La crise mondiale de l’économie capitaliste

Εκτύπωση
décembre 2009

22 octobre 2009

« Année record pour les banquiers de Wall Street », annonçait triomphalement, le 15 octobre 2009, le journal économique Les Échos. Les actions en Bourse, qui s'étaient effondrées dans la crise boursière, tutoient de nouveau les sommets. Les grandes opérations de fusions-acquisitions ont repris en même temps que la spéculation a repris sous toutes ses formes, y compris sur les titres les plus risqués. Mais, en même temps, la production continue à s'enfoncer dans le marasme, le chômage à s'aggraver, le commerce international à reculer.

Pendant que les télévisions du monde diffusent les images de banquiers de Wall Street en train de sabler le champagne, oubliée leur grande panique d'il y a un an, elles confirment aussi que le nombre d'affamés sur la planète a dépassé le milliard. Il y a dans la concomitance de ces deux informations non seulement un instantané de la crise, mais aussi le résumé du fonctionnement permanent du système capitaliste.

Les crises économiques sont des moments où le capitalisme montre de la façon la plus claire et la plus brutale toute sa hideur, un gaspillage colossal de travail humain, un appauvrissement brutal d'une partie de la population, une concentration accélérée de capitaux, c'est-à-dire du pouvoir économique, entre un nombre de plus en plus restreint de mains. Quant à la crise présente, c'est l'illustration de la prédominance de la finance sur l'ensemble de la vie économique, qu'elle étouffe en la parasitant.

À s'en tenir aux bénéfices retrouvés des grandes banques, la finance a repris ses activités comme si de rien n'était, mais en laissant, dans la production, dans l'économie réelle, un champ de ruines. Et ce n'est pas fini...

Ni la reprise des activités financières, ni le maintien, voire l'accroissement des profits des plus puissants groupes industriels et bancaires, ni l'envolée spéculative des prix des actions en Bourse que tout cela alimente, ne signifient la fin de la crise.

Le seul résultat à mettre à l'actif des interventions rapides et massives des États est que la panique bancaire, déclenchée le 15 septembre 2008 par la faillite de la banque Lehman Brothers, une des plus grandes banques d'affaires aux États-Unis, et la crise de confiance entre banques qu'elle a entraînée, semblent enrayées. Cela peut n'être que momentané et la nouvelle vague spéculative est en train de gonfler de nouvelles bulles destinées à éclater. Le marché interbancaire sur lequel se négocient, au jour le jour, les prêts et les emprunts entre banques, a cependant retrouvé son fonctionnement d'avant la crise financière, sans pour autant que les banques répercutent dans l'économie les facilités de crédit dont elles bénéficient elles-mêmes.

Cette crise de confiance entre banques était due fondamentalement à la quantité colossale de titres pourris dans les réserves de toutes les grandes banques et au fait qu'aucune d'entre elles ne savait quelle était la part de ces titres ayant perdu toute valeur dans les réserves de la banque partenaire. Au lendemain de la crise de l'immobilier aux États-Unis, à l'été 2007, les titres qui étaient considérés comme « pourris » ou « toxiques » étaient ceux qui contenaient une part du crédit hypothécaire américain, qui venait de s'effondrer (une grande partie des bénéficiaires de ces crédits n'étaient pas en situation de rembourser). Mais en quelques semaines, la méfiance à l'égard de cette catégorie de titres, somme toute circonscrite, est devenue une méfiance à l'égard de tous les « titres à risques » qui, eux, inondaient tous les circuits financiers. Pendant quelques mois, le système bancaire a été paralysé pour cette raison ahurissante que, malgré une quantité sans précédent de liquidités dans l'économie, celle-ci manquait de liquidités parce que les banques refusaient de se prêter les unes aux autres, par méfiance envers les titres déposés en garantie des prêts. Le taux d'intérêt des prêts au jour le jour entre banques s'envolait et la plupart des banques refusaient de prêter même à ce taux prohibitif. C'est comme agoniser de soif au milieu d'un réservoir d'eau douce !

Après avoir joué, directement ou par le biais de fonds spéculatifs, un rôle majeur dans le déclenchement de la crise financière en émettant des titres de plus en plus fantaisistes et de plus en plus risqués mais qui rapportaient gros, les banques ont porté l'irresponsabilité à des sommets en bloquant brutalement les opérations de crédit. Les intérêts privés des grandes banques d'affaires étaient en passe de conduire l'ensemble du système bancaire au bord de l'effondrement. Il aura fallu l'intervention des États, agissant en représentants des intérêts généraux de la classe capitaliste, pour sauver les banquiers des conséquences de leurs propres pratiques.

« Il faut sauver le système bancaire » - ce cri de guerre a rallié les dirigeants de tous les États impérialistes, y compris ceux qui se proclamaient les plus hostiles aux interventions étatiques, pour mettre tous les moyens des États au service des banquiers. Au troisième jour de la panique déclenchée par la faillite de Lehman Brothers, le gouvernement américain annonçait le déblocage de la somme de 700 milliards de dollars pour racheter aux banques les titres pourris qu'elles détenaient. Les États néerlandais, belge, luxembourgeois, puis allemand, britannique et français ont relayé le mouvement. On estime à plus de 3 000 milliards les sommes mises sur la table pour montrer aux banquiers que les États ne laisseraient plus tomber en faillite aucun d'entre eux, quoi que cela puisse coûter aux budgets. Mais ce n'est qu'un chiffre parmi d'autres qui finissent par perdre toute signification, non seulement en raison de leurs montants vertigineux, mais surtout parce que toute une partie des interventions des États se déroule dans l'opacité la plus complète. Non seulement la société n'a aucun contrôle sur ce qui est dépensé dans l'opération de sauvetage d'un système capitaliste en faillite, mais elle n'a aucun moyen d'en être informée. Pourtant, derrière l'écran de fumée des sommes envolées dans la crise financière, il y a le travail humain, l'exploitation qui a permis l'accumulation des capitaux qui allaient être joués au jeu de casino de la spéculation. Et les milliards injectés dans l'économie sous forme de billets de banque, de bons du Trésor, d'obligations d'État, de crédits, pour sauver les banquiers, finiront par être prélevés en fin de compte sur la société. Tout cela représente un gigantesque gaspillage de travail humain.

Les interventions des États, pompeusement - et très abusivement - baptisées « plans de relance de l'économie », visaient à réduire la méfiance des banques les unes vis-à-vis des autres afin de les inciter à relancer leurs opérations de crédit. Par-delà des nuances dans leurs techniques respectives, ces interventions consistaient à promettre aux banques d'échanger les titres pourris qu'elles détenaient, et dont personne ne voulait, contre des bons du Trésor réputés sans risque car garantis par l'État.

Étant donné le rôle déterminant des États-Unis dans le système financier mondial et l'attrait des bons du Trésor américain comme titres particulièrement sûrs dans un monde financier en débâcle, la décision de la FED - la banque centrale des États-Unis - d'échanger un nombre croissant de titres privés contre des bons du Trésor a été décisive. Mais, du coup, son bilan a explosé, gonflé qu'il était par des titres plus ou moins risqués et plus ou moins pourris. Entre le 10 septembre 2008 et le 31 décembre de la même année, l'actif de la FED est passé de 950 milliards à 2 300 milliards de dollars. En d'autres temps, on aurait dit que « la planche à billets » s'emballait. Les techniques ont changé, comme se sont diversifiés les signes monétaires, qui ne se limitent pas aux billets de banque. Le principe de l'opération et ses conséquences restent cependant les mêmes : l'État crée de la monnaie inflationniste à partir de rien.

Mais ces émissions monétaires massives, basées manifestement sur des titres pourris repris aux banques privées, ont apporté aux marchés financiers la démonstration que le dollar lui-même n'était appuyé que sur du vent. Au royaume des aveugles les borgnes étant rois, cela n'a pas déstabilisé le dollar sur-le-champ car, par rapport à toutes les autres monnaies et toutes les émissions de titres d'État, il était la valeur refuge recherchée par tous aux heures les plus chaudes de la crise financière.

Mais, cette réaction d'affolement momentanément surmontée, le dollar s'est remis à baisser, la spéculation sur les taux de change à rebondir et une nouvelle crise monétaire à menacer.

L'autre volet de l'intervention des États a été de participer à la recapitalisation des banques dont le capital propre a été dévalorisé par la crise financière. Cette recapitalisation a pris, dans le cas de certaines banques particulièrement mal en point, la forme d'une nationalisation temporaire. Le temps de liquider les pertes et de rendre la banque de nouveau profitable. Dans d'autres cas, l'État s'est contenté de participer à l'augmentation du capital de la banque en achetant des actions sans même demander en contrepartie le droit de vote correspondant, en s'engageant à les revendre dès que la banque le jugerait souhaitable. La récente affaire du rachat anticipé par la BNP des actions détenues par l'État a révélé comment même ces opérations ont donné lieu à des cadeaux supplémentaires aux banquiers. L'État s'est en effet engagé par avance à rétrocéder les actions au prix d'émission particulièrement dévalorisé. Grâce au rétablissement de la situation de la BNP, le prix de ses actions a doublé. Tous les actionnaires en profitent, sauf un, l'État lui-même, qui s'est privé d'une plus-value de cinq milliards d'euros.

Plus importante que ces prêts a été la décision de parer à l'assèchement des crédits entre banques par la promesse que les banques centrales fourniraient des liquidités de manière illimitée à toutes les banques qui en auraient besoin.

Les banques centrales, les unes après les autres, ont ouvert toutes grandes les vannes du crédit. Qui plus est, du crédit de moins en moins cher. Le taux directeur des banques centrales a été abaissé partout.

Aux États-Unis, dès la fin 2008, le taux directeur s'est retrouvé dans une fourchette de 0 % à 0,25 %. En d'autres termes, la banque centrale fournissait de l'argent quasi gratuitement aux banques demandeuses. La banque centrale européenne a été plus lente à réagir car ce n'est pas à un État unique qu'elle est adossée, mais au conglomérat d'États aux intérêts différents qui constituent la zone euro. Elle a fini cependant par réduire son taux de base à 1,25 %, puis à 1 %.

Le sens du mouvement était partout le même, quand bien même les taux abaissés partout ne se retrouvaient pas exactement au même niveau. Ce qui, au demeurant, a ouvert immédiatement un nouveau champ de spéculations. Elles consistent à emprunter de l'argent dans une monnaie où les taux sont les plus bas, puis à replacer ces capitaux dans une autre monnaie qui rémunère davantage. Même si le gain en pourcentage est faible, rapporté à des sommes énormes il représente des profits considérables. C'est ainsi qu'avec le taux directeur à 0 % de la banque centrale américaine, c'est principalement le dollar qui finance la spéculation mondiale.

Assurées de limiter leurs pertes dues à la dévalorisation de leurs titres pourris, disposant de crédits quasi gratuits en quantité illimitée, les banques ont recommencé leurs opérations, faisant tout naturellement redémarrer le système financier, car il fallait que les capitaux accumulés circulent et rapportent du profit.

Le plan de sauvetage du système bancaire a été un plan de sauvetage des banquiers. Jamais dans le passé on n'a pratiqué à cette échelle la maxime : « Laisser les profits privatisés mais socialiser les pertes ».

Le message envoyé ainsi au système financier ne constitue pas seulement une absolution pour le passé, mais aussi un engagement pour l'avenir : « Faites ce que vous voulez, spéculez comme vous pouvez, l'État sera derrière vous pour réparer les dégâts. » Dans ces conditions, il était inévitable que la reprise des activités bancaires signifie reprise des opérations spéculatives. La fin de la crise de confiance entre banques a libéré des sommes colossales, un instant gelées. Mais ces sommes avaient encore moins de raisons d'aller vers les investissements productifs qu'avant le déclenchement de la crise financière. D'abord pour cette raison fondamentale qu'avec la stagnation du marché, aggravée encore par l'accroissement du chômage, la demande de l'industrie n'est pas à la hauteur des possibilités de la finance. Quant à l'offre, les banques n'ont pas répercuté à leurs clients, en tout cas pas complètement, la baisse des taux dont elles bénéficient elles-mêmes. Elles préfèrent empocher la différence.

Emprunter aux banques centrales à des prix d'ami, reprêter cher et en demandant beaucoup de garanties, voilà un des secrets du rapide rétablissement des profits des grandes banques.

Il y en a un autre : l'intensité des opérations spéculatives. La politique des États en direction de la finance est une garantie, une assurance contre les risques de la spéculation. Bien sûr, cette garantie a ses limites, qui sont celles de l'économie productive. Tous les spéculateurs savent cela, comme tous les spéculateurs en Bourse savent que « les arbres ne peuvent pas monter jusqu'au ciel ». Mais peu leur importe si la dernière spéculation déclenche l'effondrement, tant que chacun a l'espoir d'être l'avant-dernier.

Toutes les crises constituent dans l'économie capitaliste une phase de concurrence particulièrement exacerbée dont la fonction est double : éliminer les plus faibles et pousser plus loin la concentration des capitaux. Si nombre de petits établissements financiers ont été, en effet, emportés par la crise - en particulier les plus spécialisés dans les prêts hypothécaires aux États-Unis -, l'intervention massive des États a contribué à sauver les grandes banques les plus défaillantes et les institutions financières les plus hasardeuses (fonds spéculatifs, officines spécialisées dans les titres les plus risqués,etc.). Elle a donc freiné le seul rôle utile des crises dans une économie irrationnelle : celui de débarrasser l'économie de ses canards boiteux. Mais elle n'a pas pour autant atténué la concurrence, elle en est devenue un des facteurs majeurs.

Rarement dans l'histoire du capitalisme la fusion entre les sommets de l'État et ceux de la finance a été aussi visible. Et, derrière l'aide au système bancaire en général, les puissants de la politique sont intervenus massivement en faveur de leurs protégés. Ils ont pu le faire d'autant plus facilement que les interventions de l'État, c'est-à-dire la distribution de l'argent public, se déroulent dans la plus complète opacité.

La plus puissante des banques d'affaires américaines, Goldman Sachs, en constitue un exemple flagrant. Elle a été un des principaux acteurs et bénéficiaires de toutes les bulles spéculatives qui se sont formées au cours des dernières années. Elle a été parmi celles qui ont détenu le plus de titres pourris. Et, pourtant, non seulement elle a traversé la crise financière sans dégât et a pu annoncer, pour le premier trimestre 2009, un bénéfice record de 3,4 milliards de dollars, mais elle a renforcé sa position à l'intérieur du système bancaire.

Il est vrai que Henry Paulson, secrétaire d'État au Trésor de 2006 à 2008, a dirigé Goldman Sachs de 1999 à 2006. Il a d'autant moins oublié son ancienne société que l'État, aussi bien que différents organismes de contrôle censés surveiller les banques fourmillent, à des postes de commande, d'anciens cadres dirigeants de Goldman Sachs.

Le 12 septembre 2008, la crise financière s'acheminait vers son paroxysme. Deux des principales banques d'affaires américaines, Merrill Lynch et Lehman Brothers, étaient au bord de la faillite. Merrill Lynch trouva un repreneur, un troisième mastodonte bancaire, la Bank of America. Paulson refusa d'apporter l'aide de l'État à Lehman Brothers, ce qui signifie qu'il la poussa à la faillite. Il se trouve qu'elle était le principal concurrent de Goldman Sachs. Lehman Brothers se déclara en faillite le 15 septembre, entraînant des réactions en chaîne et provoquant la panique du système bancaire mondial.

À peine trois jours plus tard, retournement à 180° : le gouvernement américain débloquait 85 milliards de dollars d'argent public pour venir au secours du géant des assurances AIG, endetté auprès de Goldman Sachs qui, avec la faillite de cette société d'assurances, aurait été considérablement affaibli.

Dans le même mouvement, Paulson annonça que l'État fédéral mettait 700 milliards à la disposition du système bancaire pour racheter les titres pourris (le plan dit TARP). Comme par hasard, Goldman Sachs a été aussi un des principaux bénéficiaires de ce plan TARP. En tant que banque spécialisée dans les placements, elle n'y avait pas droit. Mais qu'à cela ne tienne ! Elle s'est transformée du jour au lendemain en holding bancaire, ce qui lui a ouvert aussi bien les prêts de l'État que l'accès au crédit de la banque centrale. Solidement appuyée par l'État américain, profitant de la disparition de quelques-unes des banques d'affaires américaines, Goldman Sachs est sortie de la crise plus puissante qu'elle n'y était entrée. Pour reprendre l'expression du journaliste américain Matt Taibbi : « La banque d'investissement la plus puissante du monde est une formidable pieuvre enroulée autour de l'humanité, enfonçant implacablement son suçoir partout où il y a de l'argent. »

Et pour s'assurer que le changement de président et de gouvernement ne léserait pas ses intérêts et n'affaiblirait pas son influence au sommet de l'État, Goldman Sachs a été un des principaux contributeurs au financement de la campagne de Barack Obama.

À part ça, les chefs d'État du G8 ou du G20 sont en bonne voie de moraliser la finance !

L'énorme quantité de monnaies et de titres, un instant figée par la méfiance des banques les unes à l'égard des autres, se remet à circuler. Mais, comme personne n'a nettoyé - personne ne voulait ni ne pouvait nettoyer - les écuries d'Augias de la finance mondiale, le système financier se remet à tourner exactement sur les mêmes bases qu'avant l'effondrement financier.

Pendant que les dirigeants du G20 amusent la galerie avec de ridicules marchandages autour des paradis fiscaux ou du bonus des traders, la finance se remet à tourner autour d'activités financières risquées. Elle ne pouvait qu'y être encouragée car, au-delà des discours fumeux des chefs d'État destinés aux peuples sur la « moralisation de la finance », le marché financier a bien enregistré le seul message qui l'intéressait : la prolongation des prêts à taux bas annoncée par les banques centrales lors de la dernière réunion du G20.

Le début de reprise dont se vantent dirigeants politiques et commentateurs est une reprise purement financière et de nature spéculative.

Les détenteurs de capitaux spéculent à la hausse sur les actions en pariant sur le fait que, malgré une production en recul, les grandes entreprises continueront à dégager du profit par l'exploitation accrue de leurs travailleurs. Les profits confortables annoncés par la plupart des entreprises cotées en Bourse, aussi bien aux États-Unis qu'en France, constituent de solides points d'appui aux envolées spéculatives des actions. Depuis le mois de mars, affirment Les Échos, « le Dow Jones, le CAC 40, le DAX se sont envolés de plus de 50 %. Le S & P 500, de près de 60 %. La palme du marché américain revient au NASDAQ avec environ 69 % ». Il s'agit des principaux indices boursiers. Le Dow Jones, l'indice phare de Wall Street, n'est pas encore revenu à son record de 11 400 points, mais le fait qu'il franchisse de nouveau la barre des 10 000 points signifie que nombre d'actions ont retrouvé leur niveau d'avant la crise, et les actionnaires leur fortune.

C'est également l'ouverture des vannes du crédit qui alimente la reprise des grandes opérations de fusions-acquisitions et ces offres publiques d'achat (OPA) à travers lesquelles un groupe industriel et financier essaie de mettre la main sur un autre. Les capitaux, peu enclins à financer des investissements productifs et, en particulier, des investissements à long terme, servent en revanche à se disputer les entreprises réputées profitables, à tort ou à raison. Et ces opérations de fusions-acquisitions, voire l'annonce de leur possibilité, contribuent à leur tour à faire s'envoler les prix des actions, et donc les cours de la Bourse.

Ce sont également les achats spéculatifs qui font s'envoler les prix de certaines matières premières. Le baril de pétrole, dont le prix était de 33 dollars en décembre 2008, s'est retrouvé à 75 dollars le 15 octobre 2009. Ce n'est évidemment pas la demande qui a plus que doublé en neuf mois. Ce sont les possesseurs de capitaux qui parient sur le fait que les espoirs de reprise et donc l'espoir d'un accroissement de la demande de pétrole orientent le prix de cette matière première à la hausse. Peu importe pour le spéculateur d'aujourd'hui que l'espoir ne se réalise pas et que la demande réelle de demain soit en recul. Du moment qu'en vendant à temps, avant le retournement de tendance, le spéculateur prélève un bénéfice. C'est de cette façon-là que se forment les bulles spéculatives qui finissent par éclater.

« Washington veut tenter d'enrayer la spéculation sur le pétrole », titre Le Monde du 1er août 2009, qui ajoute cette information significative : « À en croire JP Morgan Chase, l'un des grands participants du marché à terme, plus de 25 milliards de dollars (17,75 milliards d'euros) auraient été investis sur des contrats futurs au cours des six derniers mois. Rien n'illustre mieux l'ampleur de ces transactions spéculatives que la prime de 100 millions de dollars que devrait toucher un trader de City Group spécialisé dans les hydrocarbures. » (À souligner que ledit trader, tout en touchant une prime faramineuse, n'a empoché que 0,4 % de ce que les banques ont investi dans des achats spéculatifs sur le pétrole).

« Titrisation, le retour » annonçait Le Monde des 4 et 5 octobre 2009. Il faut rappeler que l'opération de titrisation, qui consiste à mélanger des crédits de toute sorte, y compris particulièrement risqués, et à émettre des obligations adossées à ces crédits, a été directement le facteur déclenchant de la crise financière.

Les financiers s'ingénient aussi à inventer de nouveaux instruments, des titres aussi risqués ou plus risqués encore que ceux qui ont conduit à la débâcle. Les fonds spéculatifs qui les commercialisent retrouvent une nouvelle jeunesse : « Envolée inédite de hedge funds depuis onze ans », titrent Les Échos du 24 août, et on peut lire dans le même quotidien : « L'heure est à la création de nouveaux fonds ». Les « hedge funds » sont des fonds spécialisés dans les spéculations les plus risquées. Mais la plupart d'entre eux sont des émanations de grandes banques et les fonds avec lesquels ils spéculent viennent aussi bien de ces banques que des entreprises ou de riches particuliers. Le fait qu'ils pullulent de nouveau après la crise financière comme champignons après la pluie, est le signe que toute la classe capitaliste s'est remise à spéculer.

Cette reprise des opérations financières constitue le contraire d'une reprise économique. Les gains dont s'enorgueillissent les financiers et le prix auquel cela a été obtenu constituent un prélèvement gigantesque sur les classes populaires. Ces prélèvements étouffent en même temps toute la vie économique. La finance, de plus en plus détachée de l'activité productive, l'étouffe en la parasitant.

Pendant que les activités financières s'envolent, l'activité productive stagne, voire recule. Malgré quelques mois d'élargissement du marché automobile dopé par les diverses primes à la casse, les constructeurs estiment à 10 % le recul du marché européen pour 2009 et prévoient une baisse de 8 à 10 % en 2010.

Les primes diverses qui, au dire du directeur commercial international de Peugeot, ont participé à « 90 % au volume vendu sur le Vieux Continent » n'ont en réalité pas vraiment élargi le marché. Elles n'ont fait que pousser à l'anticipation des achats, mais ont obéré, par la même occasion, les achats futurs.

La Fédération (patronale) des machines-outils en Allemagne a constaté, dans un communiqué daté du 1er juillet 2009, qu'elle « n'entrevoit pas d'améliorations de la conjoncture », alors qu'elle a enregistré « une chute de 51 % sur un an de ses commandes en provenance de l'étranger » et que ses activités en Allemagne « ont reculé de 42 % ».

Les machines-outils étant un secteur essentiel à la production industrielle et jouant un rôle majeur dans les exportations allemandes, on mesure à quel point « le fond de la crise n'est pas encore atteint », d'après le même communiqué.

Point de vue partagé par le patron du numéro un mondial de la chimie, l'allemand BASF, qui affirme, avec un certain sens de l'euphémisme : « Je crois que cette crise va durer un peu plus longtemps » et que l'économie « ne va pas fondamentalement mieux ».

L'institut de statistique de l'Union européenne, Eurostat, le confirme : « En juillet 2009 par rapport à juillet 2008, la production industrielle a reculé de 15,9 % dans la zone euro et de 14,7 % dans l'ensemble des 27 pays de l'Union européenne ».

Pour la première fois depuis 1982, le volume des échanges mondiaux est en régression. L'Organisation mondiale du commerce estime cette régression à quelque 9 % pour 2009. Dans certains secteurs, les importations et les exportations ont baissé de 30 % à 50 %. Le recul du commerce international est un des aspects de l'affaissement du marché. Mais il a été aggravé par l'assèchement des crédits lié à la crise bancaire car le commerce international est assuré pour l'essentiel à crédit.

Le recul du commerce international a toujours engendré des politiques protectionnistes de la part des États qui, à leur tour, ralentissaient encore le commerce international.

Si la crise présente ne s'est pas traduite par des mesures protectionnistes brutales et surtout visibles, comme le relèvement des tarifs douaniers, par exemple, c'est que les repliements protectionnistes affecteraient aujourd'hui l'économie mondiale bien plus encore que lors de la crise de 1929.

La division internationale du travail a été poussée plus loin encore qu'à l'époque. Elle ne se limite pas aux deux pôles : pays sous-développés producteurs de matières premières, d'un côté, et pays industriels développés, de l'autre.

Au cours d'un même processus de production, les éléments qui entrent dans la fabrication d'un même produit final - une automobile, par exemple - traversent plusieurs fois les frontières nationales. Même un marché aussi vaste que celui des États-Unis ne fonctionne pas en autarcie et, dans la valeur d'une automobile estampillée Ford ou General Motors, la part d'éléments fabriqués dans d'autres pays est importante, voire dominante. Le commerce international est constitué pour un tiers au moins par des déplacements entre différentes entreprises d'une même multinationale. Protéger son économie par des droits de douane élevés pourrait être préjudiciable en premier lieu aux capitalistes du pays qui en prendrait l'initiative.

Plus que jamais les puissances impérialistes apparaissent - pour reprendre l'expression de Trotsky - comme des bandits enchaînés aux mêmes chaînes.

Aussi le protectionnisme prend-il des formes plus subtiles, comme les manipulations monétaires ou les subventions étatiques.

Il est à la mode, depuis le début de la crise, d'expliquer celle-ci non pas par le fonctionnement même de l'économie capitaliste, mais par les politiques dites « libérales », la dérégulation, la déréglementation, c'est-à-dire la liberté sans entrave pour les capitaux de circuler, de se placer, de se déplacer, d'un pays à l'autre, d'un secteur à l'autre, la suppression des barrières entre les banques d'affaires et les banques de dépôts, entre les banques et les sociétés d'assurances, entre le secteur productif et le secteur financier. La déréglementation des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, avant d'être cependant une cause ou, pour être plus précis, un facteur d'aggravation, a été un effet. Elle a été une adaptation à la financiarisation croissante de l'économie, au développement considérable du crédit et, en conséquence, de l'endettement.

Depuis le début des années soixante-dix, le marché n'étant plus suffisamment en extension pour assurer des profits élevés, le grand capital mène la guerre aux travailleurs pour réduire la part des salaires. Il y est parvenu. Mais il a, par là même, réduit la consommation solvable et aggravé la cause fondamentale de la crise.

Dans les pays impérialistes, la potion magique pour redonner de la vigueur au marché a été le crédit. Crédit à l'État, c'est-à-dire la dette publique, mais aussi crédit aux ménages. Les périodes de « croissance » qui, depuis 1971, entrecoupaient les périodes de récession, étaient dues au crédit.

Cette « croissance à crédit » a enrichi les banques, a poussé à un gonflement scandaleux de la sphère financière. Sa contrepartie a été la croissance continue de l'endettement.

Celui des ménages n'a cessé de s'accroître dans tous les pays impérialistes. Il représentait à lui seul, en 2006, 45 % du PIB en France, 68 % en Allemagne, 84 % en Espagne et 107 % en Grande-Bretagne.

Pour ce qui est des États-Unis, l'endettement des ménages américains représente aujourd'hui 93 % du PIB (dont 77 % du PIB pour le seul endettement hypothécaire).

Les crédits hypothécaires américains, dont l'effondrement dans la crise dite des « subprimes » en 2007 a été la première phase de la crise financière, n'ont été que le dernier avatar de cette course folle au crédit, et donc à l'endettement.

Même évolution pour les entreprises, et pour des raisons similaires. L'endettement des entreprises non financières a suivi la courbe de l'endettement des particuliers. En 2006, c'est-à-dire un peu avant l'éclatement de la crise dans l'immobilier américain, l'endettement hors dette publique dépassait, dans tous les grands pays impérialistes, très largement la totalité du produit intérieur brut.

Toute l'économie fonctionnait donc par l'artifice du crédit. Ce qui signifie que, même à l'époque où la bourgeoisie se glorifiait d'une certaine croissance, il s'agissait d'une croissance artificielle. Cela signifie aussi que la finance prélevait une part importante et sans cesse croissante sur l'économie bien avant que la crise bancaire de 2008 et les injections de fonds massives des États fassent franchir un grand pas à la financiarisation de l'économie.

Plus importante encore est la croissance continue de l'endettement des États eux-mêmes. La dette publique a toujours joué un rôle majeur dans le fonctionnement de l'économie capitaliste, plus particulièrement dans les périodes de crises et de guerres.

Bien avant la phase actuelle de la crise économique, les déficits croissants des budgets des États, cumulés d'une année sur l'autre, représentaient des sommes de plus en plus élevées.

Pour la France, le déficit du budget est passé de 36,2 milliards d'euros en 2006 à 38,4 milliards en 2007, puis à 56,6 milliards en 2008 pour atteindre les 140 milliards en 2009 ! Cela signifie qu'en cette année 2009, la moitié des dépenses de l'État - le budget étant de l'ordre de 280 milliards - va être financée par le crédit ! (Les Échos du 28 septembre).

Au premier semestre 2009, la dette publique a atteint 1 413 milliards d'euros.

L'explosion de la dette publique signifie par la même occasion l'explosion du montant des intérêts versés aux prêteurs. La boucle est bouclée. Pour aider les financiers, l'État a aggravé son endettement dans des proportions colossales. Pour payer ses échéances, il fait appel aux financiers qui prélèvent sur le budget des sommes croissantes en guise de service de la dette. Pourquoi investir dans la production lorsqu'en prêtant aux États, on fait des profits plus élevés avec moins d'efforts ? L'économie de rentiers, l'économie usuraire, à l'origine de la crise, sort renforcée de la crise.

La concurrence, élément moteur de l'économie capitaliste à ses origines, se caricature elle-même lorsqu'elle se porte, non pas sur des biens résultant du travail humain, permettant de juger l'efficacité de celui-ci, mais sur des titres sans valeur en eux-mêmes. Cet entrefilet du journal économique Les Échos reflète, mieux que bien des explications, la folie d'un système économique : « Pour séduire les investisseurs (euphémisme pour désigner les financiers parasitant le budget), la France va diversifier son offre de dette ( ! ! !)... La concurrence va être féroce. L'an prochain, les États de la zone euro vont faire appel aux marchés pour emprunter environ 1 000 milliards, plus qu'en 2009. Le Trésor français n'a donc pas droit à l'erreur s'il veut placer les 175 milliards d'euros de titres de moyen et long terme, annoncés dans le projet de loi de finance ».

Les dirigeants politiques du monde impérialiste parlent aujourd'hui de la nécessité d'une réglementation plus stricte du système bancaire, du rétablissement d'un certain cloisonnement, d'un contrôle étatique plus strict des flux financiers. À en juger par ce qu'ils font réellement, ce ne sont que des phrases creuses. Même dans des domaines aussi marginaux que le bonus des traders ou la suppression des paradis fiscaux, les mesures prises ou envisagées sont ridicules.

Cela ne signifie cependant pas que c'est impossible. L'économie capitaliste pourrait revenir à une réglementation nettement plus stricte des activités financières sans pour autant cesser d'être une économie capitaliste.

Même aux États-Unis, dont la législation dans le domaine économique a toujours été pourtant une des plus libérales, l'activité bancaire a été, entre les années trente et les années quatre-vingt-dix, fortement réglementée et cloisonnée. Les différents métiers de banque étaient séparés, compartimentés, et un acte gouvernemental de 1935 a même carrément interdit aux banques de franchir les frontières des différents États de la fédération, imposant, au nom de la protection des petites banques régionales, un morcellement du système bancaire.

Mais les lois de l'économie sont plus fortes que les règlements. À la fin des années soixante, lorsque le système monétaire international était régi par le système de changes fixes de Bretton Woods et le système bancaire réglementé, la monnaie américaine, le dollar, avait bien trouvé le moyen de contourner les règlements par l'invention des fameux « euro-dollars ». La création de monnaie par les banques américaines était étroitement réglementée sur le sol des États-Unis ? Qu'à cela ne tienne : les banques américaines accordaient des crédits en dollars hors des États-Unis. Cette invention a été la première trouvaille, le premier instrument de la financiarisation de l'économie.

Pour pouvoir créer l'euro et pour assurer une certaine solidité à la zone euro, les différentes bourgeoisies associées dans ce cadre ont fixé des barrières avec les critères de Maastricht. Ces barrières ont été toutes emportées en quelques semaines : alors que le déficit du budget ne devait dépasser 3 % du PIB dans aucun pays de la zone euro (et l'endettement, 60 % du PIB), en France, le déficit du budget se monte à 8,2 % du PIB.

Derrière les formulations juridiques, les critères de Maastrich reflétaient la préoccupation des États les plus riches de la zone euro de ne pas assumer les déficits excessifs des États les moins riches, en d'autres termes de ne pas payer pour la bourgeoisie de ces derniers.

Face à la crise financière, le consensus a été général pour l'intervention massive des États afin de protéger le système bancaire, quitte à piétiner les accords de Maastricht. Il n'en reste pas moins que l'absence d'une politique coordonnée à l'échelle européenne, les montants différents de ces aides et leurs formes variées, ajoutent des facteurs de tensions qui minent la zone euro et par conséquent la monnaie européenne elle-même. L'Union européenne paie l'absence d'unification politique également dans sa rivalité économique avec les autres grandes puissances économiques, à commencer par les États-Unis.

En injectant une quantité colossale de monnaie dans l'économie, les États ont non seulement gonflé la masse monétaire, mais également fragilisé le système monétaire lui-même. La spéculation sur les taux de change est actuellement un des champs spéculatifs les plus rentables mais aussi les plus incontournables. Toutes les grandes entreprises s'y adonnent en permanence.

Victimes consentantes de la spéculation sur les monnaies, les États des puissances impérialistes s'en servent également comme arme les uns contre les autres.

Les manipulations monétaires font office d'instruments protectionnistes.

Au mois d'octobre 2008, le dollar s'échangeait contre 0,79 euro. Un an après, il s'échangeait contre 0,67 euro, une baisse de 15 % donc, favorisant d'autant les exportations américaines vers la zone euro. Les dirigeants américains, tout en répétant qu'ils veulent un dollar stable à un niveau élevé, ne sont nullement pressés d'intervenir sur les marchés monétaires pour défendre le dollar.

Faute d'un État européen, la zone euro a moins la possibilité que les États-Unis de jouer sur le taux de change de l'euro. Pire : comme l'euro n'est pas la monnaie unique de l'Union européenne, le taux de change est utilisé, même à l'intérieur de celle-ci, comme arme protectionniste. La livre sterling, par exemple, a perdu entre le mois de juillet et le mois d'octobre, en trois mois, près de 10 % de son prix par rapport à l'euro. Non seulement elle favorise ainsi les exportations britanniques vers la zone euro, mais en plus elle introduit un facteur d'instabilité de plus dans l'économie de l'Union européenne.

Ex-dirigeant du FMI, devenu un des inspirateurs des altermondialistes, le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz compare la situation monétaire créée par « l'utilisation de la planche à billets » de la banque centrale américaine à celle d'un homme qui skie « au bord d'une falaise en plein brouillard » (interview à Challenges du 27 août). Ce n'est pas d'aujourd'hui que le dollar est, comme toutes les autres devises, rongé par l'inflation. Les soubresauts de la devise américaine, sur une tendance de fond à la baisse de son prix en équivalence en or, accompagnent la longue crise de l'économie capitaliste mondiale. La crise du dollar, entraînant l'effondrement du système monétaire international de Bretton Woods en 1971, avait même été la première manifestation spectaculaire de la longue crise qui commençait. Rien n'illustre mieux l'effritement continu du dollar que la comparaison de ces deux chiffres : ce 15 août 1971 où Nixon annonça la décision de dévaluer le dollar et de rompre le lien qui rattachait la devise américaine à l'or, le prix de l'or était à 35 dollars l'once. Il vient de dépasser les 1 000 dollars l'once !

La fabrication quasi illimitée de billets verts des différents plans d'aide au système bancaire américain, le gonflement du bilan de la banque centrale par des titres pourris qui ont miné la confiance dans le dollar, peuvent-ils entraîner l'effondrement de la devise américaine ?

La livre sterling, pourtant une des principales monnaies du monde, a fait l'expérience, en 1992, d'un mouvement spéculatif à la baisse tellement massif que le gouvernement britannique avait été contraint de dévaluer sa devise (en laissant par la même occasion un milliard de dollars de bénéfice au spéculateur Soros).

En raison de sa position d'instrument monétaire mondial, le dollar n'est pas dans la même position que n'importe quelle autre monnaie, même la livre sterling. Sa force réside précisément dans sa qualité d'instrument de payement et de réserve mondial. Le fait que la Chine, le Japon ou les pays de l'OPEP en détiennent beaucoup dans leurs réserves les enchaîne derrière la monnaie américaine et les oblige à faire ce que le gouvernement américain ne fait pas : intervenir sur le marché monétaire pour racheter les dollars en trop à un moment donné. C'est ainsi que les banques centrales de plusieurs pays d'Asie, de Corée, d'Indonésie, de Thaïlande et de Hong Kong viennent de voler au secours de la monnaie américaine, en rachetant plus d'un milliard de dollars sur le marché des changes.

Toute dépréciation du dollar signifie qu'une partie des réserves accumulées par ces États sur le dos de leurs classes laborieuses s'envole en fumée. L'affaiblissement du dollar lui-même est ainsi un moyen pour la plus grande puissance impérialiste de piller des pays moins développés.

La complicité tacite de tous les États qui détiennent des dollars dans leurs réserves ne suffira pas nécessairement à sauver la monnaie américaine. Il y a une telle quantité de liquidités dans l'économie mondiale que la spéculation est capable de mobiliser des sommes comparables, voire supérieures aux réserves des banques centrales.

La banqueroute des États-Unis est aujourd'hui ouvertement envisagée. Pas seulement par des économistes, mais aussi par certains gouvernements, à en juger par les informations qui ont filtré sur de discrètes réunions pour mettre en place un panier de devises susceptible de servir d'instrument de transaction, en particulier pour le pétrole. Une monnaie internationale acceptée par tous ne s'improvise cependant pas. Une crise grave du dollar entraînerait inévitablement une crise des changes et des variations brutales des taux de change, aggravant encore les difficultés du commerce international.

Parmi les pays industriels semi-développés, c'est dans les pays de l'Est européen, les ex-Démocraties populaires ou ex-membres de l'Union soviétique, que les conséquences de la crise sont les plus graves. Il ne reste rien des « miracles » estonien ou slovaque.

Les délocalisations des grandes usines d'automobiles allemandes ou françaises en Slovaquie, par exemple, qui ont permis à ce pays d'enregistrer, pendant quelques années, des taux de progression impressionnants de son PIB, se retournent maintenant contre lui.

Le recul de la production industrielle prend une ampleur dramatique pour ces pays : 20,4 % en Slovénie, par exemple, d'après les statistiques d'Eurostat. Il atteint 27,9 % en Estonie.

Ceux des pays de l'Est, la plupart, qui ne font pas partie de la zone euro, paient la crise économique aussi par un affaiblissement, voire un effondrement de leur monnaie. La crise financière a poussé les banques occidentales à retirer leurs capitaux des pays de l'Est.

Étant donné que les banques de ces pays sont pour l'essentiel contrôlées par les banques occidentales, le FMI a éprouvé le besoin de débloquer des lignes de crédit pour la Roumanie, la Hongrie,etc., moins pour aider l'État roumain par exemple à payer ses fonctionnaires que pour que les banques occidentales n'aient pas à subir les conséquences d'un effondrement bancaire généralisé dans les pays de l'Est.

La crise de l'économie mondiale et la régression des échanges pourraient en théorie moins affecter les pays les plus pauvres, tenus de toute façon à l'écart des échanges mondiaux. Mais ce serait négliger l'impact de la financiarisation de l'économie mondiale sur les pays pauvres.

Il ne s'agit pas seulement du poids que représentent pour ces pays la dette et les oukases du FMI visant à contraindre leurs gouvernements à mener des politiques d'austérité. Bien plus grave pour ces pays, en particulier pour ceux d'entre eux qui ne sont pas en situation d'autosuffisance alimentaire, est que la financiarisation de l'économie mondiale et les spéculations qu'elle entraîne rendent les prix des grands produits alimentaires comme le blé, le riz ou le maïs, particulièrement instables. Pour des populations sous-alimentées, à la limite de la famine, une variation de quelques pour-cent des prix de ces produits de base se traduit par des millions de morts.

L'économie capitaliste amplifie les conséquences de catastrophes naturelles comme une année de sécheresse ou d'inondation. Ceux des paysans d'Éthiopie ou du Sahel qui ne mourront pas de faim en conséquence directe d'une récolte catastrophique, seront menacés de mourir parce que les mauvaises récoltes à l'échelle de la planète poussent à spéculer à la hausse sur les prix des produits alimentaires.

Et enfin, pour mesurer les conséquences de la crise de l'économie mondiale sur les masses pauvres d'un grand nombre de pays parmi les plus pauvres, on ne peut pas négliger le rôle de l'argent envoyé à leurs familles par les travailleurs migrants. Une augmentation du chômage dans les pays impérialistes « d'accueil » se traduit mécaniquement par une aggravation de la pauvreté dans les pays de départ.

La phase aggravée de la crise est entrée dans sa troisième année, si on en date l'éclatement au grand jour du premier trimestre 2007, lorsque le retournement du marché américain a entraîné les premières faillites d'officines spécialisées dans le crédit immobilier.

Son bilan est déjà catastrophique aussi bien sur le plan économique - recul de la production, usines fermées - que sur le plan social et humain - le chômage avec ses conséquences matérielles et morales.

Les interventions rapides des États ont sauvé le système bancaire et évité momentanément ce que leurs économistes appellent la « crise systémique », mais elles l'ont fait en obérant l'avenir.

La bourgeoisie et ses hommes politiques n'ont pas encore présenté la note pour tout ce qu'ils ont consenti au système bancaire au cours des deux années écoulées. Et même s'il était vrai qu' « on voit le bout du tunnel », cette note sera salée non seulement pour la classe ouvrière mais aussi pour toutes les classes populaires. En outre, il n'y a que les dirigeants politiques et les banquiers pour voir le bout du tunnel !

Les sommes largement distribuées par les États comme les bénéfices retrouvés des banques viennent tous, directement ou indirectement, de l'exploitation. En payer le prix signifie nécessairement aggraver l'exploitation de la classe ouvrière, mais aussi s'en prendre à d'autres catégories populaires. L'agitation actuelle dans le milieu paysan pour protester contre la dégradation de ses conditions d'existence n'est pas un phénomène anecdotique ou superficiel.

La classe capitaliste ne peut traverser la crise de sa propre économie qu'en écrasant les conditions d'existence de toutes les classes populaires. Les bouleversements économiques entraîneront nécessairement des bouleversements sociaux.

La bourgeoisie et ses hommes politiques mèneront inévitablement la politique qui poussera la classe ouvrière vers cet état de « misère biologique » dont Trotsky, lors de la crise de 1929, parlait à propos des États-Unis, la plus prospère pourtant des grandes puissances capitalistes.

Si, comme à l'époque, la classe ouvrière est partout, dans tous les grands pays impérialistes, surprise, désorientée, elle sera cependant inévitablement poussée à réagir. Malgré des ex-grands partis réformistes entièrement au service de la bourgeoisie, malgré des directions syndicales intégrées dans le système capitaliste, il y aura des explosions sociales. Personne ne peut en prévoir les échéances, encore moins les conditions de leur déclenchement. Mais la crise rend plus urgente la nécessité, pour la classe ouvrière, d'opposer sa propre politique à la politique de la bourgeoisie.

C'est la situation objective elle-même, la montée du chômage de masse et la menace pour chacun de perdre son emploi, qui pèse avant tout sur l'état d'esprit présent des masses ouvrières. Mais pèse plus encore pour l'avenir, pour la future remontée de la combativité ouvrière, la perte de repères de classe.

Une des pires conséquences du passage du Parti socialiste d'abord puis du Parti communiste du côté de l'ordre bourgeois, a été de dévoyer la conscience des travailleurs en la détournant de leurs intérêts de classe.

Ils lui ont substitué, au fil du temps et au fil des événements, les préjugés réformistes, le nationalisme, l'idée que la « nation française » constitue une communauté d'intérêts, et bien d'autres idées, de réflexes ou de comportements réactionnaires. Et, malheureusement, nombre de ceux qui, sur la gauche du Parti socialiste ou du Parti communiste, se démarquent de ces derniers, ne le font que sur le terrain des combinaisons électorales ou de quelques combats sociétaux.

La phrase « L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes » figure peut-être encore sur des banderoles ou derrière des tribunes mais, même pour les formations qui se prétendent d'extrême gauche, elle est noyée au milieu d'une multitude d'autres causes, écologistes, féministes, etc., qui, pour aussi respectables que puissent être certaines d'entre elles, ne vont pas dans le sens de la conscience de classe. Au contraire, elles la noient car, sur ces terrains, les travailleurs se trouvent mélangés à différentes catégories de la petite bourgeoisie, c'est-à-dire derrière elles.

Et ce ne sont certainement pas les directions syndicales qui véhiculent la conscience de classe, elles qui sont entièrement intégrées à l'appareil d'État impérialiste, viscéralement méfiantes vis-à-vis de toute mobilisation de la classe ouvrière susceptible de déboucher sur une contestation de l'ordre capitaliste.

La revendication d'une « bonne politique industrielle », mise en avant par la direction de la CGT, est la trouvaille du moment (les autres confédérations ne se donnent même pas la peine de justifier leur abdication par des considérations aux allures revendicatives). Partant du constat, juste, que la bourgeoisie démolit l'industrie et les emplois industriels, la CGT en tire la conclusion qu'il faut lui demander - ou demander au président de la République -... de mener une « bonne politique », visant le développement industriel et l'emploi. En cherchant à éviter toute mise en cause de l'ordre capitaliste, les appareils réformistes tombent dans les platitudes les plus lamentables. Ce n'est pas derrière les maîtres actuels de l'économie que les travailleurs sauveront leurs conditions d'existence, c'est contre eux.

Dans cette période où la crise rendra la lutte de classe de la bourgeoisie contre la classe ouvrière particulièrement féroce, prôner l'entente c'est choisir le camp de la bourgeoisie.

Mettre en avant des objectifs visant à minimiser l'antagonisme entre les intérêts de la classe capitaliste et ceux des classes exploitées, chercher à les concilier, c'est se mettre au service des exploiteurs.

La seule politique juste est, au contraire, de dévoiler les contradictions de classes, de mettre le doigt dessus, d'avancer des exigences qui démontrent que la classe ouvrière ne s'en sortira pas sans une lutte décidée contre la bourgeoisie.

Alors que la crise pousse à l'exacerbation de la lutte de classe, occulter celle-ci pour lui substituer les affrontements électoraux entre camps politiques qui, au pouvoir, mènent tous la politique de la bourgeoisie, c'est substituer un théâtre d'ombres à la réalité sociale. Le gouvernement actuel en France est servilement au service de la classe possédante. Mais focaliser l'antagonisme contre la seule équipe au pouvoir et sur le seul terrain électoral, c'est désarmer les travailleurs.

La crise redonne toute son actualité au Programme de Transition, élaboré par Léon Trotsky pour donner une boussole politique à la classe ouvrière à une autre période de crise grave du capitalisme.

Cela fait plusieurs années que, face à la montée du chômage et à la multiplication des licenciements collectifs, nous mettons l'accent dans l'agitation politique sur l'interdiction des licenciements. Il ne s'agit pas de se satisfaire du fait que cette revendication a été reprise d'abord par d'autres organisations plus ou moins d'extrême gauche comme le POI et le NPA puis, par moments, par le PCF et par la CGT. Il faut comprendre que ce n'est qu'un des éléments d'un ensemble de revendications qui visent à contester à la bourgeoisie sa dictature sur l'économie et qu'isolé du reste, vidé de sa véritable signification, le mot d'ordre peut être repris par des organisations réformistes.

L'interdiction des licenciements implique, certes, déjà une contestation du droit sacro-saint des patrons de faire ce qu'ils veulent dans leurs entreprises. Mais ce n'est pas une recette. Elle reste un vœu pieux si elle est ramenée à une revendication entreprise par entreprise, en particulier dans le cas de celles qui se préparent à fermer. L'interdiction des licenciements doit être liée à la répartition du travail entre tous sans diminution de salaire. Comme elle doit être liée à la revendication de la levée du secret des affaires, derrière lequel les capitalistes détournent les capitaux vers la spéculation et gaspillent les forces productives de la société. Faire partager ces objectifs et, à infiniment plus forte raison, les imposer, exige un rapport de forces que seul l'ensemble des travailleurs mobilisés est susceptible d'imposer.

Plus généralement, le Programme de Transition n'est pas la juxtaposition de revendications partielles, isolées les unes des autres. Elles s'articulent toutes autour de la contestation de la dictature de la classe capitaliste sur les entreprises et sur l'économie. Elles visent toutes l'objectif du contrôle sur les entreprises et sur l'économie par la classe ouvrière et par la population.

Un de ses aspects essentiels concerne les banques. Le parasitisme patent de la finance a mis en avant l'idée du contrôle et de la régulation du système bancaire. Ce qui n'est que discours démagogique dans la bouche des dirigeants politiques de la bourgeoisie devra être un objectif pour le prolétariat mobilisé. Il n'y a aucune possibilité d'infléchir le fonctionnement de l'économie dans le sens des intérêts de la majorité de la population sans l'expropriation des banques et leur unification dans une banque unique contrôlée par la population.

Les revendications transitoires prennent appui sur des exigences découlant de la situation concrète, pour aller vers le renversement du pouvoir de la bourgeoisie. Elles ne trouvent leur signification que si les masses exploitées, entrées en lutte, s'en emparent. Il n'est dans les possibilités d'aucune organisation de susciter de telles luttes. Mais lorsqu'elles se produiront, il est indispensable que soit défendu et popularisé un programme de lutte, une politique visant à amener la classe ouvrière vers le contrôle puis la prise en main de l'économie.

Seule une organisation ayant pour objectif la réorganisation communiste de la société peut aller jusqu'au bout de toutes ces étapes. Le fond du problème est là. La crise actuelle apporte, une fois de plus, la démonstration de l'incapacité capitaliste à assurer un développement harmonieux à la société. L'expropriation de la classe capitaliste, l'abolition de la propriété privée constituent la première étape, incontournable, de la réorganisation de l'économie sur une base rationnelle, c'est-à-dire planifiée, « l'introduction de la raison dans les relations humaines » (Trotsky).