Italie : les ravages du virus et ceux du capitalisme

Εκτύπωση
juin 2020

Avec plus de 30 000 morts en dix semaines, l’Italie est l’un des pays européens où la pandémie de coronavirus a fait le plus de victimes, concentrées dans les régions les plus développées et les plus peuplées du Nord. À cette hécatombe s’ajoutent les répercussions de la crise au niveau économique et social, qui plongent des dizaines de milliers de travailleurs dans la pauvreté et menacent toute la classe ouvrière.

La crise provoquée par la pandémie a d’abord illustré la situation dramatique du système de santé italien. Derrière les affirmations cocardières sur « l’excellence du système de santé que le monde nous envie », la réalité est une baisse continue de moyens. D’après les statistiques de l’OCDE, le nombre de lits disponibles dans les hôpitaux a baissé de 35 % entre 2000 et 2019, passant de 298 000 à 192 000.

Un système sanitaire qui soigne les investisseurs

Comme dans tous les pays développés, cette évolution en chute libre est le résultat d’une série de réformes de la Santé qui ont sanctionné le désengagement financier de l’État d’une part, tout en développant un secteur privé extrêmement lucratif d’autre part, se consacrant avant tout aux procédures et aux soins les plus rémunérateurs.

La régionalisation du système de santé aggrave ces caractéristiques, en y ajoutant une inégalité importante d’accès aux soins suivant les régions. Les régions chapeautent 225 ASL (les agences sanitaires locales), qui gèrent 1 488 structures publiques et privées, de l’hôpital à la maison de santé en passant par les maisons de repos. La régionalisation de la santé permet à chaque région une politique autonome. Les affaires de corruption, qui éclatent régulièrement autour de la gestion des structures sanitaires, illustrent le fait que la santé est un secteur idéal pour enrichir les entrepreneurs qui remportent les marchés des hôpitaux publics ou investissent dans le secteur privé, et les politiciens qui prélèvent leur commission au passage.

Le parcours de Roberto Formigoni en est un bon exemple. Proche de Berlusconi, qui le surnommait « le gouverneur à vie de la Lombardie », Formigoni a régné sur cette région pendant dix-huit ans, entre 1995 et 2013. Il a finalement été condamné, après de multiples affaires de corruption. Parmi les scandales les plus retentissants figurait l’accusation d’avoir favorisé l’expansion de l’hôpital privé San Raffaele de Milan, en échange de plusieurs millions.

Cet hôpital, emblématique du détournement des fonds de la région vers les poches des investisseurs, a d’ailleurs été racheté, en 2012, par le groupe hospitalier privé San Donato, à la tête de dix-huit hôpitaux, dont dix-sept en Lombardie. Fondateur et dirigeant du groupe, feu Giuseppe Rotelli avait été auparavant président du comité régional de programmation sanitaire de la région lombarde. Une place en or pour favoriser le développement de son empire privé et y faire affluer les ressources financières de la région.

Spécialisé dans les activités les plus rentables, le secteur privé abandonne au maigre secteur public les services d’urgence et de réanimation, les fameuses « premières lignes » de la guerre contre l’épidémie. Pour les patients, le recours au secteur privé permet d’éviter des mois d’attente et d’avoir une chance de se faire soigner, à condition bien entendu d’en avoir les moyens.

Dans les régions moins riches du sud du pays, la crise du système sanitaire est encore plus aiguë, les capacités des services d’urgence et de réanimation encore plus réduites. La crainte de tous les travailleurs de la santé au plus fort de l’épidémie, était d’ailleurs de voir la maladie se développer dans ces régions, qui auraient été incapables d’y faire face mais ont été fort heureusement jusqu’à présent relativement épargnées.

À la faveur de la crise sanitaire, il est aujourd’hui de bon ton pour tous les politiciens d’applaudir aux sacrifices des soignants et de leur promettre des moyens, en oubliant soigneusement les sujets qui fâchent, comme leur propre responsabilité et celle des gouvernements passés dans cette pénurie de moyens.

Dans les faits, le personnel sanitaire paye effectivement lourdement la situation de pénurie dans laquelle il a dû travailler. Fin avril, on comptait près de 20 000 contaminés et 185 morts parmi le personnel soignant. Au même moment, les travailleurs de la santé dénonçaient la politique d’hôpitaux et de structures sanitaires refusant de déclarer en accident du travail des soignants contaminés, au prétexte que la maladie s’était déclarée alors qu’ils étaient en repos. Voilà qui donne la juste mesure de la « reconnaissance éternelle » proclamée en toutes occasions par les autorités.

La machine à profit ne doit pas s’arrêter

À la situation d’indigence sanitaire s’est ajoutée la politique de la bourgeoisie, bien décidée à maintenir ses profits coûte que coûte. La situation dramatique dans la région de Bergame en est l’exemple le plus terrible. L’image des dizaines de camions militaires parcourant en file les rues désertes pour évacuer des centaines de morts que les services funéraires de la ville, saturés, ne pouvaient plus prendre en charge, a frappé les esprits.

Située à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Milan, Bergame n’est pas une mégapole. Cette ville de 120 000 habitants est pourtant passée, entre le 23 février et le 1er mars, de deux à 220 cas de Covid-19 officiellement recensés. C’était le début d’une croissance exponentielle du nombre de malades et de morts. Durant le seul mois de mars, la région bergamasque a compté près de 200 morts par jour.

Et pourtant, contrairement à d’autres villes lombardes comme Codogno, décrétée zone rouge, c’est-à-dire complètement isolée du reste du pays, dès le 1er mars, après qu’on y a dénombré 50 cas, Bergame n’a fait l’objet d’aucune mesure particulière.

« L’hécatombe a une seule origine : les patrons n’ont jamais voulu arrêter les usines. En nous faisant aller travailler chaque jour, ils ont mis nos vies en danger et ont contribué à la mort de centaines, de milliers de personnes fragiles, auxquelles ils nous ont fait ramener le virus. Ce sont des criminels », expliquait, en larmes, une travailleuse d’une des usines de la Val Seriana.

Cette zone de la province de Bergame concentre des centaines d’entreprises où travaillent des milliers de salariés. On y trouve de grands groupes comme Tenaris, qui fabrique des infrastructures pour la prospection et l’extraction de pétrole et de gaz et qui appartient aux Rocca, l’une des dix familles les plus riches du pays, ou encore ABB, groupe à capitaux suisses et suédois, spécialisé dans la production de systèmes robotiques de pointe. La région concentre également de nombreux sous-traitants de l’automobile grands et petits, qui se sont installés près des usines automobiles de Lombardie et du Piémont. Parmi eux, l’usine Persico, avec ses 500 travailleurs, est représentative de l’importante couche de patrons de petites et moyennes entreprises. Son patron, Pierino Persico, a été l’un des militants contre la zone rouge, de même que tout le patronat local, promoteur d’une campagne Bergamo non si ferma (Bergame ne s’arrête pas), à laquelle s’est associé dans un premier temps le maire de la ville. Ce dernier a fini par changer de discours devant l’ampleur de la catastrophe et le mécontentement de la population. Mais le patronat, les yeux rivés sur le chiffre d’affaires, a continué à exiger des travailleurs qu’ils viennent risquer leur peau chaque jour. Le 5 mars, dans un journal local, un patron dont le paternalisme n’excluait pas la bêtise répondait à la question du maintien de son activité : « Mes ouvriers, j’en prends soin. Ils sont plus en sécurité dans l’usine que chez eux, où ils sont plus à l’étroit. »

L’exemple du patronat bergamasque illustre le comportement de toute la bourgeoisie. Le 28 février la Confindustria, le Medef italien, lançait une campagne sur les réseaux sociaux « Yes, we work ! » (Oui, nous travaillons !) et le président de l’organisation patronale en Lombardie, Bonometti, expliquait qu’il ne fallait pas « ternir l’image de la Lombardie, capitale économique du pays ». C’est effectivement depuis le bastion du capitalisme italien, ce nord du pays comptant le plus grand nombre d’entreprises et concentrant l’activité économique, que la bourgeoisie italienne a donné de la voix pendant la phase la plus aiguë de la crise sanitaire, pour dicter ses conditions au gouvernement. Celles-ci se résumaient au programme universel de la classe capitaliste : que l’État n’impose aucune contrainte et qu’il ouvre grand les robinets de l’argent public pour arroser les entreprises.

Confinés ou déconfinés, les travailleurs payent la note

Le gouvernement Conte, tout prêt à suivre cette feuille de route, devait tout de même tenter d’endiguer la catastrophe sanitaire. Mais les mesures de confinement mises en place sur tout le territoire le 9 mars n’excluaient pas les déplacements pour aller travailler dans des conditions de sécurité insuffisantes, voire inexistantes. Dans le secteur de la logistique par exemple, dont les plus grands entrepôts sont situés dans le Nord, des dizaines de travailleurs ont été contaminés et certains y ont laissé la vie. Dans les secteurs dont l’activité ne pouvait pas s’arrêter, comme les usines de l’agroalimentaire, il a fallu se battre pour obtenir des protections. Une usine de produits surgelés de Reggio Emilia, Pregel, a déclenché un scandale en licenciant un délégué syndical qui avait eu le tort de réclamer des mesures, poussant le cynisme jusqu’à lui reprocher d’avoir toussé devant un collègue sans se couvrir le nez et la bouche. Devant le scandale médiatique, elle a dû reculer et le réintégrer.

Dès le 12 mars, l’obligation de continuer le travail dans beaucoup de secteurs non essentiels a entraîné des débrayages de travailleurs, en particulier dans le Nord, mais aussi dans plusieurs grandes entreprises du Sud. Des mouvements spontanés ont eu lieu aux chantiers navals Fincantieri de Marghera, à la Bitron de Milan, à l’Afla Acciaia de Brescia, parmi les travailleurs d’un gigantesque centre d’appels de Palerme, en Sicile. À Mantoue, dans le nord, les 450 ouvriers de l’entreprise textile Corneliani refusaient de travailler en disant : « Il n’y a pas des citoyens de série A et d’autres de série B. Le droit à la santé est le même pour tous et appartient à tous. » Ce large mouvement de protestation a poussé les très modérées directions nationales des syndicats à menacer d’une journée de grève générale si rien n’était fait.

Le gouvernement Conte a fini par décréter le 23 mars la fermeture des entreprises non essentielles. Mais la liste des exceptions, dictée par le grand patronat, allait de la métallurgie à la chimie, en passant par le caoutchouc et même l’industrie de l’armement. La décision d’arrêter la production de certaines grandes entreprises, comme FCA (Fiat Chrysler Automobiles), résultait bien davantage du manque de pièces ou de débouchés, que de la volonté de protéger la santé des travailleurs.

Dès le lendemain de l’annonce du décret, les grèves ont donc recommencé dans plusieurs entreprises, contraignant les dirigeants syndicaux à menacer à nouveau d’une grève générale, tout en suppliant le gouvernement de leur donner le moyen de l’éviter. Ainsi Landini, le secrétaire général de la CGIL, interviewé le 24 mars, s’exclamait : « Le Premier ministre Conte peut arrêter la grève et éviter ainsi qu’on tue l’avenir. » On est donc reparti pour une séance de vidéo-­négociations, qui a abouti à un décret modifié, dont les directions syndicales se sont immédiatement déclarées satisfaites. En réalité, sous prétexte de maintenir des productions indispensables aux secteurs essentiels, comme le plastique des emballages de médicaments ou de produits alimentaires, ou le textile nécessaire à la fabrication de masques ou surblouses, la liste des exceptions était suffisamment floue et large pour ne pas gêner les patrons voulant continuer à produire.

Si des centaines de milliers de travailleurs n’ont donc pratiquement pas cessé de se rendre dans les entreprises, la peur au ventre, d’autres, les plus précaires, ont perdu leur source de revenu et ont plongé dans la pauvreté. Les travailleurs sans contrat, employés au noir, dont on estime le nombre à trois millions, les quatre millions de travailleurs indépendants, de précaires, employés dans les bars, les hôtels, le secteur du ménage ou de l’aide à la personne, se retrouvent sans revenus et sans aides de l’État.

D’après Caritas, association caritative liée aux paroisses catholiques qui joue un rôle d’autant plus important que le secteur public d’aides sociales est défaillant, le nombre de pauvres nécessitant une aide alimentaire d’urgence a doublé depuis le début de l’épidémie. « En avril, 40 000 personnes supplémentaires se sont adressées à nous pour recevoir des dons alimentaires. Nous avons vu arriver des ouvriers du bâtiment, des travailleurs saisonniers, des travailleurs précaires, mais aussi des petits commerçants », explique l’association.

La pauvreté touchait déjà une fraction importante des travailleurs, auxquels l’arrêt d’activité dû au confinement a porté le coup fatal. La presse en a rapporté de nombreux témoignages, tel celui d’une Milanaise de 46 ans, venant pour la première fois à une distribution d’aide alimentaire. Cette mère de deux enfants adultes encore à charge racontait avoir perdu les deux contrats qui faisaient vivre, tant bien que mal la famille. Femme de ménage dans un cabinet de dentistes la semaine et aide à domicile le week-end, elle exerçait l’un de ces emplois au noir et l’autre, celui d’aide à domicile, ne lui ouvrait pas de droits au chômage partiel. Elle a donc perdu toute source de revenus, de même que sa fille, animatrice périscolaire dans les écoles. « Avec ce qui rentrait à la maison, on pouvait déjà à peine faire face. Là, quand il n’est plus resté qu’un paquet de pâtes dans le placard, il a bien fallu aller demander de l’aide », a-t-elle raconté.

Le gouvernement face à la crise

Le gouvernement actuel, en place depuis l’automne dernier, est le résultat de laborieuses tractations entre le Parti démocrate (PD) de centre gauche et le Mouvement 5 étoiles (M5S), fondé par l’ex-comique Beppe Grillo, qui se voulait mouvement citoyen au-dessus des partis. C’est une crise politique provoquée par Salvini, le dirigeant du parti d’extrême droite La Ligue, qui est à l’origine de cet accord bancal.

Salvini était encore, il y a moins d’un an, le ministre de l’Intérieur du gouvernement Conte premier du nom. Fort du résultat des élections européennes, dont son parti sortait largement en tête, en partie aux dépens du M5S, il pensait le moment venu de retourner aux urnes et de gouverner seul et a donc rompu l’alliance en août dernier. Pour éviter de nouvelles élections et une probable victoire de La Ligue, le M5S s’est donc allié au PD, qu’il désignait encore la veille comme « le parti des corrompus », tandis que le PD devait, lui, faire avaler à sa base de gauche une alliance avec le M5S, qui avait cautionné sans broncher les mesures ignobles de Salvini contre les migrants dans le gouvernement précédent.

L’obscur Giuseppe Conte, qui avait été choisi pour conduire le précédent attelage M5S-Ligue, en vertu de ce manque de consistance politique, s’est donc retrouvé à la tête d’un nouveau gouvernement, issu d’une alliance tout aussi politicienne et bancale que la précédente. Lorsque la crise liée à l’épidémie de coronavirus a éclaté, cette réputation d’homme au-dessus des partis, soucieux des intérêts supérieurs du pays, lui a été utile et, si l’on en croit les sondages, il y a gagné une certaine crédibilité.

Avec le slogan « Tous ensemble, on y arrivera », son gouvernement a entonné le refrain de l’unité nationale nécessaire. Et c’est au nom de l’unité et du sacrifice général qu’il appelle les travailleurs à se « retrousser les manches », prévenant que cela ne sera pas facile et déversant des milliards sur les entreprises. La nouvelle loi de finances présentée le 13 mai sous le nom de Décret relance doit ajouter 55 milliards d’euros aux sommes débloquées précédemment, dont la plus grande part est destinée à aider les entreprises, à coup de subventions et d’exonérations fiscales de toutes sortes.

Il est également question de quelques mesures pour les travailleurs, dont l’aide d’urgence aux indépendants et autoentrepreneurs, qui pourrait passer des 600 euros prévus pour mars et avril à 800 euros. Un revenu « d’urgence » temporaire pourrait être mis en place pour les familles les plus pauvres, allant de 440 à 800 euros selon la compo­si­tion du foyer. Par ailleurs, devant les difficultés des entreprises de l’agroalimentaire à effectuer les récoltes, les travailleurs saisonniers étrangers ne pouvant se déplacer, le gouvernement a évoqué la possibilité d’accorder un permis de séjour de six mois, vite réduit à trois mois, aux ouvriers agricoles sans papiers, précisant : « Il ne s’agit évidemment pas d’appliquer cette mesure à toutes les personnes présentes sur le territoire mais à ceux qui pourraient nous servir dans cette circonstance particulière. »

La classe ouvrière sans perspectives politiques

Les dirigeants des autres partis, y compris ceux des partis associés au gouvernement, tentent quant à eux de se démarquer. Des polémiques à coup de petites phrases éclatent à chaque mesure présentée par le gouvernement Conte, en particulier depuis le début de la « phase 2 », celle du déconfinement, entamée le 4 mai. La perspective des élections prévues dans plusieurs régions et villes à l’automne n’est pas étrangère à ces prises de bec politiciennes.

La mesure de régularisation des ouvriers agricoles envisagée donne ainsi matière à une polémique entre les partis actuellement au gouvernement. Le PD fait de l’œil à l’électorat de gauche en présentant cette mesure, partielle et taillée pour les besoins du patronat de l’agriculture, comme une grande initiative de justice sociale. À l’inverse, le M5S choisit toujours plus ouvertement le fonds de commerce de l’extrême droite et s’y déclare opposé.

Mais c’est évidemment le parti d’extrême droite de Salvini, La Ligue, ainsi que Fratelli d’Italia (frères d’Italie) de Giorgia Meloni, qui se font le plus entendre sur ce terrain, dénonçant « l’impunité et même la récompense, accordées aux migrants hors la loi ». Les deux se sont fait entendre en particulier aux côtés de la petite et moyenne bourgeoisie qui constitue leur base électorale traditionnelle et dont le niveau de vie est très concrètement menacé par l’arrêt de l’activité. Les élus et dirigeants des deux partis d’extrême droite ont ainsi manifesté avec les commerçants réclamant la possibilité de rouvrir leurs boutiques dans plusieurs villes.

En bon démagogue, Salvini se saisit de tous les mécontentements. Tantôt pestant contre le confinement au nom de la liberté des entrepreneurs et accusant le gouvernement d’être « l’esclave de la CGIL », tantôt prétendant parler au nom des travailleurs pauvres, oubliés par le gouvernement qu’il accuse d’avoir « emprisonné chez eux les travailleurs italiens sans aides tandis qu’il s’apprête à débourser des millions pour des migrants hors la loi ». Loin d’obéir aux injonctions des directions syndicales, le gouvernement s’est en revanche félicité de leur « grand sens des responsabilités et de leur collaboration », pendant que Landini, le secrétaire de la CGIL, fidèle à sa déclaration de soutien lors de la formation de ce gouvernement « Conte bis », se réjouissait que la crise sanitaire « remette le travailleur au premier plan » dans les préoccupations du gouvernement.

Landini préfère ignorer que si les travailleurs se retrouvent « au premier plan », c’est surtout en tant que victimes de la chute brutale de l’économie.

Car quelle que soit l’évolution prochaine de la situation sanitaire, les indicateurs économiques sont d’ores et déjà au rouge. Les prévisions de chute du PIB tournent autour de 10 % et la cote de l’Italie sur les marchés financiers, qui n’était déjà pas élevée, se dégrade à nouveau. Les trompettes de l’unité nationale que font sonner en chœur politiciens, patronat, médias et syndicats n’empêcheront évidemment pas les nouveaux reculs que l’approfondissement de la crise imposera aux conditions de vie des travailleurs.

Le gouvernement prétend imposer une interdiction provisoire des licenciements jusqu’au 16 août. Dans le même temps, les représentants de la Confindustria préviennent qu’il faudra faire des sacrifices. Dans ce pays où les entreprises petites et moyennes sont nombreuses, y compris dans les secteurs industriels, on parle déjà des baisses de salaires à consentir, ou de l’extension gratuite de la journée de travail, pour rattraper les pertes et éviter la fermeture.

Pour ne pas faire les frais de l’aggravation de la crise économique qui se profile, les travailleurs ne peuvent se fier aux promesses du gouvernement de ne pas les laisser au bord du chemin, pas plus qu’ils ne peuvent avoir confiance dans les mesures de sécurité que le patronat promet de mettre en place dans les entreprises, dans un pays qui détient le triste record du plus grand nombre de morts au travail d’Europe en temps « normal » !

La classe ouvrière n’a pas le choix. Elle doit surmonter l’obstacle de la démoralisation, de la désorientation politique et morale profondes, héritées des trahisons successives des organisations politiques et syndicales qui prétendaient la représenter. Car elle ne peut contrer la menace d’une misère généralisée qu’en s’organisant pour riposter sur son terrain de classe et en retrouvant, plus profondément, la conscience qu’il faudra contester et arracher à la classe capitaliste son pouvoir, sa domination sur l’économie.

14 mai 2020