France - La grève de PSA Aulnay et le rôle des militants révolutionnaires dans les luttes

Εκτύπωση
juillet-août 2013

Entre le 16 janvier et le 21 mai 2013, plusieurs centaines de travailleurs de l'usine PSA d'Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, ont mené une grève qui a marqué l'actualité par sa durée, par certaines de ses actions qui ont frappé l'opinion publique ouvrière, et par sa forme d'organisation démocratique des travailleurs eux-mêmes. Les travailleurs en lutte ont tenu tête durant ces quatre mois à l'un des plus importants groupes capitalistes du pays. Dans leur lutte devenue vite très populaire, ils ont rencontré la sympathie de larges couches de la classe ouvrière qui les ont soutenus financièrement, leur permettant de remplir leur caisse de grève trois fois de suite.

Les travailleurs d'Aulnay se trouvaient confrontés à la fermeture de leur usine. Dans ce contexte de crise économique aggravée depuis la crise financière de 2008, les capitalistes mènent contre la classe ouvrière une lutte acharnée. L'aggravation de l'exploitation, le chômage, les licenciements et les fermetures d'usine - c'est-à-dire la destruction de forces productives -, sont transformés en armes par les capitalistes pour maintenir leurs profits en temps de crise.

Malgré les attaques incessantes du patronat, les réactions ouvrières continuent à être très limitées, pour l'instant, dans le pays. Le moral des travailleurs, leur combativité restent faibles. Ce n'est pas le lieu de revenir sur les responsabilités politiques et syndicales de cette situation, mais il faut quand même rappeler que des années de trahisons par des gouvernements de gauche, ainsi que la politique des directions syndicales qui a accompagné ces trahisons en ayant totalement abandonné jusqu'à l'idée de riposter aux attaques patronales, pèsent lourdement sur la classe ouvrière.

Dans ce contexte, le rapport de force est largement insuffisant pour que les travailleurs puissent imposer à un trust comme PSA de ne pas fermer une usine quand il l'a décidé. Interdire la fermeture d'une entreprise signifie contester le pouvoir du patronat sur l'économie et cela nécessiterait une lutte d'une tout autre envergure, mettant en mouvement au moins l'ensemble des travailleurs du trust et menaçant d'aller plus loin. Ce n'était pas à la portée d'une fraction réduite de travailleurs dans une seule usine.

La grève se heurtait donc à des limites étroites que les militants ont pu vérifier, non par des raisonnements abstraits mais en menant une politique bien réelle à la fois dans le sens de l'extension et dans le sens de l'organisation démocratique de la grève, en rejetant la recherche d'un repreneur fictif.

Refusant de semer des illusions, les militants révolutionnaires ont cherché à concrétiser et à rendre efficace le refus des travailleurs de se laisser jeter dehors sans réagir. Ils ont pu entraîner des centaines de travailleurs dans une lutte déterminée, certes limitée, et donner une idée de ce qu'il pourrait être possible de faire, y compris dans ce contexte de faible combativité ouvrière.

Une grève rendue possible par des mois de mobilisation

À Aulnay, la mobilisation s'est construite depuis juin 2011, date de la divulgation par la CGT du plan secret de la direction de PSA pour fermer l'usine en 2014.

Dès lors, les militants révolutionnaires ont cherché inlassablement à réunir les travailleurs, d'abord pour qu'ils se convainquent de la réalité de la volonté du patron de les jeter à la rue, puis pour commencer à discuter collectivement des possibilités de riposter. Cette habitude de se réunir ensemble préparait les travailleurs à agir collectivement et cela fut précieux par la suite.

Durant des mois, les militants tentèrent de renforcer les travailleurs de l'usine en regroupant le maximum d'entre eux, en proposant de s'adresser à l'ensemble des travailleurs, y compris ceux qui suivaient depuis des années le Syndicat indépendant de l'automobile (SIA), lié au patronat et majoritaire dans l'usine. Tout en prônant donc une forme d'unité syndicale, les militants ne se laissaient pas enfermer dans une intersyndicale qui se serait construite en dehors du contrôle des travailleurs. Au contraire, ils cherchaient toujours en même temps à ce que, à travers les mobilisations ponctuelles, les travailleurs s'organisent.

Les ouvriers de PSA profitèrent de la campagne présidentielle de 2012 pour interpeller les différents candidats. À travers ces mobilisations, ils virent de plus près l'attitude des différents politiciens, alors que beaucoup avaient des illusions sur Hollande, et apprirent de plus en plus à ne compter que sur leurs propres forces. Cette prise de conscience fut importante pour la suite.

Le 12 juillet 2012, la direction de PSA officialisait son intention de fermer l'usine d'Aulnay, mettant fin à treize mois de mensonges. Les chefs expliquèrent aux ouvriers qu'ils avaient une heure pour téléphoner à leur famille avant de reprendre le travail. Cette nouvelle, à laquelle les travailleurs étaient préparés, fut quand même un choc. Pour y faire face, des militants de la CGT partirent en manifestation à travers l'usine, montrant l'image d'ouvriers en colère et non pas brisés. Puis un meeting se tint aux portes de l'usine, rassemblant 800 travailleurs, dont certains venant pour la première fois à un rassemblement appelé par les syndicats. Les militants de Lutte Ouvrière proposèrent l'organisation d'un comité de préparation de la lutte, immédiatement voté par les travailleurs présents. Les jours passés à discuter, à convaincre, à se mobiliser, permirent de gagner un temps précieux car dès le lendemain il était possible de rebondir, ce qui aurait été beaucoup plus difficile sans ces mois de réunions et d'organisation.

À la suite de l'annonce de la fermeture, le gouvernement osa bien quelques phrases contre PSA. En juillet, Hollande et le ministre du Redressement productif Montebourg dirent ne pas accepter le plan de licenciements de PSA « en l'état ». Mais très vite il laissa voir son vrai visage de serviteur zélé du patronat. Fin août, Montebourg appelait les syndicats de PSA Peugeot Citroën à la « responsabilité économique » pour ne pas « affaiblir » le constructeur. Dès septembre, le gouvernement déclara que la fermeture d'Aulnay était inévitable. Dorénavant, il ne cessa plus de soutenir PSA. À l'automne, il promit de garantir la banque PSA Finance à hauteur de 7 milliards d'euros. Et durant la grève, la complicité du gouvernement allait se marquer encore plus fortement.

C'est pourquoi la conscience acquise en comparant ce que les dirigeants du PS disaient lors de la campagne électorale, et ce qu'ils faisaient ensuite, allait avoir une certaine importance dans la suite de la mobilisation, quand les travailleurs se retrouvèrent à devoir affronter non seulement PSA mais aussi un gouvernement qui n'hésita jamais à leur envoyer les CRS et à les faire poursuivre par la justice.

Les travailleurs apprennent à diriger leur propre lutte

À l'été 2012, le rapport de force dans l'usine ne permettait pas de démarrer la grève immédiatement. En revanche, il était possible de se préparer à la lutte et de faire progresser l'organisation des travailleurs. À partir de septembre, les militants organisèrent des assemblées générales, regroupant au maximum 300 travailleurs par équipe. On était encore loin d'avoir la totalité de l'usine dans l'action, mais plusieurs centaines de travailleurs voulaient lutter contre PSA. Malgré les pressions de la hiérarchie et l'hostilité du SIA, ils arrivèrent à se réunir chaque semaine jusqu'à la grève, même si le nombre des participants s'érodait au fil des semaines. Cet aspect de la politique des révolutionnaires n'était pas secondaire, loin s'en faut. Certes, il est important que des travailleurs entrent en lutte contre les attaques patronales. Mais il est encore plus important qu'ils apprennent à diriger leurs luttes, car c'est le seul gage pour pouvoir mener le combat contre le patronat jusqu'au bout sans devoir se laisser trahir par des directions syndicales ou politiques prêtes à sauver la mise à la bourgeoisie. Et comme ces idées fondamentales du mouvement ouvrier sont combattues depuis des décennies par les courants syndicaux réformistes, il faut en avoir la volonté politique et militante pour faire exister cette forme d'organisation des travailleurs.

Un des aspects du contrôle des travailleurs sur leur propre lutte fut qu'ils décidèrent de leurs propres revendications. S'ils dénonçaient tous la fermeture de l'usine, il n'en restait pas moins que les centaines de travailleurs de PSA Aulnay se trouvaient confrontés à un plan social. À l'automne 2012, de multiples réunions eurent lieu, dans lesquelles les travailleurs discutèrent de leurs revendications individuelles. Ils élaborèrent ensemble une liste de revendications votée en AG, puis signée par 1 600 travailleurs. Les principales étaient le rejet de la fermeture de l'usine, mais aussi le retrait du plan dit de sauvegarde de l'emploi, un dispositif de départ en retraite à 55 ans ouvert pendant cinq ans, un CDI pour tous et une indemnité de licenciement chiffrée à 130 000 euros.

En décidant de leurs propres revendications et en se mobilisant sur cette base, les travailleurs se heurtèrent à l'hostilité de plusieurs syndicats (SIA et Sud), qui refusaient de se soumettre à la volonté des travailleurs exprimée en assemblée générale.

Vers la grève

Pendant ce temps, la politique de la direction consistait à essayer d'user les travailleurs en les lanternant avec des réunions de négociations factices. Ainsi l'ambiance tourna à l'attentisme dans les ateliers. Entre septembre et décembre 2012, les actions se multiplièrent mais la mobilisation resta malgré tout cantonnée à un noyau déterminé, sans entraîner le reste de l'usine. En même temps, les tensions s'exacerbaient entre ceux qui voulaient lutter et ceux qui espéraient encore des améliorations dans le plan social. La direction en profita pour multiplier les provocations, espérant ainsi frapper le noyau militant qui s'était constitué. À la fin de l'année 2012, une grande partie des travailleurs savaient qu'il n'y avait rien à attendre des négociations. Mais seule une minorité se posait la question de se lancer dans la grève. En revanche, un nouveau problème se posait de façon incontestable. La direction voulait démarrer une équipe de nuit à Poissy le 15 février 2013 pour commencer à déplacer la production de la C3. Il ne restait guère de temps avant que la direction ne commence à vider l'usine. Il fallait donc tenter d'engager une action et d'entraîner le reste de l'usine avant cette date. C'était maintenant ou jamais.

La grève a donc été le fruit de la politique volontaire des travailleurs les plus décidés, sans que se produise une explosion de colère. Dès les premiers jours de janvier 2013, les militants lancèrent les discussions sur la possibilité de faire grève, de bloquer l'usine, sur la grève illimitée ou votée chaque jour, sur comment remplir la caisse de grève. L'idée faisait son chemin que, pour tenter de faire reculer PSA, pour « vendre notre peau le plus chèrement possible », il fallait passer au cran supérieur, et arrêter la production de C3 par la grève. Mais rien, si ce n'est l'action elle-même, ne permettait de savoir si cette opinion minoritaire pouvait être plus largement partagée.

Le 16 janvier à 6 heures du matin, 200 travailleurs étaient présents aux portes de l'usine pour appeler à la grève. Puis, ils tournèrent dans les ateliers, entraînant des ouvriers, ce qui aboutit à l'arrêt rapide de la production. Les grévistes se retrouvèrent à 300 en assemblée générale pour voter la grève. Ils ne savaient pas alors - personne ne pouvait l'imaginer, même pas les militants - qu'ils se lançaient dans quatre mois de grève.

Les premiers jours, la grève prit de l'élan et s'étendit, faisant suffisamment peur à la direction pour que, pour la première fois, elle lâche des petites choses quant aux mesures du plan social. La prime de mutation augmenta, ainsi que le congé de reclassement. En deux jours, les grévistes obtenaient plus qu'en plusieurs mois de négociations. Mais cela ne suffit pas à arrêter la grève, au contraire. Vendredi 18 janvier, les grévistes étaient environ 600. Alors dès le lundi suivant la direction ferma l'usine, procéda au lock-out pour les disperser et tenter de les désorganiser.

Une grève dirigée par les travailleurs eux-mêmes

Malgré le lock-out, les grévistes mirent en place rapidement une organisation démocratique de la grève. L'expérience de celle de 2007 servit de base. Des assemblées générales se réunissaient quotidiennement et prenaient toutes les décisions. Ce principe était fondamental, car c'était le seul moyen pour que les travailleurs décident de tout et participent réellement au déroulement de la grève. En plus des AG, un comité de grève fut mis sur pied, qui finit aussi par se réunir quotidiennement et être le lieu où se discutaient les actions à mener, les choix fondamentaux et les problèmes rencontrés. Il avait fallu des mois de lutte pour que les travailleurs se sentent assez forts pour diriger eux-mêmes. Mais désormais, cette forme d'organisation renforçait la confiance des grévistes dans leur force et leurs liens.

Des commissions fonctionnaient avec la participation et l'énergie de nombreux grévistes. Une équipe de « pointeurs » fut mise en place qui, chaque matin, cochait la présence des grévistes présentant fièrement leur carte de grève. La commission finances eut un rôle crucial et difficile car les militants qui y participèrent eurent à gérer plus de 800 000 euros au total, dans la transparence la plus totale. Une autre commission se chargea d'avoir le contact avec différentes entreprises pour organiser les collectes, les rencontres, et populariser la grève. Enfin, une équipe de travailleurs prit spontanément en main l'organisation du café, du thé et des repas dont l'aliment principal était la fraternité, la fierté et la joie de ces travailleurs en lutte.

Chacun put découvrir ce dont il était capable individuellement et collectivement. Cet apprentissage, même à une petite échelle, était une concrétisation de l'idée que les travailleurs peuvent et doivent œuvrer eux-mêmes à leur émancipation.

Une politique en direction des non-grévistes

Les grévistes durent aussi se défendre contre la campagne de calomnies orchestrée par la direction et largement relayée par la presse. La direction cherchait par tous les moyens, non seulement à discréditer les grévistes, mais surtout à créer un fossé entre eux et le reste des travailleurs. Durant plusieurs semaines, des vigiles affichaient une présence martiale sur le parking pour impressionner les ouvriers. 200 cadres, venus d'autres sites, furent plantés en permanence face à la « place de la grève » pour intimider ceux qui venaient aux AG. Ils circulaient aussi dans les ateliers, pour empêcher les discussions avec les non-grévistes et faire pression sur eux afin que le travail reprenne.

Dans un premier temps, cette politique d'intimidation put créer une certaine distance entre grévistes et non-grévistes. Mais elle n'arriva pas à briser la grève. Les grévistes restèrent plusieurs centaines. Et surtout, ils surent combattre cet éloignement et purent finalement s'appuyer sur la sympathie, passive mais réelle, des non-grévistes. À aucun moment, durant quatre mois, la direction ne put faire redémarrer la production. Ce n'était pas la présence des grévistes qui l'empêchait, mais la résistance des non-grévistes. Ce soutien fut donc un élément important de la grève. Par la suite, à chaque étape importante de la grève, les travailleurs en lutte purent aller demander aux non-grévistes de participer à des actions ponctuelles pour faire pression sur la direction.

Une grève militante

Non seulement les militants ont tout fait pour étendre la grève dans l'usine, mais ils ont réellement mené une politique en direction des travailleurs d'autres usines. Même s'ils ne se faisaient guère d'illusions sur les possibilités d'extension, ils ont milité dans ce sens. Cela signifiait en premier lieu être capable de formuler des objectifs de telle façon que d'autres travailleurs puissent se sentir concernés. C'est ce que les travailleurs d'Aulnay ont essayé de faire avec leur slogan : « Aucune usine ne doit fermer ! Interdiction des licenciements ! » Mais cela signifiait aussi s'adresser aux autres travailleurs, et en premier lieu à ceux du groupe PSA.

Dès le troisième jour, les grévistes allèrent à la rencontre des travailleurs de PSA Saint-Ouen. Cette usine, la plus proche d'Aulnay, avait bien des avantages. La CGT y fait 52 % des voix, les travailleurs ont une certaine habitude des luttes, certains connaissent des travailleurs à Aulnay et, en plus, cette usine a un rôle stratégique pour la production du groupe. Vendredi 18 janvier, 150 grévistes pénétraient subrepticement dans l'usine de PSA Saint-Ouen. Pendant que la direction et la police les attendaient devant, ils se faufilèrent... par-derrière. Cette action, la première du genre, était assez spectaculaire car elle montrait leur détermination et leur capacité d'organisation. Elle fut bien accueillie par les travailleurs de Saint-Ouen, alors même que PSA annonçait déjà sa volonté d'aller vers des accords de compétitivité nuisibles pour tous. Plusieurs fois par la suite, les travailleurs d'Aulnay retournèrent devant les portes de Saint-Ouen, mais jamais ils n'entraînèrent leurs camarades dans la lutte.

La semaine suivante, les grévistes de PSA allèrent rencontrer les travailleurs de Renault Flins qui débrayaient contre les accords de compétitivité imposés par leur patron. À leur arrivée, il leur suffit d'ouvrir une grille pour rejoindre, aux cris de « Renault-PSA, même combat », les ouvriers de Renault, dans une ambiance particulièrement chaleureuse. La même opération fut renouvelée le 30 janvier, avec une visite aux travailleurs de Renault Cléon qui débrayaient encore contre le projet de leur direction. Dès le début de la grève, les grévistes ont publié un tract, une Adresse des grévistes de PSA Aulnay, qu'ils ont distribué lors de leurs visites aux autres usines, dans les gares, les actions diverses, lors des manifestations et des collectes en tout genre.

Les travailleurs en lutte de PSA participèrent à toutes les manifestations organisées contre les licenciements ou la politique du patronat. Le 29 janvier, ils rejoignaient ceux de Virgin qui protestaient contre la fermeture du magasin des Champs-Élysées, puis une manifestation regroupant ceux de Sanofi, de Goodyear et d'ailleurs, devant le ministère du Travail. Il est à remarquer que lors de cette journée de manifestation du 29 janvier, ils furent les seuls à faire l'effort de se joindre à toutes les manifestations, alors que ceux des autres entreprises restaient séparés chacun de son côté... tout en discutant de la convergence des luttes !

Durant ces quatre mois, les quelques centaines de grévistes ont enchaîné les manifestations, seuls ou avec d'autres travailleurs, et les visites à d'autres usines (PSA Saint-Ouen, PSA Poissy, Renault Flins, Renault Cléon, Lear, Geodis, Faurecia, Air France, etc.), qu'elles soient en grève ou pas. Ils ont su susciter une sympathie qui s'est manifestée de multiples façons. Les nombreuses collectes, devant les entreprises, dans les gares, aux péages autoroutiers ou lors de manifestations, servaient en même temps à populariser la grève, à montrer à tous que les travailleurs de PSA ne se laissaient pas faire et avaient le moral. Par leurs propres actes, ils défendaient l'idée que, pour se défendre, les travailleurs ne peuvent compter que sur leurs propres forces en utilisant leurs armes, les manifestations et la grève, et que seule une lutte d'ensemble peut vraiment faire reculer le patronat.

Mais les grévistes, minoritaires à l'intérieur de l'usine, n'ont pas pu entraîner les autres travailleurs de PSA concernés par le plan social. Et encore moins ceux des autres entreprises. Ce constat, ils ne l'ont pas fait abstraitement, mais en menant cette politique volontariste et déterminée en direction des autres travailleurs. Ce n'était pas un constat d'échec, mais une marque de lucidité indispensable pour poursuivre la lutte.

Cela ne les a pas empêchés de mener la grève le plus loin possible. Car la meilleure façon de préparer l'avenir, de préparer les luttes futures, c'était de faire en sorte que les travailleurs tirent de ce rapport de force tout ce qu'il était possible d'en tirer et, surtout, de faire en sorte que la lutte soit collective et démocratique, aussi bien pour les décisions que pour l'exécution de ces décisions.

Quand la grève s'est retrouvée à un tournant, la situation étant bloquée et la direction continuant à réprimer les grévistes, ceux-ci débattirent de tous les problèmes, de tous les désaccords, de toutes les difficultés. Et c'est ensemble, consciemment, qu'ils décidèrent de continuer la lutte, ne voulant pas reprendre le travail alors que certains de leurs camarades étaient licenciés. Ils choisirent donc de continuer la grève. Alors, durant des semaines, les travailleurs, tout en étant quelques centaines seulement, tout en ayant contre eux le patronat et le gouvernement, ont aussi multiplié les actions, annoncées ou « surprises », en direction de PSA, du patronat et du gouvernement, tous furieux d'être ainsi contestés.

Le 28 mars, 130 travailleurs pénétraient sans difficulté dans les locaux du Medef, le saint des saints du patronat. Cette nouvelle démonstration de force ne plut pas ! Que les patrons ne soient plus les maîtres chez eux leur restait en travers de la gorge. Alors cette fois, non seulement les gendarmes mobiles attendaient les travailleurs à la sortie, mais ils les embarquèrent dans des paniers à salade.

La plus réussie de ces actions diverses et nombreuses fut l'intrusion dans le conseil national du PS, samedi 13 avril, à la Cité des sciences de la Villette à Paris. Les CRS étaient massés aux sorties de métro, pensant piéger les manifestants de cette façon ! Mais, une nouvelle fois, l'organisation et la détermination des grévistes eurent raison des forces de police et des agents de sécurité du PS.

Ces actions non seulement faisaient parler de la grève de PSA et permettaient de briser un tant soit peu son isolement, mais elles étaient une démonstration de force et de cohésion. La façon dont la grève était organisée et la volonté de poursuivre la lutte permirent de réagir aux travailleurs qui ne voulaient pas baisser la tête.

L'hostilité de la direction confédérale de la CGT

La forme prise par cette grève explique aussi l'attitude de la direction confédérale de la CGT. Si la grève rencontra le soutien massif, financier et moral, de bien des militants CGT et de l'Union départementale CGT de Seine-Saint-Denis, en revanche la direction confédérale resta très distante. La direction de la CGT n'a pas considéré cette lutte comme la sienne, du fait de la présence de militants révolutionnaires à la tête du syndicat, mais surtout parce qu'elle ne pouvait voir d'un bon œil l'organisation des travailleurs dans cette lutte. Même si rien ne pouvait lui laisser craindre une généralisation de la lutte au reste de la classe ouvrière, le fait que les travailleurs s'organisent et décident eux-mêmes est regardé avec beaucoup de suspicion, quand ce n'est pas de l'hostilité, par les dirigeants syndicaux, plus habitués à servir d'avocats aux travailleurs qu'à vouloir qu'ils se défendent eux-mêmes. Mais c'est aussi parce que la politique de la CGT ne consiste absolument pas à préparer les travailleurs à un véritable affrontement avec le patronat. Au contraire, alors qu'il existe des centaines de milliers de militants et de travailleurs conscients dans ce pays, la direction confédérale ne propose aucune politique, si ce n'est de discuter sur le terrain du patronat, que ce soit sur la compétitivité ou sur une pseudo « autre politique industrielle ».

Même dans ce contexte de faible combativité ouvrière, la grève d'Aulnay a été une démonstration de ce qu'il serait possible de faire. Elle a montré qu'il existe des travailleurs conscients prêts à mener des combats même restreints, mais qui au fond concernent toute la classe ouvrière. Et on a vu, avec la grève d'Aulnay, à quel point une lutte, même minoritaire, rencontre la sympathie des autres travailleurs, et finalement remonte le moral de nombre d'entre eux, à commencer par ceux qui ont mené la grève et en sont fiers.

L'attitude de Sud-PSA Aulnay

Au passage, il est intéressant de commenter la politique des responsables du syndicat Sud de PSA Aulnay, dont le NPA a pu se sentir si proche parfois. Entre juin 2011 et juillet 2012, les dirigeants de ce syndicat ne cessèrent d'affirmer que les bruits de fermeture de l'usine n'étaient que des mensonges répandus par LO pour préparer sa campagne électorale. Et durant la campagne présidentielle de 2012 ils s'opposèrent aux actions, sous prétexte de ne pas faire de politique. Ce n'est que quelques jours avant l'annonce officielle par la direction que les tracts du syndicat changèrent de ton. En juillet 2012, Sud opéra un virage à 180° et proposa désormais le « blocage de la production », sans tenir compte de la mobilisation réelle des travailleurs. Par la suite, les responsables de Sud refusèrent de prendre en compte les revendications décidées par les salariés, sous prétexte de défendre le « Non à la fermeture de l'usine ».

À partir de janvier 2013, les militants et les syndiqués de Sud se retrouvèrent dans la grève. Mais les responsables du syndicat, s'ils venaient lors des actions les plus médiatiques ou lors des réunions les plus importantes, se tenaient régulièrement à l'écart du comité et de l'organisation de la grève. Tout en participant, ils évitaient de se placer sous le contrôle des travailleurs. En mars, Sud lança un recours en justice contre le plan social sans tenir compte de l'avis des grévistes. Cela aboutit à des tensions, et les responsables de Sud disparurent pendant plusieurs semaines. Mais ils revinrent précipitamment lorsque les réunions de négociations avec la direction reprirent en mai 2013, en vue d'un protocole de fin de grève. Ils voulurent s'imposer dans la délégation, contre l'avis de l'assemblée générale. Devant son refus, le secrétaire de Sud expliqua que jamais il ne se soumettrait à l'avis de l'AG et décida sur-le-champ d'arrêter la grève. Seuls la moitié des militants Sud le suivirent, la dizaine d'autres continuant la grève avec leurs camarades.

Toute l'attitude de Sud PSA Aulnay est assez significative de la façon dont un radicalisme de façade peut cacher une politique qui vise à empêcher les travailleurs de se mobiliser consciemment et surtout de s'organiser indépendamment des appareils.

Le NPA et la ritournelle sur la convergence des luttes

De son côté, la presse du Nouveau parti anticapitaliste n'a pas été avare de critiques plus ou moins franches sur la façon dont les militants de Lutte Ouvrière menaient la grève de PSA Aulnay.

En juillet 2012, au moment de l'annonce officielle de la fermeture de l'usine, le journal du NPA Tout est à nous écrivait, à propos des perspectives proposées par les militants de Lutte Ouvrière lors du rassemblement organisé sur le parking de l'usine : « Seul le représentant de Sud prononce le mot " grève ". Pour conclure, intervention très déterminée de Philippe Julien de la CGT : « Nous ne nous laisserons pas faire, nous nous battrons et nous ôterons l'envie à PSA de fermer une usine ». En même temps, une longue tirade contre la « grève immédiatement » dont, selon lui, s'accommoderait la direction dans sa politique de réduction de l'activité et de suppression d'une équipe. La seule perspective précise est une assemblée générale, le 11 septembre, préparée par la constitution d'un comité de mobilisation ouvert aux syndiqués et non-syndiqués. Le NPA était représenté par une vingtaine de camarades et Philippe Poutou, chaleureusement salué par les salariés de l'usine, a pu s'exprimer devant de nombreux médias présents. »

Pour l'auteur de l'article, appeler les travailleurs à s'organiser pour préparer les luttes à venir ne représente qu'une faible perspective en comparaison d'un appel immédiat à la grève cinq jours avant la fermeture de l'usine pour les vacances. Eux qui n'ont de cesse de proposer que les militants syndicaux de toutes obédiences se réunissent, se structurent, qui en font même le pivot de leur politique, ne semblent pas comprendre l'importance fondamentale d'organiser les travailleurs eux-mêmes.

En novembre 2012, Tout est à nous écrivait : « L'insuffisance des tentatives d'élargissement aux autres sites de PSA, voire à d'autres entreprises, le respect du calendrier fixé par la direction ou les experts, l'alliance privilégiée avec le SIA n'ont pas permis de dépasser les réelles difficultés de mobilisation. » En clair, le NPA affirmait que les tentatives d'élargissement n'avaient pas été assez nombreuses parce que les militants privilégiaient le calendrier des négociations imposé par la direction et voulaient maintenir l'alliance avec le SIA. Sur ce dernier point, il faut quand même noter qu'en novembre 2012 il n'était plus question de politique d'unité avec le SIA - d'alliance, il n'en avait jamais été question. En outre, même dans la période où des actions communes avaient été menées avec le SIA, cela n'avait empêché les militants ni de se mobiliser, ni encore moins de favoriser l'organisation des travailleurs. Quant aux tentatives d'élargissement, il faut vraiment méconnaître la réalité pour affirmer qu'elles n'ont pas été assez nombreuses. Les travailleurs en lutte de PSA Aulnay ont fait tout ce qui était en leur possibilité pour s'adresser aux autres travailleurs et pour favoriser une extension des luttes.

Mais en fait, ce n'est pas cela que le NPA reproche vraiment aux militants de Lutte Ouvrière. Ce qu'il critique vraiment, c'est le fait de ne pas reprendre à notre compte sa volonté de créer des collectifs avec des militants syndicalistes d'entreprises concernées par les licenciements, en espérant que la constitution de structures stimule la combativité. En mars 2013, Tout est à nous écrivait de nouveau : « Le problème, c'est que la grève ne se renforce pas en interne (environ 300 grévistes devant le siège de PSA pendant le CCE), et que les perspectives d'extension aux autres sites ou de convergence avec les autres salariés touchés par des plans de licenciements ne sont pas évidentes. En effet l'exemplarité d'une grève, aussi déterminée soit-elle, ne crée pas un mouvement, dans la situation actuelle en tout cas. La convergence ne peut donc être qu'une politique volontariste construite par des contacts entre équipes militantes, en prenant en compte les rythmes propres de chacune des mobilisations. » L'illusion selon laquelle une grève, par son « exemplarité », peut en entraîner d'autres, existait sûrement dans la tête de l'auteur de l'article, mais pas dans celle des militants LO d'Aulnay. En outre, il est notable qu'une fois admises les difficultés d'étendre le mouvement, le NPA explique qu'il faut donc réunir les « équipes militantes ».

Depuis des années, la politique du NPA consiste à espérer que des militants veuillent bien former avec lui des structures indépendantes des travailleurs, sur le plus petit dénominateur commun, plutôt que de mener au sein de la classe ouvrière une politique révolutionnaire. Pourtant, la grève d'Aulnay a été positive. Quelques centaines de travailleurs ont montré, pendant plusieurs mois, que la lutte était possible. Les grévistes d'Aulnay sont allés au bout de leurs possibilités. Rien que cela est une victoire morale. Tous ceux qui se sont sentis représentés par ces travailleurs en colère et en lutte le savent bien. Et ils ont été nombreux à sentir que cela faisait du bien de voir des travailleurs contester leur patron, le combattre et relever la tête.

Mais surtout, dans cette grève, les travailleurs ont appris qu'ils pouvaient prendre leur sort en main, décider de leur lutte. Dans une interview à L'Humanité dimanche du 20 juin, Philippe Julien, militant de Lutte Ouvrière et secrétaire du syndicat CGT de PSA Aulnay, explique :

« La plus grosse difficulté d'une grève - comme de tout mouvement et même de la société entière - c'est de faire que des salariés, des êtres humains, parviennent à discuter ensemble de leurs problèmes, du but qu'ils se donnent, et de décider collectivement. C'est compliqué de se diriger de manière démocratique, d'arriver à quelque chose d'unique à partir de centaines de pensées différentes. Comment faire pour que la diversité des points de vue ne s'annihile pas mais permette de constituer une force ?

C'est un peu cette alchimie qui s'est produite pendant la grève. Comme cela se faisait à une époque dans le mouvement ouvrier : avec un comité de grève. Sur le fond, c'est simple. Il s'agit de faire en sorte que les salariés discutent et déterminent ensemble ce qu'ils vont faire. Évidemment, on ne part pas de zéro. Il y a toujours dans une usine des militants qui ont une expérience, qui sont la mémoire de l'usine. À Aulnay, la première grande grève, c'est celle de 1982. (...)
La question qui se posait, c'était : est-il possible d'agir ensemble ? Alors que toute l'organisation d'une usine, et même de la société, vise à laisser penser le contraire. Jusque sur son poste de travail, un ouvrier se voit dicter ce qu'il doit monter, dans quel ordre, de quelle manière, chaque geste est décortiqué. C'est une aliénation totale. Le tour de force de l'organisation patronale, c'est de mettre des milliers de salariés ensemble et d'arriver à en faire des individus isolés. (...)
Si nous avons su surmonter les moments difficiles de la grève, c'est parce que des ouvriers ont pu réfléchir ensemble, confronter leurs idées, prendre des décisions et agir. Dans notre société, il y a d'un côté ceux qui décident et de l'autre ceux qui exécutent. Dans une grève gérée démocratiquement, ce sont les mêmes qui décident et agissent ensuite. La fameuse coupure entre le législatif et l'exécutif disparaît. C'est une reprise des traditions instaurées par la Commune de Paris. Cela fait la force d'un mouvement de grève et cela devrait se généraliser à l'ensemble de la société. »

La lutte menée en commun a créé des liens, une solidarité, une fraternité, qui ont transformé tous ceux qui ont participé à ce combat. Aucun des grévistes ne ressort de ces quatre mois identique à ce qu'il était le 15 janvier 2013.

Alors, ne serait-ce que pour tout ce qui a été appris, cette grève a été une victoire.

25 juin 2013