Le règne des "marchés"

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13 novembre 1998

Ainsi, il existe un capital financier international représentant une masse suffisamment grande de capitaux pour dicter ses lois aux Etats et pour dominer la planète. La presse le désigne sous un euphémisme en parlant des "marchés". Suivant les jours "les marchés" sont inquiets, ils sont optimistes ou pessimistes, ils misent sur le yen ou sur le dollar, ou bien la proximité de l'euro les rassure, comme si ces "marchés" étaient une sorte de réalité abstraite, mais dotée d'une réflexion et d'une logique, et capable d'infliger sa sanction à qui ne veut pas connaître ses lois.

Mais ces "marchés" n'ont rien d'immatériel. Il y a derrière cet anonymat des hommes en chair et en os, qui président des banques ou des institutions financières. Il y a des capitalistes possédant d'immenses fortunes ou bien des hommes qui gèrent ces fortunes pour leur compte. Ces hommes font des choix, des calculs économiques en obéissant à une logique qui est celle du profit maximum pour les capitaux qu'ils dirigent. Ils ne font pas de sentiment, ils ne prennent pas en considération les conséquences sociales de leurs choix. Seule compte la voie du profit maximum, une voie vers laquelle on peut tenter de s'orienter en se guidant sur les instruments de mesure que sont le cours des Bourses, l'évolution des marchés des changes, les taux d'intérêt ou les cours des matières premières.

Ces choix, ce sont ceux des dirigeants des banques, des sociétés d'assurance, des fonds de pension, des "hedge funds" comme LTCM, des sociétés de placement en tout genre qui réussissent à centraliser d'énormes masses de capitaux. Et ceux qui contrôlent ces masses d'argent centralisé répugnent de plus en plus à les utiliser pour payer des salaires ou bien pour acheter des matériaux, des machines, c'est-à-dire transformer ce capital argent en ce que l'on appelle le capital fixe. Il n'y a pourtant qu'ainsi qu'il pourrait avoir une utilité, en faisant fonctionner des installations, des usines permettant de fabriquer, de transporter, de mettre à la disposition de la population les biens nécessaires à la vie.

Dans le système capitaliste d'aujourd'hui, dominé de façon écrasante par la composante financière du capital, c'est cette reconversion du capital argent en capital fixe qui se fait de plus en plus difficilement. C'est un capitalisme de plus en plus usurier.

Il faut observer d'ailleurs au passage qu'il n'y a pas d'un côté des "spéculateurs", c'est-à-dire de mauvais capitalistes qui se comporteraient de façon nuisible, et de l'autre de bons capitalistes qui gèreraient leurs avoirs dans le respect de l'intérêt de l'ensemble de la société. Tous les possesseurs de capitaux spéculent, car d'une part tous ont accès à la spéculation par le biais des marchés financiers, et d'autre part le fonctionnement même du système implique la spéculation.

En effet, une entreprise multinationale qui fait des recettes et a des réserves en différentes monnaies, cherchera tout naturellement à convertir ses réserves en la monnaie dont l'évolution semble la plus profitable à un moment donné. Mais entre cette opération, destinée à protéger ses avoirs, et la spéculation destinée à les accroître, il est impossible de tracer une limite. Et le fait est qu'une entreprise comme Renault fait parfois plus de profit par l'intermédiaire de sa filiale financière, chargée de faire fructifier les fonds qui passent entre ses mains, que du fait de la fabrication de voitures qui est pourtant son activité principale.

Mais même si ces masses d'argent en circulation ne se reconvertissent que très partiellement en capital fixe, elles continuent d'exiger des intérêts et de rapporter un profit à leurs possesseurs. Car le résultat de ces activités financières, ces chiffres qui s'ajoutent sur des comptes en banque, n'en représentent pas moins un droit à une certaine part de la richesse globale produite et accumulée dans le monde. Les travailleurs, les ouvriers et les paysans, ne travaillent pas seulement pour produire l'équivalent de ce qu'il leur faut pour vivre. Ils produisent une richesse supplémentaire, une plus-value qui devient la propriété des classes possédantes. L'intérêt que touche un spéculateur et qui lui permet d'augmenter son capital, c'est le droit de s'approprier une partie de cette plus-value globale produite par les travailleurs de la planète.