La Banque postale, en passe d’être une banque comme les autres

Εκτύπωση
septembre-octobre 2015

Fin mai 2015, la Banque postale a lancé une nouvelle réorganisation de ses centres financiers, s'attaquant cette fois-ci de front à tous les sites. Une réorganisation qui s'inscrit en fait dans toutes celles qui ont permis à l'État de supprimer des dizaines de milliers d'emplois dans le secteur en moins de quinze ans. On ne reviendra pas sur la première grande transformation des anciennes Postes et Télécommunications en 1991 qui allait donner France Télécom d'un côté et La Poste de l'autre. La privatisation en quelques années de France Télécom a mis à la disposition des capitalistes les milliards d'investissements publics réalisés dans les infrastructures ainsi que les non moins nombreux milliards que représentent les communications et les abonnements. Pour les travailleurs qui poursuivirent leur carrière chez France Télécom, ce furent des milliers et des milliers de suppressions d'emplois et une continuelle dégradation des conditions de travail, dont l'une des conséquences fut une vague de suicides parmi les salariés.

Pour La Poste, le temps des réorganisations ne faisait cependant que commencer. On ne relatera pas ici les continuelles suppressions de tournées de facteurs, les milliers de suppressions de bureaux de poste, la réorganisation des centres de tri. Au total, les effectifs de La Poste passèrent de 325 000 en 2002 à moins de 232 000 aujourd'hui (258 000 si on inclut les nombreuses nouvelles filiales), le but de l'État étant notamment de restructurer ces activités pour les rendre les plus rentables, les plus profitables.

Des services financiers à la Banque postale

Les activités des services financiers de La Poste ont subi la même évolution. Il est bien difficile de parler de service public à leur propos car dès le début au 19e siècle leur rôle fut de drainer vers les caisses de l'État les économies des couches populaires, d'abord sur des livrets d'épargne, puis sur des comptes chèques. Les services financiers s'appuyaient sur le réseau de bureaux de poste qui couvrait tout le territoire. Les facteurs furent aussi l'un des canaux par lesquels la collecte sur les livrets d'épargne fut réalisée y compris dans les campagnes les plus reculées. Ainsi, via les services financiers de la poste, les bas de laine populaires étaient mis à la disposition du Trésor public.

Aujourd'hui, cette activité historique a laissé la place à celle d'une véritable banque dont l'activité rapporte des centaines de millions d'euros. L'État est certes l'actionnaire principal, avec la Caisse des dépôts, de la société anonyme du groupe La Poste à qui appartient en totalité la Banque postale. Mais que ce soit l'État ou pas qui en reste propriétaire, ces entreprises ont complètement intégré le marché et la concurrence.

Cette évolution des services financiers en une banque s'est faite finalement en peu d'années. Jusque dans les années 1990, les services financiers de La Poste se contentaient essentiellement de collecter les dépôts et de gérer les comptes. Si des filiales vendaient déjà des assurances et des placements de type Sicav, la seule activité financière directe autorisée était le crédit immobilier à condition que le particulier dispose d'une épargne préalable. Mais tout l'argent collecté était centralisé quotidiennement au Trésor public, sans autre usage que celui des besoins de l'État. Dans les années 1980 et 1990, les marchés financiers en plein développement promettaient des rendements élevés. Il était bien tentant de faire « fructifier » l'argent collecté plutôt que de n'en rien faire. La première réforme fut donc en 2000 d'accorder à Efiposte, une filiale de La Poste, la gestion financière de ces ressources, ce qui lui permettait d'investir sur les marchés - en particulier celui des dettes publiques, le marché obligataire - les milliards d'euros collectés sur les comptes CCP des usagers. Quitte à ce que l'État français emprunte auprès d'Efiposte pour couvrir ses besoins !

En 2006, La Poste créa une nouvelle filiale, la Banque postale, qui intégra toutes les activités des services financiers. La seule obligation de service public qui restait à la Banque postale était d'ouvrir gratuitement à toute personne qui le demandait un livret A, d'autoriser le versement sur ces livrets des prestations sociales et les prélèvements des impôts, loyers HLM, quittances d'eau et d'électricité et d'autoriser des retraits et dépôts à partir de 1,50 euro. Une obligation pour laquelle la Banque postale est toujours dédommagée par l'État.

Pour le reste, la Banque postale allait petit à petit devenir une banque presque comme les autres. La Banque postale put dès sa naissance élargir sa gamme de crédits, des crédits immobiliers à tous types de crédits, sans restriction. En 2007, elle put vendre des crédits à la consommation, en 2009, de l'assurance de dommages, en 2010 offrir produits et services de financement aux personnes morales, en 2012 proposer des crédits aux collectivités locales à court, moyen ou long terme. Depuis 2014, grâce à la loi Hamon, elle propose des crédits revolving (crédits « renouvelables » ou « permanents »), à taux prohibitifs, pour couvrir les découverts des particuliers. Au total, la Banque postale peut maintenant proposer l'intégralité des produits et services d'une banque de détail.

Au passage, la Banque postale a créé ou a acheté toute une série de filiales, notamment spécialisées dans les produits vendus par les conseillers et les agents de La Poste aux guichets ou dans les centres financiers. La Banque postale est ainsi maintenant elle-même un groupe dont l'activité essentielle est la banque de détail mais qui, au travers de plusieurs filiales, produit de l'assurance et de la gestion d'actifs pour le compte d'autrui.

La banque postale partie prenante de la concurrence capitaliste

La Banque postale et ses filiales n'emploient directement que 4 000 salariés. Par contre, la Banque postale achète auprès de sa maison mère La Poste les services des salariés dans les bureaux de poste et dans les centres financiers, sous forme de prestation (à hauteur de plus de trois milliards d'euros par an). Ainsi dans les bureaux de poste, propriétés de la Poste, plus de 10 000 conseillers financiers travaillent à placer des crédits et autres produits de la banque. Dans les centres financiers, 16 600 salariés, en partie fonctionnaires, en partie avec un statut de droit privé, font la même chose au téléphone ou sur papier, en plus de la gestion quotidienne de 11 millions de comptes. Sur ces 16 600 salariés, il y a 11 300 travailleurs à l'exécution et 5 300 cadres et cadres supérieurs.

Jusqu'en 2001, La Poste, au niveau groupe, déclarait un bénéfice globalement nul. Côté courrier, La Poste rentabilisa en supprimant massivement des emplois, en réorganisant les centres de tri, et en supprimant nombre de tournées des facteurs, en alourdissant leur charge de travail. Côté services financiers, La Poste a tout fait pour que la Banque postale devienne une banque comme les autres, imposant aux salariés des mesures et des restructurations de plus en plus dures pour faire fructifier les centaines de milliards en dépôt. Entre 2002 et 2007, le résultat d'exploitation de l'ensemble du groupe La Poste est monté progressivement à 1,3 milliard d'euros par an. Mais bien sûr, les dirigeants de La Poste en veulent encore plus. Côté courrier, La Poste teste aujourd'hui l'ajout aux facteurs de la distribution des plis sans adresse, distribués actuellement par les 12 000 salariés de Médiapost. Il est prévu de leur ajouter la distribution des colis, réalisée par ceux de Coliposte. Ces remaniements préparent des plans massifs de licenciement, en commençant par le personnel au statut précaire. Côté services financiers, l'objectif fixé à la banque pour 2020 est d'atteindre à elle seule 1,5 milliard de résultat d'exploitation, soit deux fois plus qu'en 2014. Et pour cela, il n'y a pas de miracle, ce sera aussi sur le dos des employés.

Du point de vue des capitalistes, la performance d'une banque se mesure notamment par coefficient d'exploitation, c'est-à-dire le rapport entre les frais de gestion, les salaires des employés, les loyers des bâtiments, la maintenance du matériel... et le produit net bancaire, ce que rapporte l'activité bancaire. Plus le coefficient d'exploitation est bas, plus la banque est profitable.

La Banque postale est aujourd'hui une banque de plus, la sixième du pays. Ses parts de marché oscillent entre 8 % et 10 % sur les dépôts et l'épargne, loin derrière les cinq premières que sont BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole, Banque populaire - Caisse d'épargne et Crédit mutuel Arkéa. Ces six banques se partagent 85 % du marché français. Leur coefficient d'exploitation moyen était de 68 % fin 2013, et il oscille entre 60 % et 70 %. Ce coefficient est sensible à la part de l'activité bancaire dépendant surtout de la conjoncture économique. La crise économique a ainsi provoqué un recul du produit net bancaire de BNP Paribas de 10 % entre 2010 et 2014 par exemple. Si les banques ne maîtrisent pas les cycles de l'économie capitaliste, elles assurent leurs profits en taillant dans les effectifs, le nombre de salariés représentant la principale « variable d'ajustement » des capitalistes du secteur. Ainsi, suite à la crise de 2008, toutes les banques ont supprimé des milliers d'emplois.

Supprimer des emplois et intensifier le travail

Le coefficient d'exploitation de la Banque postale était de 95 % en 2006 à sa naissance, une rentabilité très faible du point de vue des capitalistes. Les huit premières années de réorganisations ont ramené ce coefficient à 82,7 % fin 2014, cela malgré la crise de 2008. Mais 82,7 %, c'est encore très loin des performances atteintes par les grands du secteur dont rêvent les dirigeants de La Poste. Ce coefficient d'exploitation sert de moyen de chantage et de pression permanente au sein de la banque. La propagande interne répète sur tous les tons qu'il faut « atteindre un coefficient d'exploitation inférieur à 80 % dès que possible ». Et un rapport interne affirmait que « la réduction du coefficient d'exploitation de la Banque postale doit impérativement se poursuivre pour affronter une concurrence renforcée sur le marché de la banque de détail et augmenter la contribution des activités financières aux résultats du groupe ».

Car si la rentabilité attire les capitaux, une rentabilité plus faible les fait fuir : les capitalistes ou les bourgeois qui ont des fonds à faire fructifier choisissent naturellement les banques ou les fonds d'investissement qui affichent, en tant qu'entreprise, les résultats les plus élevés. Le rendement élevé d'une banque, c'est de leur point de vue la garantie que l'argent des clients est géré et placé de la manière la plus efficace, avec le moins de « faux » frais, et donc que le rendement de leurs propres placements sera le plus élevé.

Or en la matière, la Banque postale n'est pas à la première place. La Cour des comptes, toujours à la pointe quand il s'agit de s'en prendre aux travailleurs, précisait qu'en 2008, le produit net bancaire par agent de la Banque postale était de 99 500 euros alors qu'il était de 140 000 à 170 000 euros dans les autres banques de détail. Cette situation est en quelque sorte l'héritage du temps où les services financiers de La Poste évoluaient « hors marché ». C'est sans doute ce qui fait aussi que la Banque postale n'est pas privatisable en l'état, car pas assez appétissante pour les capitalistes du secteur. Réduire le coefficient d'exploitation pour augmenter la marge, pour se rapprocher de ce que font les autres banques et ainsi attirer de nouveaux clients, plus riches, c'est là la raison principale de toutes les réorganisations des centres financiers ces dernières années.

Ces centres employaient 29 000 salariés en 2001, contre 16 500 aujourd'hui, avant la mise en application de la nouvelle réorganisation qui s'appuie sur la dématérialisation (entendez l'informatisation, par exemple le fait de scanner les courriers des clients) des données et des dossiers pour pouvoir les faire traiter par n'importe quel site, tout en supprimant des activités de manutention, et sur les regroupements de services au niveau de grandes régions voire du pays.

Avec cette réorganisation, qui porte le nom d'Excello, La Poste s'attaque cette fois-ci à tous les centres en même temps, en prévoyant de spécialiser chaque site sur une ou deux activités et en transférant une grande partie des activités de gestion dans les bureaux de poste. La Poste prétend que chacun et chacune conservera un emploi sur son site. Mais dans quelles conditions ? La Poste ne chiffre pas les suppressions d'emplois à l'issue de la réorganisation en 2017, mais les syndicats les estiment à 20 % de l'effectif. Et s'il n'y aura pas de licenciement cette fois-ci chez les salariés à statut privé, c'est en comptant sur la pyramide des âges, sur les départs naturels à la retraite et sur la fatigue et le dégoût que les conditions de travail suscitent chez nombre de postiers et qui les poussent à chercher un autre emploi, ou à anticiper leur retraite, quitte à la voir amputer.

De postier à banquier

L'autre levier utilisé par la Banque postale pour augmenter ses profits, c'est d'augmenter l'activité financière des agents de La Poste en les transformant un peu plus, sinon en banquiers, du moins en agents commerciaux. La Banque postale a en compte 11 millions de clients. Mais les dirigeants de la banque pensent qu'ils ne tirent pas assez de ces 11 millions de clients. En 2008, la Cour des comptes a calculé que chaque client détenteur d'un CCP rapportait 370 euros à la banque tandis que les clients de ses concurrents leur rapportaient deux fois plus. Il est de notoriété publique que les clients de La Poste sont en moyenne plus pauvres. Mais qu'à cela ne tienne : pour les dirigeants de La Poste, pour augmenter le produit net bancaire avec des clients moins fortunés, la solution consiste à inventer les produits adéquats (comme le crédit revolving en cas de découvert) et à augmenter la pression sur les agents des services financiers. Dans les services clients, mais aussi bientôt tous les services, le mot d'ordre est de vendre, vendre des produits, assurances et autres crédits. L'encadrement organise pour cela des « challenges » où ceux qui décrochent le plus de rendez-vous pour les commerciaux gagnent des lots. Ils ont également instauré le commissionnement pour pousser tout cela un peu plus loin.

C'est cette activité dans les centres financiers qui fait l'essentiel du chiffre de la Banque postale. Car si ses dirigeants essayent de développer l'activité commerciale vers les « clients patrimoniaux », ceux qui ont de quoi voir venir, avec des offres et des commerciaux spécifiques, elle reste encore marginale, les « clients patrimoniaux » préférant toujours la concurrence. De même, si la Banque postale oriente aussi son activité vers les entreprises, les collectivités locales et les hôpitaux et noue des partenariats pour que sa filiale, la Banque postale Asset Management, développe la gestion d'actifs à la manière des banques d'affaires, cela ne représente que 10 % du résultat.

Avec les dépôts des clients, la Banque postale se comporte depuis Efiposte comme toute banque. Les fonds collectés sont transformés en actifs financiers dont le montant est d'environ 200 milliards d'euros (dix fois moins que BNP Paribas à titre de comparaison). La Banque postale se vante d'une gestion prudente, ce qui ne l'a pas empêché de perdre 241 millions sur la dette grecque en 2011, révélant que de ce côté-là aussi, elle était bien comme les autres.

Autre modification notable, le réseau des bureaux de poste va être réorienté vers la banque. La Poste a imposé dans les bureaux en 2014 un « management commercial unique » afin que les activités bancaires soient la priorité du réseau, et qu'elles soient prioritaires y compris par rapport à l'activité des facteurs. Et si La Poste se vante de conserver 17 000 « points de contact » avec les usagers, il n'y a en fait plus que 10 000 bureaux, les autres étant des relais chez les commerçants ou des agences postales à ouverture très limitée. Les véritables bureaux sont en fait pour beaucoup en sursis, car selon la Cour des comptes, la Banque postale n'en aurait besoin que de 3 000. Ce seront donc les usagers qui devront s'adapter.

La dégradation des conditions de travail

Ces dernières années, le produit net bancaire est passé de 4 à 5,2 milliards d'euros, 30 % en plus, avec des effectifs en diminution constante. Cela n'a été possible qu'en modifiant profondément le travail et les conditions de travail des agents dans les services financiers. Le travail répétitif, surveillé, intensif, qui a toujours été en place dans les services de production comme la saisie des chèques, a été généralisé aux services clientèle, produisant chez les agents un sentiment de dévalorisation alors que la pression sur la qualité reste, ne serait-ce que par conscience professionnelle. Les effectifs sont tellement sous-dimensionnés que les agents sont souvent « coulés », incapables d'épuiser les dossiers qui s'accumulent. Et puis, il ne s'agit plus simplement de gérer les comptes des usagers, mais de produire et de vendre, et cela dans tous les services. Dans les services clients, les seuls qui se développent, le téléphone a pris une grande place, transformant les services en véritables centres d'appel. Les agents y passent des heures et des heures, sur des plages horaires de plus en plus étendues, le soir, le samedi. Les appels sont surveillés, minutés. Quand ils sont trop longs, les agents se font interpeller par leur hiérarchie. Au résultat, dans certains centres, l'absentéisme pour maladie est reparti à la hausse. Sans compter que les centres financiers n'ont pas été épargnés par la vague de suicides pour raisons professionnelles qui, sur tout le groupe La Poste a frappé 200 postes entre 2008 et 2012.

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Excello n'est donc certainement pas la dernière réorganisation des centres financiers de La Poste, car les dirigeants de la Poste n'ont pas encore fait de la Banque postale une banque exactement comme les autres. Pour y arriver, pour avoir les mêmes taux de rentabilité que les concurrents du secteur, La Poste cherchera à supprimer encore beaucoup d'emplois, dans les centres financiers et aux guichets dans les bureaux de poste, en dégradant encore plus les conditions de travail de ceux qui restent.

À partir du moment où les milliards déposés par les clients ont été intégrés aux marchés financiers, ce sont les critères de rentabilité du marché qui se sont peu à peu imposés dans les services financiers. La résistance des travailleurs à la dégradation de leurs conditions de travail, la lutte contre les suppressions d'emplois, sont justes, cent fois justes. Et elles seront nécessaires et permanentes tant que le monde du travail n'aura pas mis fin à la concurrence capitaliste dans le secteur bancaire comme dans tous les autres en imposant une organisation rationnelle de l'économie, sous le contrôle de la collectivité.

11 septembre 2015