Etats-Unis - les élections : Obama président, et après ?

Εκτύπωση
novembre 2008

Il n'a pas fallu attendre un mois, ni une semaine, ni même 24 heures, pour connaître le nom du nouveau président des États-Unis élu le 4 novembre dernier. Barack Hussein Obama a été élu avec une confortable majorité. Les chiffres définitifs ne seront pas connus avant la mi-décembre, mais il y a eu des centaines de milliers de personnes qui se sont inscrites cette fois sur les listes électorales. Et si les électeurs des petites villes et des régions rurales, plus favorables aux Républicains, se sont moins déplacés pour voter, en revanche dans les grandes agglomérations et les régions industrielles, la participation a été forte. D'ailleurs, on a pu voir à la télévision les électeurs faire des queues interminables pour pouvoir voter, et souvent même bien avant le 4 novembre. Obama a récolté huit millions de voix de plus que son rival républicain John McCain, 53 % contre 46 %. Il n'y a pas eu besoin de compter et recompter pour proclamer le vainqueur. L'écart entre le nombre de grands électeurs obtenus par chacun des candidats est encore bien plus grand : plus du double pour Obama, 364, contre 162 pour McCain (12 grands électeurs n'ont pas encore été attribués).

Bien que les grands électeurs n'élisent formellement le président que le 15 décembre, l'élection d'Obama est d'ores et déjà acquise.

L'élection d'Obama a été accompagnée de scènes de liesse aux États-Unis et même au-delà. L'élection d'un métis à la présidence de la république, dans un pays où, il y a un demi-siècle, il n'aurait même pas pu voter s'il avait vécu dans le Sud et où, il y a un siècle et demi, il aurait pu être vendu comme esclave, est un événement qui a touché des millions de personnes, et pas seulement parmi les Noirs qui ont pu le ressentir comme une revanche, au moins symbolique, contre les discriminations et les humiliations. Certains qui avaient vécu le mouvement des droits civiques autour des années soixante, ces luttes très dures où bien des combattants laissèrent leur vie pour obtenir la fin légale de la ségrégation, en pleuraient d'émotion. « Il est temps, il est grand temps, il est plus que temps », a-t-on maintes fois entendu. Noirs, Hispaniques, Indiens, Blancs, se sont rassemblés en foules émues et joyeuses le soir même, bouleversés, étonnés et fiers qu'un Noir ait été élu et de vivre ce moment historique.

Obama, un candidat noir ?

Au début des primaires, Obama n'était pas connu de la population noire, en tout cas pas comme un homme prenant position sur des problèmes touchant la population noire en butte au racisme et militant sur ce terrain. En septembre 2007, par exemple, alors qu'Obama était déjà candidat, il fut vertement critiqué par Jesse Jackson pour avoir refusé de participer à une manifestation nationale, à Jena en Louisiane, contre le procès raciste pour tentative de meurtre intenté à six lycéens noirs pour une simple bagarre avec des lycéens blancs. Jesse Jackson l'aurait accusé « de se comporter comme un Blanc ». Obama s'était même contenté de déclarer dans un premier temps que « les jeunes semblent avoir été entraînés dans une situation très difficile » !

Quand il a été un peu plus connu, certains le considérèrent effectivement comme un Blanc, car il n'avait rien de commun avec ce qu'ont vécu les Afro-américains dont il n'avait ni les manières ni le langage. Obama est en effet un métis né d'un père africain, qu'il a à peine connu, et d'une mère blanche, dont le second mari fut un Indonésien retourné au pays avec Barack et sa mère, immédiatement après le coup d'État contre Soekarno fomenté par la CIA, qui fit un million de morts. Sa mère, dont il répète qu'elle avait eu recours aux bons d'alimentation pour pouvoir le nourrir (probablement en tant qu'étudiante), a exercé des responsabilités en Indonésie et au Pakistan au sein de l'Agence pour le développement international et la Fondation Ford, connues pour servir la politique de l'impérialisme américain à l'étranger. Obama passa aussi une partie de sa jeunesse à Hawaï chez sa grand-mère. Il a vécu dans un pays pauvre, comme il aime à le rappeler, mais il n'y a pas partagé la vie des pauvres. Il a vécu dans un milieu aisé, qui voyageait de par le monde, qui lui a offert une éducation soignée, toujours dans des écoles privées, puis dans des universités réputées, Columbia et Harvard. Mais plus encore que son passé, ce sont son comportement et le contenu de sa campagne qui n'attiraient pas le public populaire noir ou blanc.

Cependant, en janvier 2008, lors des élections primaires, il a battu Hillary Clinton, jusque-là la favorite incontestée de l'élection présidentielle, dans l'Iowa, un État blanc. La candidature d'Obama est alors devenue crédible et les électeurs noirs ont commencé à se tourner vers lui.

Après les primaires, il a considéré - à juste titre - que l'électorat noir lui serait acquis. En effet, cet électorat vote très majoritairement démocrate. En 2004, le candidat démocrate John Kerry, qui n'est pas noir, avait recueilli 88 % du vote noir.

La campagne d'Obama ne s'est pas adressée à la population noire. Mumia Abu Jamal la caractérise ainsi : « Il a soigneusement ignoré les plaintes bien réelles et très anciennes de l'Amérique noire. En fait, il a essayé de mener une campagne 'post-raciale' ». Il a traité à de multiples reprises les Noirs pauvres de façon méprisante et paternaliste. Pour mieux s'en démarquer, il leur faisait la leçon au cours de discours publics reproduits par tous les grands médias. Il les chapitrait sur la façon de s'occuper de leurs enfants, de les nourrir, de les éduquer. Il laissait entendre que les pauvres sont responsables de leur propre malheur. Il accréditait le stéréotype du Noir irresponsable qui fait des enfants, mais ne s'en occupe pas et va en faire d'autres ailleurs. En se désolidarisant des Noirs pauvres, en les stigmatisant même, Obama marquait sa différence et pouvait se concilier les bonnes grâces de la petite bourgeoisie, aux yeux de laquelle il apparaissait comme un « Noir pas comme les autres ». Il céda ainsi à une insidieuse démagogie raciste pour glaner des voix de Blancs.

Et maintenant qu'il est élu, monsieur « Yes, we can » est présenté comme la preuve vivante que si on veut, on peut. Toute une campagne de presse est maintenant orchestrée sur ce thème. On peut lire, par exemple, dans le New York Times : « On ne pouvait pas dire que la guerre civile était vraiment finie tant que la majorité blanche de l'Amérique n'avait pas élu un président afro-américain. (...) La lutte pour l'égalité des droits est loin d'être terminée, mais nous partons maintenant sur des bases entièrement nouvelles. Faisons savoir à chaque enfant, à chaque citoyen et chaque nouvel immigrant qu'à partir d'aujourd'hui tout est vraiment possible en Amérique ». Ceux qui restent au bas de l'échelle, Noirs, Hispaniques, Blancs, n'ont plus qu'à s'en prendre à eux-mêmes !

Obama a tout fait dans sa campagne pour prouver qu'il n'était pas « un candidat noir » et même si sa victoire fait figure de symbole historique, c'est bien plutôt le symbole de l'intégration d'une toute petite minorité de la population noire dans les hautes sphères de l'administration blanche, mais ce n'est pas le gage, ni même le symbole, d'une vie meilleure pour la population noire.

Le vote des blancs

En France, les commentateurs ont surtout analysé cette élection sous l'angle de la question raciale et, après avoir craint la défaite d'Obama à cause du racisme de l'Amérique, ont conclu de son élection que le racisme y appartenait au passé. Encore une façon de présenter la réalité en occultant les problèmes de fond. Car les questions raciales n'étaient pas l'enjeu majeur de ces élections et la plupart des électeurs se sont déterminés en fonction de tout autres préoccupations. D'après un sondage cité par le New York Times, seuls 10 % des électeurs disent que la race a été un facteur important de leur choix et, parmi eux, certains ont voté Obama.

Face à la crise qui frappe déjà durement nombre de foyers américains, confrontés à deux guerres qui n'en finissent pas, nombreux étaient les électeurs qui n'aspiraient qu'à une chose : se débarrasser de Bush, de son gouvernement, de son parti, de sa politique ; lui infliger un camouflet en votant pour le candidat démocrate quel qu'il ou elle soit.

Le sentiment anti-Bush a été perceptible dès les primaires au cours desquelles on a vu une participation importante des électeurs démocrates. La guerre sans merci, que se sont livrée Barack Obama et Hillary Clinton jusqu'en juin, a pu faire craindre quelque temps une défaite du candidat démocrate. D'autant qu'Obama, une fois vainqueur des primaires, n'a pas réussi à attirer le public populaire que Hillary Clinton avait réussi à toucher. Au début septembre, c'était même parfois McCain qui était en tête dans les sondages, quand les deux candidats n'étaient pas au coude à coude. Le choix de Sarah Palin comme colistière a aidé McCain à toucher les milieux populaires. Sarah Palin est certes une bigote réactionnaire, mais elle s'est bien gardée de faire campagne sur ses idées intégristes. Elle a su parler des préoccupations quotidiennes de la population laborieuse avec un langage simple et direct. Même un politicien démocrate noir, comme l'ancien maire de San Francisco, Willie Brown, a dû reconnaître que Sarah Palin, lors de son discours à la Convention républicaine, « n'avait pas besoin de prouver qu'elle faisait partie du peuple, elle était vraiment le peuple ». Les sarcasmes misogynes et élitistes du camp démocrate ont plutôt renforcé son image de mère de famille comme les autres et la sympathie dont elle pouvait bénéficier, y compris auprès d'électeurs ou d'électrices démocrates qui, après avoir soutenu Clinton, ne voulaient pas voter pour Obama.

Ce sont l'éclatement de la crise financière et surtout les milliards de dollars trouvés tout d'un coup pour sauver les spéculateurs qui ont fait basculer les électeurs. La colère a été forte, y compris dans les rangs des électeurs républicains. On se rappelle comment ils ont assailli les représentants au Congrès de coups de téléphone, d'e-mail, de lettres et de pétitions, au point qu'à la surprise générale, ce sont les Républicains qui ont fait capoter dans un premier temps le plan Paulson-Bush de 700 milliards de dollars de cadeaux aux grandes banques de Wall Street, plan qui a tout de même été adopté quelques jours plus tard.

La crise économique a été le facteur déterminant de la victoire d'Obama. Après les guerres meurtrières, après le scandale de la gestion de l'ouragan Katrina, après la catastrophe dans l'immobilier, c'en était trop : il fallait se débarrasser de ce Bush qui entraînait le pays de calamité en calamité. McCain est apparu agité et complètement dépassé par les événements. Il a eu le malheur de déclarer, la veille de l'effondrement de la Banque Lehman Brothers, que « les fondamentaux de l'économie étaient sains ». Il a ensuite brutalement interrompu sa campagne pour s'occuper de la crise et a approuvé le sauvetage à coup de milliards d'argent public de la société d'assurances AIG, après avoir déclaré qu'il était hors de question de distribuer l'argent des contribuables. Obama est apparu calme et pondéré, « rassurant » pour la petite bourgeoisie qui craignait pour ses placements, et il s'est mis à décoller dans les sondages alors qu'il s'est employé tout comme McCain à calmer les velléités de révolte des députés récalcitrants pour qu'ils adoptent le plan Paulson.

C'est dire que ce ne sont ni la personnalité d'Obama ni son programme qui ont été déterminants, mais bien la situation. D'ailleurs ceux qui disent que l'élection d'Obama n'aurait pas été possible il y a quelques années, et même il y a encore deux ans, ont sans doute raison. Ils pourraient probablement ajouter : « Il y a encore deux mois ». Car ce sont la situation, l'éclatement brutal de la crise et le cynisme des gouvernants qui ont changé l'état d'esprit des électeurs qui n'ont plus eu qu'une idée : sanctionner Bush. Et Obama a finalement réussi à attirer les votes de la classe ouvrière blanche qui, bien que très méfiante vis-à-vis de lui, a voulu voter contre Bush. De nombreux reportages sur les chaînes de radio et de télévision ici ont illustré cet état d'esprit et parfois d'une façon tout à fait frappante. Tel cet homme blanc d'Arizona qui s'est lancé dans un véritable panégyrique de McCain et qui allait voter... Obama pour « se débarrasser de Bush » ! Ou cet autre, répondant qu'il allait voter « pour le Nègre », reléguant ses préjugés au second plan pour sanctionner Bush.

Finalement Obama n'a pas recueilli la majorité du vote des électeurs blancs. Mais si Lyndon Johnson en 1964 avait obtenu la majorité des voix des Blancs, aucun candidat démocrate à la présidentielle n'a renouvelé cette prouesse depuis, même lorsqu'il a remporté l'élection. Jimmy Carter qui s'en est le plus approché n'a recueilli, lors de son élection en 1976, que 48 % du vote blanc contre 52 % pour Gerald Ford qui fut battu.

Obama a recueilli 43 % du vote blanc, plus que bien d'autres candidats démocrates pourtant blancs, plus que Kerry en 2004 (41 %), plus que Al Gore en 2000 (42 %). La Pennsylvanie et l'Ohio, ces deux États dont les responsables politiques des deux camps disaient qu'ils illustraient la réticence de la classe ouvrière blanche à voter pour un Noir, ont été emportés par Obama avec 4 points d'avance sur McCain dans l'Ohio et avec 10 points d'avance en Pennsylvanie. Il a emporté la Virginie qu'aucun président démocrate n'avait gagnée depuis Lyndon Johnson en 1964. Et malgré la méfiance qui a subsisté jusqu'au bout dans la classe ouvrière blanche, c'est dans les grandes agglomérations industrielles qu'il a fait ses meilleurs scores dans la population blanche.

L'élection d'Obama ne signifie pas pour autant que le racisme a disparu, mais il a constitué un facteur tout à fait secondaire. Le Wall Street Journal écrivait le 29 octobre : « Il est certain qu'au cours des générations passées les Blancs ont de mieux en mieux accepté les Noirs... mais il serait stupide de prétendre que le succès d'Obama parmi les électeurs blancs soit dû à une quelconque révolution dans les mentalités depuis l'élection de 2004. » Et d'ajouter : « Les sondages indiquent que le succès d'Obama parmi les Blancs est dû au mécontentement du public envers George W. Bush et qu'il désire s'en prendre à son successeur du Parti républicain, le sénateur McCain. Dans ce contexte politique, un candidat blanc aurait aussi bien fait l'affaire. ».

La bourgeoisie a voté

La bourgeoisie a fait son choix bien avant la date de l'élection. D'après des chiffres datant de juin publiés par Le Monde, Obama a reçu l'essentiel du soutien des banques de Wall Street : 80 % des 800 000 dollars en provenance de la banque d'investissement Goldman Sachs lui furent alloués, 75 % des 480 000 dollars de Lehman Brothers avant la faillite. De même, Morgan Stanley, Citigroup ont favorisé Obama alors que Merrill Lynch était la seule à avoir préféré McCain.

De nombreux secteurs ont modifié leurs habitudes en faveur d'Obama. Par exemple, l'industrie pharmaceutique, un des piliers du financement républicain, qui en 2004 avait donné trois fois plus à Bush qu'à Kerry, a alloué cette fois 49 % de ses dons à Obama, presque autant qu'à McCain. Le secteur de l'assurance a suivi le même chemin. Celui de l'informatique qui n'avait donné que 48 % à Kerry a donné cette fois 64 % à Obama.

Obama a reçu le soutien de Bill Gates, du PDG de Google Eric Schmidt, de George Soros et de Warren Buffett, l'homme le plus riche des États-Unis, ce dont il dit être particulièrement fier. Il a reçu le soutien de la grande presse quotidienne et de bien d'autres secteurs économiques.

En août, Obama recevait 66 millions de dollars de dons, un record absolu pour le montant recueilli en un mois par un candidat. En septembre, Obama battait son propre record en recueillant 155 millions de dollars de dons. En septembre (on ne connaît pas encore les chiffres d'octobre), Obama avait reçu en tout 659,7 millions de dollars, deux fois et demi plus que McCain qui n'en avait reçu « que » 238 millions. Bien souvent les grandes entreprises donnent aux deux candidats de façon à s'assurer des soutiens dans les deux camps. La disproportion des dons recueillis par les deux candidats est significative d'un choix clair de la classe dominante.

La grande bourgeoisie avait maintes raisons de préférer Obama. D'abord, le clan Bush est si étroitement lié au secteur pétrolier qu'elle peut elle aussi aspirer à un certain « changement ». Obama a dénoncé par exemple le fait que McCain entendait accorder plus d'un milliard de dollars de réductions d'impôts à Exxon au moment où la compagnie pétrolière engrangeait des bénéfices record ! C'est aux industries liées à l'environnement, aux nouvelles technologies, aux agro-carburants qu'Obama promet quinze milliards par an pendant dix ans. Et dans cette période de crise économique, où la rivalité pour les aides de l'État sera plus âpre que jamais, il est probable que la grande bourgeoisie ne souhaite pas voir un secteur, fût-ce celui du pétrole, par trop privilégié par rapport aux autres. En tout cas, il est certain que si la grande bourgeoisie américaine a si largement financé Obama, c'est bien qu'elle en attend un retour sur investissement.

Mumia Abu Jamal, sans illusion aucune sur Obama, écrivait de sa prison dès juin dernier, après la victoire d'Obama dans les primaires : « Donner les clés du royaume à un Noir : voilà qui mesure à quel point la situation est catastrophique. C'est comme dans beaucoup de villes américaines, des maires noirs ont été intronisés lorsque les caisses étaient pratiquement vides et que les impôts ne rentraient plus. » La bourgeoisie a pris en compte le mécontentement grandissant de la population, le puissant rejet suscité par l'équipe de Bush, puis l'exaspération devant les centaines de milliards de dollars donnés à fonds perdus aux banques pour permettre à leurs dirigeants de s'en mettre plein les poches, de se pavaner dans les palaces les plus chers tout en continuant à spéculer à tout va. Face à cela, elle a choisi de soutenir un homme nouveau, mais qui a donné des gages de soumission à ses intérêts supérieurs et qui incarnait à lui seul le changement sans avoir rien à promettre d'autre car le changement, c'est d'abord sa personne, c'est son élection. Cela peut faire illusion, un temps au moins, le temps de faire accepter le maximum de sacrifices à la population laborieuse. C'était le candidat idéal pour la bourgeoisie et elle lui a vraiment donné les moyens financiers de l'emporter.

Un politicien responsable

Tout au long de sa campagne, Obama s'est montré comme un politicien responsable, responsable au point de risquer de perdre l'élection plutôt que de susciter trop d'espoirs précis dans la population laborieuse. Obama a préféré rester dans le flou. Il suggérait plus qu'il ne disait et ses engagements étaient le moins précis possible. Il s'exprimait avec de grandes phrases où chacun pouvait comprendre ce qu'il voulait. D'ailleurs, Obama lui-même écrivait dans la préface de son livre L'audace d'espérer, sorti quatre mois avant qu'il se déclare officiellement candidat : « Je suis suffisamment nouveau sur la scène politique nationale pour servir d'écran vierge sur lequel des gens d'horizons politiques très variés projetteront leurs propres idées ». Certains lui reprochaient le double langage du politicien dont on ne peut savoir ce qu'il pense. Cette impression a été confortée quand, après avoir gagné les primaires, en juin, Obama a voulu gommer ce qui avait pu être pris comme un engagement trop précis au cours de la bataille des primaires.

En effet, l'un de ses angles d'attaque contre Hillary Clinton avait été qu'elle avait voté pour la guerre en Irak alors que lui ne l'avait pas fait. S'étant bien gardé de préciser qu'il n'avait pas voté l'entrée en guerre tout simplement parce qu'à l'époque il n'avait pas encore été élu sénateur, ni évidemment qu'il avait par la suite voté tous les crédits pour cette guerre réclamés par Bush, sa position contre la guerre et sa promesse de commencer à ramener les troupes aussitôt qu'il serait élu pouvaient du coup apparaître plus crédibles. Il s'est donc empressé de faire savoir qu'il pourrait réviser sa promesse de retirer les troupes d'Irak en seize mois et que, de toute façon, il en laisserait un nombre « résiduel », nombre que ses conseillers ont évalué jusqu'à 50 000 militaires. Il reprocha à Bush de ne pas envoyer suffisamment de troupes en Afghanistan. Il a même préconisé d'en envoyer opérer au Pakistan dans les régions limitrophes de l'Afghanistan. Bref, son programme s'est mis à ressembler comme deux gouttes d'eau à celui de McCain et à celui de... Bush. Au point que le Wall Street Journal écrivait le 2 juin 2008 : « Vous voulez davantage de politique étrangère façon Bush ? Élisez John McCain ou Hillary Clinton ou Barack Obama. Peu importe qui gagnera en novembre, la politique étrangère actuelle continuera avec la nouvelle Maison Blanche. Aucun des principaux candidats n'a désavoué la guerre contre la terreur. Tous disent que Bush a une mauvaise tactique. Mais le débat sur la guerre contre la terreur est comment, où et quand. Les candidats ont tous soutenu qu'ils feraient mieux le travail. »

Pour donner des gages de son sens des responsabilités et tenter de mordre sur l'électorat républicain traditionnel, Obama a donné un coup de barre à droite à sa campagne. Il a voté avec les Républicains et une minorité de Démocrates la loi présentée par Bush autorisant l'espionnage électronique des citoyens américains. Il a fait la cour aux chrétiens intégristes, demandant leur aide, se prononçant pour la restriction du droit à l'avortement, en faveur d'une extension de la peine de mort, promettant de consacrer davantage d'argent public pour soutenir l'action des Églises.

Et son programme économique consistait surtout en nouvelles subventions pour le patronat sous prétexte de créer des emplois.

Il n'y avait vraiment pas de quoi emballer les travailleurs. En fait, Obama prenait soin, en homme politique responsable devant la bourgeoisie, de ne pas trop promettre, et de calmer les illusions et les espoirs que la campagne des primaires démocrates avaient engendrés. La situation était en effet inhabituelle : la participation aux primaires avait été plus importante que d'habitude et avait suscité l'espoir d'un changement, et les gens suivaient le déroulement de la campagne avec une attention grandissante. Il ne fallait pas entretenir des illusions qui auraient pu se révéler dangereuses. Obama prenait ainsi le risque de détourner de lui une partie des électeurs, laissant à McCain les avantages d'une démagogie plus populiste et d'un langage plus radical.

Depuis septembre, Obama n'a cessé de répéter que compte tenu de la crise, il ne pourra sans doute pas appliquer son programme tout de suite. Compte tenu du plan de 700 milliards de dollars accordé aux banques, « pourrais-je faire tout de suite tout ce que j'ai demandé dans cette campagne, probablement pas », a-t-il déclaré. La veille du vote, après avoir résumé son programme, il répétait à nouveau : « Rien de tout cela ne sera facile. Cela n'arrivera pas en une nuit. Mais je pense qu'on peut le faire car je crois en l'Amérique ». Le New York Times affirme même que, dans une interview, Obama conseille de faire un premier bilan de son action « au bout de 1 000 jours », au lieu des 100 jours habituels !

Inutile de dire qu'après l'élection il a parlé un langage bien plus cru. À la foule en liesse de Chicago, le 4 novembre au soir, il a tenu ce discours : « Devant nous, la route est longue. La pente est raide. On n'y arrivera peut-être pas en un an, ni même en quatre ans, mais l'Amérique... - je n'ai jamais autant espéré que ce soir que nous y arriverons. Je vous le promets -... en tant que peuple nous y arriverons. »

C'est ce qui s'appelle demander des efforts tout en renvoyant ses promesses aux calendes grecques. Un ancien secrétaire général de la Maison Blanche du président Clinton, Leon Panetta, a donné ce conseil à Obama : « Vous avez drôlement intérêt à aller au devant du boulot difficile. Si vous pensez que vous pouvez retarder les décisions difficiles, si vous cherchez à les esquiver, vous allez avoir beaucoup de problèmes. Prenez sans hésiter les décisions douloureuses qui impliquent des sacrifices. »

On ne connaît pas encore la composition de son futur gouvernement, mais il s'est immédiatement entouré d'une équipe de transition censée le conseiller sur les premières mesures à prendre. Le chef de cette équipe est John Podesta, autre ancien secrétaire général de Bill Clinton. Quant à sa composition, elle est édifiante et laisse peu d'illusions sur les mesures qui pourraient être prises en faveur de la population laborieuse. En effet, il s'agit de Warren Buffett, le PDG milliardaire, Willam Daley ancien ministre du Commerce et actuel PDG d'une branche de la banque JP Morgan Chase, William Donaldson ancien président de la SEC (l'équivalent de la COB, la Commission des opérations de Bourse), Roger Ferguson, ancien vice-président des gouverneurs de la Réserve fédérale, un ancien ministre du Travail, Robert Reich, deux anciens ministres des Finances, Lawrence Summers et Robert Rubin, les PDG de Xerox, Time Warner, Classic Residence by Hyatt, Google, l'ex-président de la FED, Paul Volcker, la gouverneur du Michigan qui défend les intérêts du secteur de l'automobile, Jennifer Granholm, le maire de Los Angeles, Antinio Villaraigosa, et quelques autres.

Obama a déjà nommé son secrétaire général à la Maison Blanche : un autre sénateur de l'Illinois, Rahm Emanuel, ex-conseiller de Bill Clinton, très lié aux milieux financiers. Il a gagné en deux ans 16,2 millions de dollars en travaillant pour une banque d'affaires à Chicago. Il a aussi fait partie un temps du conseil d'administration de Freddie Mac, le géant des prêts hypothécaires. Et c'est Wall Street qui constitue le principal soutien financier de sa carrière politique. Le Wall Street Journal s'amuse du paradoxe : « Il aura à remanier l'industrie financière qui lui a apporté des millions de dollars quand il était banquier d'affaires. Le choix d'Obama de faire diriger son cabinet à la Maison Blanche par M. Emanuel dans ce contexte de crise économique symbolise cet équilibre bizarre que les Démocrates vont devoir réaliser, remodelant l'industrie financière dont ils ont sollicité le soutien politique. »

La nomination de ces politiciens démocrates, habitués des allées du pouvoir, marque là aussi davantage une volonté de continuité que de changement.

Si Obama a répété pendant sa conférence de presse qu'il n'y avait qu'un seul président et que ce n'était pas lui avant le 20 janvier, puisque la passation des pouvoirs ne doit se faire qu'à cette date, il va tout de même intervenir, ne serait-ce que par l'intermédiaire du Congrès où les Démocrates sont majoritaires, pour proposer d'urgence un nouveau plan de relance, c'est-à-dire de l'argent pour les entreprises, en particulier pour l'automobile.

Après le 20 janvier, il serait censé avoir les mains libres pour appliquer son programme puisque les Démocrates ont remporté non seulement la présidentielle, mais ils ont conforté leur majorité à la Chambre des représentants et au Sénat. C'est la première fois depuis 1992 que le président démocrate a la majorité dans les deux assemblées qui composent le Congrès.

Mais les commentateurs disent déjà qu'il n'a pas vraiment gagné assez de sièges au Sénat pour avoir les mains complètement libres : il lui aurait fallu 60 sièges (alors qu'il n'en a que 57) pour empêcher toute obstruction de la part des Républicains. Rappelons tout de même que Bush, qui avait une marge de manœuvre bien plus étroite, a mené sa politique exactement comme il l'entendait et que les Démocrates prétendaient ne rien pouvoir y faire !

De toute façon, Obama a répété tout au long de sa campagne qu'il voulait travailler aussi avec les Républicains. C'était même l'un des aspects évoqués du changement : se rassembler au-delà des partis. Il est d'ailleurs question qu'Obama prenne des Républicains dans certains postes de ministres. Le nom de l'actuel ministre de la Défense de Bush, Robert Gates, a même circulé comme ministre possible de la Défense d'Obama. On voit le changement radical que cela pourrait apporter dans la politique étrangère de l'impérialisme américain !

Les dirigeants européens se sont réjouis de la victoire d'Obama, en soulignant le fait que le nouveau président américain sera plus soucieux de travailler avec ses alliés, se gardant bien de dire qu'il va évidemment chercher à faire partager un peu plus aux autres pays le poids de ses guerres !

Quant aux changements sociaux, Obama a peu, très peu promis : l'obligation d'acheter une assurance, assortie d'une petite aide pour les plus défavorisés, une réduction d'impôts non chiffrée pour ceux qui gagnent moins de 200 000 dollars par an, la création de millions d'emplois... grâce aux milliards distribués aux entreprises. S'il est certain que les entreprises vont recevoir les milliards promis, il est certain aussi que ce sont la patience et les sacrifices que le nouveau président prêche déjà et va prêcher à la population laborieuse.

Alors, il faut espérer que les illusions, qui ont accompagné une élection pour laquelle une majorité d'Américains se sont de plus en plus passionnés à l'approche de l'échéance, ne vont pas se transformer en désespoir lorsque celui qui personnifie le changement aura donné la preuve que le changement se limite à la personne du président, mais que sa politique, destinée à aider la grande bourgeoisie à traverser au mieux cette période de crise, sera d'autant plus dure pour la population laborieuse.

Oui, il faut souhaiter que la fin des illusions marque le début de la colère et que la classe ouvrière américaine non seulement renoue alors avec la tradition de ses grands combats du passé, mais aussi qu'elle se donne enfin un parti l'aidant à imposer une politique prolétarienne et ses propres solutions au pourrissement de la société capitaliste.

11 novembre 2008