Situation internationale

Εκτύπωση
décembre 2010

La crise économique mondiale marque de plus en plus aussi bien les relations internationales que les politiques menées à l'intérieur des États.

Dans les relations des grandes puissances entre elles et avec les États-Unis, la puissance impérialiste dominante, la tendance à se concerter pour faire face aux conséquences de la crise prédomine encore par rapport aux antagonismes ouverts et aux repliements. Mais il n'est pas nécessaire de fouiller beaucoup pour que, derrière les grandes messes au sommet - G7, G8 ou G20 -, apparaisse un durcissement dans les relations internationales. La solidarité manifestée en 2008-2009 par les puissances impérialistes pour sauver le système bancaire international dissimule mal la réalité du « chacun pour soi » dans une économie mondiale où la crise aggrave inévitablement les rivalités entre grands groupes et nations capitalistes.

Par le simple fait qu'elle exacerbe la « loi de la jungle » de l'économie capitaliste, la crise accentue l'écart entre les pays impérialistes et les pays sous-développés.

Les publications économiques comme la grande presse ont l'habitude d'attirer l'attention sur le cas des pays dits « émergents » pour souligner leur résistance à la crise. Mais, sans discuter ici les causes et les limites de la progression du produit intérieur brut d'une demi-douzaine de pays, principalement le Brésil, l'Inde et surtout la Chine, il faut remarquer que ces pays, même compte tenu de l'importance de leurs populations, représentent des situations particulières sur les quelque 150 pays plus ou moins sous-développés. À l'intérieur de ce vaste ensemble, les pays qui ont été le plus touchés par la crise sont ceux qui étaient le plus intégrés dans l'économie mondiale et plus précisément dans le système financier, du Mexique à l'Indonésie en passant par l'Afrique du Sud.

Les pays les moins développés, en revanche, ont le moins subi les effets de la crise, du moins dans les statistiques. Mais c'est là où les statistiques sont menteuses. La froideur des chiffres ne tient pas compte de la réalité sociale, de la réalité humaine. Le recul du PIB d'un pays pauvre peut être insignifiant. Mais une variation de quelques pour cent du prix du riz, du maïs ou du blé peut transformer la sous-alimentation d'une partie de la population en famine.

Pour ce qui est des pays industriels, ils ont été atteints plus ou moins gravement par la crise financière. Particulièrement dure a été la chute pour un certain nombre de petits pays dont on vantait le miracle économique peu de temps avant.

L'Islande, qui passait pour un des pays du monde où le revenu moyen était le plus élevé, est aujourd'hui ruinée. La tempête financière y a fait bien plus de dégâts que n'auraient pu le faire les volcans de ce pays qui n'en manque pourtant pas !

L'Irlande, dont le progrès économique a été présenté comme un modèle pendant des années et qui drainait des travailleurs émigrés de l'Est de l'Europe, se retrouve endettée jusqu'au cou.

Quant à l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, ces trois pays que les journalistes ont pris l'habitude de désigner sous les vocables de « tigres de la Baltique », ils ne sont plus guère bondissants aujourd'hui !

Pour ces pays-là, la taille réduite de leur économie et leur spécialisation ont joué certainement un rôle. Le progrès apparent de leur PIB des années antérieures étant dû à quelques gros investissements occidentaux ou japonais, il a suffi que ces investissements plafonnent ou diminuent pour que le chômage s'envole et que l'économie recule. Étant par ailleurs très dépendants des banques occidentales, la crise financière les a particulièrement affectés.

Mais même un pays comme l'Espagne, plus peuplée et plus diversifiée, a été touché de plein fouet. Le prétendu progrès économique de ce pays pendant les années antérieures était dû, pour une large part, à l'immobilier avec, certes, une part bien matérielle, mais aussi et plus encore, une part de spéculation immobilière. La crise financière a fait s'effondrer les prix spéculatifs. Pour ce qui est des biens matériels, il en reste aujourd'hui surtout les squelettes d'immeubles non achevés.

Tous les pays d'Europe comme tous les pays industriels du monde ont en commun la politique d'austérité de leurs gouvernements respectifs. Il est remarquable à quel point l'étiquette politique du gouvernement n'intervient pratiquement pas. La bourgeoisie exige partout de ses serviteurs politiques qu'ils fassent payer par les classes populaires les dettes faites par les États pour venir en aide à la classe capitaliste.

Des politiques d'austérité, de la Grande-Bretagne...

De tous les grands pays européens, la Grande-Bretagne était, avant la crise, le plus dépendant de la sphère financière. C'est donc là que le sauvetage du système bancaire, orchestré par l'administration travailliste, aura été le plus coûteux. Il a amené l'État britannique à prendre le contrôle de trois des cinq plus grandes banques du pays et a fait exploser sa dette. On estime que le service de cette dette absorbe aujourd'hui près de 10 % du budget de l'État, tandis que le déficit de ce budget atteint près de 13 % du produit intérieur brut.

Dès les premiers temps de la crise, le gouvernement travailliste avait mis en œuvre des mesures destinées en particulier à réduire le nombre de bénéficiaires d'allocations sociales et les effectifs du secteur public. À la hausse brutale du chômage, s'ajoute une nouvelle montée du travail à temps partiel (28 % des salariés aujourd'hui) et du travail au noir. Les dépenses publiques devraient être réduites de 65 milliards d'euros annuels d'ici à 2015.

Tout cela a renforcé l'écœurement de l'électorat populaire envers la politique du gouvernement travailliste. Lors des élections du 7 mai, cet écœurement a entraîné le retour des conservateurs au pouvoir, à la tête d'une coalition incluant le petit Parti libéral-démocrate.

Le nouveau gouvernement de David Cameron a aussitôt entrepris d'amplifier le programme d'austérité de son prédécesseur. Il prévoit, en particulier, une réduction des dépenses publiques de 93 milliards d'euros assortie d'une augmentation de la TVA.

Ce plan d'austérité touchera de plein fouet les catégories les plus modestes de la population. Leurs retraites et allocations sociales, déjà très faibles, seront réduites, voire parfois supprimées dans le cas des dernières. Outre la suppression de 460 000 emplois dans le secteur public, où les salaires seront de surcroît bloqués, ce plan devrait entraîner un nombre équivalent de suppressions d'emplois dans le privé. Une partie importante des services publics, dont la plupart des usagers se recrutent dans les classes populaires, est vouée à disparaître ou, dans le meilleur des cas, à devenir payante.

En même temps, l'impôt sur les bénéfices, que les travaillistes avaient déjà ramené de 33 à 28 %, sera réduit à 24 %, le plus bas des grands pays européens. Ainsi le capital britannique, qui a déjà largement profité de la crise pour aggraver l'exploitation de la classe ouvrière, par le jeu des licenciements et des baisses de salaire, pourra-t-il également profiter de ce plan d'austérité pour maintenir, voire développer son existence parasitaire aux dépens de l'État et de toute la société.

Le gouvernement Cameron justifie cette cynique offensive antiouvrière en prétendant que « seul le secteur privé peut être le moteur de la reprise » et que, grâce à ce nettoyage par le vide des finances publiques et à l'allégement des contraintes sur le crédit qui devrait en résulter, les entreprises auront tôt fait de remplacer le million d'emplois qui aura été détruit. Mais les experts de la bourgeoisie sont eux-mêmes nombreux à tirer la sonnette d'alarme, en avertissant que la diminution brutale du pouvoir d'achat de la population et des investissements publics résultant de ce plan d'austérité menace, au contraire, de produire une nouvelle baisse de l'activité économique. Et cela, d'autant plus qu'au même moment, le fonctionnement du système bancaire britannique est jugé si défectueux par les responsables de la Banque d'Angleterre que plusieurs d'entre eux se sont prononcés publiquement pour une nouvelle injection de liquidités au profit des banques, à hauteur de 60 milliards d'euros, addition supplémentaire que le gouvernement Cameron ne manquera pas de présenter à la population laborieuse, sous une forme ou une autre.

... A un peu partout en Europe

En Europe, il n'y a plus un seul gouvernement qui n'ait décidé son plan d'austérité. C'est à qui présentera aux financiers et au FMI le plan d'austérité le plus draconien pour continuer à disposer de la meilleure « note », le fameux « AAA », et ne pas être étranglé par le nœud coulant de la dette.

Outre le plan britannique, celui de la Roumanie se distingue par sa violence : réduction de 25 % des salaires et suppression du treizième mois pour les fonctionnaires, baisse de 15 % des allocations de chômage et des pensions de retraite, suppression de plus de 100 000 postes dans la fonction publique dès 2010, sur fond de réduction des dépenses de santé et d'éducation, et d'une augmentation de la TVA de 19 à 24 %. Les 300 nouveaux riches qui détiennent un quart de la richesse nationale perdront quelques places au classement des milliardaires, mais la majorité des travailleurs a, elle, perdu la moitié de ses revenus. Tous ceux qui se sont endettés pour acheter leur logement sont menacés de le perdre. Les instituteurs, le personnel de santé cherchent à émigrer vers l'Ouest pour fuir leur salaire de misère, 1 300 écoles ont déjà été fermées et le gouvernement prévoit d'en fermer encore 1 700 en 2011, tant et si bien que l'analphabétisme pourrait réapparaître !

Dans les pays moins pauvres d'Europe, on n'en est pas comme en Roumanie à acheter ses propres médicaments avant de se rendre à l'hôpital, mais on paye de plus en plus pour se faire soigner, et les plus pauvres sont plus mal soignés. Malgré leur variété apparente, ce sont les mêmes mesures qui sont imposées dans tous les pays et elles produiront les mêmes effets catastrophiques à plus ou moins long terme selon le niveau de richesse d'où l'on part.

Partout, il est question de supprimer des postes de fonctionnaires. De nombreux pays - c'est le cas de la Grande-Bretagne, de l'Espagne, en plus de la Roumanie, du Portugal, de la Hongrie et de la Grèce - ont décidé d'augmenter la TVA de deux à cinq points. L'Irlande va, elle, augmenter la CSG de trois à dix points. S'il n'est pas question pour le moment, en France, en Allemagne ou en Pologne, de diminuer les salaires des fonctionnaires, le gel des rémunérations, prévu sur deux, trois ou quatre ans, revient de fait à une baisse de revenu. Alors que l'Espagne a supprimé la prime à la naissance de 2 500 euros, l'Allemagne a, quant à elle, prévu de diminuer l'allocation parentale et même de la supprimer pour les Rmistes !

Que certains s'attaquent aux allocations logement, que d'autres diminuent les allocations familiales, les indemnisations des chômeurs, qu'ils gèlent les pensions de retraite, toutes ces mesures vont dans un seul et même sens : faire payer aux plus pauvres pour donner aux plus riches. La différence ne réside que dans la brutalité de l'exécution, mais partout la guerre contre les travailleurs s'intensifie.

Les Etats-Unis

Aux États-Unis, d'où est partie la crise immobilière qui a débouché sur la crise financière de 2008, comme ailleurs et sans doute plus qu'ailleurs, c'est aux classes populaires qu'on a fait payer la crise elle-même, ensuite le prompt rétablissement de Wall Street.

À la suite de la crise immobilière, des centaines de milliers de personnes ont été chassées de leur domicile, dépouillées par les banques de leur maison fraîchement acquise. Le chômage est sans précédent depuis la guerre, comme est sans précédent l'allongement de la durée du chômage. Dans un récent numéro, Le Monde fait état de l'envolée de la catégorie des demi-chômeurs : « Si 9,6 % des actifs américains sont au chômage, le sous-emploi total affecte 17,6 % d'entre eux. [...] On estime que 42 millions d'Américains (sur une population de 308 millions) sont, directement ou indirectement, touchés par le sous-emploi .» Dans ce pays où les protections sociales sont réduites, une fraction importante de la population a été poussée vers la pauvreté.

Sont éloquentes les images montrées à la télévision des queues de gens aux soupes populaires, en bas d'immeubles au luxe factice de Las Vegas, des centaines de caravanes dans le désert du Nevada abritant des femmes et des hommes qui peu de temps auparavant étaient des cadres, faisaient partie de cette fameuse classe moyenne dont les États-Unis sont censés être le paradis.

Obama, qu'on avait présenté au moment de son arrivée au pouvoir comme un espoir pour les classes pauvres des États-Unis, vient de payer électoralement son incapacité à faire face aux conséquences de la crise. Le recul du Parti démocrate lors des élections de mi-mandat se conjugue avec la montée de courants particulièrement réactionnaires.

Bien que pays phare du capitalisme et justement à cause de cela, les États-Unis sont durement frappés par la crise. Comme partout et sans doute plus que partout, la crise a exacerbé les antagonismes de classe. Pendant que Wall Street fête ses bénéfices retrouvés, et au-delà, les classes laborieuses sombrent. Il n'y a pas grand-chose pour les chômeurs dans ce pays où l'allocation-chômage est dérisoire et où de plus en plus de gens ne peuvent plus se soigner convenablement, pas plus qu'ils ne peuvent envoyer leurs enfants à l'école car tout cela coûte cher. Sous la domination du grand capital, ce pays, le plus riche du monde, est incapable d'assurer du travail, de quoi vivre, le gîte et le couvert, à une fraction croissante de la population.

Les États-Unis continuent cependant à tirer du profit du monde entier. Cette domination est essentiellement économique, mais elle est aussi politique et militaire. Cela se manifeste dans le domaine de l'armement. Malgré la disparition de la division du monde en deux blocs, les États-Unis ont continué à augmenter leurs dépenses d'armement sans discontinuité depuis 1998. À l'échelle mondiale, les dépenses militaires se sont accrues de 47 % entre 1998 et 2008. Cette hausse est due en grande partie à celle des dépenses américaines qui se sont accrues de 67 % et représentent à elles seules 41 % des dépenses mondiales. Le budget militaire des États-Unis pèse autant que le total cumulé du budget militaire des vingt-trois pays suivants.

Le budget militaire américain constituant le plus grand marché d'armement dans le monde, il en découle tout naturellement qu'il est aussi le plus grand marchand d'armes. Parmi les six premiers marchands d'armes mondiaux, cinq sont américains : Boeing, Lockheed Martin, Northrop Grumman, General Dynamics, Raytheon.

L'importance croissante de l'industrie des armes et surtout sa croissance rapide même après la disparition de l'Union soviétique enterrent les espoirs des pacifistes les plus illuminés qui attendaient de la disparition de la division en deux blocs sinon la paix éternelle, du moins une réduction significative des dépenses militaires.

Ce n'est évidemment pas la menace des quelques centaines de terroristes d'Al-Qaida qui explique que l'armement des États-Unis absorbe un pourcentage du PNB (produit national brut) plus important qu'au temps de la guerre froide. Mais, sur le plan économique, en cette période de crise, les groupes industriels et financiers ont plus que jamais besoin de s'accaparer cette source de profit sécurisé qu'est le budget militaire. Le rôle des budgets militaires est une des expressions du parasitisme du grand capital.

En outre, les responsables politiques et militaires de la bourgeoisie américaine, comme leurs compères des puissances impérialistes plus petites, sont parfaitement conscients que leur système repose sur un volcan. La domination impérialiste sur le monde continuera à soulever des résistances, à provoquer des explosions.

Pas plus que les marchands du temps de l'expansion coloniale ne pouvaient se passer de militaires (et, accessoirement, de prêtres), le capital financier ne peut se passer d'armées, de bases militaires, de fusées, de bombes, nucléaires ou non.

Malgré les promesses d'Obama, qui lui ont valu le prix Nobel de la Paix, les États-Unis ne se sont dégagés d'aucun des pays où ils étaient militairement présents (Irak, Afghanistan, en premier lieu) et n'ont pas fait avancer d'un pouce la résolution du conflit israélo-palestinien.

En Irak, seule l'instabilité a été stabilisée

En Irak, la « fin des opérations de combat » et la « souveraineté » du pays ont beau avoir été proclamées, une fois encore, par Obama, pour marquer le départ du pays d'une partie des troupes américaines, l'occupation n'est pas terminée. Même si Washington s'en tient au calendrier prévu, avec le départ des 50 000 soldats restants à la fin 2011, le pays restera sous le contrôle militaire étroit de bases aériennes américaines installées sur son territoire et d'« avant-postes », dans lesquels les soldats américains seront remplacés par des mercenaires, pour veiller sur les intérêts locaux des trusts occidentaux, pétroliers en particulier.

Pour la population, la catastrophe économique et sociale créée par l'invasion et les sept ans d'occupation demeure. Les infrastructures publiques détruites par les bombes n'ont jamais été reconstruites, d'autres ont été laissées à l'abandon après l'effondrement de l'appareil d'État de Saddam Hussein. À tel point que, cet été, des dizaines de milliers de manifestants ont bravé la police dans les grandes villes, pour exprimer leur colère face au manque d'électricité. Hormis quelques installations pétrolières remises en service, l'économie du pays reste exsangue, le chômage endémique et les conditions de vie de la majorité pauvre de la population sordides. Des millions d'émigrés intérieurs s'entassent dans les grandes villes, dans des squats gigantesques. Sans même parler des centaines de milliers de vies qu'elle a fauchées, la guerre d'Irak a imposé à la population un retour en arrière de plusieurs décennies.

Cette catastrophe sociale est entretenue et aggravée par le chaos politique né de l'occupation, dans lequel les attentats terroristes continuent à faire des centaines de morts chaque mois.

Sans doute un certain nombre des milices qui se livraient hier à une guerre civile sanglante, se trouvent-elles aujourd'hui intégrées au processus politique, autour des institutions mises en place par les autorités d'occupation. Mais cela ne veut pas dire qu'elles ont laissé de côté leurs rivalités, ni même qu'elles ont cessé d'user de leur arsenal dans le cadre de ces rivalités, comme en témoignent des révélations récentes reliant la faction du premier ministre al-Maliki à un réseau de commandos de la mort et de prisons secrètes. Dans la vague continuelle des attentats terroristes, il reste d'ailleurs toujours aussi difficile de ne pas voir, dans bien des cas, la main de factions proches du pouvoir, tant il paraît évident qu'ils ont bénéficié de complicités haut placées au sein de l'appareil d'État.

Il est vrai que, d'une certaine façon, ces milices n'ont fait que changer d'uniformes. Ce sont elles qui ont fourni une grande partie des cadres des nouvelles forces de répression mises en place par les autorités d'occupation pour remplacer celles du régime de Saddam Hussein. Au point d'ailleurs que la nouvelle armée irakienne, qui compte déjà 660 000 hommes, reflète jusque dans ses structures les rivalités entre ces milices, avec des unités dont l'encadrement est souvent lié à l'une ou l'autre d'entre elles.

Cette année, on a pu voir les rivalités entre factions s'exprimer dans la paralysie des institutions politiques qui étaient justement censées les neutraliser. En effet, depuis les élections parlementaires du 7 mars, ces factions se sont montrées incapables de parvenir à un accord, que ce soit sur la composition d'un nouveau gouvernement ou sur le choix de son Premier ministre. Et pendant qu'elles se livraient à d'interminables marchandages, la population attendait vainement qu'un gouvernement veuille bien s'occuper de son sort !

Si, après huit mois de paralysie, une solution est peut-être en passe d'être trouvée à cette crise politique, ce sera en grande partie grâce à l'intervention de l'Iran qui, jouant de son influence sur les différentes factions chiites, s'est efforcé de les fédérer en une coalition capable, en alliance avec les partis kurdes, de disposer d'une majorité au Parlement.

Ce rôle joué par le régime iranien en Irak n'est pas nouveau. C'était déjà lui qui avait amené les deux principales milices chiites à intégrer les institutions politiques, puis toute une série de factions plus petites, intégration qui avait permis aux partis religieux chiites d'accéder au pouvoir en 2005 et de s'y maintenir, avec le soutien des États-Unis, jusqu'aux élections de cette année.

Ainsi se confirme une forme de division du travail régional entre l'impérialisme américain et le régime iranien. Ce dernier a intérêt à une certaine stabilité autour de ses frontières avec, certainement dans le cas de l'Irak, les moyens de le faire. La transformation de l'armée irakienne en un réel garant de la stabilité politique du pays, en particulier contre sa propre population, nécessite que soit mis un terme aux rivalités entre factions chiites qui en constituent les principales composantes. Contrairement à Washington, le régime chiite d'Iran a une certaine autorité pour y parvenir.

Reste, pour Washington, à faire en sorte que cette division du travail, implicite jusqu'à présent, puisse s'effectuer dans des conditions prévisibles et aussi favorables que possible pour l'impérialisme américain. C'est évidemment là que le bât blesse dans la mesure où le régime iranien dispose d'une base populaire suffisante pour résister à bien des pressions de l'impérialisme et refuser de faire des concessions sans contreparties substantielles. D'où la guerre verbale menée par Washington contre Téhéran, et les sanctions économiques qu'il lui impose, sous prétexte de lui interdire l'accès à l'arme nucléaire - motif d'autant plus hypocrite que, outre les États-Unis eux-mêmes, l'Iran est encerclé par des pays qui sont possesseurs de cette arme.

L'enlisement en Afghanistan

En Afghanistan, l'enlisement des puissances occidentales se poursuit. Après neuf ans de guerre, la résistance à l'occupation, qui s'était déjà intensifiée de façon importante en 2009, a encore progressé cette année. C'est ce que reflète par exemple le nombre des morts dans les rangs des forces de l'OTAN : il avait augmenté de 60 % entre 2008 et 2009 et, au rythme où vont les choses, il devrait augmenter de nouveau de 50 % en 2010.

La politique adoptée par les états-majors occidentaux, qui visait à mobiliser des moyens militaires considérables pour infliger des défaites décisives à la résistance dans quelques-uns de ses bastions les plus importants, a été un échec, comme l'ont montré les deux offensives de grande envergure menées cette année dans les provinces méridionales d'Helmand et de Kandahar qui n'ont pas empêché une série d'attentats spectaculaires au beau milieu de la zone « pacifiée ». Ces offensives, dans lesquelles des villages entiers ont été pris pour cibles, ont causé bien plus de pertes dans la population que dans les rangs des groupes armés eux-mêmes, attisant encore plus sa haine envers les occupants.

Cette haine est, en outre, enracinée dans les souffrances subies au cours de trois décennies de guerre, dont deux d'occupation étrangère. Le pays, qui comptait déjà parmi les plus pauvres du monde avant l'invasion impérialiste de 2001, a sombré encore plus profondément dans la pauvreté sous l'occupation occidentale. Il occupe désormais le dernier rang mondial dans le classement du Programme Alimentaire Mondial de l'ONU, derrière les plus pauvres des pays d'Afrique subsaharienne.

À ce dénuement catastrophique vient s'ajouter la corruption des clans regroupés autour du régime fantoche du président Karzai, qui ne se maintient au pouvoir que grâce à la protection des troupes occidentales et à des truquages électoraux. L'effondrement, malgré ces truquages, de la participation électorale lors des élections parlementaires du 18 septembre, exprime sans doute l'écœurement de la population envers ces clans qui vivent une existence aussi parasitaire que luxueuse aux crochets des forces d'occupation.

Les troupes d'occupation étrangères, qui ne sont bien vues nulle part, apparaissent de plus comme les principales responsables de cette situation. Cela suffit largement à assurer un flot constant de nouvelles recrues aux groupes armés qui les combattent et à rendre impossible une victoire militaire occidentale, sauf à mettre en œuvre des moyens militaires et humains qui seraient inacceptables pour l'opinion publique occidentale, américaine en particulier.

Les dirigeants impérialistes souhaiteraient évidemment se dépêtrer de cet enlisement qui leur pose des problèmes, à la fois économiques parce qu'il est coûteux, et politiques vis-à-vis de leur opinion publique. Obama parle d'amorcer le départ des troupes américaines en 2012, mais le numéro un de l'armée britannique, la principale auxiliaire des États-Unis dans cette guerre, a tenu à dire récemment qu'une telle opération ne lui paraissait pas envisageable avant 2015.

L'un des principaux problèmes auxquels doit faire face l'impérialisme est l'absence d'interlocuteurs avec lesquels mener des négociations susceptibles d'aboutir à un règlement politique. Car, contrairement à ce que laissent entendre les gouvernements, l'idée d'une résistance unifiée sous la direction d'un état-major « taliban » est essentiellement une fiction. La résistance est en fait constituée d'au moins cinq groupes relativement importants et d'une multitude de groupes locaux sans allégeance particulière, dont l'activité, pour certains, relève au moins autant du banditisme que de l'opposition militaire.

Les groupes les plus importants de la résistance n'ont pas eux-mêmes des objectifs du même ordre. Ils ont en commun le fait d'être issus de la résistance jadis financée par la CIA à l'invasion soviétique des années quatre-vingt. Certains ont des ambitions nationales et visent le pouvoir central, alors que d'autres ont des objectifs essentiellement ethniques et visent simplement à être les seuls maîtres dans ce qu'ils considèrent comme leur fief.

Il y a bien longtemps que les dirigeants impérialistes cherchent par différents canaux à négocier avec les chefs de guerre afghans. La formation du régime de Karzai dans sa forme actuelle a été l'aboutissement de telles tentatives, en intégrant un certain nombre de chefs de guerre dans les rangs du gouvernement, tandis que leurs troupes étaient intégrées à la nouvelle armée afghane. Mais d'une part la plupart des chefs de guerre qui se sont prêtés à ce jeu n'avaient en fait plus grand crédit, et ceux qui en avaient se sont discrédités rapidement en s'inféodant à l'occupant.

Par l'entremise de l'Arabie saoudite, les dirigeants américains ont également tenté depuis plusieurs années d'obtenir le ralliement d'anciens dignitaires du régime des talibans. Mais soit parce que ces interlocuteurs ne représentaient qu'eux-mêmes, soit du fait de leur intransigeance, ces tentatives n'ont jamais abouti.

Or, la position géographique de l'Afghanistan et sa composition ethnique en font une plaque tournante pour toute la région.

Héritées des découpages artificiels résultant des rivalités entre l'Empire britannique et l'Empire tsariste, ses frontières avec l'Iran à l'ouest, les ex-républiques soviétiques d'Asie centrale au nord, et le Pakistan au sud, ont divisé de grands groupes ethniques, tandis qu'en Afghanistan même est resté un assortiment de toutes les ethnies de la région, ayant chacune un langage et une version de l'islam qui lui sont propres mais qu'elle partage avec d'autres hors d'Afghanistan. Non seulement cela fait de l'Afghanistan une poudrière ethnique qui peut toujours exploser un jour ou l'autre, mais cela signifie aussi que toute instabilité en Afghanistan a la capacité potentielle de s'exporter de façon quasi automatique par le biais de canaux ethniques dans les pays voisins.

Qui plus est, mais les deux faits sont liés, l'Afghanistan se trouve à l'interface des sphères d'influence régionale, ou plutôt des rivalités, des trois principales puissances de la région que sont l'Iran, l'Inde et le Pakistan. Et aucune d'elles n'est, ni n'a jamais été, neutre dans les conflits qui se sont déroulés en Afghanistan.

L'extension de la guerre vers le Pakistan

Le Pakistan offre, depuis bien des années, l'exemple le plus frappant des conséquences que l'instabilité en Afghanistan peut avoir sur les pays voisins. Pilier régional de l'impérialisme américain au temps de la guerre froide, le service de renseignement de ce pays, l'ISI, avait servi d'intermédiaire aux opérations de la CIA destinées à mettre en place et à armer des guérillas antisoviétiques en Afghanistan. Et cela d'autant plus volontiers que les mêmes canaux de recrutement dans les camps de réfugiés afghans au Pakistan et les mêmes fonds américains leur permettaient de recruter et d'armer des combattants pour aller se battre contre les forces indiennes pour le contrôle du Cachemire. Ce fut la même ISI qui servit ensuite d'intermédiaire pour armer les forces des futurs talibans, grâce à des fonds fournis par les pays du Golfe. Pour tout un milieu nationaliste pakistanais, militaire aussi bien que civil, l'islamisme radical devint durant cette période un instrument politique légitime, voire pour certains un instrument susceptible de servir des ambitions expansionnistes, sous la forme en particulier de l'annexion d'une partie de l'Afghanistan sous prétexte de réunir l'ethnie pachtoune dans les frontières pakistanaises.

Après l'invasion occidentale de 2001, le Pakistan devint la base logistique des forces occidentales. Les partis islamistes pakistanais, jusqu'alors très faibles, purent gagner du crédit en posant aux champions de la lutte contre l'invasion de l'Afghanistan face à la servilité des partis traditionnels envers l'impérialisme américain. Et ils purent le faire avec d'autant plus de succès qu'en même temps, les divers régimes qui se succédaient à la direction du pays, tous plus corrompus les uns que les autres, faisaient preuve d'une incurie totale, laissant sombrer la population dans la misère.

Aujourd'hui, des régions entières de la frontière pakistano-afghane sont contrôlées par les milices de ces partis, où certains ont parfois pu instaurer leur propre version de la charia avec l'assentiment formel du régime d'Islamabad. Mais l'influence et l'activité des groupes islamistes pakistanais s'étendent bien au-delà de ces régions, ne serait-ce d'ailleurs que parce que, dans des grandes villes comme Karachi, une partie importante de la population pauvre est constituée de migrants venus des régions frontalières avec l'Afghanistan chercher un moyen de survivre. Cela fait plusieurs années, en particulier, que les attentats visant des sectes religieuses rivales, des cibles gouvernementales ou des convois de ravitaillement destinés aux troupes d'Afghanistan, se multiplient - attentats aveugles qui, pour les seuls huit premiers mois de cette année, auront fait plus d'un millier de morts.

Malgré ce bilan sanglant, le fait que l'on assiste depuis plus d'un an à des bombardements de plus en plus fréquents dans les régions frontalières, par des drones ou des hélicoptères américains, au motif que des groupes armés afghans y auraient des bases logistiques, contribue à renforcer la popularité des partis islamistes. Il est vrai que, cette année, leur popularité a sans doute été encore plus renforcée par la carence de l'État lors des inondations qui ont fait huit millions de sans-abri cet été. Car dans les premiers temps, tandis que le Premier ministre pakistanais se détendait dans son château privé de Normandie, dans un certain nombre de régions ce furent les organisations liées aux partis islamistes qui organisèrent les secours à la place de l'État.

C'est dire que la déstabilisation du Pakistan liée à la situation en Afghanistan est largement amorcée, même si elle est favorisée au moins autant par des facteurs internes. Il est évident que si le chaos afghan s'aggravait, cette déstabilisation suivrait le même chemin, dans un pays qui est six fois plus peuplé que l'Afghanistan et de surcroît un pays qui reste quand même l'un des auxiliaires régionaux de l'impérialisme.

Face à ces menaces, les dirigeants américains recherchent les appuis qu'ils peuvent. L'Inde est de longue date acquise à leur politique et a fourni l'appui qu'elle pouvait par le biais des liens qu'elle entretient depuis longtemps avec certains des seigneurs de guerre de l'ethnie tadjike. Mais cet appui reste limité. En revanche, c'est peut-être aussi, comme en Irak, du côté de l'Iran que l'impérialisme peut rechercher un rôle stabilisateur. Le fait d'être un État religieux chiite ne l'a pas empêché de financer et d'armer des milices tadjikes et pachtounes d'obédience sunnite qui combattaient le régime des talibans. Aujourd'hui, le régime de Téhéran ne cache pas ses liens avec l'un des principaux groupes de la résistance à l'occupation dont le dirigeant historique, Gubbuldin Hekmatyar, est réfugié dans ses frontières depuis 2001. Qui plus est, il dispose d'un réservoir humain potentiel pour mener une politique en Afghanistan, puisque plus d'un million d'Afghans sont réfugiés en Iran. Enfin, comme l'a révélé récemment Karzai, suite à une fuite dans les médias américains qui avait fait scandale, cela fait longtemps que le régime iranien apporte un soutien financier substantiel au régime fantoche mis en place par l'impérialisme.

Mais avant qu'une quelconque solution puisse se matérialiser, si tant est que cela arrive un jour, il faut s'attendre à ce que l'impérialisme aille aussi loin qu'il le peut dans sa politique actuelle de faire payer très cher aux groupes armés afghans, et à travers eux à la population, leur résistance à l'ordre qu'il veut imposer au pays.

Israël-Palestine : fin du simulacre de négociation

Au Moyen-Orient, le regain d'activisme diplomatique américain a accouché d'un simulacre de négociations entre dirigeants israéliens et représentants de l'Autorité palestinienne dont l'échec était on ne peut plus prévisible. À aucun moment, les dirigeants israéliens n'ont manifesté une réelle intention de « négocier ». Ils savaient pouvoir compter sur le soutien indéfectible des États-Unis qui, avec Israël, disposent d'un allié capable de jouer le rôle de gendarme au service des intérêts impérialistes dans cette région stratégique.

La timide pression de l'administration Obama s'est limitée à obtenir du gouvernement Netanyahou un dérisoire moratoire des colonisations en Cisjordanie pendant dix mois. D'autant plus dérisoire qu'il excluait la zone de Jérusalem-Est qui, avec déjà près de 200 000 colons établis, est une des principales zones de colonisation. Le moratoire est aujourd'hui terminé.

Mais, dans le reste de la Cisjordanie, la colonisation n'a en réalité jamais cessé, les implantations de colonies dites « sauvages » ayant pu compter sur la passivité, voire la complicité, du gouvernement Netanyahou qui multiplie les gages vis-à-vis de l'extrême droite nationaliste et anti-arabe. Au point qu'il devient difficile d'envisager la création d'un État palestinien ayant un minimum de continuité territoriale.

Alors que l'État israélien dissimule de moins en moins que son régime est un régime d'apartheid à l'égard des Palestiniens, la situation semble dans une impasse complète.

L'Afrique de la pauvreté et des conflits armés, Haïti

Malgré les affirmations ridicules d'un certain nombre d'économistes annonçant que l'Afrique a traversé la crise sans trop de dégâts, en citant des taux fantaisistes de progression du PIB, l'Afrique reste le continent le plus pauvre. Aux nombreuses séquelles de la mise à sac du continent au fil des siècles, depuis la chasse aux esclaves jusqu'au pillage colonial, prolongés par la mise à sac des anciennes colonies sous des régimes entièrement à la botte des anciennes métropoles, s'ajoutent aujourd'hui les nombreux conflits armés.

Derrière certains de ces conflits armés, il y a directement la rivalité entre groupes capitalistes qui cherchent à mettre la main sur les richesses naturelles du continent. Mais, même lorsque ce n'est pas le cas, continuent à exploser les bombes à retardement laissées par le passé colonial, avec les antagonismes ethniques notamment.

Si certains des pays comme le Liberia ou la Sierra Leone, où se sont déroulées il y a quelques années des guerres internes particulièrement horribles, ont retrouvé un semblant de calme, dans d'autres, du Sahara occidental, à l'ouest, à la Somalie, à l'est, en passant par le Soudan, le Congo et bien d'autres, les guerres internes n'ont jamais cessé.

De nouveaux pays viennent d'être entraînés dans des conflits plus ou moins graves. Il en est ainsi de certains pays du Sahel comme la Mauritanie, le Mali et le Niger où il est bien difficile de démêler dans l'apparition des groupes armés la part du fondamentalisme islamique et celle des services secrets des pays voisins comme l'Algérie ou de l'ancienne puissance coloniale française.

Ces conflits avec les différentes bandes armées qui s'affrontent, parmi lesquelles les armées nationales, prennent des formes particulièrement horribles car, souvent, les opérations militaires ne se limitent pas à l'affrontement avec les bandes armées rivales mais visent à terroriser les populations civiles en tuant, en violant, en mutilant et en incendiant villages et récoltes.

Ces conflits permanents constituent un facteur d'appauvrissement majeur. Aux tués dans les opérations militaires proprement dites s'ajoutent les morts dues aux conséquences : famines, maladies, mutilations qui empêchent de survivre.

Les deux pays économiquement les plus puissants d'Afrique noire, l'Afrique du Sud et le Nigeria, ont tous les deux été frappés par la crise.

Le Nigeria dispose certes de réserves pétrolières importantes qui lui assurent des revenus lorsque le prix du pétrole monte. Mais il souffre des variations importantes de ce prix. Le prix du brut, commercialisé aujourd'hui à 80 dollars le baril, a varié en 2008 entre un maximum de 145 dollars et un minimum de 40 dollars ! Et cela en une année !

Ce pays, véritable mosaïque de peuples, est de plus miné par une multitude de conflits entre confessions et entre ethnies. Sans même parler des résistances armées des zones pétrolifères protestant contre les prélèvements des trusts pétroliers qui, notamment dans le delta du Niger, détruisent la nature et privent la population de ses moyens de vivre traditionnels. Au pillage des groupes pétroliers s'ajoutent les prélèvements du pouvoir central.

Quant à l'Afrique du Sud, le pays africain le plus industrialisé, ses dirigeants ambitionnent de jouer un rôle de leadership diplomatique, voire militaire, sur le continent. Ils jouent un rôle de médiation et d'interposition dans plusieurs pays du sud du continent (Mozambique, Comores, Zimbabwe, Lesotho) mais également en Afrique centrale (République démocratique du Congo), voire, à certains moments, en Côte d'Ivoire.

Mais l'Afrique du Sud est déchirée par une violence interne qui, pour ne pas s'appeler « guerre », n'en est pas moins une. Une guerre sociale qui fait une cinquantaine de milliers de morts chaque année. C'est avec le Brésil un des pays les plus inégalitaires du monde. L'expression littéraire « nation arc-en-ciel » dissimule mal le fait que toutes les couleurs du spectre ne se valent pas.

Non seulement la fin du régime d'apartheid n'a pas mis fin à la misère de la grande majorité de la population noire, mais les structures de l'apartheid, son soubassement économique, ont largement survécu. Les classes exploitées de ce pays ont seulement la triste satisfaction de constater qu'un certain nombre de privilégiés noirs se sont hissés parmi les privilégiés blancs.

L'impérialisme français essaie de préserver sa présence dans son ancien empire colonial - rappelons-le, le plus étendu - sur le continent africain. Les bases militaires dispersées dans l'ex-empire demeurent et l'armée française continue à intervenir plus ou moins discrètement dans des conflits touchant le Tchad ou la République centrafricaine, sans parler de sa présence plus ou moins à l'arrière-plan en Côte d'Ivoire.

En Côte d'Ivoire, une élection présidentielle a fini par avoir lieu dix ans après une première élection noyée dans le sang et après une période de cinq ans où le scrutin a été sans cesse repoussé, prolongeant ainsi le séjour de Laurent Gbagbo à la présidence. Au premier tour de cette élection qui s'est déroulée sans incident, les deux candidats arrivés en tête et qui seront donc présents au deuxième tour, en principe le 28 novembre, sont le président actuel, Laurent Gbagbo, et Alassane Ouattara, ex-Premier ministre de Houphouët-Boigny.

Au moment où ce texte est écrit, le deuxième tour n'a pas eu lieu et il est impossible d'affirmer avec une certitude absolue qu'il pourra se dérouler normalement ni même qu'il aura lieu. En Guinée voisine, après le premier tour, il aura fallu attendre quatre mois et deux reports du scrutin pour que le deuxième tour ait enfin lieu.

Avec respectivement 38 % et 32 % des voix, Gbagbo et Ouattara se suivent. Si la participation à l'élection a été particulièrement massive, le vote a été cependant largement ethnique. Entre les trois principaux candidats, Gbagbo, Ouattara et Bédié, il n'y a guère de différences sur le plan politique. Les trois présidentiables, dont les rivalités marquent la scène politique ivoirienne depuis la mort de Houphouët-Boigny, n'ont pas mis en avant lors du premier tour la propagande ethniste. Mais il n'y en a pas besoin, car les trois candidats s'en sont servis pendant des années au point que l'idée qu'il faut voter pour le candidat proche de son ethnie est aujourd'hui ancrée dans les esprits et continue à être propagée par les cadres et les militants de chaque camp. Même lorsque l'ethnisme ne débouche pas sur des conflits violents, il représente un poison pour les classes populaires. Et tout fait craindre que lors du deuxième tour ou après la proclamation du résultat, la violence éclate.

Il n'est même pas dit que cette élection, même si elle a lieu dans les deux parties de la Côte d'Ivoire, soit suffisante pour rétablir l'unité du pays divisé en deux depuis plusieurs années. L'unification des deux fractions de l'armée à l'origine de la partition du pays n'a pas été parachevée. Il n'est pas dit que le futur président de la République ne soit pas obligé de composer avec les féodalités nées de la guerre civile, en particulier avec les commandants de la zone du Nord rebelle qui ont fait des régions qu'ils contrôlent des fiefs lucratifs. La population subissait déjà la loi des « corps habillés » avant même la partition. Racketter la population, en particulier ses catégories les plus pauvres, a toujours été le sport favori des militaires comme des policiers.

Cette partition du pays a encore aggravé la situation des classes populaires. Une des raisons qui ont motivé la participation massive des électeurs réside dans l'espoir que l'élection mettra fin à la partition et à l'état de guerre de fait entre le Nord et le Sud. Rien ne garantit que cet espoir se réalise. Mais la prétendue « communauté internationale » se contentera de la tenue de cette élection, si elle se termine sans trop de violence, pour redonner à la Côte d'Ivoire le label de « démocratie ».

Haïti était, déjà, avant le tremblement de terre du 12 janvier 2010, le pays le plus pauvre de l'hémisphère occidental. Le tremblement de terre, avec ses deux cent mille morts et la destruction quasi-totale de la capitale, Port-au-Prince, et d'un certain nombre d'autres villes, a encore aggravé la situation.

Que le tremblement de terre ait fait autant de victimes est déjà une des conséquences de la pauvreté. Mais l'attitude des grands pays impérialistes depuis le 12 janvier est particulièrement révoltante. Les promesses d'aides des pays impérialistes qui se posent en tuteurs d'Haïti, les États-Unis d'abord mais aussi la France, n'ont pas été suivies d'effets. Pratiquement rien n'a été fait pour reconstruire la capitale et pour donner un logement aux huit cent mille rescapés qui continuent à vivre sous des tentes, dans des baraquements de fortune sur les places publiques, et dans des conditions infra-humaines. La saison des ouragans, meurtrière déjà en temps normal, s'annonce dramatique pour ceux qui vivent dans les camps de toile.

Organiser dans ces conditions des élections comme celles qui auront lieu à la fin du mois de novembre est une odieuse pantalonnade.

Union européenne, entre la partie occidentale impérialiste et la partie orientale subordonnée

La crise dite grecque au début de cette année et les longues tergiversations des puissances impérialistes d'Europe pour sauver l'État grec de la banqueroute ont non seulement révélé la fragilité de la zone euro et, au-delà, de l'ensemble de l'Union européenne, mais ont mis l'éclairage sur les rapports de force à l'intérieur de cette Europe prétendument unifiée.

En contrepartie des milliards finalement débloqués en faveur de l'État grec ou, plus exactement, en faveur des banquiers créanciers de cet État, les grandes puissances européennes lui ont imposé un état de subordination ouverte par rapport à ses bailleurs de fonds les plus riches. Le gouvernement grec a dû accepter que sa politique économique et financière soit contrôlée par les institutions internationales de la bourgeoisie et par les grandes puissances européennes, l'Allemagne en particulier.

La fiction d'une Union européenne regroupant avec des droits égaux vingt-sept pays n'a jamais été qu'une fiction, justement. Derrière cette Union, il y a non seulement l'inégalité entre les États suivant leur taille, leur population, leur puissance économique, mais, surtout, la différence entre la partie occidentale impérialiste de l'Europe et la partie orientale qui constitue historiquement tout à la fois son arrière-pays et l'objet de ses rivalités internes.

La subordination économique et politique qui en découle est la caractéristique des ex-Démocraties populaires récemment intégrées dans l'Union européenne, voire pour certaines (Slovénie et Slovaquie) dans la zone euro. À part, dans une certaine mesure, la Pologne, tous ces pays ont subi de plein fouet la crise qui a pris dans cette région semi-développée des formes particulièrement graves. Le chômage y est élevé, l'endettement non seulement des États mais aussi de la population est d'autant plus grave que les dettes ont été contractées en euros et que le forint hongrois, le leu roumain ou le lev bulgare ont décroché par rapport à l'euro, rendant les remboursements d'autant plus difficiles.

Si certaines conséquences politiques de la crise se constatent même en Europe occidentale, ici sous la forme d'une montée de l'extrême droite (Pays-Bas), là par l'exacerbation des tensions entre composantes nationales de la population (Belgique), elles sont bien plus visibles encore dans les pays de l'Est de l'Europe. Il faut rappeler que la partie orientale de l'Europe est depuis, au bas mot, un siècle - en réalité, depuis bien plus longtemps - le jouet des rivalités entre grandes puissances. Toute cette région a connu plusieurs partages et repartages.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la région a complètement changé de physionomie suite aux traités de Versailles qui ont créé de nouveaux États, en ont charcuté d'autres, déplaçant les frontières au gré de la volonté des grandes puissances victorieuses.

L'approche de la Deuxième Guerre mondiale et la montée en puissance de l'Allemagne hitlérienne ont conduit à un deuxième repartage, puis après la fin de la guerre et la défaite de Hitler, à un troisième repartage.

Au cours de ces partages, dont ces pays n'ont été qu'accessoirement les acteurs, mais en tout cas toujours l'objet, des États sont apparus et ont disparu ou, comme la Pologne, ont été déplacés sur plusieurs centaines de kilomètres. Les frontières changeaient et toujours sans que l'on demande leur avis aux populations concernées et sans qu'on s'occupe le moins du monde de leurs volontés ou de leurs intérêts.

Dans bien des régions, des femmes et des hommes ont changé quatre ou cinq fois de nationalité, en l'espace de cinquante ans. Tout cela n'a pu que susciter des frustrations nationales d'autant plus importantes que les populations étaient entremêlées et qu'en réalité, elles dépendaient les unes des autres. Ces frustrations nationales, les revendications des minorités, longtemps plus ou moins étouffées par la domination de l'Union soviétique, ont retrouvé la possibilité de s'exprimer après la fin de la présence soviétique et les changements de régime.

Avec la crise et l'aggravation de la situation économique, tout cela se traduit par une démagogie nationaliste renforcée des gouvernements eux-mêmes, par des revendications territoriales des uns vis-à-vis des autres plus ou moins clairement exprimées et par des gestes politiques qui, pour plaire au nationalisme de certains des autochtones, exacerbent le nationalisme du pays d'à côté.

Tout cela se traduit également par la montée non seulement des idées réactionnaires mais aussi d'un populisme d'extrême droite, comme en ont témoigné, lors de récentes élections en Hongrie, non seulement la victoire écrasante de la droite, qui n'a eu aucun mal à l'emporter sur son prédécesseur socialiste qui a sombré dans la corruption, mais aussi la montée du groupe d'extrême droite Jobbik. Dans le cas de ce groupe, il s'agit surtout de renforcement électoral, de la conquête de places de députés à l'Assemblée nationale mais avec déjà des interventions physiques contre des minorités telles que les Roms.

Tout cela entretient un climat guerrier, certes pour le moment verbal, mais l'exemple de l'ancienne Yougoslavie voisine a montré comment des peuples entremêlés et qui ont tout intérêt à coexister peuvent être dressés les uns contre les autres.

La Russie de Medvedev et de Poutine

Du fait de la remontée des cours internationaux des matières premières, le budget russe a connu un mieux relatif qui a un peu compensé les ponctions faites par l'État depuis 2008 dans ses réserves de change pour soutenir les grandes banques et sociétés russes. Celles-ci se sont fortement endettées auprès d'organismes financiers occidentaux à des fins spéculatives, ou tout simplement pour financer leur activité, la Russie souffrant depuis deux décennies d'un sous-investissement chronique.

L'État russe qui se targuait d'avoir assaini ses finances, depuis le krach de 1999 qui l'avait acculé au défaut de paiement, et d'avoir constitué un énorme fonds de réserve, a vu fondre ce dernier à mesure que s'envolaient la dette privée de ses entreprises et la dette publique (61,5 milliards d'euros de déficit budgétaire cette année).

Dans ce double endettement se reflète une des façons dont le marché mondial a réintégré la Russie depuis la disparition de l'Union soviétique, en décembre 1991 : par le biais de la spéculation internationale sur les emprunts d'État russes en 1999 ; par la spéculation des détenteurs russes de capitaux sur les « produits financiers » mondiaux ; par la spéculation d'établissements financiers occidentaux sur la dette des entreprises russes.

À ce pillage financier s'en ajoute un autre, commercial, sous la forme d'un échange de plus en plus inégal entre la Russie et le reste des pays développés. De grandes firmes américaines et européennes vendent désormais plus ou moins librement toutes sortes de produits sur le territoire russe, tandis que la Russie écoule à l'étranger essentiellement des produits non finis, à faible valeur ajoutée.

Depuis les années quatre-vingt, la part des matières premières, dont les hydrocarbures, dans le total de ses exportations n'a cessé de s'accroître, passant de 55 % sous Brejnev à 80 % aujourd'hui. Cela place la Russie dans un état de complète dépendance à l'égard des fluctuations des marchés financiers mondiaux.

Cette dépendance qui s'accroît donne la mesure du recul d'une économie russe que la bureaucratie et une encore faible bourgeoisie autochtone ont démantelée, pillée et finalement de plus en plus soumise au capital mondial.

S'alarmant des conséquences de cette sujétion, les sommets dirigeants russes ont lancé un programme dit de « modernisation » de l'économie. Cela afin, dit le président Medvedev, de faire cesser une « dépendance humiliante » à l'égard de l'étranger, tandis que le Premier ministre Poutine reconnaît que la « désindustrialisation » pousse le pays vers « le bas de la pyramide de la division internationale du travail ».

Les effets de ce retard croissant par rapport aux grandes puissances impérialistes s'inscrivent dans la litanie des catastrophes industrielles. Le quotidien économique Vedomosti relève que le prix des métaux et des matériaux de construction est plus élevé en Russie que sur les marchés mondiaux, et que, même dans ce secteur aussi décisif qu'est le gaz pour les finances du pays, ses coûts d'extraction ont été multipliés par sept entre 2000 et 2009 !

Malgré tout un battage politico-médiatique autour de la « modernisation », et les moyens conséquents débloqués à cet effet, les résultats se font attendre. Ils ne se manifestent, et encore faiblement, que là où l'État intervient, directement ou par le biais des combinats industrialo-financiers qu'il contrôle et qui constituent l'ossature de l'économie russe. Car la bureaucratie ainsi que la couche des « nouveaux riches » et magnats des affaires intimement liée à cette même bureaucratie, estiment le plus souvent n'avoir aucun intérêt, individuellement parlant, à cette « modernisation ».

On retrouve là une des contradictions fondamentales de la bureaucratie, cette couche sociale parasitaire qui s'est développée, lorsque le reflux de la vague révolutionnaire des années vingt a laissé la Russie soviétique isolée, dans la sphère de l'appareil d'État, sans que sa position sociale ait, à la différence de la bourgeoisie, un lien direct, organique, avec la propriété privée des moyens de production, condition de l'appropriation de la plus-value par les détenteurs du capital.

Cette contradiction s'est manifestée dans le passé chaque fois que, depuis Staline, les sommets de la bureaucratie - sous Khrouchtchev, Brejnev et Gorbatchev - ont tenté de promouvoir des « réformes », présentées comme indispensables aux intérêts collectifs du système, mais sabotées par une myriade de bureaucrates qui estimaient, eux, y avoir plus à perdre qu'à gagner.

Cela s'est vu également, depuis deux décennies que la Russie ne jure plus que par la libre entreprise capitaliste, dans le fait que les dirigeants des entreprises russes n'y ont fait aucun investissement notable, se contentant de vivre sur le capital accumulé.

On a encore eu une récente illustration de la chose à l'occasion de l'éviction du maire de Moscou, Loujkov. Son épouse, Batourina, est devenue la femme la plus riche du pays parce que son mari, en tant que chef du clan étatique qui contrôlait la capitale, l'avait fait profiter, via son entreprise de BTP, de gros contrats publics de construction.

Pendant ce temps, la population subit un chômage qui s'est aggravé depuis 2008, le gel des salaires sur un fond d'inflation (9 à 10 %) supérieure à ce que connaissent les autres pays développés, tandis que le gouvernement multiplie les coupes dans les budgets de ce qu'il reste de services publics hérités de l'URSS.

Les sommets dirigeants ont eu à faire face à quelques mouvements de protestation, sociale, et plus rarement encore politique, mais ceux-ci sont restés localisés et catégoriels. Pour limité qu'il ait déjà été ces dernières années, le mouvement de tentative de création et d'animation de syndicats indépendants du pouvoir semble marquer le pas.

C'est dans ce contexte de relative stabilité que les sphères dirigeantes se polarisent de plus en plus entre les deux têtes de l'exécutif, le président Medvedev et celui qui l'a porté au pouvoir, le Premier ministre et ex-président Poutine. Les deux hommes, et derrière eux deux équipes dirigeantes devenues fonctionnellement rivales, s'opposent de plus en plus publiquement dans la perspective de l'élection présidentielle de 2012, même si, pour l'heure, Medvedev et Poutine disent encore exclure de se présenter l'un contre l'autre.

La chine : atelier (mal payé) du monde

Les commentateurs se sont gargarisés du fait qu'au deuxième trimestre 2010, la Chine aurait détrôné le Japon comme deuxième puissance économique mondiale, si l'on en juge par leurs PIB respectifs. Ils soutiennent que la Chine dominera bientôt le monde, avec ses 10 % de croissance annuels. La comparaison illustre surtout le sous-développement de cet immense pays, dont la population est dix fois supérieure à celle du Japon. Le produit national brut de la Chine est trois fois inférieur à celui des États-Unis, pourtant quatre fois moins peuplés. Même calculé en « parité de pouvoir d'achat », le PIB par habitant de la Chine reste cinq fois inférieur à celui du Japon et sept fois moindre que celui des États-Unis. Jusqu'au début du 19e siècle, le niveau de développement de la Chine n'était guère inférieur à celui de l'Europe ou de l'Amérique du Nord, et c'est la domination coloniale et impérialiste qui l'a fait régresser, par la mise en coupe réglée et le pillage organisé. Aujourd'hui encore, elle reste un pays sous-développé, qui vend sa force de travail bon marché aux pays impérialistes et à leurs multinationales.

Aux États-Unis, gouvernement et membres du Congrès haussent le ton pour obtenir de la Chine qu'elle réévalue sa monnaie et ouvre plus encore ses marchés. À les entendre, la sous-évaluation du yuan - qui n'est pas convertible, dont le cours est fixé par l'État chinois et n'est donc pas « flottant » - serait artificielle et aurait pour conséquence de creuser les déficits commerciaux des pays riches, de précipiter les délocalisations, d'augmenter le chômage, voire d'hypothéquer la reprise ! Ces critiques rappellent les tirades antinippones dont les politiciens occidentaux étaient friands dans les années quatre-vingt, quand le Japon était présenté comme la future première puissance mondiale. Ce discours relève en partie de la montée des tensions protectionnistes à laquelle on assiste depuis les débuts de la crise en 2008. Cependant, il semble surtout destiné aux... opinions publiques occidentales.

Aux États-Unis, les élections de mi-mandat avaient lieu le 2 novembre ; ici aussi, montrer la Chine du doigt est commode. En effet, si le faible cours du yuan permet effectivement aux entreprises chinoises de vendre bon marché, il profite d'abord aux entreprises occidentales qui fabriquent en Chine. Au bas mot, 55 % des exportations chinoises en 2009 ont été réalisées par des entreprises étrangères, à l'instar des iPod et autres iPhone d'Apple et de tant d'autres appareils électroniques et informatiques, d'équipements ménagers, sans parler du textile, de la chaussure ou des jouets. Si le cours du yuan était relevé, le prix de ces marchandises augmenterait d'autant sur les marchés occidentaux. Et dans l'ensemble, l'impérialisme trouve largement son compte dans la politique économique de l'État chinois. Celui-ci met à sa disposition une main-d'œuvre au coût dérisoire et corvéable à merci. En outre, les formidables réserves de change de l'État chinois (2 454 milliards de dollars fin juin 2010, soit 1 933 milliards d'euros) permettent de financer les déficits américains.

Plus important est encore le fait que, tout en ouvrant largement ses portes aux capitaux impérialistes tout en favorisant l'enrichissement de sa bourgeoisie, l'État chinois continue à jouer un rôle majeur dans l'économie. Sans l'étatisme dans le passé comme à présent, la Chine n'aurait pas pu assurer ce relatif développement qui permet aujourd'hui à sa bourgeoisie et plus encore à la bourgeoisie impérialiste de s'enrichir. En outre, c'est un régime autoritaire, brandissant son étiquette communiste, qui assure les conditions politiques de l'exploitation des masses laborieuses du pays.

Les réserves chinoises sont accumulées par la surexploitation du prolétariat chinois. Il n'est guère étonnant que la part des salaires diminue dans la richesse nationale, ni que la consommation soit en berne en Chine : « l'ouverture » engagée depuis trois décennies consiste d'abord à ce que la bourgeoisie, en Chine et dans les pays impérialistes, puisse réaliser une plus-value accrue. D'après le magazine américain Forbes, la richesse des 400 plus grandes fortunes du pays serait passée, entre 2008 et 2009, de 173 à 314 milliards de dollars. La croissance chinoise tant louée en Occident s'appuie d'abord sur l'intégration au processus de production capitaliste de dizaines de millions de miséreux qui quittent les campagnes et se pressent aux portes des villes pour se faire embaucher sur des chantiers et dans des usines où les conditions de travail n'ont rien à envier à celles des débuts de la révolution industrielle en Europe. Plusieurs grèves, comme celles menées en juin par les ouvriers de Honda près de Canton ou de Toyota (Tianjin), ont vu les travailleurs réclamer des augmentations de salaire et de meilleures conditions de travail. Elles ont parfois obtenu gain de cause. Il y aurait chaque jour, en moyenne, une grève de plus de 1 000 salariés dans la région du delta de la Rivière des Perles (Hong Kong, Shenzhen, Canton). Ces grèves, menées malgré la dictature et l'opposition du syndicat officiel, inféodé au patronat et seul syndicat légal, peuvent être porteuses d'espoir : l'espoir que l'immense prolétariat chinois se mette en branle et, après ces années d'exploitation éhontée par les bourgeoisies chinoise et étrangères, défende ses propres intérêts, fasse entendre ses propres revendications et intervienne politiquement. Car au-delà de ces grèves, c'est cette conscience collective et politique des ouvriers chinois, dont nous savons peu de chose, qui sera déterminante pour l'avenir.

Affirmer, comme il est à la mode de le faire, que la capacité d'exportation de la Chine, jointe à la quantité de dollars qu'elle détient, annoncerait que la Chine serait en train de rattraper les États-Unis tient du sensationnalisme. Il y a cependant quelque chose de fondamentalement vrai dans le constat de l'interdépendance des États-Unis et de la Chine.

Plus généralement, le présent comme l'avenir de tous les pays du monde sont plus interdépendants que jamais. La crise, partie de l'immobilier américain, est devenue rapidement une crise mondiale. Depuis, toutes les phases successives de cette crise se sont propagées à des degrés divers partout dans le monde. Les imbéciles y verront un effet de la « mondialisation capitaliste ». Le problème n'est pas la mondialisation, mais le capitalisme.

Déjà, en 1929, l'économie était tellement mondialisée que la crise s'était propagée à l'échelle de la planète et qu'elle était devenue une crise mondiale. Les différentes bourgeoisies impérialistes ont tenté, à l'époque, de s'en sortir par des repliements protectionnistes.

Mais la bourgeoisie elle-même, ses dirigeants politiques comme ses économistes ont fait le constat de l'inefficacité de ce retour au protectionnisme. C'est une leçon qui s'est suffisamment ancrée dans leur esprit pour que, tout en prenant des mesures protectionnistes, ils soient unanimes aujourd'hui à proclamer que cette voie n'est pas la bonne. Mais l'avenir démontrera de nouveau, de façon plus ou moins grave, qu'un retour au protectionnisme généralisé serait une catastrophe.

La mondialisation, on ne peut pas l'évacuer. C'est la loi de l'évolution de la société humaine. Seule pourrait la faire reculer une catastrophe, une guerre nucléaire qui aurait pour conséquence de repousser la société humaine bien en arrière dans ce domaine comme dans tous les autres. La voie d'un retour de la barbarie n'est pas exclue pour l'humanité.

Mais, pour les communistes, la mondialisation est précisément ce qui permettra à l'humanité, une fois débarrassée du capitalisme, de créer une forme sociale supérieure, où les moyens de production ne seront plus propriété privée, où il n'y aura plus ni marché ni profit privé et où la société pourra enfin dominer sa propre production de manière consciente.

Un des fondements du progrès économique est la division internationale du travail à l'échelle du monde. Notre planète est depuis longtemps une entité économique unique, où les richesses naturelles sont réparties entre les différentes régions du monde. Toutes les productions, jusqu'aux plus dérisoires jouets fabriqués en Chine avec des matériaux venant de divers pays pour être vendus sur le marché français ou américain, résultent d'un travail collectif ou, si l'on préfère, de la coopération de fait de travailleurs de plusieurs nationalités. Eh bien, il faut que cette coopération devienne consciente et, par là même, maîtrisée.

Voilà pourquoi, si la voie du communisme passe par des transformations sociales profondes impliquant en particulier l'expropriation de la classe capitaliste, elle passe tout autant par l'internationalisme, c'est-à-dire par la coopération, cette fois-ci consciente, de tous les pays. Jusqu'à ce que la division entre les États et les nationalismes opposés ne soit plus qu'un souvenir d'un passé barbare.

Et la conclusion active à en tirer, c'est que pour que le prolétariat puisse renverser la bourgeoisie, autant il est indispensable qu'il se donne un parti, autant l'émergence de tels partis sera concomitante avec l'émergence d'une internationale communiste révolutionnaire.

5 novembre 2010