Construire un parti communiste révolutionnaire

Εκτύπωση
décembre 2017

La classe ouvrière ne pourra se libérer de l’exploitation, en libérant la société de la camisole de force du capitalisme, qu’en se donnant des partis communistes révolutionnaires.

Le parti communiste révolutionnaire ne pourra renaître et se développer que sur la base du socialisme scientifique, tel qu’il a été élaboré il y a cent soixante-dix ans par Marx et Engels et formulé dans Le Manifeste du Parti communiste. Cet ouvrage pose les fondements du programme et de la pratique d’un courant du mouvement ouvrier qui ne se limite pas seulement à défendre les intérêts matériels et politiques des travailleurs dans le cadre du système capitaliste mais qui se fixe pour objectif la destruction de celui-ci.

Ce sont le développement même du capitalisme moderne et la division internationale du travail, accélérés par l’industrialisation, qui ont engendré et développé un prolétariat moderne, seule force capable de remplacer l’organisation capitaliste de la société par une forme économique et sociale supérieure, le communisme. Le développement du capitalisme, en mondialisant l’économie, a créé les fondements économiques sur lesquels le prolétariat révolutionnaire pourra construire une société débarrassée de l’exploitation, de la concurrence et des crises.

Du fait de son objectif fondamental, la lutte du prolétariat ne peut se limiter au cadre des frontières nationales. C’est, au contraire, une lutte internationale ayant pour aboutissement la fin de la domination économique et politique de la bourgeoisie par l’organisation de la classe ouvrière en classe économiquement et politiquement dominante à l’échelle mondiale.

Dans l’histoire du mouvement communiste, la construction du parti se confond avec la construction d’une Internationale, le parti mondial de la révolution communiste.

Depuis que le développement capitaliste a simplifié les rapports sociaux en divisant la société «en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat », pour reprendre l’expression du Manifeste communiste, ces deux classes n’ont jamais cessé de se combattre. Par moments, ce combat reste souterrain et se limite à des escarmouches à l’intérieur d’une entreprise, opposant un patron à ses ouvriers ; à d’autres moments, il s’agit d’affrontements massifs de classes, de grèves ou d’insurrections. Parfois, les combats conduisent à des succès, au moins partiels, des travailleurs ; souvent à des défaites plus ou moins graves.

Au-delà de l’histoire officielle et de ses rebondissements, au-delà de la rivalité entre les nations bourgeoises et de leurs guerres, cette lutte de classe demeure le moteur de l’histoire.

Par-delà les rapports de force changeants entre la bourgeoisie et le prolétariat, l’organisation capitaliste de la société et la concurrence qu’elle introduit parmi les travailleurs ont toujours exercé un effet dissolvant sur les organisations que la classe ouvrière s’est données. La société bourgeoise, basée fondamentalement sur la propriété privée et la rivalité économique, introduit sans cesse la concurrence entre les travailleurs eux-mêmes. «Cette organisation du prolétariat en classe, et donc en parti politique, est sans cesse détruite de nouveau par la concurrence que se font les ouvriers entre eux », constate Le Manifeste communiste.

Le combat pour l’émancipation sociale est donc en même temps un combat contre l’individualisme et la compétition entre travailleurs et pour la conscience collective d’appartenir à une même classe sociale. C’est un combat à recommencer sans cesse tant que la domination de la bourgeoisie sur la société n’est pas définitivement renversée. Seules les périodes révolutionnaires sont susceptibles de souder la classe ouvrière dans sa grande majorité autour de ses intérêts de classe et de la perspective politique qu’elle incarne. C’est dans ces périodes seulement que la classe ouvrière peut se hisser au niveau de sa tâche historique qui est de détruire de fond en comble les rapports sociaux capitalistes et de commencer à bâtir un ordre social nouveau sans propriété privée des moyens de production, sans concurrence et sans exploitation.

«Les communistes proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l’ordre social traditionnel », affirme Le Manifeste communiste. Contrairement aux balivernes des réformistes « socialistes » ou staliniens, la classe ouvrière ne peut conquérir le pouvoir dans le cadre des lois édictées par la bourgeoisie. Son indépendance politique est la condition fondamentale pour y parvenir : «Au lieu de se ravaler une fois encore à servir de claque aux démocrates bourgeois, les ouvriers, et surtout la Ligue, doivent travailler à constituer, à côté des démocrates officiels, une organisation distincte, secrète et publique du parti ouvrier, et faire de chaque communauté le centre et le noyau de groupements ouvriers où la position et les intérêts du prolétariat seraient discutés indépendamment des influences bourgeoises. » (extrait de l’Adresse du Comité central à la Ligue des communistes – Marx et Engels, mars 1850)

C’est sur la base de ce programme que le parti bolchevique a pu conduire le prolétariat russe à la prise et à l’exercice du pouvoir étatique, en faisant rentrer les idées du socialisme scientifique dans le domaine des faits, à l’échelle d’un grand pays représentant un sixième du globe.

Lénine, le principal dirigeant du parti bolchevique, avait formulé ainsi «les tâches des social-démocrates russes » en 1897, c’est-à-dire vingt ans avant la prise du pouvoir par les soviets (conseils) que s’étaient donnés les prolétaires de Russie :

«Notre tâche est de fondre notre activité avec les questions pratiques, quotidiennes, de la vie ouvrière, d’aider les ouvriers à s’orienter dans ces questions, d’attirer leur attention sur les principaux abus, de les aider à formuler d’une façon plus précise et plus pratique les revendications qu’ils présentent à leurs patrons, de développer chez les ouvriers la conscience de leur solidarité, la conscience de leurs intérêts communs et de la cause commune à tous les ouvriers russes, en tant que classe ouvrière une et indivisible faisant partie de l’armée mondiale du prolétariat. »

Aux yeux de Lénine et de Trotsky, la victoire de la révolution prolétarienne en Russie en 1917 fut la victoire du premier détachement de cette « armée mondiale du prolétariat » à s’être lancé dans la lutte décisive. Il est impossible de séparer dans cette victoire l’ampleur et la profondeur de la mobilisation révolutionnaire du prolétariat russe et le rôle du parti bolchevique pendant ces huit mois allant du début de la révolution au mois de février à la prise du pouvoir au mois d’octobre 1917. Disons que la fusion entre la classe ouvrière et le parti qui regroupait son avant-garde politique avait atteint au fil des mois un degré jamais égalé auparavant. Cette fusion s’était produite au fil de huit mois d’affrontements de classes et avait été portée à son degré le plus élevé par la révolution.

La révolution elle-même n’aurait cependant pu fondre à ce point-là la classe ouvrière avec son avant-garde politique s’il n’y avait eu des années de préparation de la part du parti bolchevique et de ses militants agissant en symbiose avec la maturation du prolétariat lui-même.

Nous ne reviendrons pas ici sur l’importance de la révolution de 1905 en tant que « répétition générale » de ce qui allait se passer en 1917, ni sur la profondeur du recul dans la combativité et l’organisation du prolétariat, entre 1907 et le début de la décennie suivante.

La période de montée ouvrière en 1905 ainsi que celle de profond recul à partir de 1907 ont cependant contribué, chacune à leur manière, à forger ce parti qui reste pour notre courant un modèle et une référence. À la lumière de la vague révolutionnaire qui suivit la révolution russe, Lénine écrivit en 1920 : «Aujourd’hui nous avons par-devers nous une expérience internationale fort appréciable, qui atteste de toute évidence que certains traits essentiels de notre révolution n’ont pas une portée locale, ni particulièrement nationale, ni uniquement russe, mais bien internationale.» (La Maladie infantile du communisme).

La victoire du prolétariat en Russie en octobre 1917 trancha, dans le feu de la révolution, le débat sur la nature du parti qui lui est nécessaire pour prendre le pouvoir. Elle trancha en Russie même, d’abord, entre les courants menchevique et bolchevique de la façon la plus radicale : pendant que les bolcheviks conduisaient le prolétariat à la victoire, les mencheviks, issus pourtant du même parti social-démocrate russe, se plaçaient définitivement dans le camp de la bourgeoisie.

La vague révolutionnaire de la période 1917-1921, qui ébranla une grande partie de l’Europe, a démontré, non pas dans la théorie mais dans la lutte révolutionnaire vivante, la validité des méthodes bolcheviques : par la victoire, dans la révolution russe ; par la défaite, dans les autres révolutions.

Le prolétariat ne réussit à conquérir et à conserver le pouvoir que dans la seule Russie. Un très grand nombre de facteurs sont intervenus, bien sûr, dans le dénouement de situations révolutionnaires auxquelles se trouva confronté le prolétariat en Allemagne, en Hongrie, en Finlande et, jusqu’à un certain point, en Italie. Parmi ces facteurs, il y avait évidemment l’ampleur et la profondeur de la mobilisation du prolétariat de chacun de ces pays. Comme il y avait, en face, le degré de préparation de la bourgeoisie elle-même, la compétence de son personnel politique et militaire, sans oublier les aspects liés à la situation géopolitique, la taille du pays, le développement de son économie, sa vulnérabilité sur le plan militaire, etc.

Pourtant, le fait est que le prolétariat russe parvint non seulement à conquérir le pouvoir, mais à le préserver malgré une guerre civile doublée d’interventions militaires des puissances impérialistes et malgré les difficultés économiques d’un pays étendu mais sous-développé.

Cette période a donné à la nécessité d’un parti de type bolchevique un caractère universel.

La bourgeoisie a cependant réussi à emporter la victoire de cette première grande bataille internationale entre les deux classes fondamentales de la société capitaliste, en grande partie parce qu’elle a trouvé des alliés dans la social-démocratie, c’est-à-dire dans la direction et l’appareil politique des partis issus du mouvement ouvrier. La social-démocratie réformiste fournit la première illustration de cette dialectique de l’histoire qui a transformé des partis issus du mouvement ouvrier, leurs directions et leurs appareils en instruments de la préservation de l’ordre social capitaliste.

Avec la bureaucratisation du premier État ouvrier, l’histoire a reproduit quelque chose de semblable, avec des conséquences plus durables et plus graves encore.

Le stalinisme issu de la révolution devint le principal facteur contre-révolutionnaire, pas seulement en Union soviétique, où il a été l’expression politique des intérêts de la bureaucratie, mais à l’échelle internationale.

L’action de la bureaucratie en Union soviétique même, pour écraser la classe ouvrière et massacrer toute une génération de révolutionnaires restés fidèles à la révolution d’Octobre, se prolongea par le rôle du stalinisme à l’échelle internationale. Celui-ci a non seulement étouffé tout développement révolutionnaire dans les pays capitalistes (1936 en Espagne et, dans une certaine mesure, en France) mais, avec la politique des fronts populaires, il a enchaîné le mouvement ouvrier lui-même aux partis politiques de la bourgeoisie.

Pendant la grande crise de l’économie capitaliste, au milieu des années 1930, la bourgeoisie et le prolétariat se sont de nouveau affrontés à l’échelle internationale. La classe dominante a assuré la pérennité de son pouvoir, en Europe en tout cas, d’une part par le fascisme, d’autre part par les fronts populaires impulsés par le stalinisme.

Dans les affrontements de classes des années trente, la grande crise de l’économie capitaliste a joué un rôle similaire à celui qu’avait joué la Première Guerre mondiale dans le déclenchement de la vague révolutionnaire de 1917-1921. Le prolétariat, qui avait retrouvé sa combativité à l’échelle internationale, n’a cependant pas trouvé de direction pour mener ses combats jusqu’au bout. Pire : ceux qui se posaient en dirigeants du mouvement ouvrier, les partis socialistes et les partis staliniens, se sont faits les représentants, à cette période, des intérêts politiques fondamentaux de la bourgeoisie et l’ont aidé à préserver l’ordre capitaliste à l’échelle du monde.

Comme devait alors le résumer Trotsky dans Le Programme de transition, «la crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire».

Ce n’est pas seulement le prolétariat mais toute l’humanité qui allait payer cette crise de direction par la Deuxième Guerre mondiale.

La seule tentative sérieuse, aussi bien sur le plan de la théorie que sur celui de l’action, pour assurer la continuité du mouvement ouvrier révolutionnaire a été celle de l’Opposition de gauche en Russie et de la IVe Internationale. Le rôle historique de Trotsky et de la IVe Internationale, qu’il avait proclamée peu avant d’être assassiné sur ordre de Staline en 1940, fut de maintenir la continuité politique du mouvement révolutionnaire avec la révolution d’Octobre, et par là même avec un courant qu’ont incarné successivement la Iere Internationale de Marx et d’Engels, puis la IIe Internationale jusqu’à la Première Guerre mondiale, et l’Internationale communiste des années 1919-1923.

Militant formé dans la IIe Internationale, membre influent de la direction de la IIIe après avoir été un des principaux dirigeants de la Révolution russe, Trotsky a incarné face au stalinisme triomphant l’héritage politique de ce que ces deux Internationales avaient de meilleur.

À ce capital politique considérable hérité du passé, il a ajouté des apports d’une importance vitale sur l’évolution des rapports entre la bourgeoisie impérialiste et le prolétariat après la dégénérescence de l’État ouvrier.

En premier lieu, l’analyse marxiste de l’émergence d’une bureaucratie parasitant l’État créé par la révolution prolétarienne.

L’analyse également de deux phénomènes politiques, le fascisme et le Front populaire, engendrés par l’impérialisme face à la grande crise de 1929 pour écarter la menace de la révolution prolétarienne, dans le premier cas par la terreur et dans le second par la tromperie.

Les écrits de Trotsky de cette période représentaient et représentent toujours l’application du raisonnement marxiste à bien d’autres soubresauts d’une période riche en événements : la lutte contre la montée du nazisme en Allemagne, la révolution espagnole de 1936, Juin 1936 en France ou la mobilisation sans précédent de la classe ouvrière des États-Unis.

Ses écrits politiques contiennent également les clés pour la compréhension de bien d’autres événements survenus après sa mort, comme la transformation du jeune Parti communiste chinois en parti nationaliste capable de s’emparer du pouvoir politique en s’appuyant sur la révolte de la paysannerie pauvre.

Nous nous revendiquons de la IVe Internationale, créée par Trotsky à une époque (1938) où, entre la bureaucratie stalinienne triomphant sur les ruines de la révolution d’octobre 1917 et le fascisme installé en Allemagne et en Italie, il était minuit dans le siècle, selon une expression de Victor Serge. Le Programme de transition, le manifeste du marxisme révolutionnaire à l’époque de l’impérialisme, garde de nos jours encore toute sa validité.

Ni du vivant de Trotsky ni encore moins après sa mort, les idées et le programme révolutionnaire personnifiés par Trotsky n’ont pu cependant se réimplanter dans la classe ouvrière.

En Union soviétique, seul pays où existait avec l’Opposition de gauche un parti incarnant l’héritage du parti bolchevique, avec des militants formés, riches de l’expérience de la révolution russe elle-même, des premières années de transformation économique dans un sens socialiste et de la lutte contre la bureaucratisation montante, ce parti a été littéralement liquidé par la bureaucratie stalinienne. Ce fut une lutte à mort dans le plein sens du terme, où, à travers l’action des militants de l’Opposition de gauche, le prolétariat s’affrontait à la dégénérescence de son État et à la couche privilégiée bureaucratique que celui-ci avait sécrétée. Cet affrontement se prolongea à l’échelle internationale.

Les partis issus de l’Internationale communiste, transformés en partis staliniens, ont mené partout une guerre impitoyable à tous ceux qui dénonçaient l’usurpation de la dénomination communiste par le courant stalinien et condamnaient la dictature bureaucratique de l’Union soviétique stalinienne au nom du marxisme révolutionnaire.

Le stalinisme a connu par la suite le déclin que l’on sait, et en Union soviétique, et dans le mouvement ouvrier international. Mais le prolétariat et finalement l’ensemble de la société n’ont pas fini d’en payer le prix.

Comment la question du parti se pose aujourd’hui

Un siècle après la révolution russe, nulle part dans le monde le prolétariat n’a pris le pouvoir. Nulle part, il n’a même été en situation de le prendre. À l’heure actuelle, le prolétariat ne dispose, dans aucun pays du monde, d’un parti révolutionnaire prolétarien, instrument nécessaire de son émancipation.

Ce n’est pas le lieu ici d’analyser les raisons de ce long délai. Disons que, pour ce qui est de la période d’après la Deuxième Guerre mondiale, elles tiennent à des facteurs objectifs qui sont, totalement ou partiellement, extérieurs au mouvement révolutionnaire, comme une certaine stabilité dans les pays impérialistes dans les années 1950-1960. Cette stabilité, la bourgeoisie impérialiste l’a due pour une large part à la collaboration active de la bureaucratie soviétique et du mouvement stalinien au rétablissement de l’ordre capitaliste qui ont étouffé ou détourné la vague révolutionnaire déclenchée par la deuxième boucherie impérialiste, plus meurtrière encore que la première. Ils l’ont étouffée dans les pays impérialistes développés. Et ils ont contribué à détourner les mouvements révolutionnaires des masses pauvres des pays sous-développés opprimés par l’impérialisme vers le chemin du nationalisme.

Les secousses révolutionnaires puissantes qui ont alors ébranlé l’ordre impérialiste mondial, de la Chine à l’Indonésie, de l’Inde à l’Indochine, ne l’ont pas détruit. Ce n’était pas l’intention des directions nationalistes dont l’ambition politique se limitait à l’accession au pouvoir d’une bourgeoisie autochtone. Ce qu’est devenue la Chine aujourd’hui, avec son capitalisme sauvage et ses « milliardaires rouges », se trouvait en germe dans la perspective que Mao et les siens ont donnée à leur peuple en révolution.

Contraint et forcé par les guerres d’émancipation des peuples opprimés, l’impérialisme allait abandonner la forme coloniale de sa domination, mais pas la domination elle-même.

Sur le plan des rapports de classe, la bourgeoisie impérialiste a intégré les bourgeoisies des pays pauvres dans le système capitaliste mondial en désamorçant la menace de la révolution.

En France, au cours des décennies écoulées depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les anciens partis issus du mouvement ouvrier se sont plus étroitement encore intégrés à la société bourgeoise. Le Parti socialiste a perdu tout caractère de parti ouvrier pour devenir un des piliers de la Ve République bourgeoise, un des termes de l’alternance politique avant que le système d’alternance lui-même sombre sans gloire, cédant la place à Macron et au Front national.

Le Parti communiste a laissé au bord de la route les défroques du stalinisme et n’en a gardé que sa méfiance profonde vis-à-vis du prolétariat et de ses initiatives. Devenu une force supplétive du Parti socialiste, il l’a précédé dans son déclin. Les militants du mouvement ouvrier ont trouvé refuge dans les syndicats. Bien fragile refuge cependant car les appareils syndicaux eux-mêmes ont poursuivi leur intégration dans l’État impérialiste.

La situation actuelle est profondément marquée par le fait que la nouvelle crise grave de l’économie capitaliste trouve la classe ouvrière politiquement désarmée. Non seulement elle ne dispose pas d’un parti ayant pour objectif le renversement du système capitaliste, mais faute d’un tel parti, elle est dans l’incapacité de se défendre sur le terrain politique. Ce n’est pas la classe ouvrière elle-même qui est en cause mais ses organisations. Non seulement elle a gardé son rôle indispensable dans la production, mais à l’échelle internationale, elle s’est numériquement renforcée par l’intégration dans des pays pauvres de nouveaux contingents de cette « armée du prolétariat » dont parlait Lénine.

Tout au long de son histoire, le développement de l’économie capitaliste a diversifié le prolétariat en même temps qu’il a élargi ses rangs. Il a inventé des formes plus ou moins nouvelles d’exploitation ou, du moins, une façon « moderne » de la déguiser (un des derniers déguisements étant la catégorie des « autoentrepreneurs »).

Par ailleurs, en diversifiant la composition de la classe salariale en faveur des services, des banques, des assurances, du système de santé, l’évolution a diversifié les salaires et certains aspects des conditions d’existence de ceux qui n’ont que leur salaire pour vivre. La bourgeoisie et ses idéologues savent utiliser ces différences pour tenter d’effacer l’opposition fondamentale de classe entre exploités et ceux qui s’enrichissent de leur exploitation.

Voilà pourquoi il est important de combattre le corporatisme qui est en dernier ressort une des armes de la bourgeoisie pour maintenir sa domination.

Le prolétariat de l’industrie et des transports continue cependant de constituer le gros du contingent de l’armée du prolétariat, même dans les pays impérialistes où les penseurs de la bourgeoisie annoncent sa disparition. Les ouvriers de l’industrie sont plus nombreux aujourd’hui en France que lors des grandes grèves de Juin 1936.

Le capitalisme en crise détruit jour après jour les bases sociales des idées réformistes. Le déclin des courants social-démocrate et stalinien en est l’illustration. Mais, dans un contexte d’évolution réactionnaire de la société, les idées et les consciences ont pris un retard certain par rapport à la réalité.

En France comme dans tous les pays impérialistes, la classe ouvrière reste marquée par la perspective de plus en plus illusoire de pouvoir changer la réalité de la condition prolétarienne dans le cadre du système capitaliste. La progression des abstentions, notamment ici, en France, indique seulement un dégoût de la politique, mais pas une prise de conscience des intérêts politiques des exploités. L’électoralisme marque encore profondément la classe ouvrière. Pour une partie importante de celle-ci, notamment pour ce qu’il reste du mouvement ouvrier organisé, les perspectives électoralistes apparaissent plus crédibles que les perspectives révolutionnaires.

Affaibli, avec nombre de militants démoralisés, le mouvement ouvrier organisé, le mouvement syndical, regroupe cependant encore la majorité des travailleurs désireux de militer pour défendre leur classe. Le caractère conservateur des directions des syndicats, leur intégration dans le système, ne peuvent être combattus ni en étant suivistes, ni par le sectarisme.

La « gauche » réformiste sous tous ses avatars, pseudo-socialistes, pseudo-communistes et depuis peu mélenchonistes, tout en influençant l’état d’esprit des travailleurs dans un sens électoraliste, en constitue également un reflet.

C’est cet état réel qui doit être le point de départ des révolutionnaires communistes. Gagner une fraction de la classe ouvrière aux idées communistes révolutionnaires ne peut se faire qu’en affirmant à tout moment l’existence d’un courant communiste révolutionnaire et d’une politique révolutionnaire fondamentalement différents.

Dans l’histoire internationale du courant révolutionnaire du mouvement ouvrier, il y avait non seulement une continuité d’idée, mais la continuité physique entre les militants et les organisations de la Iere puis de la IIe et de la IIIe Internationale. C’est au sein de l’Internationale qui cédait sa place à la suivante que s’étaient formés les militants et les dirigeants de chaque nouvelle Internationale. Après la trahison de la IIe Internationale et de la plupart de ses dirigeants, la IIIe Internationale a pu s’appuyer sur des militants qui avaient refusé la trahison. C’est cette continuité que le stalinisme a rompue.

Malgré la rupture physique dans la continuité historique, la lutte pour la renaissance de partis communistes révolutionnaires ne part pas de rien. Le marxisme révolutionnaire continue à vivre dans les écrits de Marx, Engels, Rosa Luxemburg, Lénine, Trotsky et bien d’autres. C’est sur la base de ces idées qu’un parti communiste révolutionnaire pourra se reconstruire.

Transmettre fidèlement les idées marxistes aux nouvelles générations et principalement à la nouvelle génération de la classe ouvrière reste la tâche essentielle de notre époque. À commencer par la conception matérialiste de l’histoire, dont Trotsky écrivit, lors du 90e anniversaire du Manifeste communiste, qu’elle a «tout à fait résisté à l’épreuve des événements et des coups de la critique hostile : elle constitue aujourd’hui l’un des instruments les plus précieux de la pensée humaine. Toutes les autres interprétations du processus historique ont perdu toute valeur scientifique. On peut dire avec assurance qu’actuellement, il est impossible non seulement d’être un militant révolutionnaire, mais tout simplement d’être un homme politiquement instruit sans s’être approprié la conception matérialiste de l’histoire. »

Il est particulièrement important de comprendre et d’assimiler cette idée, surtout à notre époque de triomphe des idées réactionnaires, de retour des religions et du mysticisme.

Coupées du mouvement ouvrier par la violence stalinienne, la plupart des organisations qui se revendiquaient de la IVe Internationale et du trotskysme ont subi sous des formes différentes la pression de la petite bourgeoisie intellectuelle chez qui elles avaient trouvé refuge. La plupart d’entre elles ont fini par abandonner la politique communiste révolutionnaire dans les faits et beaucoup en ont renié jusqu’à ses idées fondamentales.

Le courant politique incarné aujourd’hui par Lutte ouvrière est né, pendant la Deuxième Guerre mondiale, d’une rupture avec la direction officielle de la IVe Internationale telle qu’elle était devenue après la mort de Trotsky en 1940. Privée de la direction de Trotsky, la IVe Internationale a éclaté en plusieurs organisations et on peut dire aujourd’hui qu’elle est morte organisationnellement sans avoir vraiment vécu.

Notre conception du parti communiste révolutionnaire est celle de Lénine : le parti communiste révolutionnaire doit être bien sûr un instrument de propagande, une école pour les travailleurs. Il doit participer à la vie de la classe ouvrière et à toutes ses luttes, y compris les plus immédiates. Mais il doit être avant tout l’instrument de la lutte pour le pouvoir, l’instrument que le prolétariat devra utiliser pour arracher le pouvoir politique à la bourgeoisie.

C’est précisément parce qu’il se place dans cette perspective, parce qu’il ne cherche pas à préserver quoi que ce soit du pouvoir de la bourgeoisie et de ses institutions, parce que ses militants n’ont pas de plan de carrière dans le cadre d’un système qu’ils cherchent à détruire, qu’un véritable parti communiste peut conduire jusqu’au bout, jusqu’au maximum de leurs possibilités, même les combats des travailleurs qui apparaissent mineurs à leur déclenchement. Il fait confiance à la classe ouvrière et ne craint pas d’être débordé.

Lutte ouvrière, telle qu’elle est aujourd’hui, n’est pas encore ce parti, mais un embryon de ce dernier qui milite, pour le construire.

Pour réaffirmer que le futur parti communiste révolutionnaire doit se construire en cherchant à faire prévaloir le type d’organisation et les méthodes de travail bolcheviques, le texte fondateur de notre courant, dit Rapport 1943, affirmait : « La conception bolcheviste a été consacrée par la victoire de la révolution d’Octobre 1917. Mais la dégénérescence de la révolution d’Octobre a remis en question la conception même du parti. Impuissants à s’expliquer le stalinisme comme le produit de la marche réelle de la lutte de classes (qui a abouti à une situation dans laquelle le prolétariat, ayant pris le pouvoir et remplacé la propriété privée par l’économie planifiée, est écarté du pouvoir politique par une bureaucratie qui, tout en se maintenant sur la base des rapports établis par la révolution, représente au point de vue politique, social, moral, etc., la négation même du bolchevisme), de nombreux « critiques » en viennent à accuser le bolchevisme lui-même comme non démocratique, etc., et donc comme responsable du stalinisme. Mais aucun de ces critiques n’a réussi à inventer quelque chose de nouveau qui puisse empêcher le parti, qui est un moyen, de se briser dans l’accomplissement de sa tâche, soit à cause de son contenu matériel et idéologique insuffisant (comme divers partis naissants de la troisième Internationale), soit, après l’épuisement de ce contenu dans l’accomplissement de la tâche révolutionnaire : tel fut le sort du parti bolchevique en Russie. Ces « critiques » ont d’ailleurs fini à l’écart de la lutte révolutionnaire et sont revenus à des conceptions bourgeoises. LES MÉFAITS DU STALINISME NE PEUVENT PAS ÊTRE IMPUTÉS AU BOLCHEVISME DONT IL N’EST PAS LA CONTINUATION MAIS LA NÉGATION. »

Cette réaffirmation de la fidélité à la conception bolchevique du parti malgré et contre le stalinisme date de plusieurs décennies, mais elle garde toute sa validité. Le parti ne pourra se construire qu’à condition que son ossature soit constituée de militants qui acceptent une structure organisationnelle que Lénine appelait le centralisme démocratique.

La question de savoir si le parti communiste révolutionnaire à construire sera un parti de masse ou un « parti de révolutionnaires professionnels », lorsqu’elle est mal posée, entraîne souvent des discussions oiseuses. L’objectif du parti communiste révolutionnaire est évidemment de devenir un parti de masse au sens d’englober une fraction importante du prolétariat et de bénéficier du soutien de la majorité du prolétariat. Sans cela, il ne pourra pas jouer son rôle, c’est-à-dire conquérir le pouvoir en s’appuyant sur l’élan de l’ensemble de la classe ouvrière. Le parti bolchevique n’aurait pas pu – et n’a pas voulu ! – prendre le pouvoir sans être devenu le parti largement majoritaire dans la classe ouvrière. La progression du parti bolchevique, mesurée à l’aune des élections aux soviets, a été un élément déterminant de la décision de partir à l’assaut du pouvoir.

Mais l’embryon du parti ne pourra grandir et devenir un parti véritable sans un noyau de militants dévoués à la cause du communisme révolutionnaire, déterminés, compétents, acquis aux idées marxistes, connaissant les combats passés du prolétariat et capables d’en partager les luttes.

Il ne deviendra un véritable parti de masse et ne s’aguerrira dans la lutte de classe qu’en période révolutionnaire, c’est-à-dire dans une période où la classe ouvrière dans son ensemble est mobilisée par la lutte et lorsqu’elle fait émerger de ses rangs des milliers de femmes et d’hommes que la lutte elle-même amène à la conviction qu’il faut renverser le pouvoir de la bourgeoisie. Mais, pour être alors l’instrument de la conquête du pouvoir du prolétariat, il faut que sa stratégie et sa politique au jour le jour soient inspirées par cet objectif, même en des périodes où l’état d’esprit de la classe ouvrière n’en est pas encore là.

Il est en revanche stupide et dérisoire de penser qu’abandonner toute une partie des idées communistes révolutionnaires pour élargir ses rangs et tenter de devenir un parti de masse pourrait constituer un raccourci. Il s’agit là en général d’une fausse barbe pour cacher le fait qu’on abandonne la perspective communiste révolutionnaire.

Pour un groupe de communistes révolutionnaires, il serait également puéril de penser qu’il suffit de faire de la propagande pour son programme en veillant à sa pureté et en attendant les périodes révolutionnaires où la classe ouvrière ferait surgir des militants à la recherche d’un programme et d’une politique. Ce n’est pas pour rien que Lénine parlait à propos de cette attitude de « maladie infantile du communisme ».

Une organisation, même si elle n’est pas encore un parti mais seulement un embryon, doit participer à la lutte de classe vivante telle qu’elle est et propager ses idées et sa politique. Il faut qu’elle cherche en permanence à élargir son action en s’appuyant sur des femmes et des hommes qui partagent les perspectives communistes révolutionnaires même s’ils ne sont pas prêts à s’engager pleinement dans l’activité révolutionnaire.

Si, pour bâtir un parti, l’engagement d’un noyau de militants, que Lénine qualifiait de militants professionnels, est indispensable, c’est précisément afin de permettre la continuité de l’activité communiste révolutionnaire et d’intégrer dans une action révolutionnaire unique même les activités limitées, partielles ou ponctuelles de la fraction la plus large possible de femmes et d’hommes prêts à apporter leur contribution à la construction du parti. Parlant des ces « militants professionnels », Lénine utilise souvent dans Que faire ? l’expression d’« organisateurs », ce qui décrit bien leur rôle.

Mais, là encore, il ne s’agit pas de mettre de l’eau dans son vin révolutionnaire. Il est indispensable que non seulement tous les groupes et comités qui contribuent à la construction du parti se sentent partie prenante du « camp des travailleurs », mais qu’ils partagent la même perspective et le même programme fondamental. C’est à cette condition qu’ils peuvent tisser des liens politiques entre le futur parti et les travailleurs. C’est à cette condition qu’ils peuvent apporter leur pierre à des activités aussi indispensables pour une organisation communiste révolutionnaire, même petite, que le recrutement de jeunes travailleurs et de jeunes intellectuels décidés à rejoindre le combat.

Par ailleurs, il est bien entendu qu’un embryon de parti ne peut participer aux luttes quotidiennes des travailleurs, gagner leur confiance et du crédit politique pour devenir un parti, sans participer à toutes sortes d’organisations (syndicats, associations culturelles, voire sportives, amicales de locataires, groupes d’alphabétisation, de défense des ­sans-papiers etc.) qui n’ont nullement la révolution sociale pour raison d’être. Mais il s’agit d’y participer en y défendant la politique communiste révolutionnaire. Et c’est là qu’il est important, pour les militants et les sympathisants révolutionnaires communistes, de s’entourer pour soutenir leurs actions et relayer leurs idées.

Tout ce milieu large – l’expression est à prendre à notre échelle – doit être sur le plan politique le prolongement de l’organisation.

Il serait vain d’essayer d’imaginer aujourd’hui quel sera le chemin par lequel une organisation comme la nôtre pourrait se transformer d’embryon en parti.

Cela se fera-t-il avec l’apport de militants de la classe ouvrière, marqués aujourd’hui par le réformisme et l’électoralisme mais qui n’ont pas abandonné le combat, ni perdu le moral, mais qu’un réveil de la combativité amènerait à ne plus se contenter d’ersatz, ni de la variante PC, ni de la variante mélenchonienne, ni de la variante syndicaliste ? L’élan décisif viendra-t-il de la jeune génération de travailleurs, précarisée, rejetée, ici, des dizaines d’années en arrière vers la condition ouvrière du passé, une condition qui n’a jamais cessé d’être celle des travailleurs des trois quarts ­sous-développés de la planète ?

Il serait tout aussi vain de spéculer sur les prochains ébranlements de la classe ouvrière, bien qu’il soit difficile d’imaginer la construction du parti comme quelque chose de linéaire, avec des recrutements un par un. De tels ébranlements pourraient accélérer la construction du parti en créant des opportunités qu’il faudrait savoir saisir mais qu’il est impossible de prévoir. Il suffit pour la France d’évoquer les opportunités offertes par Mai 1968 que les courants qui se réclamaient alors de la révolution n’ont pas su saisir.

Il serait enfin illusoire de penser que, même après les débâcles des partis issus du passé du mouvement ouvrier (du PCF en particulier), le combat pour les perspectives révolutionnaires face à celles du réformisme est arrivé à sa conclusion. Les luttes politiques entre les partisans de ces deux perspectives ont accompagné, sous des formes diverses, toute l’histoire du mouvement ouvrier. Même un regain important de la combativité ouvrière sur le terrain politique profitera autant, et sans doute plus dans un premier temps, à des partis ou des forces politiques électoralistes. Il est d’autant plus important que le courant communiste lève son drapeau et mène le combat contre les marchands d’illusions.

Terminons par le fait que la construction d’un parti communiste révolutionnaire se confond avec celle d’une Internationale communiste révolutionnaire. Les conditions qui permettront le développement du premier permettront la renaissance de la seconde. Cela nécessite d’avoir une politique orientée dans cette direction. Pour l’Internationale comme pour le parti, ici, en France, le fil conducteur de cette construction sera le marxisme révolutionnaire.

6 octobre 2017