Union européenne - Palabres, marchandages, divergences et banquiers contents

Εκτύπωση
novembre 2011

L'accord, intervenu le 26 octobre 2011 entre les dirigeants des dix-sept États de la zone euro, a été, bien entendu, qualifié d'historique par ses artisans. Ils ne pouvaient pas dire moins vu la campagne médiatique qui l'a précédé. Les titres des quotidiens étaient éloquents : « Euro : le sommet de la dernière chance » (Les Échos), « L'Europe joue son avenir aujourd'hui à Bruxelles » (Le Figaro) ou « Jour fatidique pour le destin européen » (Le Monde). L'inspiration des marchands de papier avait de quoi puiser dans la déclaration de Fillon, deux jours avant les marchandages et leur heureuse conclusion : « Si le sommet était un échec, cela pourrait faire basculer le continent européen vers des terres inconnues. »

Les jours précédant le sommet bruissaient en effet de la zizanie montant entre l'Allemagne de Merkel et la France de Sarkozy. Une première rencontre au sommet, les 22 et 23 octobre, s'étant d'ailleurs interrompue sans résultat, il a fallu en organiser une deuxième où furent conviés non seulement les dirigeants des dix-sept pays de la zone euro, mais également ceux des dix autres pays de l'Union européenne.

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Ce n'est pas d'aujourd'hui que la zone euro, derrière l'image de coopération, sinon de fraternité, que suppose une monnaie commune, n'est qu'un condominium des deux principales puissances impérialistes de la zone, l'Allemagne et la France.

Leur domination sur l'ensemble de l'Union européenne ne pouvait être contestée que par la Grande-Bretagne, troisième larron impérialiste. Mais celle-ci a choisi dès la création de la zone euro de ne pas en faire partie. Avec la crise de la monnaie européenne, ce n'est pas demain la veille que ses dirigeants changeront d'avis. Contrairement à la France et à l'Allemagne, dont les économies sont entremêlées, la Grande-Bretagne est au moins aussi ouverte sur les États-Unis que sur l'Europe, sans parler de son ancien empire colonial. Pour elle, les inconvénients d'une monnaie commune l'emportaient sur ses avantages.

Ce qu'ils appellent le « couple franco-allemand », désigné comme le « moteur de l'Europe », montre de plus en plus ouvertement son agacement devant les formalités juridiques de l'Union européenne qui retardent certaines décisions. Comment accepter qu'un petit pays de l'Union comme la Slovaquie, la Finlande, voire Malte, puisse mettre son grain de sable dans le processus de décisions politiques urgentes ?

À l'inverse, ce n'est pas d'aujourd'hui non plus que les dirigeants des petits pays de l'Union se plaignent d'être considérés comme des quantités négligeables par l'Allemagne et la France.

Mais avec l'approfondissement de la crise de l'euro, résultant de la spéculation sur les dettes souveraines, les relations inégales deviennent patentes. Le duo Merkel-Sarkozy se pose aujourd'hui en puissance tutélaire de la Grèce. Depuis quelques jours, il se permet même de tancer vertement l'Italie de Berlusconi.

Seulement voilà : si les intérêts de la bourgeoisie allemande et de la bourgeoisie française convergent pour considérer l'espace économique de la zone euro comme leur zone d'influence, et les États plus petits de l'Union européenne comme leurs subordonnés, leurs intérêts n'en sont pas pour autant identiques. Pas plus que ne le sont les options de leurs dirigeants politiques respectifs sur la façon dont doivent fonctionner l'Union européenne en général et la zone euro en particulier. Pour être liés, les deux principaux impérialistes de l'Europe n'en restent pas moins rivaux.

Avec la spéculation qui se déchaîne autour des dettes souveraines des États de l'Union européenne et qui menace l'existence même de la monnaie unique européenne, ils subissent tous les deux les contrecoups de leur incapacité, passée et présente, à créer un État européen unique, avec une politique monétaire et une fiscalité uniques.

Malgré tout le décorum de l'unité européenne, il n'y a pas un État européen unifié. En plus d'un demi-siècle de construction européenne, les différentes bourgeoisies, sous l'impulsion des plus puissantes d'entre elles, sont parvenues à créer d'abord un Marché commun puis une Union européenne avec son administration et son Parlement, et même une sorte de justice européenne limitée à l'arbitrage des conflits dans l'application de traités laborieusement négociés. Dix-sept sur les vingt-sept pays de l'Union européenne ont même réussi à se donner une monnaie unique, l'euro. Le morcellement de l'Europe, qui handicape ses bourgeoisies même les plus puissantes sur le marché international, a été contourné dans une certaine mesure par la création de ce vaste Marché plus ou moins commun, voulu par les grandes entreprises, qui constitue toujours le noyau véritable de l'Union européenne. Mais la bourgeoisie d'aucun des vingt-sept pays de l'Union européenne, et surtout pas des trois plus puissants, n'a, et n'a jamais eu, l'intention de fondre son appareil d'État dans un État fédéral européen.

Face aux États-Unis, au Japon ou même à la Chine, à la Russie ou à l'Inde, l'Union européenne fait certes meilleure figure que naguère, séparément, l'Allemagne, la France ou la Grande-Bretagne. Mais, dans une période de crise, il ne suffit pas de brandir des statistiques qui additionnent le nombre d'habitants des différents pays de l'Union européenne et leurs PIB (produit intérieur brut), pour transformer une mosaïque en une grande puissance capable de s'imposer face aux autres.

Pour ne prendre que cet exemple d'actualité : les États-Unis, aussi endettés que les autres grandes puissances - en réalité, même bien plus -, peuvent faire marcher la planche à billets pour payer leurs échéances. D'une certaine manière, la Banque centrale européenne (BCE) commence à prendre exemple sur la Banque fédérale américaine. Mais cela lui est plus difficile car il y a des opérations interdites par les traités et d'autres qui nécessitent un accord au moins entre l'Allemagne et la France, lesquelles justement ne sont pas sur la même longueur d'onde.

L'État fédéral donne aux dirigeants américains des possibilités d'intervention étatique que n'ont pas les bourgeoisies allemande, française, britannique, liées par les mêmes chaînes, mais obligées en même temps de composer les unes avec les autres et, dans une certaine mesure, même avec les bourgeoisies moins puissantes du continent, voire avec les plus insignifiantes.

Allemagne-France : alliées mais rivales

Ce n'est pas pour rien que c'est avec l'aggravation de la crise financière que l'on reparle d'une gouvernance européenne. Mais ce n'est pas parce qu'on en parle qu'elle est en voie de se réaliser ni même qu'elle peut l'être. Même si, de fait, les petits États de l'Union subissent la loi des plus grands - ce qui est particulièrement visible dans la mise sous tutelle de la Grèce -, cela ne suffit pas pour qu'existe une autorité unique, capable de mener une politique unique et susceptible de prendre des décisions d'urgence.

Comment mettre en place une « gouvernance » unique, susceptible de prendre des décisions pour le compte des groupes capitalistes, sans créer un État unique dont personne ne veut ? L'aspiration en est commune à l'Allemagne et à la France, mais elles sont en désaccord sur les modalités.

Ce n'est pas le lieu ici d'énumérer les désaccords tels qu'ils se manifestent plus ou moins dans les tractations actuelles (rôle de la banque centrale, quelle politique monétaire, etc.), d'autant moins qu'il s'agit justement de tractations en cours et que, dans un ou deux mois, les désaccords se manifesteront sans doute dans d'autres domaines. Disons en résumé que, si les dirigeants des bourgeoisies allemande et française étaient parfaitement d'accord pour venir au secours des banques dans la crise dite de la dette souveraine et s'ils étaient également d'accord pour présenter la note à leurs classes populaires, ils n'étaient pas d'accord sur toutes les modalités.

Les banques françaises étant particulièrement impliquées dans les prêts à taux usuraires à l'État grec, Sarkozy s'est fait le porte-parole du lobby bancaire sur la question, en particulier pour demander à la BCE d'ouvrir tout grands ses guichets aux banques privées et de leur racheter les titres pourris de dette souveraine. La BCE le fait déjà mais ses statuts le lui interdisent... Voilà le verrou que le FMI (Fonds monétaire international), les banques et... Sarkozy voulaient faire sauter pendant les tractations de Bruxelles.

S'ils se sont heurtés à Merkel, ce n'est pas que la chancelière allemande soit hostile aux banques mais, l'Allemagne étant la principale contributrice et de la BCE et du FESF (Fonds européen de stabilité financière), sorte de caisse de secours pour banquiers récemment mise en place, elle ne voulait pas trop dépenser... pour les banques françaises.

Le rôle central des banques

Si les marchandages se sont prolongés le 26 octobre à Bruxelles tard dans la nuit, ce n'est même pas en raison de désaccords entre les dirigeants allemands et les dirigeants français. Non ! Ceux qu'il a fallu convaincre, ce sont les banquiers, qui non seulement avaient été invités à ce sommet des chefs d'État, mais y ont joué les premiers rôles par l'intermédiaire de l'Institut de la finance internationale, un lobby bancaire.

À ce qu'il paraît, les tractations entre chefs d'État ont failli capoter en pleine nuit. Il a fallu que le trio Merkel-Sarkozy-Lagarde (cette dernière en tant que directrice générale du FMI) demande dans la nuit un rendez-vous à la délégation de l'Institut de la finance internationale pour obtenir que les banquiers acceptent d'abandonner 50 % de leurs créances sur l'État grec.

Sarkozy comme Merkel présentent cette acceptation des banquiers comme le triomphe des politiques en général et de la leur en particulier. Quelle blague !

Les grandes banques avaient toutes les raisons de faire l'impasse sur les 50 % de ce que leur devait l'État grec. N'importe quel usurier sait qu'il n'a pas intérêt à étrangler complètement son débiteur. Or, depuis plusieurs semaines, il est manifeste que l'État grec est incapable de payer ses trois cents milliards de dettes, dont deux cents milliards à l'égard des banques privées, résultant de l'accumulation non seulement de sommes qu'il a réellement empruntées, mais plus encore des intérêts usuraires demandés par les prêteurs. En cas de faillite de la Grèce, les banques ne récupéreraient pas leur mise... sauf ce que leur propre État serait prêt à leur verser en dédommagement. Les marchés financiers, c'est-à-dire les banquiers eux-mêmes, savaient que, sur les marchés secondaires, là où se s'achètent et se revendent les titres de créances sur la dette de l'État grec, ceux-ci se négociaient déjà avec une décote de 50 %, voire de 60 %. En somme, ce que les banquiers ont « volontairement » cédé à Bruxelles, c'est ce qu'ils avaient déjà perdu de toute façon.

Mais il y a une deuxième très bonne raison pour que les banquiers aient eu intérêt à accepter ce que leur ont proposé les dirigeants politiques. Si l'État grec se déclarait en faillite, cela mettrait en marche le mécanisme des CDS, sigle désignant des titres d'assurance que les grandes banques contractent pour s'assurer contre la défaillance des États. Or, le total de ces « titres d'assurance » représente une somme considérable. Les banques engagées dans des opérations de prêts dont elles connaissaient les risques mieux que quiconque s'assuraient doublement, voire triplement. De plus, ces CDS devenaient à leur tour des supports de spéculation qui s'achètent et se vendent, et dont les prix fluctuent.

Si, dans la vie normale, un quidam qui s'assure et son assureur sont deux entités différentes, il n'en va pas de même dans le « monde merveilleux du système bancaire ». Ce sont les banques elles-mêmes qui s'assurent les unes les autres.

Une déclaration de faillite de l'État grec aurait donc des conséquences incalculables pour les banques elles-mêmes, qui risquaient de perdre non seulement sur les papiers de la dette de l'État grec, mais aussi sur les CDS.

Le problème des banques n'était pas d'abandonner 50 % de leurs créances. Il était de marchander des contreparties. Elles les ont eues !

Les marchandages de Bruxelles ont abouti non seulement à multiplier par quatre la somme mise à la disposition du fonds de garantie alimenté par les États de la zone euro, mais à ajouter à ce dernier une structure supplémentaire. Cette structure sera autorisée à emprunter à des États hors de l'Union, en particulier la Chine, le Brésil et peut-être la Russie. Ces États de pays semi-développés ont beaucoup de liquidités en caisse, essentiellement en dollars. Ils sont d'autant plus tentés de diversifier leurs placements que la politique de la planche à billets des États-Unis alimente l'inflation et la perte de valeur du dollar. 5 % d'inflation sur la monnaie américaine, c'est un prélèvement du même pourcentage sur les réserves de la Chine.

L'euphorie des banquiers

Les banquiers ont toutes les raisons d'être rassurés ! Ceux qui ne peuvent pas se recapitaliser, comme le leur demande l'accord de Bruxelles, avec l'argent de leurs actionnaires ou en empruntant sur le marché financier international, auront toujours le recours de s'adresser à leur État et, à défaut, au FESF. Une fois de plus, les banques, et derrière elles les groupes financiers, c'est-à-dire toute la crème de la classe capitaliste, auront le beurre et l'argent du beurre.

Le journal patronal Les Échos titrait un de ses articles au lendemain de l'accord de Bruxelles : « Jour d'euphorie sur les marchés financiers ». « Les Bourses ont grimpé de plus de 4 %, les banques françaises d'environ 20 % ». Même envolée à la Bourse de Francfort, à Madrid ou à Milan. Et de citer la hausse de plusieurs banques françaises particulièrement engagées dans la dette souveraine grecque : « Crédit Agricole + 22 % ; Société Générale + 22,5 % ; BNP-Paribas + 16,9 %. »

Est-ce que cela suffira aux banques ? Peut-être. Est-ce que cela arrêtera la spéculation ? Sûrement pas. L'objet de leurs spéculations ne sera sans doute plus la dette souveraine de la Grèce, mais celle du Portugal, de l'Espagne, de l'Italie et, pourquoi pas, de la France. Car rien dans l'accord de Bruxelles ne leur interdit de continuer à spéculer sur les dettes souveraines européennes. Rien, si ce n'est peut-être qu'elles trouvent momentanément un champ de spéculation plus intéressant dans le monde. Mais cela ne dépend absolument pas de décisions, historiques ou pas, de chefs d'État.

Et ce sera, de nouveau, aux classes populaires de payer la note.

Les dirigeants, à commencer par Sarkozy, nous disent, comme ils l'ont fait après la crise de 2008, que cet argent n'est pas donné aux banquiers, qu'il sert seulement de garantie. Tous ceux cependant qui dans la vie ordinaire s'engagent comme garants de prêts consentis à d'autres savent qu'ils peuvent être amenés à payer. Et, surtout, les mesures d'austérité, annoncées au même moment que ces décisions « historiques » censées ne rien coûter, illustrent leurs mensonges.

Il semble à peu près évident que la TVA sera augmentée. Oh, dans son interview télévisée du 27 octobre, Sarkozy a juré qu'il est opposé à une « hausse généralisée de la TVA ». Il s'est même payé le culot d'évoquer l'injustice de cet impôt. Mais même les commentateurs les plus favorables au gouvernement ont relevé que l'expression « pas d'augmentation générale » n'exclut pas une augmentation partielle, comme la création d'un taux de TVA intermédiaire entre les 5,5 % pratiqués sur les articles de consommation courante et les 19,6 % sur les autres. Un taux de TVA intermédiaire signifie une augmentation du taux de certains articles taxés aujourd'hui à 5,5 %. Or, ce sont précisément les produits les plus indispensables aux classes populaires qui sont taxés aujourd'hui à 5,5 %. C'est le cas notamment de tous les produits alimentaires, à l'exception de la confiserie, des chocolats, des graisses végétales... et du caviar.

On ne sait pas encore quels sont les produits alimentaires qui seront taxés à 10 % ou à 12 %. Ce qui est sûr, c'est que le prix du produit choisi augmentera. Et le fait que le caviar ne soit pas touché ne consolera certainement pas les familles ouvrières.

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Cette hausse prévisible de la TVA a déjà été précédée de bien d'autres. Le gouvernement a même proposé une mesure qui frappe essentiellement les travailleurs et les plus pauvres : la réduction des indemnités journalières pour maladie. S'il a fini par retirer cette proposition, c'est pour en concocter d'autres tout aussi iniques.

C'est la majorité de la population, et plus particulièrement les salariés, qui sera un peu plus écrasée encore pour alimenter la machine financière.

Et les graves attaques du gouvernement contre les conditions d'existence des classes populaires coïncident avec les attaques parallèles du grand patronat. Le trust Peugeot-Citroën vient d'annoncer la suppression de 6 000 emplois en Europe et, dans l'immédiat, la mise à la porte de 800 intérimaires rien qu'en France. Si le cas Peugeot-Citroën est spectaculaire en raison de l'ampleur et des conséquences des suppressions d'emplois, toutes les grandes entreprises ont la même attitude. Et chacune a été précédée ou suivie par des mesures similaires chez leurs sous-traitants ou fournisseurs.

Le chômage a de nouveau bondi et atteint désormais officiellement les 10 %. Les licenciements comme les hausses d'impôts contribuent à réduire encore la consommation des classes populaires et à aggraver la crise. La boucle est bouclée.

En même temps qu'ils enfoncent les exploités dans la pauvreté et la société dans le chaos, les groupes industriels et financiers creusent la tombe de leur propre économie.

Ils ont « sauvé » l'Europe, comme ils ont « sauvé » la Grèce : en enfonçant leurs exploités dans la misère pour que les groupes industriels et financiers puissent continuer à réaliser des profits élevés malgré la crise et distribuer des dividendes en conséquence à leurs actionnaires.

Alors, s'imposent d'urgence à la classe ouvrière la nécessité d'empêcher la progression du chômage et la nécessité de défendre le pouvoir d'achat des salaires face aux hausses de prix dues aussi bien aux mécanismes d'une économie en crise qu'à la politique gouvernementale.

S'impose en même temps la nécessité de bouleverser l'ordre social capitaliste. Derrière la domination croissante de la finance, il y a la domination de la classe capitaliste sur l'économie. Sans l'expropriation du grand capital et la mise en place d'une économie dirigée par les classes aujourd'hui exploitées, l'humanité s'enfoncera toujours plus dans la barbarie.

28 octobre 2011