Le parti que veut la LCR

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décembre2007-janvier 2008

Texte proposé par la majorité - Adopté par 97 % des délégués présents au congrès

La LCR semble engagée dans un important virage organisationnel dont nous ne pouvons prévoir s'il va aboutir ou pas.

Même si nous estimons que sa tentative, vu ce qu'elle est, serait une bonne chose dans le paysage politique actuel si elle réussissait, nous sommes, en ce qui nous concerne, en désaccord fondamental avec ce qu'elle veut faire.

En effet, ce n'est pas un tel type de parti que nous espérons créer. Nous voulons créer un parti apte à participer au renversement de la société capitaliste et à l'édification d'une autre société économique, construite sur la base du haut niveau de productivité atteint par le capitalisme mais avec un tout autre mode d'appropriation et de répartition des produits de cette économie.

Nous sommes convaincus qu'on ne peut pas réformer cette société sans ôter des mains des propriétaires privés les grands moyens de production, les sociétés financières, banques et compagnies d'assurance, l'extraction des matières premières, pour en faire des propriétés de la collectivité. Seule cette expropriation peut permettre une tout autre régulation de l'économie que celle du capitalisme, c'est-à-dire celle qui fait intervenir essentiellement les « lois » du marché, même émoussées par les interventions des Etats ou par les réactions des classes populaires.

Cela signifie qu'en plus de la collectivisation et de l'étatisation, il faut une planification de l'économie, avec une centralisation plus ou moins importante selon les niveaux et les cas, dont l'échelle peut aller d'une région à un continent, voire au monde entier. Aujourd'hui les exemples sont nombreux de productions, de domaines de l'économie ou de relations entre les hommes où une rationalisation à l'échelle mondiale est indispensable et pourrait être déjà parfaitement réalisée, s'ils n'étaient pas des lieux d'affrontement où les intérêts de grands groupes économiques se combattent avec un gâchis énorme de produits du travail humain.

On peut citer parmi d'autres, le domaine des télécommunications et des échanges d'informations par satellite. Cette régulation ne peut être que mondiale, mais chaque trust des télécoms embarrasse le ciel de ses bouquets particuliers de satellites qui, un jour ou l'autre, vont poser problème, quand ce n'est pas déjà le cas. On pourrait ajouter la circulation aérienne transcontinentale et transocéanique, la météorologie, avec la prévision non seulement du temps mais des tremblements de terre, ou la gestion rationnelle de certaines ressources naturelles comme les forêts, les eaux, la pêche, le pétrole, le charbon ou même la production d'électricité.

Bien entendu, il ne s'agit pas de pousser la centralisation à l'extrême, mais il faut la rendre possible.

C'est cela, la seule révolution qui permettra d'accéder à une société meilleure. Une société socialiste ou communiste, où les hommes seront débarrassés de l'exploitation de l'homme par l'homme, de la monnaie, et où les progrès de la productivité serviront à libérer l'humanité d'une grande partie du travail productif et non simplement à augmenter les bénéfices des trusts et des cartels qui se servent de ces masses monétaires pour spéculer, provoquant périodiquement des crises catastrophiques pour les classes populaires.

Même si les objectifs du parti que la LCR veut construire sont, derrière les mots « anti-capitaliste », « anti-libéralisme » et tous ceux du même ordre, une façon, selon elle et quelques autres, de dire tout ce qui précède avec un vocabulaire nouveau et moderne, le simple fait de ne pas oser, ne serait-ce qu'auprès des militants et des membres de ce parti, appeler un chat un chat et une révolution communiste par son nom, est en soi une façon de se détourner ou de faire se détourner ses adhérents, voire ses militants, d'un tel objectif. Ou pire, de ne pas les orienter consciemment vers un tel objectif. Car, au moment d'une crise sociale, il y a rarement beaucoup de temps pour choisir les voies à suivre, qui ne sont pas toujours évidentes.

Si les membres du futur parti que veut construire la LCR n'ont pas à s'affirmer, ou à se croire marxistes, cela tourne le dos aux idées fondamentales qui précèdent. Le marxisme, c'est remplacer le capitalisme par le collectivisme et le marché par une planification de la production et de la répartition et, bien entendu, ne serait-ce que pour permettre cela, l'expropriation des capitalistes. Méconnaître ou oublier ce qu'est le marxisme c'est aussi tourner le dos à l'idée que, pour remplacer l'appareil d'Etat de la bourgeoisie, il faut un autre type d'Etat et que les conceptions de Marx reposent sur le rôle prépondérant que seul le prolétariat peut jouer, non seulement dans sa construction, mais aussi dans son contrôle au jour le jour grâce à sa place géographique puisqu'il est la classe populaire la plus concentrée dans les centres névralgiques.

Plus personne, selon les dirigeants de la LCR, ne saurait paraît-il ce que signifie révolutionnaire, c'est pourquoi ce terme serait en débat à l'intérieur de leur organisation. Bien sûr, un parti révolutionnaire n'a pas besoin, pour l'être, de placer le mot « révolutionnaire » dans son nom. Aucun parti important de la Première, de la Deuxième ou de la Troisième Internationale n'avait ce mot dans son nom. Mais dans leurs objectifs, dans leurs statuts, pour leurs militants la notion de révolution sociale était toujours indispensable.

Plus personne ne sait ce que signifie le léninisme, c'est-à-dire ce que Lénine a apporté, la conception d'un parti révolutionnaire apte à aider le prolétariat à prendre le pouvoir et à concevoir une nouvelle forme d'Etat susceptible de remplacer l'Etat de la bourgeoisie tel qu'il existe maintenant dans tous les pays depuis deux siècles. Mais justement, l'un des rôles d'un parti, c'est d'enseigner à ses membres ce qui est oublié et non de tirer un trait sur ces oublis. Et enseigner ne veut pas dire seulement faire des cours, mais surtout recruter des militants qui connaissent bien ces idées et les acceptent à l'avance.

Même chose pour le trotskysme. Plus personne ne sait ce que signifie être trotskyste selon les dirigeants de la LCR ! Soit ! Mais l'ignorer, c'est ignorer l'analyse qu'a faite Trotsky de la dégénérescence stalinienne et le combat qu'il a mené contre elle. Ignorer l'analyse trotskyste de cette dégénérescence, cela revient à ce que les membres de ce futur parti seront peut-être majoritaires à penser que le stalinisme était contenu dans le communisme et la « dictature du prolétariat » de Marx, dans la révolution russe et dans le léninisme, sous prétexte qu'historiquement ces événements se sont suivis.

Ignorer et ne pas faire siens tous les combats politiques de Trotsky entre 1924 et sa mort, c'est ignorer toutes ses critiques de la politique de la IIIe Internationale dans cette période et la responsabilité de cette dernière dans la venue au pouvoir du nazisme en Allemagne, la plus sanglante tragédie politique du siècle et, en même temps, ignorer l'éclairage de Trotsky sur la nature sociale du fascisme. Ignorance qui peut conduire à assimiler n'importe quel phénomène réactionnaire au fascisme et à rester désarmé et sans boussole politique le jour où ce phénomène social surgit vraiment à nouveau, par exemple pour déterminer avec qui les alliances sont possibles, voire indispensables, et avec qui elles sont à rejeter.

C'est aussi ignorer ou ne pas comprendre le rôle du stalinisme dans l'échec de la révolution espagnole ou dans la trahison de la vague de grèves de juin 1936 en France. C'est ni connaître ni comprendre les raisons de la politique nationaliste qui, lors de la Seconde Guerre mondiale, fit s'aligner les Partis communistes d'Europe, français, italien, yougoslave et grec derrière De Gaulle, l'Angleterre et les USA car, même si Trotsky avait déjà été assassiné, c'est son enseignement qui permit à certains militants de ne pas sombrer dans le chauvinisme et l'union sacrée.

Il faut ajouter que tourner le dos aux enseignements de Trotsky c'est aussi ignorer la critique qu'il fit de l'attitude de Staline vis-à-vis de la révolution chinoise de 1927, où ce dernier contraignit le Parti communiste chinois à rester dans le Kuomingtang, livrant ainsi les communistes chinois à Tchang Kaï Tchek qui les fit massacrer. À cette occasion Trotsky fit une critique aussi développée que violente contre la politique des « fronts » qui consistait non seulement à combattre, momentanément, à côté d'autres partis politiques, des ennemis communs, mais aussi à renoncer à toute indépendance politique pour se fondre politiquement dans un tel ensemble, parfois avec des ennemis de classe, désorientant ainsi la classe ouvrière en la privant de toute organisation propre, ce qui fut tragiquement confirmé en cette occasion et à de nombreuses autres occasions ultérieurement.

Ignorer les interventions de Trotsky après le massacre des communistes, lorsque Mao entreprit sa « Longue Marche » à la tête d'une armée paysanne, c'est ignorer, à vie, qu'une révolution socialiste ne peut surgir de la paysannerie, même révolutionnaire, s'il y manque l'intervention déterminante et consciente du prolétariat. Ce que nous avons vu depuis plus de cinquante ans, tant en Asie qu'en Amérique latine, en particulier à Cuba, ou encore en Afrique en est l'illustration. Les illusions à ce propos renaissent d'ailleurs constamment de leurs cendres. Voilà pourquoi nous tenons à nous dire et à ce que tous nos militants se sachent trotskystes autant que léninistes et marxistes.

Bien sûr, on peut se dire ou se croire tels et ne pas l'être ! C'est d'ailleurs le cas des groupes de la IVe Internationale depuis un peu plus de soixante cinq ans, une période qui semble cependant se terminer avec l'abandon affiché de ces conceptions. Mais nous, nous souhaitons faire survivre ces idées et le parti que nous voulons créer a, entre autres, pour but de les entretenir et de les faire revivre et non de les recouvrir du suaire de l'oubli.

Même si le parti que nous devons construire n'a pas toujours besoin de porter dans son appellation ni communiste, ni révolutionnaire, ou trotskyste - ce qui d'ailleurs est notre cas pour le moment -, il est absolument nécessaire, par contre, que tous ceux qui entrent dans un tel parti sachent ce qu'est un révolutionnaire marxiste et le soient, sachent ce qu'est un trotskyste et le soient. Sinon, on ne peut pas construire une organisation susceptible d'intervenir dans une révolution sociale qui changerait le monde.

C'est pour toutes ces raisons qu'il ne peut être ni dans nos objectifs ni dans nos convictions de participer au parti que veut construire la LCR.

Si nous disons que nous souhaitons qu'elle y réussisse, c'est pour de tout autres raisons. C'est uniquement parce que tout le monde ne peut pas être révolutionnaire et trotskyste et que bien des gens, des jeunes en particulier, peuvent avoir envie de combattre les maux engendrés par la société actuelle. Certains s'engagent dans des organisations non gouvernementales pour intervenir dans les pays sous-développés, d'autres le font plus près de chez eux pour aider les sans-papiers ou les sans-logis, d'autres simplement outrés par les mesures du gouvernent souhaitent s'y opposer selon leurs moyens. Et ce serait une bonne chose qu'à défaut d'être des révolutionnaires ils puissent trouver une organisation importante, vaste, susceptible d'agir et qui corresponde à leur idées.

On a failli avoir cela avec Attac, qui s'est effondré, au moins pour un temps. Peut-être aurons-nous cela avec le parti que veut construire la Ligue. Ce serait utile dans le paysage politique actuel où ni le Parti socialiste ni le Parti communiste n'offrent suffisamment d'espace à la jeunesse et à beaucoup de ceux qui sont moins jeunes, mais sont sensibles aux méfaits de la société.

Ce serait peut-être un parti qui ressemblerait à feu le PSU (Parti socialiste unifié) qui connut son heure de gloire au moment de la guerre d'Algérie. Bien sûr, en changeant ce qu'il faudrait sûrement changer, car la lutte anti-Sarkozy que prône la LCR ne constitue pas à elle seule un programme, quoiqu'elle semble s'en contenter. Mais bien évidemment si la LCR réussit à construire ce parti, il se dotera d'un programme à sa mesure.

C'est pourquoi, tout en souhaitant cette réussite, ce n'est pas ce que nous, nous voulons construire et c'est pourquoi, tout en regardant cette tentative d'un œil attentif et favorable, nous nous refusons à participer à cette construction, surtout, comme la LCR semble vouloir le faire, au travers des élections municipales.

4 octobre 2007