L’extrême gauche au miroir de l’élection présidentielle

Print
mai-juin 2022

La division des organisations issues du mouvement trotskyste est un fait ancien, produit des choix politiques et organisationnels opérés par certaines il y a plusieurs décennies. Certaines de ces organisations, dont nous sommes, ont pour politique de se présenter systématiquement aux élections, là où elles en ont la possibilité, en fonction de leurs forces. D’autres ne le font pas, ou le font sporadiquement. Les élections sont une tribune pour les révolutionnaires. Leurs campagnes sont aussi de nature à mettre en lumière leurs orientations politiques qui restent bien souvent dans l’ombre.

Durant toute la campagne, Nathalie Arthaud a dû répondre un nombre incalculable de fois à des questions relatives à la présence de deux, voire de trois candidats trotskystes. Outre Philippe Poutou pour le NPA, Anasse Kazib, au nom du groupe Révolution permanente, s’était en effet lancé cette année dans la recherche des cinq cents parrainages d’élus nécessaires pour avoir le simple droit d’être présent à l’élection présidentielle. Plusieurs organisations militant pour renverser l’ordre social et politique actuel existent, et osent déranger le train-train des politiciens bourgeois : de quoi, semble-t-il, incommoder les journalistes ! Pour notre part, nous avons toujours considéré que les différentes tendances du mouvement révolutionnaire devaient se saisir des élections pour affirmer leur politique devant le plus grand nombre de travailleurs.

Au vu de ce que représentent aujourd’hui dans les urnes Lutte ouvrière et le NPA, et même en additionnant nos faibles scores respectifs, qui étaient prévisibles, rien ne pouvait justifier que l’une ou l’autre de nos organisations renonce à défendre sa politique à la présidentielle. Malgré l’accès, même limité, aux différents médias, ce type de campagne offre la possibilité pour les révolutionnaires d’expliquer et de populariser leurs idées. Mais elle est aussi un révélateur de ce qui rapproche mais surtout de ce qui distingue de plus en plus nos orientations respectives.

POI, POID : quand les gènes du lambertisme parlent encore

Le mouvement lambertiste, du nom du pseudonyme de Pierre Boussel, fondateur et principal dirigeant de l’Organisation communiste internationaliste (OCI) dont sont issus successivement le MPPT, le PT, et le POI, qui furent dans les années 1960 et 1970 parmi les plus importants numériquement à l’extrême gauche, s’est scindé en 2015. Il a donné naissance en France au Parti ouvrier indépendant (POI) d’un côté, autour du journal Informations Ouvrières, et au Parti ouvrier indépendant et démocratique (POID) de l’autre, qui publie la Tribune des Travailleurs. Les deux se réclament de l’héritage politique de Pierre Boussel et l’expriment à leur façon aujourd’hui, bien que n’ayant pas été présents en tant que tels à la présidentielle. Le courant dont ces organisations sont issues n’avait présenté un candidat par le passé qu’à trois reprises. Et ce, après avoir cessé au milieu des années 1980 de se réclamer du trotskysme, au profit de la création d’un parti se voulant plus ouvert et plus large. Le Mouvement pour un parti des travailleurs (MPPT), devenu Parti des travailleurs (PT), se bornait à se réclamer dans ses principes fondateurs de la « reconnaissance de la lutte des classes », de l’indépendance réciproque entre partis et syndicats, de la laïcité et… du combat contre les institutions de la Ve République. Les militants s’affirmant encore trotskystes ne constituaient plus qu’une tendance en son sein.

En 1988, Pierre Boussel, puis Daniel Gluckstein en 2002, se présentèrent au nom du MPPT. Et en 2007, Gérard Schivardi, lié au PT, fut candidat au nom d’un Comité national pour la reconquête des services publics. Ils obtinrent respectivement 0,38 %, 0,47 %, et 0,34 % des suffrages.

Cette année, le POI a renouvelé son choix de 2017 de soutenir la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Lors de son congrès de décembre 2021, il a justifié ce ralliement par le fait que dans toutes les luttes qui se sont déroulées durant le quinquennat de Macron, « LFI, le Parti de gauche et Jean-Luc Mélenchon se sont retrouvés à nos côtés. À chaque fois, pendant ces cinq années, ils étaient là, ensemble, avec nous. » Curieuse façon d’inverser les rôles et de masquer qu’eux-mêmes s’étaient rangés, sans exprimer la moindre critique, derrière Mélenchon, ses députés, sa candidature et sa proposition d’une Assemblée constituante censée offrir une issue politique décisive. La référence à la révolution française forme il est vrai le fonds de commerce des lambertistes depuis toujours. Une autre antienne de ce courant est l’invocation de « l’unité des travailleurs et de leurs organisations » qui a servi de paravent à son opportunisme pour soutenir des candidats de gauche aux élections, et avant tout ceux du Parti socialiste, et tenter de faire taire ceux qui refusaient cette politique. Ce fut singulièrement le cas pour les candidatures de Mitterrand en 1974, puis de nouveau en 1981 : l’OCI appela à voter pour lui dès le premier tour, tout en calomniant sans retenue Arlette Laguiller et Alain Krivine qui, en se portant candidats, faisaient selon elle le jeu de la droite, et étaient même « propulsés par la bourgeoisie » ! Les lambertistes, jamais à court de références historiques, et surtout de slogans « prêts à l’emploi » empruntés au passé et plaqués sur des réalités tout à fait différentes, prétendirent alors que l’élection de Mitterrand ouvrait la voie à un « gouvernement ouvrier et paysan » avant d’appeler à en « chasser les ministres bourgeois », reprenant une expression tirée d’un mot d’ordre des bolcheviks durant la révolution russe de 1917, mais désignant des décennies plus tard… les seuls ministres du Parti radical de gauche.

L’argument de l’unité a été repris durant la campagne 2022 avec la même vigueur par le POI contre tous ceux qui refusent de se mettre au garde-à-vous et de marcher au pas derrière la candidature de Mélenchon. Le POI, dans la période récente, a fait preuve du même suivisme : derrière, puis dans, le mouvement des gilets jaunes, et en reprenant le prêchi-prêcha des réformistes à propos des « acquis de 1936 et de 1945 » dont il se pose en défenseur. Le POI est de facto devenu un appendice de la France insoumise, de son souverainisme et des illusions réformistes dont cette organisation est porteuse.

Quant au POID, qui s’est quelque peu démarqué du POI en dénonçant « toute forme d’union sacrée » et en se réclamant de l’internationalisme ouvrier face à la situation de guerre en Ukraine, il reprend au fond les thèmes hérités de ses gènes lambertistes. Il demeure à la recherche d’une gauche à laquelle il pourrait se rallier, déplorant encore que les partis qui « historiquement trouvent leur origine dans le mouvement ouvrier » se rangent derrière un Macron sur le plan de la politique étrangère et n’offrent pas de véritable rupture avec le capitalisme ou avec les institutions de la Ve République.

Dans l’élection présidentielle, au nom de cette même « unité des travailleurs pour chasser Macron et sa politique » et de la nécessité d’un « gouvernement ouvrier », le POID en a été réduit à regretter qu’il n’y ait pas eu de candidature unique à gauche. Dans son communiqué du 26 mars 2022, où il donnait sa position sur le premier tour, son bureau national écrivait : « Ils auraient dû s’entendre, choisir un candidat unique dans un bloc pour la défense des intérêts de la classe ouvrière et de la population laborieuse. Au lieu de cela, ils ont choisi la division et la dispersion. » Comme si les dirigeants et les partis de la gauche pouvaient être sincèrement préoccupés d’une telle « défense des intérêts de la classe ouvrière » !

Tout en disant vouloir préparer « les conditions de la lutte de classe qui surgira », le POID a donc appelé les travailleurs à ne pas se « diviser » et à voter indifféremment pour les « partis issus historiquement du mouvement ouvrier », à l’exclusion d’EELV car sans lien avec celui-ci. Cette ligne de partage se prétend fondée sur un terrain de classe. Mais elle regroupe tous les partis qui, bien qu’issus du mouvement ouvrier dans un lointain passé, ont, depuis, renié toute idée de renverser le capitalisme et ont fait la preuve à de nombreuses reprises de leur servilité à l’égard de la bourgeoisie et de ses intérêts. Laissons donc ces camarades à leur quête du mouton à cinq pattes.

La précampagne de Révolution permanente

Jusqu’à l’été 2021, le NPA semblait encore hésiter pour savoir s’il allait se lancer dans la présidentielle. Ces tergiversations initiales ne sont peut-être pas étrangères au fait que le groupe Révolution permanente (RP), qui militait au sein du NPA, décida le premier de présenter la candidature d’Anasse Kazib. Ses militants sont liés au Courant communiste révolutionnaire, qui est lui-même une scission du mouvement moreniste, l’un des courants se réclamant du trotskysme en Amérique latine, et singulièrement en Argentine.

Bien qu’Anasse Kazib n’ait finalement pas réussi à rassembler le nombre de parrainages nécessaires, sa précampagne n’en est pas moins représentative de l’orientation que ce groupe entend donner à sa sortie du NPA. Anasse Kazib, cheminot et syndicaliste à Sud Rail, prétendait incarner, plus que tout autre, la voix des exploités, présentant sa candidature comme plus subversive par nature car « issue des quartiers populaires » et portée par « un ouvrier issu de l’immigration post-coloniale ». Il n’a eu par ailleurs de cesse de se poser en victime du barrage médiatique et politique, affirmant que son faible accès aux médias (bien qu’il ait été durant deux ans un participant de l’émission Les grandes gueules sur RMC) était dû au seul fait qu’il était issu de l’immigration. Et il alla jusqu’à dire publiquement : « Ce n’est pas la même chose d’être militant révolutionnaire et blanc comme Nathalie Arthaud ou Philippe Poutou. »1 Dans une tribune adressée aux organisations révolutionnaires de novembre 2021, valant presque injonction à le soutenir, Révolution permanente expliquait : « Face à la virulence du discours raciste et anti-musulmans de Zemmour, de ses soutiens mais aussi d’une partie importante du champ politique, ne pas permettre à un candidat comme Anasse Kazib, qui veut contribuer à porter le débat sur les questions sociales et démocratiques, de prendre part aux débats, serait une première défaite. » Comme si les organisations comme la LCR hier, le NPA aujourd’hui, ou Lutte ouvrière n’avaient pas eu à subir le silence comme l’hostilité des médias et de l’extrême droite !

Mais RP, tout en évoquant les luttes ouvrières, place celles-ci, à l’instar du NPA dont il est issu, au même plan que toutes les autres formes de contestation de l’ordre établi. Cette organisation voit ainsi dans le mouvement des gilets jaunes un événement qui a fait « trembler la bourgeoisie française » comme aucun autre depuis Mai 68. Un mouvement au « caractère offensif » qui, selon ces camarades, remettrait en cause le système « dans sa totalité » et présenterait des traits « objectivement prérévolutionnaires » ayant, enfin, fait resurgir « le spectre de la révolution » dans le monde entier2. Dans sa précampagne, Anasse Kazib s’est par ailleurs autoproclamé porte-parole des victimes du racisme et de la répression policière. Il a substitué de fait les termes de « quartiers populaires » ou de « ghettos » à celui de classe ouvrière, et mis au premier plan le racisme de la police ou de l’État contre les étrangers, ou leur islamophobie, axe de l’essentiel de ses interventions. C’est ainsi qu’il a pu qualifier le Comité contre l’islamophobie en France (CCIF), que le gouvernement avait dissous en décembre 2020 pour des raisons bassement électoralistes, au nom de la lutte contre le terrorisme, de « CGT des musulmans » ! Et ce, alors que les positions du CCIF sont fort éloignées, et le plus souvent opposées aux valeurs du mouvement ouvrier. L’opportunisme de RP vis-à-vis des gilets jaunes se retrouve dans ses flatteries adressées aux musulmans. « Je souhaite à toutes mes sœurs et frères musulman.e.s un excellent mois de Ramadan », tweete par exemple le marxiste Anasse Kazib3.

N’ayant pu finalement se présenter, Anasse Kazib a appelé à voter indifféremment pour Nathalie Arthaud, à laquelle il reproche, entre autres choses, ses positions féministes sur le voile islamique, préférant défendre le port du hidjab… au nom du « droit de toutes les femmes à disposer de leur corps ! », ou pour Philippe Poutou, malgré les déclarations de celui-ci sur la guerre en Ukraine dans lesquelles il affirme ne pas se reconnaître.

Mais, au-delà, Révolution permanente annonce d’ores et déjà la candidature d’Anasse Kazib aux élections législatives comme le prélude à la « fondation d’une nouvelle organisation révolutionnaire à l’automne prochain » ayant pour but de porter « le projet d’une révolution sociale qui en finisse avec le capitalisme, le patriarcat, le racisme et la destruction de la planète »4. L’avenir dira quelle forme prendra cette organisation, et même si elle verra le jour. Mais une chose est déjà certaine : vu les axes avancés par ces camarades durant leur campagne, elle ne sera pas basée sur les intérêts fondamentaux du prolétariat.

Où va le NPA ?

La Ligue communiste révolutionnaire (LCR), en se dissolvant en 2009 pour créer le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), a au fond suivi la même évolution que le courant lambertiste et ses deux composantes actuelles, issues de sa scission en 2015 (le Parti ouvrier indépendant et le Parti ouvrier indépendant et démocratique). Elle prétendait en effet, en abandonnant la référence aux idées portées par le courant trotskyste, fédérer une multitude de courants de pensée ou de tendances (féministe, écologiste, décroissante, libertaire, altermondialiste, etc.). Cette mue était la suite logique de ses orientations depuis son origine. La Ligue communiste puis après elle la LCR s’étaient toujours placées à la remorque de courants étrangers à la lutte de classe. D’une part, en suivant, voire en prétendant conseiller ceux qui remettaient d’une façon ou d’une autre en cause l’ordre établi, notamment les nationalistes teintés de tiers-mondisme des années 1950 et 1960. Et d’autre part, en reprenant plus ou moins à son compte toutes les idées à la mode dans la petite bourgeoisie, comme l’écologie, la décroissance, voire en rejoignant les organisations qui s’en faisaient les chantres, tel Ras l’front, sur le terrain de l’antiracisme, ou Attac et ses vagues critiques du capitalisme. Cette politique, s’adressant au fond aux déçus et aux orphelins de la gauche, l’avait aussi amenée à se réclamer durant des années d’une « gauche alternative » ou « 100 % à gauche », à soutenir l’ancien stalinien Pierre Juquin à la présidentielle de 1988 puis, en 1995, à appeler à voter indifféremment pour le candidat des Verts, du PCF ou de Lutte ouvrière. Créé pour « dépasser » le cadre de la LCR et l’élargir, le NPA ne pouvait plus se réclamer du trotskysme. Et il s’en est d’ailleurs bien gardé, même si les militants issus des rangs de la LCR en constituaient à l’origine l’ossature. Mais s’adresser au prolétariat, militer en direction des entreprises et sur le terrain propre aux travailleurs n’était pas davantage leur perspective. Pour l’essentiel, ces camarades ont continué à militer, selon les sensibilités et les courants auxquels ils appartenaient, les uns pour la défense des sans-­papiers, les autres pour le droit au logement, dans des mouvements ou associations se réclamant de l’antifascisme, du féminisme ou de l’éco-socialisme. C’est pourtant en se présentant au nom de la Ligue communiste révolutionnaire qu’Olivier Besancenot avait obtenu le score le plus important de ce courant et acquis une notoriété certaine, avec 4,25 % des voix en 2002. Pendant des décennies, la LCR et ses ancêtres avaient prétendu construire un parti révolutionnaire en étant en quelque sorte en symbiose avec les mouvements et les courants en vogue. Mais ce sont les préoccupations et les idées de ce milieu qui ont, à l’inverse, exercé au fil des années une pression et une attraction sur cette organisation et, de façon plus nette encore par la suite, sur le NPA.

L’idée même de présenter un candidat à l’élection présidentielle de 2022 était donc loin de faire l’unanimité dans ses rangs, nombre de ses cadres et militants ne cachant pas depuis plusieurs années, à l’instar d’Olivier Besancenot, qu’il valait mieux travailler à un rapprochement à « gauche de la gauche », de façon à « agir et à se faire entendre ensemble ». Bien qu’adressés également « à tous les anticapitalistes », dont Lutte ouvrière, ces appels visaient en réalité d’autres mouvements comme Ensemble, dont Clémentine Autain est la principale figure, lui-même fusion de divers courants, les écologistes, Génération.s et, dans la période la plus récente, la France insoumise, depuis que ce mouvement apparaît comme le plus en vue. La candidature de Philippe Poutou ne fut décidée en juin 2021 que par un vote à 52 % de ses délégués. Et le candidat du NPA n’a pas cessé durant sa campagne de rappeler qu’il n’avait pas prévu de se lancer une nouvelle fois, mais qu’il n’y avait pas d’autre volontaire.

L’essentiel des militants de la tendance Claire, qui affirment depuis la création du NPA en 2009 leur volonté de reconstruire ce qu’ils nomment une « large tendance révolutionnaire » et prétendent dénoncer les ambiguïtés politiques de leur organisation en se réclamant des bases programmatiques de la IVe internationale, avaient pour leur part d’emblée choisi… de soutenir Jean-Luc Mélenchon. En outre, d’autres militants avaient déjà quitté les rangs du NPA ces dernières années pour se fondre dans le Parti de gauche, puis la France insoumise.

Sur son orientation générale, la campagne de Philippe Poutou n’a pas été différente des précédentes et de la politique du NPA depuis sa fondation. Elle s’est adressée, sans distinction, à toutes les catégories, mettant en avant et sur le même plan toutes les luttes, qu’elles soient sociales, environnementales, féministes, antiracistes ou pour le droit des homosexuels et contre toutes les formes d’oppression. Sa campagne ne concernait au fond qu’incidemment la classe ouvrière et n’était pas davantage centrée autour de la défense de ses intérêts propres. L’ennemi désigné dans ses meetings comme dans ses interventions dans les médias par les porte-parole du NPA fut d’ailleurs davantage Macron que son commanditaire, la grande bourgeoisie.

Mais deux aspects sont apparus de façon plus nette comme marquant une étape dans l’évolution de cette organisation et, en tout cas, une ligne de partage très nette avec nos propres perspectives.

Cela s’est d’abord exprimé de façon éloquente à propos de la guerre en Ukraine. Sur ce terrain, le NPA a suivi pour l’essentiel les positions du Bureau exécutif de la IVe Internationale. Il s’est tout d’abord très largement mêlé au chœur des dirigeants impérialistes et de leurs porte-voix faisant de Poutine et de ce qu’il nomme, sans vraiment se donner la peine d’expliquer ce qu’il entend par là, « l’impérialisme russe », l’unique responsable ou presque. Son candidat a répété à de nombreuses reprises sa solidarité avec la résistance ukrainienne, parce qu’émanant d’une nation opprimée, et la nécessité d’armer celle-ci face à l’armée russe, sans qu’il soit jamais question de la nature sociale et politique de cette résistance, pas plus que de celle des oligarques et des soutiens anciens ou actuels de Zelensky. Plus encore, il a soutenu les sanctions économiques contre la Russie imposées par les grandes puissances, là aussi au prétexte qu’elles étaient « demandées par la population ukrainienne », avant d’admettre confusément, plus tard, que ce n’était finalement « pas si simple que ça ». La solidarité, l’antimilitarisme et l’internationalisme dont se réclame le NPA ont cessé il est vrai de longue date de correspondre à ce que devrait être l’internationalisme prolétarien. La IVe Internationale dont il se réclame, comme la LCR ou ses devancières, l’ont montré à maintes reprises par le passé en présentant, parmi bien d’autres, Castro à Cuba, Ho Chi Minh au Vietnam, le FLN en Algérie, les sandinistes au Nicaragua, comme des révolutionnaires communistes derrière lesquels il fallait se ranger sans sourciller et sans émettre la moindre critique. Et surtout sans tenter de faire entendre les intérêts spécifiques du prolétariat. Plus récemment, ce sont les indépendantistes catalans ou, dans la dernière campagne, les nationalistes corses qui ont été présentés par le NPA comme des héros de l’anticolonialisme. Leur mobilisation et les « combats de rue » ont été donnés par Philippe Poutou à plusieurs reprises comme « un exemple à suivre ». Or, si les communistes révolutionnaires se doivent effectivement de dénoncer l’oppression nationale lorsqu’elle existe, et les responsabilités de leur appareil d’État, ils doivent avant tout le faire au nom des intérêts propres du prolétariat et de l’internationalisme, c’est-à-dire en mettant en garde les travailleurs contre le piège que constituent la perspective nationaliste et les forces sociales qui la portent.

Dans cette campagne, le NPA a par ailleurs marqué de nouveau sa différence, et même son désaccord profond, avec notre organisation sur un autre terrain : celui de l’attitude à l’égard des partis réformistes et de la nature du parti que ces camarades prétendent construire. C’est en réalité la même absence de boussole de classe qui les pousse dans cette voie.

Avant même l’issue du premier tour, comme pour s’excuser d’avoir présenté sa candidature, Philippe Poutou a ainsi rappelé à plusieurs reprises que, contrairement à Lutte ouvrière qui cherche à « regrouper les révolutionnaires », son organisation avait « une perspective très unitaire »5. Et de donner le contour de cette unité : « On pense qu’il faut s’adresser aux camarades de la France insoumise, y compris à des camarades Verts, à des camarades y compris du Parti socialiste avec lesquels on se retrouve dans les manifs » pour « construire un parti radical avec tous ces camarades-là, des camarades syndicalistes. » Quel parti pourrait sortir d’un tel assemblage et quelle place pourraient y tenir des communistes révolutionnaires, si ce n’est de servir de caution « radicale » pour placer davantage encore les travailleurs à la remorque de la France insoumise et de ses idées ? C’est, à l’inverse, parce que nous vivons aujourd’hui dans une période de montée des idées réactionnaires, de désorientation profonde dans les rangs de la classe ouvrière, que les communistes révolutionnaires doivent plus que jamais maintenir aussi haut que possible le drapeau de leurs idées, et non succomber aux sirènes des partis réformistes pour l’unité « à gauche ».

Il s’agit d’un abandon de la raison même d’être du mouvement trotskyste. Le NPA s’était déjà engagé dans le passé dans une telle impasse politique. Cela s’est traduit dans la période récente à l’occasion de plusieurs échéances électorales, où une partie du NPA avait opté pour des listes communes avec la France insoumise, lors des municipales en 2020, puis des régionales en 2021 (en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie). Le problème n’est pas d’apparaître sur des listes avec des militants d’autres organisations, et nous-mêmes avons déjà fait ce choix par le passé lors de scrutins locaux. Tout dépend du terrain sur lequel une campagne se mène, des perspectives défendues lors de ces élections par les révolutionnaires et de la préservation de leur indépendance politique. Ainsi, dans la dernière campagne présidentielle, quand Nathalie Arthaud expliquait que Jean-Luc Mélenchon aspirait à gérer les affaires de la bourgeoisie, et désarmait les travailleurs en prétendant pouvoir remplacer les luttes par un bulletin de vote en sa faveur, Philippe Poutou se refusait à toute critique sérieuse de l’ex-sénateur et ex-ministre socialiste. Le 30 mars, sur LCI, il se contentait par exemple de demander à son propos : « Quelles garanties aurait-on au niveau de la gauche ? », famille et étiquette politiques ô combien frelatées dont il ne cesse pourtant de se réclamer. Et, sur ce terrain, le NPA a montré à chaque fois qu’il était prompt à se fondre dans les revendications et les préoccupations affichées par la France insoumise et bien d’autres.

Vers un nouveau Nouveau Parti Anticapitaliste ou vers sa disparition ?

Dans sa déclaration du 10 avril, Philippe Poutou a réitéré cette orientation, affirmant que le NPA s’adressait « à l’ensemble de la gauche sociale et politique, aux syndicats, aux associations et collectifs écologistes, antiracistes, féministes, LGBTI, ainsi qu’aux forces politiques : nous avons besoin de nous rencontrer pour discuter des initiatives possibles pour changer la donne ». On ne voit pas en quoi cette initiative, qui prétend déboucher sur « une force politique anticapitaliste, antifasciste, féministe, écologiste, antimilitariste, anticolonialiste et internationaliste, pour la transformation révolutionnaire de cette société », diffère de celle qui avait conduit à la fondation du NPA en 2009. Sauf qu’entre-temps, cette organisation, qui n’a pas réuni de congrès depuis 2018, avoue elle-même avoir perdu l’essentiel de ceux qui l’avaient alors rejointe, et que ses effectifs sont beaucoup plus faibles que ceux dont disposait la LCR avant son autodissolution. La direction du NPA explique dans son dernier hebdomadaire, daté du 28 avril, que le rapprochement électoral avec l’Union populaire, où prétend-elle « se trouvent les éléments combatifs », serait un moyen de « sortir de la résignation ». C’est au contraire un nouveau signe du renoncement de ces camarades à construire une organisation authentiquement anticapitaliste, c’est-à-dire communiste, révolutionnaire et internationaliste, et de leur résignation à se contenter d’une union de la gauche renouvelée basée sur les illusions du réformisme. Et, plutôt que de tenter de défendre le drapeau de la révolution sociale dans la classe ouvrière, au moment même où celle-ci est dramatiquement déboussolée, le NPA continue de s’adresser aux prétendus éléments combatifs de la gauche, de la même façon que la LCR, jadis, entendait s’adresser dans les entreprises aux seuls éléments conscients, c’est-à-dire aux militants syndicalistes.

L’attitude du NPA lors de l’entre-deux-tours montre en outre à quel point ces camarades entendaient ne pas déplaire à ceux qui souhaitaient voter Macron pour « faire barrage à Le Pen ». Au soir du premier tour, Philippe Poutou avait assez clairement annoncé qu’il ne pouvait, contrairement à EELV, au Parti socialiste et au Parti communiste, se résoudre à un tel vote, qualifiant à juste titre Macron de « pompier pyromane, dont les politiques sont une des causes de la montée du RN ».

Mais, dès les jours suivants, le NPA s’est aligné et a appelé à manifester derrière le mot d’ordre lancé par Mélenchon et repris par tous ceux qui, telle la CGT, tout en prétendant critiquer Macron et sa politique, avançaient qu’il ne fallait pas donner « une seule voix à Le Pen » et concentraient leur tir contre la seule extrême droite. Dans un courrier du 19 avril adressé à Lutte ouvrière6, le NPA s’expliquait : « L’urgence de l’heure est que pas une voix de notre camp n’aille à Le Pen, car il est vital que l’extrême droite soit battue dimanche, et c’est aussi la raison pour laquelle nous avons participé aux manifestations qui se sont tenues dans cet entre-deux-tours. » Autrement dit, en bon français, il était vital que Macron soit réélu. Il n’était donc aucunement question pour le NPA d’exprimer clairement : « Ni Macron, ni Le Pen », comme nous l’avons fait pour notre part. Ses appels à manifester apparaissaient même comme une façon de rendre plus digeste un appel de fait à battre Le Pen dans les urnes. Rappelons qu’en 2002 la LCR avait, déjà, appelé à battre Le Pen « dans les rues et dans les urnes », au motif que le fascisme aurait été « sur les marches du pouvoir ». Cela ne pouvait avoir comme traduction que le vote pour Chirac, fût-ce en se pinçant le nez, alors même que celui-ci était sûr de l’emporter largement et qu’il ne représentait en rien un quelconque barrage aux idées du Front national. Autant dire que le discours actuel du NPA n’a rien pour nous surprendre, tant ces camarades sont prompts à répéter les mêmes erreurs d’année en année.

Le 19 avril, le NPA a également répondu favorablement à la proposition de l’Union populaire d’envisager des candidatures communes aux élections législatives de juin prochain et une campagne pouvant « enclencher une dynamique militante pour les élections et pour les luttes sociales ».

Dans son courrier à cette organisation, le NPA répète que le « camp social » dont il se réclame demeure « orphelin d’un outil politique à la hauteur des enjeux », d’une « gauche radicale, décomplexée, déterminée à en découdre avec le capitalisme et son personnel politique, et à faire face à la menace fasciste ». La seule véritable condition mise par le NPA à une telle campagne étant l’exclusion des « organisations de la gauche sociale-libérale, en particulier le Parti socialiste », que Mélenchon avait alors déjà exclu par avance de sa démarche… avant de se raviser en le conviant également aux discussions en cours. Depuis, le NPA s’est félicité que les discussions aillent bon train vers un tel accord national « pour contester le macronisme et les politiques capitalistes » et faire élire une « majorité alternative de gauche » à l’Assemblée nationale7. Tout au plus le NPA écarte-t-il l’hypothèse de fournir des ministres dans un gouvernement qui serait issu d’une telle majorité et qui serait dirigé par Jean-Luc Mélenchon. Dans un communiqué en date du 28 avril, intitulé « Pour des candidatures d’union en rupture avec le social-libéralisme », le NPA feint l’étonnement après l’annonce par l’Union populaire qu’il n’y avait aucun « point de discussion qui paraissait insurmontable » entre elle et le PS. Et le NPA de demander qu’un « chemin clair » soit tracé. Comme si la non-présence du seul PS dans la campagne unitaire qu’il envisage offrait la garantie nécessaire à cette clarté ! Mais la direction du NPA se dit « déterminée à aller jusqu’au bout » de sa démarche.

Dans son courrier déjà cité à notre organisation, la direction du NPA justifie sa ligne unitaire derrière Mélenchon en prétendant que celui-ci incarne « un réformisme renouvelé » sur la base d’un « positionnement plus radical que ce qu’incarnait le PS depuis 1983, ce qui est positif ». Qu’un ancien dirigeant du PS, qui se donne Mitterrand pour modèle, retrouve quelques accents de « rupture avec le capitalisme », comme ce que le premier secrétaire du PS avait lui-même clamé en son temps, et voilà les camarades du NPA qui lui emboîtent aussitôt le pas ! Et ce, au moment même, avant même le second tour de la présidentielle qui devait départager Macron et Le Pen, où Mélenchon annonçait sa candidature au poste de Premier ministre, s’il disposait d’une majorité de députés à l’issue des législatives !

Si nous ignorons bien sûr ce qu’il adviendra de cette initiative et de l’idée de la création d’une nouvelle organisation, dans laquelle les militants du NPA viendraient se fondre d’une façon ou d’une autre, nous sommes en revanche convaincus qu’il n’y a rien à en attendre de favorable du point de vue des travailleurs. Prétendre, comme le fait le NPA, que l’élection d’un nombre important de députés issus de cette gauche, qu’il présente comme une « gauche de combat », serait en outre « une bonne nouvelle pour les luttes »8 relève de l’aveuglement. Mélenchon le premier répète d’ailleurs à l’envi que voter pour lui et son parti évitera justement d’avoir à faire grève et à « marcher dans les rues » ! Faut-il rappeler à ces camarades que ce n’est pas l’élection d’une majorité de Front populaire en 1936 qui a été à l’origine du vaste mouvement de grèves et d’occupations d’usines qui l’a suivie ? Ou que ce sont précisément le Parti socialiste, le Parti communiste et les appareils syndicaux qui leur étaient inféodés qui ont mis tout leur poids dans la balance pour briser l’offensive ouvrière qui s’était engagée alors ? Et que dire des expériences plus récentes de la gauche au gouvernement, qui ont désarmé politiquement et moralement les travailleurs, et donc armé leurs ennemis de classe ?

Le salut des travailleurs, comme la construction du parti qui leur fait tant défaut, ne pourra surgir que d’une lutte consciente de la classe ouvrière autour de la défense de ses intérêts collectifs, et contre toutes les illusions électorales instillées par les démagogues et les bonimenteurs réformistes.

La classe ouvrière doit avoir son propre parti : il ne pourra se construire que sur la base des idées communistes révolutionnaires et internationalistes et de l’expérience concrète et vivante de la lutte de classe.

29 avril 2022

1Intervention au meeting de Chambéry du 31 janvier 2022.

 

2Voir notamment sur le site de Révolution permanente le texte de Juan Chingo, « Gilets jaunes. Le spectre de la révolution » du 16 décembre 2018, et celui de Daniela Cobet du 23 novembre 2019, « La radicalité que l’on voit depuis les gilets jaunes doit s’incarner dans un grand parti révolutionnaire ».

 

3Tweet d’Anasse Kazib, 2 avril 2022.

 

4« Bilan précampagne Anasse Kazib 2022 », en date du 20 mars 2022 (site Internet de Révolution permanente).

 

5Cette citation, comme celles qui suivent, sont extraites de son interview à France Inter, le 3 avril 2022.

 

6Voir plus loin l’intégralité de ce courrier et notre réponse.

 

7« Législatives : bilan d’étape pour un accord national avec l’Union populaire », publié le 23 avril 2022 sur le site du NPA et, dans le n° 613 du 28 avril 2022, « Discussion en vue d’un accord avec l’Union populaire ».

 

8Courrier du NPA à Lutte ouvrière du 19 avril 2022.