait aussi la fin de la lutte, au point que la non-signature du PSE par la CGT du groupe se fit contre l’avis du syndicat local : le chantage au retour à la première proposition de Michelin en l’absence de signature, brandi aussi bien par la direction que par l’intersyndicale, a fonctionné.

Cependant, même dans un climat marqué par une combativité limitée, le comité fut un instrument utile, et pas seulement parce qu’il comblait le vide laissé par la défaillance volontaire des syndicats. Même si à Cholet telle ou telle équipe syndicale avait été indéfectiblement fidèle aux intérêts des travailleurs, l’organisation en comité aurait été vitale, car elle seule permettait d’associer toutes les bonnes volontés, au-delà des rangs des syndiqués.

Le comité a aussi offert un cadre pour réfléchir ensemble au bilan de cette mobilisation, dont tous sont fiers malgré l’échec à empêcher la fermeture. Les discussions ont permis de se forger une analyse commune du pourquoi de la défaite. Un constat s’est imposé : les combats menés contre des fermetures d’usine ces dernières décennies n’ont jamais gagné car menés dos au mur et trop isolés. En ce sens, la défaite à Cholet confirme la nécessité d’une extension des luttes. La minorité qui s’est mobilisée à Michelin-Cholet est bien consciente qu’elle n’a pas eu la force de frappe suffisante pour que soient organisées des visites en masse à d’autres usines de la localité ou du groupe, étapes obligées en vue d’une propagation du mouvement.

L’annonce concernant Cholet et Vannes est tombée à un moment où les vagues de licenciements se multipliaient et cela aurait pu constituer un atout pour généraliser ce combat local. Mais il aurait fallu pour cela qu’il soit plus fort au sein de l’usine voire du groupe.

Pour rompre l’isolement, le comité a envisagé un temps de proposer une manifestation commune à tous les futurs licenciés du pays, sans que cela dépasse le stade du projet. Certes, une addition de luttes défensives n’aurait pas suffi à produire une offensive d’ensemble. Mais ni les travailleurs d’Auchan ni ceux de Valeo, par exemple, n’avaient engagé le combat. Surtout, en particulier à partir de la fin novembre, de la levée du blocage et du retour à la production même des plus motivés, la lutte à Cholet a marqué le pas : la moindre action, menée en dehors du temps de travail puisqu’il n’y avait pas grève, absorbait toute l’énergie.

Malgré ses limites, une expérience précieuse

Malgré la défaite, les travailleurs qui ont animé le comité sont fiers du chemin parcouru. Se structurer en comité leur a permis de garder le moral jusqu’au bout, de tisser des liens forts, de confiance et de solidarité : c’est ainsi qu’ils ont gardé la tête haute, et c’est déjà beaucoup. Ils ont prouvé aux travailleurs qui suivaient leur mouvement avec sympathie qu’il était possible de résister, même si cette résistance n’a pas fait tache d’huile. Surtout, au fil des événements, ils ont appris à identifier vrais ennemis et faux amis. Ils ont compris ensemble pourquoi Michelin n’a pas cédé : cela aurait été un encouragement à la lutte dans les usines où sont prévues de nouvelles saignées, et le patronat en général, dans un contexte d’instabilité économique grandissante, voulait à tout prix éviter un précédent démontrant que la lutte paye.

Ces travailleurs peuvent être fiers, aussi, de ne pas être tombés dans le panneau de la propagande xénophobe du patronat et des médias, celle qui voudrait qu’ils s’identifient à la guerre de Michelin contre ses concurrents. Dès le départ, les ouvriers en lutte à Cholet ont rejeté les discours du PDG sur la concurrence chinoise qui obligerait à licencier, rétorquant qu’en prenant sur les dividendes des actionnaires, on pouvait maintenir emplois et salaires. Dans la grève qui oppose depuis le 30 mai 2025 au Sri Lanka 1 500 ouvriers à la direction de Michelin, ils savent quel est leur camp social.

Tel est aujourd’hui leur bagage commun, et cette expérience ne sera pas sans lendemain. Qu’ils retrouvent un emploi à Cholet ou ailleurs, ceux qui ont fait vivre le comité ont bien des leçons à transmettre à leurs collègues et leurs proches. Dans l’attente de tourner la page Michelin, ils restent soudés, comme ils l’ont redit le 16 mai lors d’un « barbecue de la colère » et comme ils le rediront à chaque occasion possible, jusqu’à la fermeture de l’usine et après.

Au-delà des licenciements, c’est contre la guerre et l’embrigadement que les travailleurs auront à se dresser demain. De ce point de vue, toute expérience les aidant à prendre conscience de leurs capacités collectives – même à petite échelle comme à Michelin-Cholet – constitue un gage pour l’avenir.

Au quotidien, dans les entreprises comme dans toute la société, les travailleurs sont censés obéir, à leur hiérarchie comme aux autorités. Cet étau ne se desserre que lorsqu’ils décident de se battre collectivement. Mais pour que ces combats aillent le plus loin possible, il faut qu’ils soient contrôlés de bout en bout par les travailleurs eux-mêmes.

C’est le rôle des militants communistes révolutionnaires que de proposer une telle politique, de proposer cette organisation en comité de lutte voire de grève, comme le font les travailleurs de l’usine Stellantis de Poissy en ce moment. Pour être un jour en mesure de diriger la société, les travailleurs ont d’abord à apprendre à diriger leurs propres luttes.

13 juin 2025

 

1 Éric Panthou et Tran Tu Binh, Les Plantations Michelin au Viêt-Nam, 2013, La Galipote.

2 Éric Panthou, « De l’opposition aux grèves au financement de la Cagoule : Michelin et le groupe d’autodéfense à Clermont-Ferrand, 1936-1937 ». Quaderni del Circolo Rosselli (QCR), 2017, 2-3, pp.204-226.