Conclusions

Εκτύπωση
décembre 2018 - janvier 2019

Le mouvement des gilets jaunes n’est pas fini. Nous verrons ce que ça donne la semaine prochaine. Mais s’il continue, il nous faut saisir toutes les opportunités dans les entreprises tant que le mouvement suscite des discussions, un intérêt politique.

Mais ce n’est pas le plus important. Il faut se persuader que la prolongation de la crise économique et sa probable aggravation ne peuvent qu’aggraver la crise sociale. Cette crise peut prendre des formes imprévues et imprévisibles. Elle passera inévitablement par des phases qui mélangeront des catégories sociales très diverses, avec des objectifs très différents.

Au milieu de cette contestation multiforme, il nous faut intervenir systématiquement en avançant une politique correspondant aux intérêts de la classe ouvrière. Mais il nous faut aussi montrer en quoi cette politique répond aussi aux problèmes de la majorité de la société.

La classe capitaliste continuera à intensifier l’exploitation sous toutes ses formes : l’exploitation au sens propre du terme, fabrication de la plus-value dans la production ; mais aussi aggravation indirecte par le biais de l’État, c’est-à-dire que, pour aider la couche la plus riche de la bourgeoisie, l’État trouvera mille subterfuges pour prélever sur les classes populaires (impôts, taxes, etc.) et pour faire des économies sur les services publics, notamment ceux les plus utiles aux classes populaires en général et aux salariés en particulier.

Dans un pays comme la France, avec son étatisme poussé, les services publics et les protections sociales ont été conçus surtout dans la période de l’après-guerre, en dernier ressort pour permettre aux capitalistes de payer des salaires plus bas. C’est sous cet angle-là que nous défendons ceux des services publics qui sont utiles à la population : en réalité, ils participent du pouvoir d’achat des salariés. Ils constituent un complément où l’État prend en charge une partie de ce que la bourgeoisie devrait nous payer.

Il faut comparer avec les États-Unis où, historiquement les choses se sont passées un peu différemment. Pendant de longues années après la guerre, les États-Unis, c’était « l’Amérique »... Les salaires étaient plus élevés, permettant au moins à l’aristocratie ouvrière de mieux se soigner mais en payant, ou d’envoyer ses enfants étudier à l’université, bien qu’en payant toujours des sommes importantes (aujourd’hui de l’ordre de 50 000 dollars par an). Ici-même, en France, l’éducation coûte déjà de plus en plus cher au fur et à mesure qu’on passe de l’école élémentaire au collège, puis au lycée et à l’enseignement supérieur. Il y a les livres, les fournitures scolaires, voire aujourd’hui, à partir d’un certain niveau, les ordinateurs et les tablettes, sans parler de l’habillement. Ce n’est pas pour rien que même si, grâce à l’État, l’enseignement s’est relativement démocratisé, il y a de moins en moins d’enfants d’ouvriers, plus généralement d’enfants de pauvres, au fur et à mesure qu’on avance dans l’enseignement supérieur. Et, même par rapport à cette situation, ceux qui nous gouvernent feront marche arrière, comme l’indique ce contre quoi protestent, à juste titre, les étudiants : faire payer les étudiants étrangers « extracommunautaires ». C’est d’autant plus odieux qu’ils sont originaires pour l’essentiel des anciennes colonies de l’impérialisme français. L’expression « enseignement gratuit » a sans doute un sens, comparé aux États-Unis, mais c’est une notion toute relative et de plus en plus dénaturée, progressivement ou brutalement.

Il en va de même pour le système médical. Privilège des pays riches – riches grâce au pillage et à la misère des pays sous-développés –, l’État a pris partiellement en charge, en France comme dans la plupart des pays impérialistes d’Europe, ces deux postes importants que sont la santé et l’éducation. Ou, pour ce qui est des soins, il les a mutualisés par le biais de la Sécurité sociale. Pris en charge par l’État, c’est une façon de parler, car l’État se contente de gérer les salaires différés des travailleurs. Non seulement, contrairement à l’éducation, cela ne coûte rien à l’État, mais c’est l’État qui tape dans la cagnotte pour financer en partie le système hospitalier qui devrait être de son ressort.

Cet aspect de l’étatisme, qui permettait à la bourgeoisie de payer des salaires plus bas, est depuis des années de plus en plus remis en cause pour aller au-devant de ses intérêts à court terme, quitte à compromettre certains de ses intérêts à plus long terme. Pour garder la cagnotte pour la bourgeoisie, l’État favorise les cliniques privées ou plus généralement la médecine privée, vide les caisses de la Sécurité sociale ou fait des économies sur les médicaments, sur certains types de soins, etc. Nous en avons l’illustration en ce moment même, non pas tant par le mouvement des gilets jaunes qu’avec les raisons profondes qui l’ont déclenché. Derrière le sentiment qui s’exprime si largement et sous la forme de « notre pouvoir d’achat ne nous permet plus de vivre », il y a en réalité l’exploitation capitaliste. Mais l’exploitation en elle-même, le fait d’être obligé de se vendre pour un salaire, n’est pas ressentie par l’écrasante majorité des salariés eux-mêmes comme injuste. « Il faut bien travailler pour gagner sa vie » ! Et c’est quand on n’a pas de travail qu’on a des problèmes.

En revanche, les prélèvements de l’État, les impôts et les taxes qui augmentent, les salaires différés qui sont détournés alors que les services publics utiles à la population reculent, sont ressentis comme une arnaque.

Au temps de l’esclavage, au sens moderne du terme, cet ordre social était admis par les esclaves eux-mêmes car c’était la norme sociale. Mais la nourriture insuffisante, l’attitude du maître plus violent que d’autres, et bien d’autres aspects quotidiens de l’esclavage, pouvaient être ressentis comme des injustices et provoquer des révoltes. Sur le cuirassé Potemkine, le sort des matelots sur leur bateau était jour après jour un quasi-esclavage qui ne suscitait pas de révolte. Mais les asticots dans la viande, si !

Et, pour élargir le problème qui est celui du gouvernement en ce moment, ce n’est pas seulement Macron et son attitude « jupitérienne », c’est-à-dire méprisante pour la population, qui ont conduit à la contestation. Macron et sa clique ont focalisé la haine sur eux-mêmes. Mais ce qui est plus dangereux pour la bourgeoisie, c’est la déconsidération de l’État lui-même. Le noyau, le cœur de l’État, est, pour reprendre l’expression d’Engels, « une bande d’hommes armés ». Mais si l’État et ses institutions tiennent, ce n’est pas seulement par la brutalité et la violence. C’est aussi parce que la société de classe qui est la nôtre a besoin d’arbitres et ne peut pas se passer de l’État. Et en temps normal, ce rôle d’arbitre dans un tas de domaines bénéficie d’une certaine autorité, voire d’un certain respect, aussi nombreuses puissent être les critiques sur tel ou tel aspect de son fonctionnement (justice partiale, comportement de la police, etc.).

Au-delà de la crise de l’alternance qu’on a vu se manifester il y a déjà plusieurs années, et dont Macron a su profiter pour se hisser au pouvoir, c’est la bourgeoisie elle-même, avec son avidité, ses exigences à l’égard de ses serviteurs de la politique et de l’administration, qui compromet l’autorité de l’État.

Encore à propos du mouvement des Gilets jaunes

De nombreux camarades sont allés sur le terrain et ont trouvé les mots pour défendre notre politique auprès de ceux des nôtres qui ont été mobilisés dans ce mouvement limité et confus. Encore une fois, tout mouvement, surtout à ses débuts, est confus, avec une multitude d’aspects contradictoires, y compris un mouvement d’une tout autre ampleur que la mobilisation des gilets jaunes.

Même la révolution russe, dans sa première phase, c’est-à-dire lorsque la manifestation des femmes s’est transformée en une révolte dont l’objectif était le renversement du tsar, a bénéficié d’une sorte d’unanimisme. Même une partie de la haute noblesse voulait se débarrasser du tsar. Cela a commencé par l’élimination, au plein sens du terme, de Raspoutine, âme damnée de la famille du tsar. Et plus encore, peut-être, les puissances occidentales, les impérialismes français et britannique notamment.

La classe ouvrière russe trouva rapidement son chemin dans les faits, si ce n’était encore dans une conscience claire de ses tâches, en parvenant à l’emporter sur les forces de répression, en commençant à décomposer l’armée et, surtout, en reconstituant les conseils ouvriers, les soviets, en puisant dans ses propres expériences de 1905. Mais, même en Russie, la classe ouvrière a mis plusieurs mois à trouver le chemin. Elle l’a trouvé grâce au Parti bolchevique et à sa politique.

À ce propos, voici ce qu’un texte de Lénine consacré à l’insurrection irlandaise de 1916 disait :

« Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution.

La révolution russe de 1905 a été une révolution démocratique bourgeoise. Elle a consisté en une série de batailles livrées par toutes les classes, groupes et éléments mécontents de la population. Parmi eux, il y avait des masses aux préjugés les plus barbares, luttant pour les objectifs les plus vagues et les plus fantastiques, il y avait des groupuscules qui recevaient de l’argent japonais, il y avait des spéculateurs et des aventuriers, etc. Objectivement, le mouvement des masses ébranlait le tsarisme et frayait la voie à la démocratie, et c’est pourquoi les ouvriers conscients étaient à sa tête.

La révolution socialiste en Europe ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement – sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible – et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. […] L’avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera la vérité objective d’une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l’unir et l’orienter, conquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes !) et réaliser d’autres mesures dictatoriales dont l’ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme, lequel ne “s’épurera” pas d’emblée, tant s’en faut, des scories petites-bourgeoises. » (Lénine, « L’insurrection irlandaise de 1916 », dans Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, 1916).

Nous ne pouvons pas nous orienter dans les événements, si limités soient-ils, sans comprendre ces phases aiguës de la lutte de classe que sont les périodes révolutionnaires et qui font partie de notre culture politique.

Ce mouvement des gilets jaunes a été, comme nous l’avons dit, une piqûre de rappel sur notre raison d’être d’organisation communiste révolutionnaire. C’était aussi une occasion de mesurer la capacité militante de nos camarades, leur volonté militante, leur enthousiasme. La majorité de nos camarades y ont fait face et, lorsqu’ils sont allés sur le terrain, ils ont découvert la multitude d’initiatives que les gens sont capables de prendre dans un tas de domaines. Ceux d’entre nous qui ont connu des grèves ont fait cette expérience et savent à quel point un mouvement collectif, même limité, fait sortir ceux qui y participent des cadres habituels de la résignation et de l’inaction. Ces initiatives multiples ont poussé nos propres militants à réfléchir, à prendre des initiatives non seulement pour trouver les mots pour défendre nos idées politiques, mais aussi, parfois, pour proposer des actions qui allaient dans le sens de nos idées. […]

Il ne faut pas croire que la routine, même celle d’une organisation communiste révolutionnaire en période de relative paix sociale, remplace l’enthousiasme, la volonté d’agir, l’inventivité du militant en période de grèves, de montées ouvrières et, à plus forte raison, de révolution. Sur un plan très général, la routine est aux antipodes du comportement révolutionnaire ! La stabilité de l’ordre social capitaliste ne repose pas sur les forces de répression. Encore que ceux qui nous gouvernent savent y faire appel en cas de besoin. Nous l’avons vu récemment sur les Champs-Élysées, comme au moment de la bagarre des travailleurs de Goodyear, etc. Mais l’État ne les sort pas si souvent que cela car l’efficacité des forces de répression est limitée, et leur utilisation peut avoir l’effet exactement contraire à ce que les gouvernants en escomptent. Ce qui se passe en ce moment en Haïti l’illustre.

Au jour le jour, l’ordre social repose, dans une large mesure, sur la routine, sur l’acceptation passive de l’exploitation et de l’oppression transmise aux exploités par les exploiteurs et leurs institutions. Rapportant des discussions autour du mouvement des gilets jaunes dans un milieu plutôt petit-bourgeois apparemment touché dans son pouvoir d’achat, un camarade a constaté les réactions à « l’incohérence du système avec la fermeture des petites lignes de train, la fermeture des services publics qui provoque des déplacements, les distances causées par les prix des logements, l’idée que la plupart des gens sont contraints d’habiter de plus en plus loin » et tout cela les a poussés « à regarder la mobilisation avec une certaine sympathie, même si l’une se demandait ce que cela pouvait donner à l’avenir ». Ce type de discussion et la prise de conscience de l’anarchie du système capitaliste sont des indices. Dans quelle mesure la jeunesse lycéenne ou étudiante a-t-elle eu les mêmes réactions ? Tout cela nous permet de discuter d’emblée de la nécessité d’une autre organisation sociale.

Eh oui, l’économie capitaliste est fondée sur l’exploitation, avec tout ce qui en découle : l’inégalité sociale, la pauvreté qui s’aggrave, en même temps que s’accroît la richesse d’une minorité. Mais elle est aussi fondée sur la concurrence, sur l’absence de planification, sur la contradiction de plus en plus flagrante entre l’intérêt collectif, l’intérêt social et les intérêts individuels. Sans la collectivisation de l’économie, qui exige de mettre fin à l’appropriation individuelle des moyens de production, l’économie est condamnée en permanence à l’agitation désordonnée des intérêts individuels. Et cette agitation découlant de la propriété privée est forcément anarchique, aberrante, folle. Les décisions qui finissent par prévaloir sont évidemment les desiderata des plus puissants parmi les puissances de l’argent, mais qui sont, elles aussi, en rivalité permanente les unes avec les autres.

Dans ce genre de discussion, il faut commencer en quelque sorte par la fin : parler de planification, expliquer comment la propriété privée et la concurrence rendent la société incapable de gérer les problèmes les plus quotidiens, les problèmes écologiques comme les autres. Une émission de France Inter posait récemment à tous ses invités interviewés la question : « Quel est votre geste quotidien pour préserver l’humanité du réchauffement climatique ? » Parmi ces invités, il y avait des ministres, c’est-à-dire des gens qui sont censés diriger le pays. Une des plus en vue, confrontée à la question, a donné comme réponse : « Depuis trente ans, je ne prends pas de bain, mais bien sûr je prends des douches ! » Mieux encore : « J’éteins la lumière quand je quitte une pièce de mon logement »… Un salarié qui en fait autant (prendre des douches et éteindre la lumière) ne le fait pas forcément par préoccupation écologique, mais par souci d’économies. Mais il faut se rendre compte de la dinguerie de cette réponse ! L’invitée, une ministre avec le pouvoir que cela implique, impuissante à s’en prendre aux grandes entreprises pollueuses, Total en tête, prêche pour des gestes quotidiens. Cela revient à rendre responsables de la dégradation du climat les petites gens, les prolos, les chômeurs… Et pourquoi pas les vaches, pour les raisons que l’on sait… ?

* * *

Dans l’apprentissage politique des manifestations des gilets jaunes, on peut bien sûr considérer que cela en est un, d’apprentissage, le cri unanime « Macron démission ». Encore que la haine dont cela a été l’expression n’a fait que se manifester en cette occasion et ne date pas de la taxation du gasoil. Mais, surtout, la prise de conscience que cela exprime a ses limites extrêmement étroites. Une fois de plus, c’est l’illustration du fait que, derrière la muleta rouge, le taureau ne voit pas l’épée du matador.

La caste politique et, dans une démocratie bourgeoise, en premier lieu le président de la République, jouent le rôle de fusible pour préserver l’ordre social, c’est-à-dire la domination de la classe capitaliste. Même dans le passé, au temps des monarchies plus ou moins absolues de l’Ancien Régime, les rois jouaient, en dernier ressort, ce rôle. Cela n’arrivait pas très souvent, mais quand la haine s’accumulait, cela finissait par se retourner contre le roi. Et, entre l’Angleterre et la France, il y en eut au moins deux qui en perdirent la tête (si on peut dire) ! L’avantage de la démocratie bourgeoise, son côté « soft » comme disent les anglophones, c’est qu’on a remplacé la guillotine par les urnes. Les élections sont faites pour se débarrasser de celui qui est à la tête de l’État, pour que la domination de la classe dominante perdure. C’est pourquoi un des aspects de nos activités de révolutionnaires consiste à montrer en permanence qui tire les ficelles ou, plus exactement, qui domine la société, quelle classe est derrière le bonhomme qui occupe l’Élysée. […]

Les problèmes posés par les Comités sociaux et économiques (CSE)

Profitons de l’occasion pour évoquer notre attitude vis-à-vis des CSE. Les ordonnances travail de 2017 ont regroupé toutes les fonctions de délégués élus, avec pour effet de réduire considérablement leur nombre et de vider définitivement la fonction de délégué du personnel de la signification qu’elle avait depuis son origine. Des camarades ont soulevé le problème puisqu’ils sont confrontés en ce moment au dilemme de la signature ou pas du protocole d’accord concernant les élections qui viennent.

Nos camarades délégués auront sans doute, sous des formes variées, le même problème partout. Moins de délégués posera des problèmes partout où les camarades militent. Là où ils ont peu de responsabilités syndicales, cela pose le problème de leur présence ou pas sur la liste réduite. Et là où ils ont des responsabilités dans le fonctionnement du syndicat, cela pose la question de comment répartir les postes de délégués, etc. S’agissant de postes électifs dans l’entreprise, nous sommes pour que les camarades se présentent, ne serait-ce que pour vérifier l’influence qu’ils ont auprès des travailleurs, aussi faussé que soit le thermomètre. Il n’est pas question d’entrer ici dans la cuisine syndicale qui a bien des aspects peu reluisants. Aux camarades concernés de se débrouiller en fonction de leur influence, du rapport de force, des liens qu’ils ont avec les uns et avec les autres, etc.

Venons-en à l’aspect politique.

Dans le passé, signer un protocole d’accord d’un type d’élection, plus ou moins entré dans les mœurs depuis longtemps, ne nous posait pas un problème de principe. C’était un des rares accords que nous pouvions signer. Mais nous ne sommes plus dans la même situation. Les ordonnances travail sont une attaque en règle. Elles ne tombent pas du ciel. La fonction de délégué du personnel a été imposée par la loi en 1936. Elle représentait à l’époque l’expression d’un rapport de force avec le patronat, qui lui a imposé une certaine protection des délégués choisis par les travailleurs eux-mêmes. Par la suite, se sont ajoutées bien d’autres fonctions concédées à la bureaucratie syndicale en 1945-1946, avec les représentants au comité d’entreprise qui était un organisme de collaboration de classe. Ont été adjoints au fil du temps et des bagarres d’autres types de délégués dont ceux du CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, en 1982), élus au deuxième degré par les syndicats. La boucle est bouclée avec les ordonnances Macron qui finissent de transformer toute fonction élue en rouage de la collaboration de classe.

Il ne faut pas se dire que, maintenant que c’est devenu une loi, elle s’appliquera, quoi qu’on en dise, à tout le monde et que nous serons bien obligés de nous y soumettre, comme pour tout un tas d’autres lois iniques. En effet, nous sommes dans la période où elle est en train d’être mise en œuvre, et il ne faut pas accepter que cela passe comme une lettre à la poste, en particulier dans les grandes entreprises. Au moins à la première élection, il faudrait que nous refusions le chantage auquel la direction soumet les syndicats, à savoir que là où la loi prévoit 25 places, la direction en offre 25 supplémentaires si le syndicat signe le protocole d’accord. Ce n’est pas LO qui prend de toute façon la décision, cela doit être les syndiqués. Mais il faut chercher à convaincre les autres militants du comment et du pourquoi il faut refuser cette loi. Si la majorité des syndiqués décident de signer, le syndicat signera le protocole mais nous, nous aurons d’abord montré aux militants de toutes tendances et, par-delà, à l’ensemble des travailleurs, notre rejet de cette loi.

Le problème posé n’est pas seulement de signer ou pas, c’est surtout la bagarre que nous menons autour de cette question. Elle permet de nous expliquer sur la différence que nous faisons entre les délégués représentant les travailleurs et les autres formes qui sont venues se greffer dessus et qui sont des organismes de collaboration de classe. Cela nous permet aussi de nous expliquer sur la fonction des délégués à proprement parler, c’est-à-dire élus par les travailleurs pour les représenter et pas, comme les délégués au CE ou aux conseils d’administration, pour être la cinquième roue du carrosse de la direction, chargée de faire cautionner la politique des patrons.

Cela nous permet aussi d’expliquer que nous sommes pour que les délégués soient élus et révocables à tout moment. Expliquer aussi notre opposition au monopole syndical pour la présentation des délégués. C’est aux travailleurs de décider démocratiquement qui les représente. Pas à l’État. Pas même aux appareils syndicaux. Il s’agit de mener, dans un cadre syndical certes, une campagne politique, une bagarre politique, et pas se noyer dans un casse-tête pour répartir 20 postes entre 30 candidats. Il s’agit de faire de la politique, et pas, comme disait Trotsky, pour gérer l’intégration des syndicats dans l’État et la subordination de celui-ci au grand patronat. Au moment où les relevés d’ADN commençaient à se généraliser, il était juste, pour un militant ouvrier interpellé à l’occasion d’une grève ou d’une manifestation, de refuser de donner son ADN. Au fur et à mesure que cela entrera dans les mœurs, comme les empreintes digitales, cela aura moins d’importance.

Cela dit en passant, il n’est pas dit que les efforts des gouvernements pour dénaturer le rôle des délégués, pour les transformer en porte-voix des patrons, pour les couper des travailleurs, pour les compromettre dans la collaboration de classe, ne vont pas revenir comme un boomerang dans la gueule du patronat. Pour citer d’abord le passé, à la fois la grève de 1936 et les occupations d’usines, le patronat a bien dû regretter d’avoir viré tous les syndicalistes, y compris les plus mous, susceptibles de s’opposer au radicalisme croissant des travailleurs en lutte.

Et, en ce moment, on voit bien le problème du gouvernement avec les gilets jaunes. Comment trouver des interlocuteurs (c’est-à-dire ceux qui l’aideraient à enterrer le mouvement) avec qui négocier ? Si la nouvelle loi entre dans les mœurs, nous ferons quand même le travail, comme l’ont fait les militants du mouvement ouvrier avant que cette loi de protection existe. Si nos camarades ne se font pas élire comme délégués au CSE, avec la protection que cela implique, ils auront à faire le travail sans cette protection. Cela changera bien des choses dans notre façon de travailler. Il faudra que nous apprenions à le faire. Mais, après tout, plusieurs générations de militants ouvriers ont su le faire dans le passé. Et c’est en grande partie grâce à leur activité que la bourgeoisie a fini par consentir quelques protections ô combien limitées aux délégués, même si cette protection elle-même a fini par devenir un moyen d’intégrer les syndicats dans l’État.

Rappelons que c’est l’ensemble de la classe ouvrière, et pas seulement la petite minorité de délégués et militants, qui subit le recul avec la substitution des travailleurs en CDI par des précaires en tout genre. Mais cela ne doit pas nous faire négliger l’importance de mener la bagarre au moment où on veut forcer la main des syndicats par le chantage et les amener à signer des protocoles qui, dans le contexte d’aujourd’hui, signifient accord et acceptation.

Pour conclure

Dans l’immédiat, tant que dure le mouvement des gilets jaunes, il nous faut en profiter pour discuter, discuter, discuter, avec le maximum de travailleurs, ceux qu’on côtoie dans les différents blocages et surtout dans les entreprises. Il nous faut défendre notre politique, non seulement contre des adversaires, mais contre le scepticisme ou le désintérêt des nôtres.

Il n’est pas certain qu’on l’ait fait au maximum de nos possibilités. On sait, bien sûr, que c’est justement dans les grosses entreprises, dont les travailleurs sont pourtant bien mieux organisés par la classe capitaliste elle-même que les retraités, les chômeurs ou les ouvriers des petites entreprises, que le climat est le moins chaud. C’est là où se passeront les choses décisives. Décisives non pas forcément pour transformer un mouvement, pour le moment très limité, en une chose qu’il n’est pas. Mais, au moins, pour conduire les travailleurs à une certaine prise de conscience qui pourrait servir pour les luttes futures.

Encore une fois, nous ne savons rien de l’avenir du mouvement, même à très court terme. Mais s’il dure, il ne faut pas que les camarades manquent l’occasion de faire même le travail syndical de façon révolutionnaire. Les travailleurs des grandes boîtes ne sont pas mobilisés, ou en tout cas pas encore. Mais ils réfléchissent et discutent. Individuellement ou dans nos syndicats, nous devons chercher à entraîner les militants avec qui on milite toute l’année pour faire un travail de fourmi, pour faire réfléchir les travailleurs en vue de les mobiliser. Expliquer aux travailleurs qui vont sur les ronds-points que c’est la facilité et que cela ne suffit pas. Et si cela peut apparaître efficace si on considère le recul du gouvernement, cela ne l’est pas à plus long terme. Il faut donc foncer intelligemment et consciemment, entraîner les militants, réunir les travailleurs dont l’intérêt est plus fort en ce moment. Il nous faut trouver des arguments pour exprimer nous-mêmes avec colère leur mécontentement. Et mettre sur la table la mobilisation nécessaire et incontournable, car si on ne se mobilise pas, les capitalistes vont nous faire crever.

Il faut y aller avec un langage offensif et dire clairement que la seule solution, c’est de se mobiliser même si les travailleurs ne sont pas prêts aujourd’hui, car cela peut changer vite. Et dans les échéances les plus proches, il faut se saisir de la proposition de la CGT pour le 14 décembre. Ce qu’elle a fait le 1er décembre était proprement ridicule : la direction confédérale a saboté la manifestation nationale à laquelle elle avait appelé…

Dans le contexte d’aujourd’hui, une ou deux grosses entreprises se mettant en bagarre et posant le problème des salaires, ce serait un grand pas en avant. Pour ne prendre que cet aspect des choses, les représentants politiques de la bourgeoisie se plaignent parce que les gilets jaunes ne savent pas s’organiser suffisamment pour faire émerger des leaders capables de les représenter face aux autorités. Bien sûr que les préoccupations des représentants de la bourgeoisie sont à l’opposé de nos préoccupations. Ils veulent des représentants pour les aider à enterrer le mouvement. Nous voulons des responsables qui le poussent jusqu’au bout de ses possibilités.

Dans le passé, dans des situations sociales agitées, les travailleurs ont su faire surgir des comités de toutes sortes, dont la forme la plus accomplie était les conseils ouvriers ou les soviets, inventés par les travailleurs russes en 1905 et qui leur ont permis de prendre le pouvoir en 1917. Une forme d’organisation comparable ne peut surgir que de grandes entreprises. Une grande entreprise en grève démocratiquement menée, c’est-à-dire où les décisions sont prises en assemblée générale, peut et doit élire un comité de grève. Dès que le comité existe, il peut se transformer très naturellement en organisation de tous les travailleurs en lutte, qu’ils soient d’une grande entreprise, ou d’une petite, ou chômeurs, ou retraités.

Nous ne disons pas que le mouvement actuel a une quelconque chance de déboucher sur de tels comités. L’idée même en est saugrenue tant qu’au moins un certain nombre d’entreprises ne sont pas en lutte. Mais il faudrait que nos camarades soient conscients de l’étape suivante et qu’ils fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour s’en rapprocher.

Enfin, par-delà le mouvement en cours, il faut être conscient que la situation actuelle est riche d’un certain nombre de potentialités, y compris des pires. Il peut contribuer à éveiller les travailleurs des grandes entreprises, mais il peut aussi donner une certaine base populaire à un mouvement d’extrême droite qui ne soit plus seulement purement électoral. Nous en envisageons l’éventualité depuis plusieurs années avec l’aggravation de la crise et avec la montée de la démoralisation telles que les travailleurs se tournent, au moins électoralement, vers Le Pen et compagnie. En sachant d’ailleurs qu’un véritable mouvement fascisant ne surgira pas nécessairement du Rassemblement national ou d’une Marine Le Pen bien trop installée dans la vie des institutions politiques, mais peut-être d’autres partis ou personnes.

Il ne s’agit pas de spéculer sur les chances de telle ou telle éventualité. Il s’agit de militer autour de nos idées et de notre politique. Et pour le faire, de se renforcer en militants, d’accroître notre influence. Il s’agit d’intervenir par les actes lorsqu’on le peut, et par la parole dans tous les cas, en sachant que le compte à rebours est peut-être déjà lancé… À sa façon, avec ses contradictions, avec ses limites, le mouvement des gilets jaunes confirme la validité de nos idées. Notre politique n’est certainement pas reprise par une partie significative des travailleurs dans les grandes entreprises, mais nous ne passons pas pour des Martiens en la défendant. Si nous faisons sérieusement notre travail, cela peut se traduire par un accroissement de notre audience. C’est une façon importante d’avancer sur le chemin de la construction du parti.

Alors, camarades, bon courage pour l’activité ! Ayons de la détermination et de l’enthousiasme dans ce que nous faisons et, surtout, pour ce que nous devons faire !