France - La « modernisation du marché du travail », illustration lamentable de ce qu’est le « syndicalisme de proposition »

Εκτύπωση
février 2008

L'accord sur la « modernisation du marché du travail » qui vient d'être négocié entre les représentants des confédérations syndicales de salariés et les organisations patronales est une remarquable leçon de choses sur ce qu'est le rôle des confédérations syndicales dans notre société.

Bien sûr, le patronat n'a pas obtenu tout ce qu'il réclamait au début. Pour faire croire aux travailleurs qu'il suffit que leurs syndicats négocient pour faire avancer les choses, il faut bien faire quelques concessions. Mais il a obtenu ce qui était pour lui l'essentiel, la possibilité de mettre fin à un contrat de travail, à l'amiable, par consentement mutuel, en invoquant l'exemple du divorce du même nom, comme si les rapports entre un patron et un salarié isolé pouvaient se faire sur un pied d'égalité. Quant aux avantages pour les salariés qui compenseraient cette régression du droit du travail, on en est resté pour l'essentiel aux bonnes paroles.

C'est ce que reconnaît en substance le quotidien économique Les Échos, pourtant peu suspect de parti pris en faveur des travailleurs. Il écrit, par exemple, dans son numéro du 16 janvier : « L'accord sur la modernisation du marché du travail laisse comme un goût d'inachevé. Si les assouplissements aux contrats de travail sont incontestables, les contreparties en termes de sécurisation des salariés sont, dans certains cas, plutôt abstraites. Sur plusieurs points, les syndicats ont accepté de reporter à une date ultérieure leur traduction concrète, la plupart impliquant un coût supplémentaire pour les entreprises. L'accord comprend ainsi plusieurs clauses qui renvoient à la tenue de prochaines discussions, sur l'assurance-chômage, la transférabilité des droits, la formation des salariés à temps partiel, l'accès au logement des jeunes... À titre d'exemple, les partenaires sociaux ont acté la mise en place d'une prime forfaitaire pour les chômeurs de moins de vingt-cinq ans n'ayant pas suffisamment cotisé à l'assurance-chômage et qui ne disposent, à ce titre, d'aucune allocation. Mais les conditions d'accès, le montant de cette prime (...) ne seront pas définis avant cet été, lors du renouvellement de la convention Unedic, pour une application en 2009. De même, les syndicats n'ont rien obtenu de concret sur l'indemnisation des salariés précaires. À six mois d'intervalle, le risque est alors grand que le patronat « oublie » ces contreparties pour en demander de nouvelles, redoutent certains négociateurs ».

Que la CFTC se soit précipitée pour faire savoir la première qu'elle signerait cet accord n'a évidemment rien d'étonnant. En revanche, l'empressement à l'imiter du secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly, surprendra peut-être ceux qui avaient pris au sérieux les discours en apparence combatifs que tenait volontiers FO dans un passé pas si lointain. Mais c'est tout de même avec de mâles paroles que FO a justifié sa position : « Nous ne laissons pas à d'autres (gouvernement et Parlement), avec tous les risques que cela comporte, le soin de décider à notre place du contrat de travail, de la formation professionnelle ou des garanties nouvelles pour les salariés ». Autrement dit, signons nous-mêmes ce que Sarkozy aurait pu vouloir nous imposer ! Le secrétaire de la CFDT, François Chérèque, ne raisonne pas autrement en disant : « S'il n'y a pas trois syndicats qui signent, on sait que le gouvernement fera ce qu'il veut », et en signant lui aussi cet accord.

Seule la CGT a annoncé qu'elle ne le signerait pas. Mais elle a tout de même participé à ces négociations jouées d'avance jusqu'au bout, ce dont le Medef n'a pas manqué de se féliciter.

En fait, participer à de telles négociations est ce qui intéresse le plus les directions confédérales. Leur préoccupation principale est d'être reconnues par le patronat, par le gouvernement, comme des interlocuteurs valables. Elles ont besoin de disposer d'un minimum de crédit auprès des travailleurs, de le prouver en les mobilisant de temps à autre, faute de quoi le patronat et le gouvernement n'auraient aucune raison de leur accorder cette reconnaissance sociale... et les avantages matériels qui l'accompagnent. Sarkozy n'a-t-il pas dit à plusieurs reprises que l'une de ses préoccupations était le financement des organisations syndicales ? C'est toujours à fleuret moucheté que les confédérations syndicales affrontent patronat et gouvernement, en évitant soigneusement tout ce qui pourrait mettre en cause les intérêts généraux de la bourgeoisie, et même le plus souvent ce qui pourrait mettre son gouvernement dans des situations trop difficiles.

De ce point de vue, l'accord sur la « modernisation du marché du travail » s'insère parfaitement dans la politique suivie par les confédérations syndicales au cours des mobilisations de l'automne dernier.

Ce qu'exigerait la situation, c'est une contre-offensive de l'ensemble du monde du travail, pour mettre un coup d'arrêt à la politique de régression sociale qu'il subit depuis des années. Pourtant, non seulement la CGT, la confédération qui regroupe les travailleurs les plus combatifs (pour ne pas parler des autres), n'a rien fait pour essayer d'élargir le mouvement des travailleurs du public, en lutte pour défendre leurs régimes de retraites, aux salariés du privé (qui ont pourtant les mêmes revendications concernant les retraites, les salaires, les conditions de travail), mais en acceptant dans le secteur public que les négociations se déroulent branche par branche, elle a contribué à diviser celui-ci.

C'est vrai qu'une grève générale ne se décrète certes pas en appuyant sur un bouton, surtout dans une situation où beaucoup de travailleurs, et même de militants, ne croient guère à la possibilité de faire reculer par la lutte patronat et gouvernement. Mais une riposte générale peut se préparer en avançant clairement un plan de mobilisation, en organisant des mouvements qui peuvent être limités dans le temps, mais qui s'insèrent clairement dans ce plan, et qui permettent aux sceptiques et aux découragés de reprendre confiance dans la force et dans les possibilités de leur classe.

En revanche, appeler à des mouvements soigneusement éparpillés dans le temps, où les enseignants sont appelés à manifester un jour, les postiers à faire grève un autre, les cheminots un troisième, sans que personne ne sache quelle sera la suite de ces actions dispersées, n'est pas une manière de mobiliser les travailleurs, c'est au contraire user leur combativité.

Reste qu'à l'occasion des mouvements de cet automne, un nombre important de militants syndicaux, qui se dévouent à longueur d'année dans leurs entreprises pour défendre les intérêts de leur classe, se sont interrogés sur la politique de leurs confédérations. Ils n'ont pas forcément pris conscience des racines sociales de cette attitude timorée. Mais ils ont compris qu'il faudrait une autre politique syndicale pour faire reculer patronat et gouvernement. Et si la colère monte dans la classe ouvrière, ces militants auront un rôle à jouer. Même s'ils ont affaire à des dirigeants confédéraux « responsables », vantant les mérites du « syndicalisme de proposition », patronat et gouvernement pourraient bien apprendre que la lutte de classe n'est pas une notion si dépassée qu'ils veulent bien le dire.

17 janvier 2008